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lundi 6 janvier 2014

Exercice d'écriture 11 – par Marie

« Gâchette »

Seul ce gendarme au képi droit et costume strict me rassurait.  
– Ne restez pas derrière moi mademoiselle, cela pourrait être dangereux, m’avait-il dit, l’index sur la gâchette de son pistolet.
J’avais dû regagner l’endroit où se trouvait le reste de ma famille. Je n’avais que huit ans mais me souviens encore de cette nuit-là comme si c’était hier. Les cris de Maman m’avaient tiré du sommeil.
– Il faut appeler les pompiers et réveiller les enfants !
Mon poult s’était mis à accélérer et j’étais debout avant que mon père n’ait eu le temps de gagner ma chambre.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– La voiture brûle.
Je m’étais précipitée à la fenêtre et avais observé, abasourdie, le spectacle incongru de notre Nevada toute neuve dévorée par le feu en pleine nuit. Mes parents avaient réveillé les plus petits, puis leur avaient mis leurs robes de chambre et chaussons demandant aux deux plus grandes, ma sœur et moi, d’en faire autant. Ainsi vêtus, nous avions dû sortir par la porte arrière de la maison et étions restés là des heures, tout au moins c’est ce qui nous avait semblé, à regarder la voiture brûler. Les parents nous rassuraient, nous disant que les gentils pompiers allaient arriver d’une minute à l’autre pour éteindre le feu et qu’il n’y aurait plus de problème, que c’était un court-circuit et qu’il nous restait une autre voiture. Papa avait en effet réussi à retirer la Mercedes qui était garée à côté de la Renault ; elle était hors de portée du feu. Mais lorsque les pompiers étaient arrivés et que mon père s’était dirigé vers le capitaine pour le saluer, son pantalon, habituellement blanc, était tout noir à l’arrière. Ma mère l’avait bien regardé et lui avait demandé où il était allé s’asseoir. « Nulle part, juste sur le fauteuil de la Mercedes lorsque j’ai voulu la garer plus loin afin qu’elle ne brûle pas». Maman s’était alors penchée et avait senti son pantalon, mes frères et sœurs et moi trouvions ça drôle, nous ne comprenions vraiment pas ce qu’elle était en train de faire. Puis, nous avions cessé de rire lorsque, d’un air grave, elle avait dit à mon père « c’est de l’essence ! ». Nous ne comprenions pas pourquoi cela avait l’air grave, mais l’air inquiet et apeuré de nos parents nous disait bien qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie. Le capitaine des pompiers était alors arrivé et lui aussi, qui avait dû observer le spectacle de plus loin, les regarda d’un air dubitatif.
– Bonjour Madame, bonjour Monsieur. Vous avez une idée de ce qui a pu provoquer ce feu ? 
– Jusqu’à votre arrivée, nous pensions qu’il s’agissait d’un court-circuit du véhicule, nous avons déjà eu ce genre de problème avec une de nos voitures mais là… regardez ! Ma mère montra du doigt l’arrière du pantalon de mon Papa, c’est de l’essence et c’est en s’asseyant dans la Mercedes pour la garer plus loin que mon mari a tâché son pantalon. Le pompier proposa alors d’aller voir à l’intérieur de la Mercedes. Mes parents s’éloignèrent donc avec le pompier me responsabilisant de la garde de mes frères et sœurs, nous disant qu’ils n’en n’auraient pas pour longtemps. Ma plus jeune sœur pleurait, ne comprenant pas ce qu’il se passait et croyant manifestement que nos parents allaient partir avec ces hommes en tenue de cosmonaute et casque de fer et nous abandonner ici.
– Ne pleure pas Gabi, les parents vont parler avec le pompier et ils vont revenir après.
Nous tremblions tous, nous ne savions pas si c’était de froid ou de peur, mais puisque j’étais chargée de surveiller mes frères et sœurs, il fallait que je prenne sur moi.
– On chante « pomme de reinette et pomme d’api » ?
– Oui !
Seul mon frère, Théo, m’avait répondu sur un ton enjoué. Nous nous étions donc mis à chanter : « Pomme de reinette et pomme d’api, tapis tapis rouge. Pomme de reinette et pomme d’api, tapis tapis… gris ! »
– Gris, rouge, vert, jaune, bleu, rose… 
– Mais non, Gabi, on dit pas toutes les couleurs, on dit juste une couleur ! 
– Gris, rouge, vert, jaune, bleu, rose… C’est ma couleur préférée !
– Mais non, on dit pas les couleurs, tu comprends rien au jeu, t’es nulle !
– Théo, ne dis pas « t’es nulle » à ta sœur.
Trop tard, elle pleurait. Et ça allait être de ma faute ça encore !
– Qu’est-ce qu’il se passe les enfants ?
C’était la voix de mon père. Anne, qui n’avait pas dit un mot jusqu’à présent, prit la parole :
– C’est Théo, il dit des méchancetés à Gabi et Gabi, elle pleure !
Ouf ! Grâce à elle, je n’aurais pas à essayer d’expliquer comment je n’avais pas su les « garder » comme il faut.
Mais Papa n’avait pas la tête à ça : il nous expliqua que les pompiers étaient en train d’éteindre le feu, que nous pourrions bientôt rentrer à la maison, mais que les gendarmes allaient venir nous voir. Gabi qui avait cessé de pleurer se remit à sangloter de plus belle entrainant Théo avec elle.
– Mais ne pleurez pas comme ça, les enfants. Les gendarmes ne viennent pas pour vous, ils viennent pour faire une petite enquête.
Cela sembla rassurer Théo et Gabi. Anne et moi, en revanche, pas du tout. Papa, comprenant bien ce qu’il se passait, nous prit à part et nous expliqua que la voiture n’avait pas brulée toute seule et que les gendarmes viendraient pour « constater les faits  et chercher des preuves de l’incendie criminelle ». Là-dessus, un des pompiers arriva avec Maman : « Vous avez de la chance que les sièges soient ignifugés chez Mercedes parce que si les deux voitures avaient brûlé, cela aurait fait fondre le câble électrique et le poteau se serait abattu sur la maison !

J’avais alors compris que quelqu’un en voulait à nos vies… Et c’est pour cette raison que lorsque les gendarmes étaient arrivés, je m’étais précipitée vers leur voiture et cachée derrière le premier qui avait sorti une arme pour vérifier que personne ne se cache à l’intérieur des bâtiments vides qui se trouvaient aux alentours de notre maison.

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