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lundi 6 janvier 2014

Exercice d'écriture 7 – par Émeline

« Gâchette »

La chaleur était suffocante, c’était certainement l’un des étés les plus chauds qu’elle ait connu. Alice entra dans le bar, s’installa au comptoir et commanda une limonade. En attendant son verre, elle parcourut la une du journal qu’un précédent client avait abandonné.
« Impressionnant, n’est-ce pas ? » Le barman posa le verre devant elle, elle répondit d’un vague signe de tête.
« Vous êtes pas d’ici, pas vrai ? » Autre hochement muet. « C’est vrai que ça surprend, dans une petite ville comme la nôtre, une tuerie pareille… Et c’est pas la première fois ! Les flics ont parlé de règlement de compte, y’en a qui ont dit que c’était un tueur en série, comme ceux de la capitale… Mais ici, dans mon bar, on parle de quelqu’un d’autre. Vous voulez savoir qui ?
— Allez-y. J’imagine que j’y aurai droit de toute façon.
— Gâchette. Le barman fit une pause pour instaurer du suspens. Une vraie légende urbaine, ce type ! On raconte plein de choses sur lui, mais je crois pas que quelqu’un l’ait déjà vu.
— Alors qu’est-ce qui vous dit qu’il existe ?
— Ça, j’en suis persuadé. Y a quelqu’un en ville qui tue que les pourris, comme ceux d’hier, des racketteurs. Et toujours de la même façon. On le surnomme Gâchette, parce qu’il a la gâchette facile, faut pas l’énerver. Mais il touche pas aux femmes, jamais. Une fois, il a sauvé une pute ; son mac la battait. C’est elle qui m’a raconté son histoire. Tiens, je vous offre une autre limonade, et pendant que vous buvez, je raconte, ok ?
– Une limonade gratuite ? Ça me va. »
Le barman posa un deuxième verre, et il commença ce récit :
Avant d’être une légende urbaine, Gâchette n’était qu’un gamin comme les autres, fils de commerçants, pas un mauvais élève, et certainement pas bagarreur. Il ne manquait de rien et jouissait d’une jeunesse insouciante. Il ne savait pas qu’une bande de malfrats venait d’arriver en ville, imposant sa loi et la peur. Avant, ils trafiquaient de la drogue, mais ils avaient eu quelques ennuis et avaient changé de région pour prendre un nouveau départ. Plus de drogue. Mais un gangster reste un gangster, et celui qui n’a jamais été honnête ne le devient pas du jour au lendemain. Pas de miracle pour ces gars-là, ils passèrent du trafic au racket et aux paris clandestins.
Les parents de Gâchettes n’étaient que les propriétaires d’une épicerie, pas des héros. Mais ils voulurent résister face aux menaces. Au début, il n’y eut que des vitres cassées ; malgré leurs plaintes, la police ne parvenait à rien. Puis ils reçurent des menaces qui ciblaient directement leur famille. Finalement, une nuit, on leur rendit une petite visite.
Le petit était resté à l’étage quand sa mère, entendant des éclats de voix, avait rejoint son père. En passant devant sa chambre entrouverte, elle avait croisé son regard et avait posé un index sur ses lèvres.
Silencieux et pétrifié, l’enfant avait entendu les échos d’une dispute violente, un cri de sa mère, des bris de verres, la voix pleine de rage de son père, d’autres hommes, inconnus, et des coups de feu. Terrifié, il s’était avancé à pas de loup jusqu’au palier et, sans qu’on le remarque, il descendit.
Ils étaient trois. L’un d’eux avait été blessé et un autre l’aidait à sortir. Celui qui devait être le chef de la bande posa son arme sur l’étagère, près de l’escalier, et il s’approcha de sa mère, un sourire sadique aux lèvres.
Gâchette saisit le révolver et le pointant sur l’homme, il lui cria : « Ne t’approche pas d’elle ! »
L’homme se retourna, toujours souriant, il planta son regard terrible dans celui du gosse.
« Ou ? Quoi, tu me tueras, c’est ça ? Eh bien, j’attends ! »
La cruauté qu’il pouvait lire dans les yeux du tueur le faisait frissonner. Il le vit faire un pas en avant, mais il ne tira pas. Il savait qu’il cherchait à faire monter la pression, le faire craquer, et il sentait qu’il y parvenait.
« Alors, appuiera, n’appuiera pas ? » Il s’approcha encore.
Les yeux fermés, le gamin finit par appuyer sur la gâchette. Il n’atteignit pas le racketteur, celui-ci lui arracha l’arme des mains et l’assomma d’un violent coup de crosse.
Cette nuit-là, l’enfant l’avait laissé filer. Mais c’était la dernière fois. Cette nuit-là, Gâchette était né.
Le barman se tut. Alice avait fini son verre.
« Servez-moi autre chose, un truc fort.
— Il faut au moins ça, après ce genre d’histoire, hein ? »
Il lui tendit un verre de whisky. Elle l’avala d’un trait et le reposa sans un mot. Puis elle farfouilla dans son sac, en extirpa son portefeuille ; elle examina son contenu et poussa un soupir.
« Je n’ai pas assez de monnaie, annonça-t-elle, fouillant à nouveau dans sa besace. Mais je peux vous donner ça. Elle vaut bien trois verres. »
Alice n’attendit pas la réponse, elle posa la grosse chaîne en or sur le zinc et se leva. Quand elle disparut dans la rue, le barman fixait encore le bijou, perplexe. Néanmoins, il le glissa dans sa poche, avant qu’un autre client n’entre.

Il se mit à feuilleter le journal. En pages intérieures, il lut la suite de l’article sur les meurtres… Et son regard tomba sur les portraits des victimes. Il reconnut la chaîne qui logeait au creux de sa poche. Il fut pris de sueurs froides à l’idée qu’elle avait pu être prise à son ancien propriétaire après sa mort… peut-être même par le tueur lui-même.

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