Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
samedi 30 juillet 2011
jeudi 28 juillet 2011
Version de CAPES, 3 (à rendre pour le 2 août)
L’atelier d’Artimbau se trouvait dans la rue Baja de San Pedro. Carvalho éprouva un sentiment de nervosité bien connu en passant devant le commissariat de police de Vía Layetana. Il ne conservait de cette bâtisse que de mauvais souvenirs et, quelle que soit la toilette démocratique qu’on aurait beau lui prodiguer, elle représenterait toujours à ses yeux l’antre de la répression. Vía Layetana, qui ouvrait une voie indécise à un projet de Manhattan barcelonais qui ne verrait jamais le jour, faisait naître en lui des sentiments contradictoires. C’était une rue de l’entre-deux-guerres avec, à une extrémité, le port, et à une autre, la Barcelone ouvrière de Gracia ; artificiellement ouverte pour laisser circuler le nerf commercial de la métropole, elle était devenue avec le temps une rue où se croisaient syndicats et patrons, policiers et victimes, auxquels s’ajoutaient une Caisse d’Épargne et le monument entouré de jardins sur fond gothisant, érigé en l’honneur d’un des comtes les plus puissants de Catalogne. Carvalho poussa sur la Baja de San Pedro jusqu’à arriver devant une grande entrée avec une loge de concierge attenante et une cour au fond, il s’y engouffra et entreprit l’ascension d’un large escalier érodé qui desservait des paliers branlants donnant sur des études d’architectes débutants ou des ateliers d’artisans préretraités, simples entrepôts de cuirs ou de cartons qui bénéficiaient de la générosité spatiale de ces appartements nés de la division d’anciennes demeures et palais. Carvalho s’arrêta devant une porte sur laquelle étaient peintes d’optimistes guirlandes de feuillages verts et lilas, il sonna et attendit la venue d’un vieillard lent et silencieux, vêtu d’un tablier couvert de poussière de marbre. Celui-ci lui ouvrit grand la porte et, de la tête, lui fit signe d’entrer.
***
L’atelier d’Artimbau se trouvait rue Baja de San Pedro. Carvalho ressentit l'éternelle nervosité en passant devant le poste de Police de la Rue Layetana. Il ne gardait que des mauvais souvenirs de cette bâtisse et on aurait beau lui faire un ravalement démocratique, elle continuerait d’être l’obscur château de la répression. C’est un tout autre sentiment qu’éveillait en lui la Rue Layetana avec son allure de première et timide voie, tel un avant goût d’un Manhattan barcelonais qui n’arriverait jamais à voir le jour. Il s’agissait d’une rue d’entre-deux-guerres, le port à un bout et la Barcelone ouvrière de Gracia à l’autre, artificiellement ouverte afin que puisse circuler le cœur commercial de la métropole devenue avec le temps une rue peuplée de syndicats et de patrons, de policiers et leurs victimes en plus d’une Caisse d’Epargne et du monument avec jardins sur fond gothique à l’image d’un des comtes les plus intrépides de Catalogne. Carvalho se dirigea vers la Rue Baja de San Pedro et, arrivant à un porche, loge et cour au fond, il y pénétra et commença l’ascension d’un escalier large et érodé, reliant des paliers délabrés qui donnaient sur des ateliers d’architectes débutants, d’artisans proches de la retraite, de simples boutiques de cuirs ou de cartonnage qui profitaient de l’espace offert par ces appartements segmentés propres aux vieilles demeures et aux palais. Devant une porte peinte d’optimistes ramures vertes et lilas, Carvalho s’arrêta pour frapper et attendre qu’on le lui ouvre, ce qui fut fait par un petit vieux lent et silencieux au tablier recouvert de poussière de marbre. Il lui ouvrit la porte en grand et lui fit signe, de sa tête, d’entrer.
Le bureau d'Artimbau était dans la Calle Baja de San Pedro. Carvalho ressentit la nervosité coutumière en passant devant le commissariat de police de Vía Layetana. De ce bâtiment-là, il ne conservait que de mauvais souvenirs et, malgré toute l'intégrité démocratique qu'on pourrait lui ajouter, ce serait toujours l'hostile château de la répression. Un sentiment contraire l'éveillait Vía Layetana de par son air de premier pas indécis pour ébaucher un Manhattan barcelonais, qui n'arriverait jamais à se réaliser. C'était une rue de l'entre-deux-guerres, avec le port à un bout et la Barcelone ouvrière de Gracia à l'autre, artificiellement ouverte pour faire circuler le nerf commercial de la métropole et transformée avec le temps en une rue de syndicats et patrons, de policiers et leurs victimes, et aussi quelque Caisse d'Épargne et le monument, entouré de jardins, sur un fond gothisant, à l'un des plus légitimes comtes de Catalogne. Carvalho avança par la Baja de San Pedro et en arrivant à un portail avec une loge et une cour au fond, il s'y introduisit et commença l'ascension d'un escalier étroit et érodé qui reliait des paliers délabrés sur lesquels donnaient des ateliers d'architectes qui débutaient, d'artisans presque à la retraite, de simples magasins de cuir ou de cartonnages qui profitaient de la générosité spatiale de ces étages fragmentés d'anciennes bâtisses et palais. Devant une porte peinte d'optimistes ramages verts et lilas, Carvalho s'arrêta pour frapper et attendre l'ouverture, par les soins d'un petit vieux lent et silencieux, avec un tablier couvert de poussière de marbre. Il lui ouvrit la porte en grand et, de sa tête, il lui indiqua l'intérieur.
L’atelier d’Artimbau se trouvait Calle Baja de San Pedro. Carvalho ressentit la nervosité habituelle en passant devant le commissariat central de Police de Vía Layetana. Il ne gardait que des mauvais souvenirs de cette grande bâtisse et quelque désintéressement démocratique qu’on lui portât, ce serait toujours le sombre château de la répression. Un sentiment opposé le réveillait Vía Layetana, avec son aspect de premier pas indécis pour débuter un Manhattan barcelonais, qui n’arriverait jamais à se réaliser. C’était une rue de l’entre-deux-guerres, avec d’un bout le port et la Barcelone ouvrière de Gracia de l’autre, artificiellement ouverte pour faire circuler le nerf commercial de la métropole et, avec le temps, convertie en une rue de syndicats et de patrons, de policiers et de leurs victimes, plus une Caisse d’épargne et le monument, au milieu de jardins sur fond gothicisant, en hommage à un des comtes les plus influents de Catalogne. Carvalho avança dans Baja de San Pedro et arrivant à hauteur d’un portail avec une loge de concierge et une cour au fond, il s’y engagea et commença l’ascension d’un escalier large et usé par l’érosion, qui unissait des paliers disproportionnés sur lesquels donnaient des ateliers d’architectes débutants dans le métier, d’artisans au bord de la retraite et de simples magasins de cuirs et de cartonnages qui profitaient de la générosité de l’espace de ces étages segmentés des anciennes bâtisses et anciens palais. Devant une porte peinte avec d’optimistes guirlandes de feuillage vertes et lilas, Carvalho s’arrêta pour y frapper et attendre l'ouverture de cette dernière, que prenait en charge un petit vieux lent et silencieux, portant un tablier couvert de poussière de marbre. Il lui ouvrit la porte tout grand et fit signe d’entrer d’un mouvement de tête vers l’intérieur.
mardi 26 juillet 2011
lundi 25 juillet 2011
Version de CAPES, 2 (à rendre pour le 28 juillet)
A los "Restos del naufragio" las llamaba también "sus pretendientas" o "sus viudas", porque tenían este estado y hasta parecían haber nacido así... Sin embargo, De Arco sacaba a relucir a menudo en su conversación a los difuntos maridos y hasta hacía chistes un poco raros, recordándolos mal y atribuyendo a alguna de las viudas un recuerdo imperecedero del difunto esposo de alguna de las otras... Luego, cuando se quedaba solo junto a la chimenea, llegaba el momento en que el fuego, ya muy pasado, parecía animar las facciones de su mujer, María Elena, que desde el gran cuadro en que aparecía vestida de amazona le reprochaba aquellas pullas a las viudas:
— Estás perdiendo toda tu gracia, hijito... En cuanto elijas a una de ellas, las otras te abandonarán de todas todas... Y ya sería hora de que eligieses y sentases la cabeza.
Aquella noche, De Arco dio la noticia al retrato de su mujer.
— Ya he elegido... ¿Qué te parece?
—Encuentro que empiezas a chochear, pobrecillo. ¿Qué quieres que haga en esta casa esa criatura sin gracia...?
— Pues hija, cuidarme... Y, además de eso, aprender a vivir... He pensado en que es una criatura sin estrenar, algo así como si me casase con una niña, sin los peligros de casarme con una niña... Va a ser algo nuevo viajar con ella, enseñarle a vestirse, hacerla disfrutar de comodidades que no conoce, y, en fin, descubrir su intimidad, tan cerrada; oír la confesión del cariño que me ha tenido toda la vida, incluso en aquellos tiempos en que tú, al hacer una de las raras visitas a mi despacho, me dijiste que era la secretaria ideal para mí, por que, sin ser fea, era la encarnación viviente del "antiatractivo"...
Ce soir-là, De Arco dîna seul. De Arco n’aimait pas les repas en solitaire, ainsi recevait-il presque toujours quelqu’un à sa table. Dernièrement, sa compagnie s’était vue réduite à quelques femmes, une demi-douzaine d’amies fort frivoles et bavardes, survivantes d’une autre époque. Des restes de naufrage, comme il les appelait. De bonnes amies, esseulées par la vie, qui ne voyaient pas d’inconvénient à perdre une petite partie de cartes pour l’accompagner. De Arco n’aimait pas jouer aux cartes, et, selon lui, c’est ce qui avait, ces derniers temps, commencé à le marginaliser parmi ses semblables.
Les "Restes du naufrage" étaient également nommés par lui "ses prétendantes" ou "ses veuves", parce que tel était leur état et qu’il semblait même en être ainsi depuis leur naissance... Néanmoins, De Arco exhumait souvent dans ses conversations leurs feus maris, allant jusqu’à faire des blagues un peu bizarres à leur sujet ; en effet, il se les rappelait mal et attribuait à l’une des veuves un souvenir impérissable concernant le défunt époux d’une autre... Puis, lorsqu’il se retrouvait seul devant la cheminée, le moment venait où les flammes mourantes semblaient animer les traits de sa femme, María Elena, qui, du grand tableau où elle apparaissait vêtue en amazone, lui reprochait ces boutades lancées aux veuves :
? Tu es en train de perdre tous tes attraits, mon chéri... Dès que tu choisiras l’une d’entre elles, les autres t’abandonneront tout à fait... Il serait grand temps de choisir et de te ranger.
Cette nuit-là, De Arco révéla la nouvelle au portrait de sa femme.
? J’ai déjà choisi... Qu’est-ce que tu en penses ?
? Je crois que tu commences à devenir gâteux, mon pauvre ami. Que veux-tu que cette oie blanche fasse dans cette demeure... ?
? Eh bien, ma chère, s’occuper de moi... Et aussi, apprendre à vivre... Je me suis dit qu’il s’agissait d’une demoiselle, c’est comme si, en quelque sorte, je me mariais avec une jeune fille, sans les dangers inhérents à une telle union... Quelle nouveauté que de voyager à ses côtés, de lui enseigner l’art de s’habiller, de la familiariser avec des commodités qu’elle ignore, et de découvrir son intimité, si secrète ; de l’entendre confesser les sentiments qu’elle a nourris pour moi durant toute sa vie, y compris à cette époque où tu m’avais confié, lors d’une de tes rares visites à mon bureau, qu’elle était la secrétaire idéale pour moi, car, sans être laide, elle incarnait le remède vivant contre le charme...
***
De Arco dîna seul ce soir là. De Arco n'aimait pas les repas solitaires, et il avait presque toujours quelqu'un à sa table. Dernièrement, sa compagnie avait fini par se réduire à quelques femmes, une demi-douzaine d'amies très frivoles et bavardes, rescapées d'une autre de ses époques. Des restes de naufrage, comme il les appelait. De bonnes amies, que la vie avait rendues solitaires et que cela ne dérangeait pas de perdre une partie de cartes pour l'accompagner dans de petits tournois. De Arco n'aimait pas jouer aux cartes, et ceci, comme il le pensait, était ce qui avait commencé ces derniers temps à le transformer en un inadapté au milieu de ses connaissances.
Il appelait aussi les « Restes du naufrage » « ses prétendantes » ou « ses veuves », car elles avaient cette situation et qu'elles avaient même l'air d'être nées ainsi... Cependant, De Arco exhibait souvent les défunts maris dans sa conversation et allait même jusqu'à faire des blagues un peu étranges, se souvenant mal d'eux et attribuant à l'une des veuves un souvenir impérissable de l'époux décédé de l'une des autres... Puis, quand il se retrouvait seul à côté de la cheminée, arrivait le moment où le feu, alors presque éteint, semblait donner vie aux traits de sa femme, María Elena, qui, du grand tableau où elle figurait vêtue d'amazone, lui reprochait ces grossièretés envers les veuves :
– Tu es en train de perdre tout ton charme, mon petit... Dès que tu choisiras l'une d'elles, les autres t'abandonneront toutes à la fois... Et il serait enfin l'heure que tu choisisses et que tu te ranges.
– Cette nuit là, De Arco annonça la nouvelle au portrait de sa femme.
– J'ai fait mon choix... Qu'est-ce que tu en penses ?
– Je trouve que tu commences à devenir gâteux, mon pauvre. Que veux-tu que cette créature sans grâce fasse dans cette maison... ?
– Eh bien, ma fille, s'occuper de moi... Et en plus de cela, apprendre à vivre... J'ai réfléchi au fait que c'est une créature neuve, un peu comme si j'épousais une petite fille, sans les dangers de me marier avec une enfant... Ce sera quelque chose de nouveau de voyager avec elle, de lui apprendre à s'habiller, de lui faire profiter d'un confort qu'elle ne connaît pas et, enfin, de découvrir son intimité, si renfermée, d'écouter l'aveu de la tendresse qu'elle a eue pour moi toute sa vie, même à cette époque où, toi, en faisant une de tes rares visites à mon bureau, tu m'as dit qu'elle était la secrétaire idéale pour moi, car, sans être laide, elle était l'incarnation vivante de l' « antiattirant »...
***
De Arco dina seul ce soir-là. De Arco n’aimait pas les repas en solitaire, et il conviait presque toujours quelqu’un à sa table. Dernièrement, sa compagnie s’était peu à peu réduite à quelques femmes, une demi-douzaine d’amies très frivoles et bavardes, survivantes d’une autre époque de sa vie. Des épaves de naufrage, comme il les appelait. De bonnes amies, que la vie avait progressivement rendues solitaires et auxquelles cela importait peu de perdre une partie de cartes pour l’accompagner dans de petites séries d’autres. De Arco n’aimait pas jouer aux cartes, et cela, selon sa pensée, c’était ce qui ,ces derniers temps, avait commencé à le changer en un étranger parmi ses connaissances.
Aux « épaves du naufrage », il les nommait aussi « ses prétendantes » ou « ses veuves », car elles avaient aussi cet état et même semblaient être ainsi nées… Cependant, De Arco faisait ressortir parfois dans sa conversation leurs défunts maris et il faisait même des blagues un peu douteuses, en se les rappelant mal, et en attribuant à une des veuves un souvenir impérissable du défunt époux d’une des autres… Ensuite, lorsqu’il se retrouvait seul près de la cheminée, le moment arrivait où le feu, déjà presque éteint, semblait animer les traits du visage de sa femme, María Elena, qui, depuis le grand tableau où elle apparaissait vêtue en amazone, lui reprochait ces quolibets qu’il donnait aux veuves :
- Tu es en train de perdre tout ton charme , mon vieux… Quand tu auras choisi l’une d’entre elles, les autres t’abandonneront toutes sans exception… Et il serait enfin temps que tu choisisses et que tu deviennes raisonnable.
Cette nuit-là, De Arco apprit la nouvelle au portrait de sa femme.
- ça y est, j’ai choisi… Qu’en penses-tu ?
- Je trouve que tu commences à radoter, mon pauvre. Que veux-tu que fasse cette enfant sans grâce dans cette maison… ?
- Et bien ma chère, s’occuper de moi… Et en plus de cela, apprendre à vivre… J’ai pensé au fait que c’est une jeune fille sans expérience, c’est un peu comme si je me mariais avec une enfant, sans subir les dangers du fait de me marier avec une enfant… Cela va être quelque chose de nouveau de voyager avec elle , de lui apprendre à s’habiller, de lui faire profiter des commodités qu’elle ne connait pas, et, enfin, de découvrir son intimité, si fermée ; d’entendre la confession de la tendresse qu’elle a éprouvé pour moi durant toute sa vie, même du temps où, en me rendant une de tes rares visites à mon bureau, tu m’avais dit que c’était la secrétaire idéale pour moi, parce que, sans être laide, elle était l’incarnation de l’ « anti-charme »…
Ce soir là, monsieur d’Arco dîna seul. Monsieur d’Arco n’aimait guère les repas en solitaire et il avait presque toujours quelqu’un à sa table. Dernièrement, sa compagnie s’était réduite /se résumait à quelques femmes : une demi douzaine d’amies cancanières et baratineuses, survivantes d’une autre époque de sa vie. Des restes du naufrage, comme il les appelait. De bonnes amies que la vie avait petit à petit vouées à la solitude et à qui perdre une partie de cartes pour l’accompagner dans une série de petites danses importait peu/ne faisait rien. Monsieur d’Arco n’aimait pas jouer aux cartes et cela -c’est ce que lui pensait- était ce qui, dans les derniers temps, avait commencé à le faire devenir un étranger parmi ses connaissances.
Il appelait les « Restes du naufrage » également « ses prétendantes » ou « ses veuves » parce qu’elles avaient ce statut et semblaient même être nées comme tel… Cependant, Monsieur D’Arco remettait souvent sur le tapis, au cours de sa conversation, les défunts maris ; s’en rappelant très mal et prêtant/attribuant à l’une des veuves un souvenir impérissable du défunt époux à l’une des autres, il faisait même des blagues un peu étranges/cyniques… Ensuite, quand il restait seul près de l’âtre, venait le moment où, le feu, déjà bien éteint, semblait animer les traits de sa femme, Marie Hélène, qui, depuis le grand tableau où elle apparaissait vêtue d’une amazone, lui reprochait ces piques lancées aux veuves :
-Tu es en train de perdre tout ton charme, pauvre petit… Dès que tu choisiras l’une d’entre elles ; les autres, à n’en pas douter, t’abandonneront… Et il serait temps que tu choisisses et que tu te mettes du plomb dans la tête.
Ce soir, Monsieur d’Arco informa le portrait de sa femme.
-J’ai déjà choisi… Qu’en penses-tu ?
-Je pense que tu commences à devenir gâteux pauvre petit… Que veux-tu que fasse dans cette maison un être dépourvu de grâce… ?
-Eh bien petite, prendre soin de moi. Et, qui plus est, apprendre à vivre… J’ai pensé à un être non accompli, c’est un peu comme si je me mariais avec une jeune fille sans risquer de me marier avec… Tout nouveau sera le fait de voyager avec elle, lui apprendre à s’habiller, la faire profiter de commodités qu’elle ignore et, enfin, découvrir son intimité, si fermée ; d’entendre l’aveu de la tendresse qu’elle a éprouvée envers moi durant toute sa vie, y compris du temps où toi, me rendant une des rares visites à mon bureau, tu me disais qu’il s’agissait de la secrétaire idéale pour moi, car, sans être laide, elle était la preuve vivante de l’ « anti-charme »/du « tue-l’amour ».
dimanche 24 juillet 2011
samedi 23 juillet 2011
Un peu de lecture ?, 4
En este texto, el autor de la novela “Las horas” sostiene que la traducción es una serie larga, compleja y profunda de transformaciones que comprenden tanto al escritor como al lector
Por Michael Cunningham
À lire
vendredi 22 juillet 2011
Version à rendre pour le 25 juillet
Travaillez bien !
Voici donc le Texte 1 :
SOY LA MUJER ANÓMALA
-Eras su hija. ¿Nunca te diste cuenta de algo tan claro?
Negué con la cabeza perpetuamente baja.
-Tu madre se disfrazaba detrás de su beatería y su intolerancia. Pero nosotros -Guadalupe y yo- no podíamos vencerla. Bajo la superficie tenía la voluntad de la fe. Era invencible por eso. Era sagaz. Se hacía acompañar de una bestia asociada al Demonio. Su gata Estrellita era un súcubo infernal que la protegía de nosotros.
-¿Mamá los conocía a ustedes?
-No. Nos sospechaba. Se pertrechaba con nuestras propias armas. Nos obligaba a escondernos, a espiarla, a fingir. La farsa de la Guadalupe la venció. Entendió que nosotros entendíamos y sólo esperábamos. Su fe era sobrenatural, mágica. Se defendía con las armas del Diablo.
-¿Y ustedes, tú y la gata...?
Me puso el pie sobre la mano. Aguanté el dolor. -La Lupe. ¿Son judíos, por eso los quemaron? -No. Nos quemaron para quitarnos nuestras riquezas.
-Por judíos. Por codicia. Sin razón.
-No. Tenían razón. Perseguidos, sólo teníamos un aliado. El Demonio.
Je suis la femme anormale
Parfois il s'approche de moi, surtout quand je suis courbée, en train de laver le sol, et il m'explique des choses à demi-mot. Lui et elle rôdent dans cette maison depuis l'Autodafé de 1649. Il entrent et sortent. Cela ne dépend pas d'eux. Il y a parfois des forces qui ne les laissent pas entrer. D'autres fois, il y a des faiblesses facilement surmontables. Ma mère avait l'air d'une vieille tyrannique, grossière, fragile. Non. C'est lui qui me le dit. Elle était très forte. Sa foi était véritable. Elle était capable de tuer pour sa foi. Une chose était l'apparence de sa vie chrétienne superficielle, voire grotesque, la réalité profonde de sa relation avec Dieu en était une autre.
– Tu étais sa fille. Tu ne t'es jamais rendu compte de quelque chose d'aussi clair ?
Je niai de ma tête constamment baissée.
– Ta mère se cachait derrière sa bêtise et son intolérance. Mais nous – Guadalupe et moi – nous ne pouvions pas la vaincre. Sous la surface, elle avait la volonté de la foi. Elle était invincible à cause de cela. Elle était avisée. Elle se faisait accompagner par une bête associée au Démon. Sa chatte Estrellita était un succube infernal qui la protégeait de nous.
– Maman vous connaissait ?
– Non. Elle soupçonnait notre existence. Elle se munissait de nos propres armes. Elle nous obligeait à nous cacher, à l'épier, à feindre. La farce de Guadalupe triompha d'elle. Elle comprit que nous comprenions et que nous attendions seulement. Sa foi était surnaturelle, magique. Elle se défendait avec les armes du Diable.
– Et vous, toi et la chatte... ?
Il mit son pied sur ma main. J'étouffai la douleur. – Lupe. Vous êtes juifs, c'est pour ça qu'on vous a brûlés ? – Non, ils nous ont brûlés pour nous prendre nos richesses.
– Pour avoir été juifs. Par jalousie. Sans raison.
– Non. Ils avaient raison. Persécutés, nous avions un seul allié. Le Démon.
Je suis la femme anormale
Il s’approche parfois de moi, surtout quand je suis à genoux/quatre pattes en train de laver le sol, et il m’explique à moitié certaines choses. Elle et lui ne cessent de faire la ronde autour de cette maison depuis l’Acte de Foi de 1649. Ils entrent et sortent. Cela ne dépend pas d’eux. Souvent de fois, il y a des forces qui ne les laissent pas pénétrer. D’autres fois, des faiblesses qui sont facilement surmontables. Ma mère semblait être une vieille femme tyrannique, grossière, fragile. Non. C’est ce que lui m’en dit. Elle était très forte. Sa foi était authentique. Elle était capable de tuer pour sa foi. Une chose était l’apparence de sa vie de chrétienne superficielle et même/pour ne pas dire grotesque et une autre, la réalité profonde de sa relation avec Dieu.
-Tu étais sa fille. Tu ne t’es jamais rendue compte d’une chose si évidente?
Je niai avec ma tête sans cesse baissée.
-Ta mère se déguisait derrière sa bigoterie et son intolérance. Mais nous – Guadalupe et moi- ne pouvions la vaincre. Sous ses airs, elle s’obstinait dans sa foi. En cela, elle était invincible. Elle était sagace. Elle se faisait accompagner par une bête associée au Démon. Sa chatte, Petite Etoile, était un succube infernal qui la protégeait de nous.
-Maman vous connaissait ?
-Non. Elle nous soupçonnait. Elle se munissait de nos propres armes. Elle nous obligeait à nous cacher, à l’épier, à feindre. La farce de Guadalupe la gagna. Elle réalisa que nous comprenions et que nous ne faisions qu’attendre. Sa foi était surnaturelle, magique. Elle se défendait avec les armes du Diable.
-Et vous, toi et la chatte… ?
-Elle mit son pied sur ma main. Je supportai la douleur. –La Lupe.
Vous êtes juifs, c’est pour cela que l’on vous a mis au bûcher –Non. On nous a mis au bûcher pour nous déposséder de nos richesses.
-Pour être juifs. Pour avarice. Sans raison.
-Si. Vous aviez raison. Poursuivis, nous ne possédions qu’un seul allié. Le Démon.
Version à rendre pour le 20 juillet
Es extraño; aunque he renunciado a entrar de lleno en el mundo de Osiris, mi amor por Alana no acepta esa llaneza de cosa concluida, de pareja para siempre, de vida sin secretos. Detrás de esos ojos azules hay más, en el fondo de las palabras y los gemidos y los silencios alienta otro reino, respira otra Alana. Nunca se lo he dicho, la quiero demasiado para trizar esta superficie de felicidad por la que ya se han deslizado tantos días, tantos años. A mi manera me obstino en comprender, en descubrir; la observo pero sin espiarla; la sigo pero sin desconfiar; amo una maravillosa estatua mutilada, un texto no terminado, un fragmento de cielo inscrito en la ventana de la vida.
Quand Alana et Osiris me regardent, je ne peux pas me plaindre de la moindre dissimulation, de la moindre duplicité. Ils me regardent en face, Alana de sa lumière bleue, Osiris, de son rayon vert. Il en va de même entre eux, ils se regardent ainsi, Alana caressant l'échine noire d'Osiris, qui lève le museau de son bol de lait et miaule, satisfait ; une femme et un chat qui se connaissent sur des plans qui m'échappent, et que mes caresses à moi ne parviennent pas à atteindre. Cela fait bien longtemps que j'ai renoncé à toute forme de domination sur Osiris ; nous sommes bons amis, tout en gardant une distance infranchissable.
En revanche, Alana est ma femme, et cette distance entre nous est différente ; c'est quelque chose qu'elle paraît ne pas ressentir, mais qui s'interpose dans mon bonheur au moment où Alana me regarde, où elle me regarde en face, exactement comme Osiris, et qu'elle me sourit ou qu'elle me parle sans la moindre réserve, s'abandonnant dans chaque geste, dans chaque chose, comme elle s'abandonne en amour, là où tout son corps est, comme ses yeux, dévouement absolu, réciprocité ininterrompue. C'est étrange : bien que j'aie renoncé à pénétrer totalement dans le monde d'Osiris, mon amour pour Alana ne souffre pas cette simplicité inhérente à toute chose conclue, à un couple pour toujours, à une vie sans secrets. Non, derrière ces yeux, il y a plus, tout au fond de ces paroles, de ces gémissements, de ces silences, vit un autre royaume, respire une autre Alana. Je ne lui en ai jamais parlé, je l'aime trop pour mettre en pièces ce bonheur de surface sur lequel ont glissé déjà tant de jours, tant d'années. À ma façon, je m'obstine à comprendre, à découvrir ; je l'observe, mais ne l'épie pas ; je la suis, mais je lui fais confiance ; j'aime une merveilleuse statue mutilée, un texte inachevé, un fragment de ciel inscrit à travers la fenêtre de la vie.
Il y eut un temps où la musique me sembla être le véritable chemin qui me mènerait à Alana ; en la regardant écouter nos disques de Bártok, de Duke Ellington, de Gal Costa, une lente transparence m'en apprenait davantage sur elle, la musique la dénudait d'une manière différente, la rendait toujours plus Alana – car Alana ne pouvait pas n'être que cette femme qui m'avait toujours regardé sincèrement, sans rien me cacher. Contre Alana, au-delà d'Alana, je fouillais, pour mieux l'aimer ; et si au début, la musique me laissa entrevoir d'autres Alana, vint le jour où face à une gravure de Rembrandt, je la vis changer plus encore, comme un jeu de nuages dans le ciel altèrerait les lumières et les ombres d'un paysage. Je sentis que la peinture la transportait hors d'elle-même, pour le seul spectateur qui pouvait mesurer la métamorphose instantanée jamais répétée, l'esquisse d'Alana dans Alana. Intercesseurs involontaires, Keith Jarrett, Beethoven et Aníbal Troilo m'avaient aidé à m'en approcher, mais face à un tableau ou à une gravure Alana se dépouillait toujours plus de ce qu'elle croyait être ; pendant un instant elle accédait à un monde imaginaire qui lui permettait, sans qu'elle le sache, de sortir d'elle-même, de naviguer d'une peinture à l'autre, en les commentant ou en se taisant. Sorte de jeux de cartes que chaque nouvelle contemplation mêlait, pour celui qui, discret et attentif, un peu en retrait ou la tenant à son bras, voyait se succéder les reines et les as, les piques et les trèfles, Alana.
Lorsqu'Alana et Osiris me regardent, je ne peux me plaindre de la moindre dissimulation, de la moindre duplicité. Ils me regardent en face, Alana, sa lumière bleue, et Osiris, son rayon vert. Même entre eux ils se regardent ainsi, Alana caressant le dos noir d'Osiris qui lève son museau de l'assiette de lait et miaule, satisfait ; femme et chat se connaissant sur des plans qui m'échappent, que mes caresses n'arrivent pas à dépasser. Il y a longtemps que j'ai renoncé à toute domination sur Osiris, nous sommes bons amis à une distance infranchissable ; mais Alana est ma femme et la distance entre nous est autre, quelque chose qu'elle ne paraît pas sentir mais qui s'interpose dans mon bonheur quand Alana me regarde, quand elle me regarde en face telle Osiris et me sourit ou me parle sans la moindre réserve, se donnant dans chaque geste et chaque chose comme elle se donne en amour, là où tout son corps est comme ses yeux, un abandon absolu, une réciprocité ininterrompue.
C'est étrange ; bien que j'aie renoncé à entrer complètement dans le monde d'Osiris, mon amour pour Alana n'accepte pas cette simplicité d'affaire conclue, de couple pour toujours, de vie sans secrets. Derrière ces yeux bleus, il y a plus ; au fond des mots, des gémissements et des silences souffle un autre règne, respire une autre Alana. Je ne le lui ai jamais dit, je l'aime trop pour réduire en miettes cette surface de bonheur sur laquelle ont glissé tant de jours, tant d'années. À ma manière, je m'obstine à comprendre, à découvrir ; je l'observe mais sans l'épier ; je la suis mais sans me méfier ; j'aime une merveilleuse statue mutilée, un texte inachevé, un fragment de ciel inscrit dans la fenêtre de la vie.
Il fut un temps où la musique me parut être le chemin qui me conduirait vraiment à Alana ; en la regardant écouter nos disques de Bartók, de Duke Ellington, de Gal Costa, une transparence progressive m'enfonçait en elle, la musique la dénudait d'une manière différente, la rendait toujours plus Alana, car Alana ne pouvait pas être seulement cette femme qui m'avait toujours regardé pleinement sans rien me cacher. Contre Alana, au-delà d'Alana, je la cherchais pour mieux l'aimer ; et si au début la musique me laissa entrevoir d'autres Alanas, le jour vint où, devant une gravure de Rembrandt, je la vis changer encore plus, comme si un jeu de nuages dans le ciel avait brusquement altéré les lumières et les ombres d'un paysage. Je sentis que la peinture la menait au-delà d'elle-même pour cet unique spectateur qui pouvait mesurer l'instantanée métamorphose jamais répétée, l'entrevision d'Alana en Alana. Intermédiaires involontaires, Keith Jarrett, Beethoven, et Aníbal Troilo m'avaient aidé à me rapprocher, mais devant un tableau ou une gravure Alana se dépouillait encore plus de ce qu'elle croyait être : pendant un instant elle entrait dans un monde imaginaire pour, sans le savoir, sortir d'elle-même, allant d'une peinture à l'autre, les commentant ou se taisant, jeu de cartes que battait chaque nouvelle contemplation pour celui qui, discret et attentif, un peu en retrait ou la tenant par le bras, voyait se succéder les reines et les as, les piques et les trèfles, Alana.
Quand Alana et Osiris me regardent, je ne peux pas me plaindre de la moindre dissimulation, de la moindre duplicité. Ils me regardent en face, Alana avec sa lumière bleue et Osiris avec son rayon vert. Même entre eux, ils se regardent ainsi, Alana en caressant le dos noir d’Osiris qui lève le museau de son écuelle de lait et miaule de satisfaction, femme et chat se connaissant depuis des plans qui m’échappent, que mes caresses n’arrivent pas à dépasser. Il y a longtemps que j’ai renoncé à toute domination sur Osiris, nous sommes bons amis à une distance infranchissable ; mais Alana est ma femme et la distance entre nous est autre, quelque chose qu’elle ne semble pas ressentir mais qui s’interpose dans mon bonheur quand Alana me regarde, quand elle me regarde en face comme Osiris et me sourit ou me parle sans la moindre réserve, en se donnant dans chaque geste et chaque chose, comme elle se donne en faisant l’amour, là où tout son corps est comme ses yeux, une offrande absolue, une réciprocité ininterrompue.
C’est étrange ; bien que j’aie pleinement renoncé à entrer dans le monde d’Osiris, mon amour pour Alana n’accepte pas cette platitude d’affaire conclue, de couple pour toujours, de vie sans secrets. Derrière ces yeux bleus, il y a plus, au fond des mots et des gémissements et des silences, un autre royaume respire, une autre Alana respire. Je ne le lui ai jamais dit, je l’aime trop pour réduire en miettes cette superficie de bonheur sur laquelle ont glissé tant de jours, tant d’années. A ma manière, je m’obstine à comprendre, à découvrir ; je l’observe sans pour autant l’épier ; je la suis sans pour autant me méfier ; j’aime une statue mutilée, un texte inachevé, un fragment de ciel inscrit dans la fenêtre de la vie.
Il y eut un temps où la musique me sembla être le chemin qui me conduirait vraiment à Alana ; en la regardant écouter nos disques de Bartok, de Duke Ellington, de Gal Costa, une lente transparence m’enfonçait en elle, la musique la mettait à nu d’une manière différente, la faisait devenir chaque fois plus Alana, parce que Alana ne pouvait pas seulement être cette femme qui m’avait toujours regardé pleinement, sans rien me cacher. Contre Alana, au-delà d’Alana, je la cherchais pour mieux l’aimer ; et si au début, la musique me laissa entrevoir d’autres Alanas, le jour arriva où, face à une gravure de Rembrandt, je la vis changer encore plus, comme si quelques nuages dans le ciel altéraient brusquement les lumières et les ombres d’un paysage. Je sentis que la peinture l’emportait au-delà d’elle-même pour cet unique spectateur qui pouvait mesurer la métamorphose instantanée et jamais répétée, l’entrevision d’Alana à Alana. Des intercesseurs involontaires, Keith Jarrett, Beethoven et Anibal Troilo m’avaient aidé à m’approcher, mais face à un tableau ou à une gravure, Alana se dévoilait encore plus que ce qu’elle croyait être, pendant un instant, elle entrait dans un monde imaginaire pour, sans le savoir, sortir d’elle-même, allant d’une peinture à une autre, en les commentant ou en se taisant, un jeu de cartes que chaque nouvelle contemplation mêlait pour celui qui, discret et attentif, un peu en retrait ou la tenant par le bras, voyait se succéder les reines et les as, les piques et les trèfles, Alana.
Quand Alana et Osiris me regardent je ne peux me plaindre de la moindre dissimulation, de la moindre duplicité. Ils me regardent en face, Alana avec sa lumière bleue et Osiris avec son rayon vert. Entre eux, ils se regardent aussi comme tel, Alana caressant l’échine noire d’Osiris qui lève le museau du plat de lait et miaule, satisfait ; la femme et le chat se connaissant depuis des plans qui m’échappent et que mes caresses ne parviennent pas à outrepasser. Cela fait longtemps que j’ai renoncé à toute emprise sur Osiris, nous sommes de bons amis depuis une distance infranchissable mais Alana est ma femme et le fossé entre nous est autre, quelque chose qu’elle ne semble pas ressentir mais qui pollue/qui s’immisce dans mon bonheur quand Alana me regarde, quand elle me regarde en face exactement comme Osiris et qu’elle me sourit ou me parle sans la moindre pudeur, s’adonnant dans chaque geste et chaque chose comme elle s’abandonne dans l’amour, là ou tout son corps est comme ses yeux, un abandon absolu, une réciprocité ininterrompue. C’est étrange ; bien que j’aie renoncé à pénétrer entièrement le monde d’Osiris, mon amour pour Alana ne se résout pas à cette simplicité inhérente à toute chose conclue, à un couple pour toujours, à une vie sans secrets. Derrière ces yeux bleus il y a plus, au fond des paroles, des plaintes et des silences, respire un autre royaume, vit une autre Alana. Je ne lui en ai jamais touché un mot, je l’aime trop pour mettre en pièces cette surface de bonheur sur laquelle se sont déjà écoulés tant de jours, tant d’années. À ma manière, je m’évertue de comprendre, de découvrir ; je l’observe mais sans l’épier ; je la suis mais sans méfiance ; j’aime une merveilleuse statue mutilée, un texte inachevé, un fragment de ciel inscrit sur la fenêtre de la vie.
Il fut un temps où la musique me parut le chemin qui me mènerait pour sûr à Alana ; la regardant écouter nos disques de Bartok, de Duke Ellington, de Gal Costa, une lente transparence me plongeait dans son être, la musique la montrait sous un tout autre jour, la rendait chaque fois plus Alana, parce qu’Alana ne pouvait être uniquement cette femme qui m’avait toujours regardé sincèrement sans me cacher quoi que ce soit. Contre Alana, au-delà d’Alana, je la cherchais pour mieux l’aimer et, si au début, la musique me laissa entrevoir d’autres Alanas, vint le jour où, face à une gravure de Rembrandt, je la vis changer davantage, comme si un jeu de nuages dans le ciel altérait soudainement les lumières et les ombres d’un paysage. Je sentis que la peinture la menait au-delà d’elle-même pour cet unique spectateur pouvant mesurer l’instantanée métamorphose jamais répetée, l’entrevision d’Alana en Alana. Médiateurs involontaires, Keith Jarrett, Beethoven et Anibal Troilo m’avaient aidé à me rapprocher d’elle mais devant un tableau ou une gravure, Alana se dépouillait, encore plus que je pouvais me l’imaginer : en l’espace d’un instant, elle entrait dans un monde imaginaire pour, sans le savoir, sortir d’elle-même, allant d’une peinture à une autre, les commentant ou se taisant, sorte de jeu de cartes que chaque nouvelle contemplation battait pour celui qui, discret et attentif, un peu en retrait ou lui tenant le bras, voyait se succéder les reines et les as, les piques et les trèfles, Alana.
mercredi 20 juillet 2011
mardi 19 juillet 2011
lundi 18 juillet 2011
dimanche 17 juillet 2011
À propos des versions pour le 16 juillet
mercredi 13 juillet 2011
mardi 12 juillet 2011
lundi 11 juillet 2011
Entretien avec Pierre Bondil (traducteur de l'anglais)
Voici :
Comment êtes-vous venu à la traduction ?
Lorsque j’étais à la fac (Paris X) en maîtrise, je travaillais sur « Le Rebelle chez Nicholas Ray » et j’ai fait la connaissance de François Guérif qui était en troisième cycle et travaillait sur la science-fiction dans le cinéma américain, espoirs et hantises. Tous les deux très littérature et cinéma. Plus tard, alors que j’enseignais dans le nord, j’ai retrouvé son nom comme directeur de collection (Red Label, chez Pac), je l’ai contacté, lui ai dit que cela m’intéresserait, et il m’a confié une nouvelle à traduire qui est parue dans la revue Polar. Puis j’ai traduit un livre de photos (Les Mystères du Monde, comprenant le Triangle des Bermudes, les Pyramides d’Egypte, le Saint Suaire de Turin etc...), des nouvelles pour la revue Hard-Boiled Dicks, et des polars pour Fayard-Noir (François, encore), les éditions Encre, les éditions de l’Ombre... il y aurait beaucoup à dire sur cette période, j’y reviendrai sans doute pour votre dernière question. En bref, on peut dire que j’ai commencé par copinage en 1980 et que je travaille toujours avec François Guérif. (Il n’existait pas encore d’écoles de traductions, avec leurs bons et leurs mauvais côtés).
Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Il y a deux types de traducteurs car la traduction est aussi un problème économique. Étant prof d’anglais en collège quand j’ai commencé, puis ensuite en IUT, j’ai toujours eu deux métiers, l’un des deux prenant la quasi totalité des vacances que me laissait l’autre. Et presque tout mon temps libre par ailleurs, les week-ends notamment. Faire son travail d’enseignant sérieusement et traduire plus de 120 romans, des nouvelles, scénarios etc., c’est incompatible avec des nuits de huit heures de sommeil. Je me suis vite dit que si l’envie d’enseigner me quittait, je me consacrerais entièrement à la traduction en ayant bien conscience du grand danger qu’il y a, pour un traducteur, à se couper du langage des jeunes. Finalement, je vais prendre ma retraite de prof fin septembre. Et je vais devenir traducteur à temps plein. La grosse différence entre les deux types de traducteurs, c’est que ceux qui ne font que ça sont obligés de travailler vite car cette activité est mal payée et demande beaucoup de temps (on dit généralement qu’à horaire égal, une femme (ou un homme) de ménage est mieux payé, et qu’elle (il) peut prétendre à la retraite). Il faut traduire beaucoup si l’on veut payer un loyer à Paris !
Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
L’enquête de l’ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) sur les tarifs appliqués en France pour l’année écoulée montre que la rémunération est stable. Ce qui veut dire qu’elle a baissé. Il faudrait que tout le monde reconnaisse ce métier, à commencer par les éditeurs. Les pourcentages donnés sur les ventes (de 0,5% pour les livres de poche, à 1% voire 2% pour les grands formats) constituent des à-valoir choquants et ne permettent pas à un traducteur de toucher de droits d’auteurs pour un livre qui ne dépasse pas les 25000 exemplaires en grand format. Beaucoup ne traduisent jamais un auteur (ou un seul livre) qui leur rapportera des droits d’auteur même minimes en plus de la somme prévue au contrat pour le travail en tant que tel. Par ailleurs, aussi bien les journalistes de la presse écrite que les chroniqueurs sur le net n’ont toujours pas le réflexe de mentionner systématiquement le nom du traducteur (de la traductrice). Un exemple récent, concernant le dernier roman de James Lee Burke : « Brillamment écrit, impeccablement documenté, on y retrouve le talent, la générosité et l’indéniable sincérité de celui qui est sans doute le plus grand romancier «?noir?» actuel. » Brillamment écrit en français ????
Choisissez-vous et, le cas échéant, comment les textes que vous traduisez ?
Généralement, le directeur de collection me propose un auteur et un titre, je lis et si 1° j’aime le livre 2° je suis capable de le traduire 3° il peut s’inscrire dans mon planning avec l’assurance absolue que je respecterai les délais, je donne une réponse affirmative.
Il m’arrive aussi de proposer des re-traductions de textes bâclés, notamment par la Série Noire à l’époque où elle faisait un superbe travail de découverte d’auteur avant de les passer au rouleau compresseur d’une conception plus que contestable de la traduction (coupes sauvages, argot parigot et, qui plus est, parfois plaqué sur un texte qui ne comportait pas d’argot, contre-sens, textes francisés, mépris absolu des niveaux de langue du texte d’origine...).
Enfin, chez Rivages, j’ai souvent lu des textes en v.o. et, sans faire de « fiche de lecture » officielle, conseillé ou déconseillé des titres en montrant pourquoi exemple à l’appui. Ce n’est pas pour ça que le directeur de collection sera toujours d’accord. Le seul roman que j’aie vraiment conseillé et que je ne tenais pas particulièrement à traduire est « Il faut tuer Suki Flood » de Robert Leiniger (et je ne l’ai pas traduit). À signaler encore qu’il y a très longtemps chez Encre, Roger Martin m’avait demandé de traduire, au choix, « Promised Land » de Robert B. Parker ou « Dance Hall of the Dead » de Tony Hillerman. Je n’ai pas hésité même si le roman de Hillerman présentait d’énormes difficultés car à l’époque il y avait très peu de choses sur les navajos et quand on trouvait des éléments chez deux ethnologues, ils étaient souvent contradictoires.
Quels sont les principaux outils que vous utilisez ?
Un bon dictionnaire français, pour moi, le Robert.
Un dictionnaire bilingue de base, qui peut être le Robert ou le Larousse. Pour tout ce qui est spécifique aux États-Unis (faune, flore, vocabulaire des sentiments, de l’activité mentale, civilisation...), je m’en remets à l’unilingue Webster, le GROS. Deux dictionnaires bilingues par l’image (un anglais, un canadien) particulièrement utiles pour tout ce qui concerne le concret (la charpente d’une maison, le vocabulaire d’une plate-forme de forage etc) car l’image est nécessaire pour tout ce que l’on ignore. Un jour, j’ai trouvé le terme de « sprocket » à propos d’un char d’assaut. Le dico m’a donné, entre autres, « barbotin ». La définition du dico français-français m’ayant laissé des doutes, l’image les a effacés.
Internet, bien sûr, mais je ne vais surtout pas sur les dictionnaires qui sont fabriqués par les internautes. Sauf quand il s’agit d’argot, mais je vais y revenir, et en tout cas avec prudence et uniquement pour des textes récents. Il y a sur Internet trop de gens qui croient savoir et colportent des âneries. En revanche, j’utilise beaucoup Google « images » ce qui me permet tout de suite de voir l’arme qu’on me décrit, de voir le véhicule dont on me parle (voiture ? 4x4 ? Pick-up ? van ?) et ainsi de suite, les lieux, les routes etc. Malheureusement, le net étant un outil du plus grand nombre, quand on cherche par exemple une expression en deux mots, on a toutes les chances de tomber sur le nom d’un groupe de musiciens, sur un titre de film ou de jeu video, même si à l’origine ces deux mots prenaient leur source dans Shakespeare.
Un dico de citations, deux dicos d’idiomes, cinq ou six dicos d’argot (je conserve précieusement ceux des années soixante-dix car c’est un argot que l’on ne trouve plus dans les dicos modernes et les internautes ne le connaissent pas non plus). Je travaille en ce moment sur un George V. Higgins, « Cogan’s Trade » et sans mon Green et mon Chapman (et pourtant, Higgins m’avait dit que ce dernier était mauvais !) je serais incapable de comprendre bien des choses.
Des documents précis sur les armes, sur l’organisation de la police, les codes utilisés, les paris, la drogue etc...
Avec l’expérience, on sait si on aura plus vite fait de chercher sur le Net ou sur papier.
Dernier point, je demande des choses à des anglais ou des américains, que ce soit des auteurs que je traduis (si j’ai un bon rapport avec eux, je peux leur poser des questions sur le texte d’un de leurs collègues), des gens de langue anglaise que je connais, voire, cela m’est arrivé, de parfaits inconnus qui parlent de La Nouvelle Orléans dans le métro alors que j’ai un problème avec le vocabulaire du carnaval...
Lorsque vous rencontrez une difficulté, voire que vous êtes bloqué (inquiétude majeure des apprentis traducteurs), comment procédez-vous ?
Déjà, pour réduire le risque, s’il y a dans le texte des arnaques financières et si on n’y connaît rien, il ne faut pas traduire ce texte-là.
Je crois que j’ai répondu ci-dessus. Une anecdote : je travaille aussi en ce moment sur un texte de Donald Westlake, « What’s so Funny ? », dans lequel trois lignes n’avaient aucun sens dont je puisse rendre compte en français. Dans une discussion sur un blog, j’en ai parlé en indiquant autour de quoi tournait la difficulté. Un des internautes qui fréquente ce blog m’a demandé le texte exact. C’est en le lui mettant en ligne que la lumière s’est faite, en tapant les mots un à un, encadrés par les quatre ou cinq lignes qui venaient avant et après...
Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ? Vous arrive-t-il, par exemple, de leur demander leur aide ?
Là, aussi, j’ai répondu. Quelques précisions. Tous les auteurs à qui j’ai adressé des listes de questions (pas n’importe quoi, il faut qu’ils aient le sentiment que leur traducteur est bon, et donc ce sont surtout des erreurs dans le texte (couleur du chapeau qui change d’une page à l’autre, date erronée, nom de personnage changé...), éventuellement des typos qui peuvent être trompeuses, ou, surtout, des phrases qui prêtent à diverses interprétations) m’ont répondu rapidement, presque toujours en détail, en me remerciant.
J’ai noué des relations d’amitié avec plusieurs d’entre eux (Tony Hillerman, Christopher Cook...) et de respect mutuel avec la quasi-totalité des autres.
J’ajoute que c’est un plaisir de les rencontrer quand ils viennent dans des festivals de polar en France, d’autant que tous ceux que je connais (y compris ceux que je n’ai pas traduits) sont persuadés d’avoir LE meilleur traducteur en exercice... quel qu’il soit. Confortable.
Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
Je ne sais que répondre à cette question, il ne s’agit ni de sport, ni de voyages, ni de vacances... et c’est un travail exigeant, qui s’inscrit dans la durée. Pas de souvenir précis particulier. La satisfaction d’avoir fait de mon mieux pour les textes et les auteurs qui m’étaient confiés et de continuer. Je viens de reprendre un roman de William Riley Burnett, « Dark Hazard », que j’ai traduit il y a vingt-cinq ans. J’ai le sentiment d’avoir progressé dans le métier. J’ai opéré plus de 2000 changements ou modifications sur la traduction précédente. Cela prouve par ailleurs qu’un travail est toujours perfectible.
Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que vous auriez aimé traduire ?
Que j’aimerais : oui, j’en ai un, mais je ne dirai pas lequel car il n’est jamais paru, même pas aux USA (refus de l’éditeur à l’époque où il a été écrit, refus de celle qui est devenue la veuve de l’auteur). Je l’ai sur manuscrit typographié, un jour, il paraîtra.
Que j’aimerais : retraduire quasiment tous les Burnett, tous les Thompson, de nombreux Fredric Brown, « Les Amis d’Eddie Coyle » de G.V. Higgins, « Le Facteur sonne toujours deux fois » de James Cain, tous les Ross MacDonald, « Beyond this point are Monsters », de Margaret Millar, « Flow my Tears, the Policeman Said » et « Do Androids Dream of Electric Sheep », de Philip K. Dick... Les Wessel Ebersohn qui n’ont pas été traduits, la liste est infinie. Erskine Caldwell... « When the Sacred Ginmill Closes » de Lawrence Block...
Que j’aurais aimé : continuer de traduire David Bergen chez Albin Michel et traduire « I was Looking for a Street » de Charles Willeford chez Rivages, notamment. Deux blessures qui resteront. Car s’il n’y a pas de meilleur souvenir, il y en a de plus mauvais.
Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Le traducteur est un « passeur » si c’est le mot qui convient. Certains traducteurs sont des auteurs, Baudelaire pour Poe, des auteurs parce qu’à l’arrivée le texte est splendide, mais ce n’est plus vraiment du Poe. Mais combien de tâcherons imbus pour un Baudelaire ?
Je ne suis pas l’auteur des romans que je traduis. Je n’ai jamais dédicacé un seul des livres que j’ai traduits.
Si, deux. Un, à un festival, que j’ai signé après l’auteur et après le directeur de collection. Un autre, un Hillerman, que j’ai dédicacé en fin de volume, là où commence le glossaire car il n’y a pas de glossaire dans les romans d’origine, j’en suis l’auteur.
Partagez-vous l'avis de ces traducteurs qui se décrivent avant tout comme des petits artisans ?
Je préfère le terme de soutier. J’ai du cambouis jusqu’aux coudes mais il n‘y aura pas de problème grave dans la salle des machines.
Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent? Et si oui, quel lecteur ?
Un lecteur critique qui a du mal à lire les textes traduits de l’anglais. Je sens souvent les fautes, les inexactitudes. Dernièrement, un Westlake m’est tombé des mains car le texte français n’avait aucun rythme et comportait un trop grand nombre de fautes.
Pour trois autres textes du même auteur (pas traduits par la même personne), j’ai fait des fiches à l’éditeur recensant tous les problèmes à modifier dans la prochaine édition (ceux-là, du moins, avaient du rythme et le style Westlake). C’est quelque chose que j’ai souvent fait, avec une grande discrétion, car il n’est pas question de nuire à un(e) collègue, mais de rendre au texte sa pertinence. J’ai fait cela notamment pour des textes de Wessel Ebersohn, de Ted Lewis... pour l’intégralité de « Sur les quais » de Budd Schulberg (sans le texte de la v.o. car le délai était trop court pour se le procurer).
Enfin, quel plaisir trouver à lire une nouvelle de Hammett en traduction bilingue « intégrale et fidèle » quand il y a jusqu’à 4 contre-sens en deux pages ?
Si certains traducteurs sont des soutiers, d’autres sont des charcutiers. Malheureusement, on parle de traducteur dès que quelqu’un a transcrit un texte en « français (?!!!) » et que ce texte a été publié.
Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
CV, offre de service adressés aux directeurs de collection, pas aux éditeurs. S’armer de patience, ce n’est pas gagné. Le risque est grand pour les éditeurs, il faut le reconnaître, s’ils engagent quelqu’un qui n’a jamais traduit. Sortir en bon rang d’une école de traduction renommée peut aider. Au besoin, proposer de rendre un essai. Au besoin, faire un essai sur un texte que l’on aura choisi, qui n’a pas été traduit, et le soumettre. Ces deux options constituent un pari et ne seront pas rémunérées.
Savoir ce que l’éditeur visé recherche. Certains refusent les notes de bas de page et sont des fanas de la lisibilité, préfèrent trois contre-sens dans une page (ils ne les verront même pas) plutôt qu’une expression, une seule, qui semble « traduite ».
Pour moi, mais ça n’engage que moi :
Toujours respecter l’auteur et le texte. Disparaître derrière. Ne pas faire de mot à mot mais ne pas trahir. Ne pas plaquer un autre style que celui de l’auteur. S’il est impossible de le garder, chercher un équivalent. Ne pas privilégier les mots qu’on aime ou les expressions qu’on aime. Utiliser ceux et celles qui correspondent le mieux à ceux et celles de l’auteur. Ne pas rajouter, ni en contenu, ni en style. Ne pas retrancher, ni en contenu, ni en style.
Il est agaçant de reconnaître un traducteur derrière le texte qu’il a traduit parce qu’il a des mots fétiches. Si vous en trouvez dans les livres que j’ai traduits, svp, prévenez-moi.
Enfin, ce qui ne s’apprend pas dans les écoles de traduction, savoir lire. Savoir lire un texte. Savoir ce qui est caché derrière la phrase et cacher la même chose derrière la phrase française, ça, c’est du grand art et non plus du petit artisanat. Mais ça reste un travail de soutier.
Demeurer humble. Les traducteurs dont on parle le plus (il y en a quatre ou cinq de l’anglais vers le français, que tout le monde cite toujours), ne sont pas forcément les meilleurs. Ils savent généralement se vendre, ont tendance à avoir une haute opinion d’eux-mêmes, à servir leur carrière et non les auteurs qu’ils traduisent. Pendant ce temps, le superbe travail de la traductrice d’Ernest J. Gaines, Michelle Herpe-Voslinsky, passe presque inaperçu, et son nom est même mal orthographié en quatrième de couverture de l’édition 10/18 de « Une longue journée de novembre ».
Pour en savoir plus :
mysterejazz.over-blog.com
www.forum.polarnoir.fr
www.arretssurimage.net/forum/read.php?5,1051147,1059550
leblogdupolar.free.fr
lectures-au-coin-du-feu.overblog.com
polar.org
samedi 9 juillet 2011
Découverte d'un blog très intéressant
Version pour Annabelle et les futurs candidats au CAPES 2011-2012
Entreabrió los ojos y al instante, percibió el resplandor que se filtraba por la rendija del cuarterón, mal ajustado, de la ventana. Contra la luz se dibujaba la lámpara de sube y baja, de amplias alas —el {ángel de la guarda— la butaca tapizada de plástico rameado y las escalerillas metálicas de la librería de sus hermanos mayores. La luz, al resbalar sobre los lomos de los libros, arrancaba vivos destellos rojos, azules, verdes y amarillos. Era un hermoso muestrario y en vacaciones, cuando se despertaba a la misma hora de sus hermanos, Pablo le decía: “Mira, Quico, el Arco Iris”. Y él respondía, encandilado:
“Sí, el Arco Iris; es bonito,
¿verdad?”
A sus oídos llegaba ahora el zumbido de la aspiradora sacando lustre a las habitaciones entarimadas, y el piar desaforado de un gorrión desde el poyete de la ventana. Giró la cabeza rubia sin levantar la nuca de la almohada y, en la penumbra, divisó la cama, ordenadamente vacía, de Pablo y, a la izquierda, el lecho vacío, las ropas revueltas, el pijama hecho un gurruño, al pie, de su hermano Marcos, el segundo. “No es domingo”, se dijo con tenue voz adormilada y estiró los brazos y entreabrió los dedos de la mano contra el haz de luz y los contrajo y los estiró varias veces y sonrió y canturreó maquinalmente:
“Están riquitas por dentro, están bonitas por fuera”. De repente, cesó el ruido de la aspiradora allá lejos y, de repente, se impacientó y voceó:
—¡Ya me he despertaooooo!
Il entrouvrit les yeux et perçut aussitôt la luminosité qui s’infiltrait par la fente du volet, mal ajusté, de la fenêtre. La suspension monte-et-baisse à larges bords – l’ange gardien – le fauteuil recouvert de plastique chamarré et les petites échelles métalliques de la bibliothèque de ses frères aînés se dessinaient à contre-jour. La lumière, en glissant sur les dos des livres lançait de vifs éclairs rouges, bleus, verts et jaunes. C’était une magnifique palette de nuances et pendant les vacances, lorsqu’il se réveillait à la même heure que ses frères, Pablo lui disait : « Regarde, Quico, l’Arc-en-ciel ». Et il répondait, ébloui : « Oui, l’Arc-en-ciel ; il est joli, pas vrai ? »
Le bourdonnement de l’aspirateur redonnant leur lustre aux parquets des chambres et le piaillement effréné d’un moineau sur le rebord de la fenêtre arrivaient maintenant à ses oreilles. Il tourna sa tête blonde sans lever la nuque de l’oreiller et, dans la pénombre, il distingua le lit, rigoureusement vide de Pablo et, à gauche, la couche vide/déserte, les draps pêle-mêle et, au sol, le pyjama en boule de son frère Marcos, le deuxième. « Ce n’est pas dimanche », se dit-il d’une petite voix ensommeillée et il étira les bras, il écarta les doigts de sa main contre le faisceau de lumière et il les contracta et il les étira plusieurs fois et il sourit et il chantonna machinalement : « Belles et bonnes, bonnes et belles, elles le sont ». Tout à coup, là-bas au loin, le bruit de l’aspirateur cessa et, tout à coup, il s’impatienta et cria : – Je suis réveillééééééééé !
Il entrouvrit les yeux et tout de suite, il perçut l’éclat qui filtrait par la fente du vasistas, mal fermé, de la fenêtre. Dans la lumière se dessinaient la lampe de chevet, au large abat-jour –l’ange gardien- ,le fauteuil tapissé de tissu plastifié à ramages et les petites échelles de la bibliothèque de ses frères aînés. La lumière, en glissant sur le dos des livres, arrachait de vifs éclairs rouges, bleus , verts et jaunes. C’était un bel échantillonnage et pendant les vacances, quand il se réveillait à la même heure que ses frères, Pablo lui disait : « Regarde, Quico, l’arc-en-ciel ; il est beau, pas vrai ? »
Maintenant, le vrombissement de l’aspirateur enlevant leur éclat aux planchers des chambres, et le pépiement furieux d’un moineau sur le rebord de la fenêtre parvenaient à ses oreilles. Il tourna sa tête blonde sans lever sa nuque de l’oreiller et, dans la pénombre, il aperçut le lit vide, mais en ordre, de Pablo et à gauche, le lit vide, les vêtements en pagaille, le pyjama roulé en boule au pied de ce dernier, de son frère Marcos, le cadet. « C’est pas Dimanche » , se dit-il d’une faible voix endormie et il étira ses bras, et il entrouvrit les doigts de sa main face au faisceau de lumière et il les resserra et les étira plusieurs fois et il sourit et chantonna machinalement :
« Elles sont bonnes à l’intérieur, elles sont belles à l’extérieur. » Soudain, le bruit de l’aspirateur cessa là-bas au loin et, soudain, il s’impatienta et cria à tue-tête :
-ça y est, je me suis réveillééééé !
Il entrouvrit les yeux et, à cet instant, il perçut l'éclat lumineux qui filtrait par la fente du panneau, mal ajusté, de la fenêtre. À contre-jour, la lampe monte et baisse se dessinait, avec de larges ailes – l'ange gardien – , le fauteuil recouvert de plastique à ramages et les échelles métalliques de la bibliothèque de ses grands frères. La lumière, en glissant sur le dos des livres, lançait de vifs éclats rouges, bleus, verts et jaunes. C'était un beau nuancier et, en vacances, lorsqu'il se réveillait à la même heure que ses frères, Pablo lui disait : « Regarde, Quico, l'Arc-en-Ciel ». Et il répondait, ébloui :
« Oui, l'Arc-en-Ciel ; il est beau, pas vrai ? »
Arrivait alors à ses oreilles le bourdonnement de l'aspirateur qui faisait briller les chambres parquetées, et le piaillement désespéré d'un moineau sur l'appui de la fenêtre. Il tourna sa tête blonde sans lever sa nuque de l'oreiller et, dans la pénombre, il distingua le lit parfaitement vide de Pablo avec, à gauche, la couche vide de son frère Marcos, le cadet, les vêtements sens dessus dessous, le pyjama comme un chiffon, au pied. « On n'est pas dimanche », se dit-il d'une faible voix endormie et il étira les bras en entrouvrant les doigts de sa main vers le rayon de lumière et il les plia et les étendit plusieurs fois puis il sourit et fredonna machinalement :
« Elles sont délicieuses à l'intérieur, elles sont jolies à l'extérieur ». Soudain, le bruit de l'aspirateur cessa au loin et, tout à coup, il s'impatienta et s'écria :
– Je suis réveillééé !
mardi 5 juillet 2011
lundi 4 juillet 2011
Résultats du sondage…
Sur 35 votants, nous obtenons les résultats suivants :
En version papier = 16 voix (45%)
En ligne = 19 voix (54%)
dimanche 3 juillet 2011
Version à rendre pour le 20 juillet
Es extraño; aunque he renunciado a entrar de lleno en el mundo de Osiris, mi amor por Alana no acepta esa llaneza de cosa concluida, de pareja para siempre, de vida sin secretos. Detrás de esos ojos azules hay más, en el fondo de las palabras y los gemidos y los silencios alienta otro reino, respira otra Alana. Nunca se lo he dicho, la quiero demasiado para trizar esta superficie de felicidad por la que ya se han deslizado tantos días, tantos años. A mi manera me obstino en comprender, en descubrir; la observo pero sin espiarla; la sigo pero sin desconfiar; amo una maravillosa estatua mutilada, un texto no terminado, un fragmento de cielo inscrito en la ventana de la vida.
Hubo un tiempo en que la música me pareció el camino que me llevaría de verdad a Alana; mirándola escuchar nuestros discos de Bártok, de Duke Ellington, de Gal Costa, una transparencia paulatina me ahondaba en ella, la música la desnudaba de una manera diferente, la volvía cada vez más Alana porque Alana no podía ser solamente esa mujer que siempre me había mirado de lleno sin ocultarme nada. Contra Alana, más allá de Alana, yo la buscaba para amarla mejor; y si al principio la música me dejó entrever otras Alanas, llegó el día en que frente a un grabado de Rembrandt la vi cambiar todavía más, como si un juego de nubes en el cielo alterara bruscamente las luces y las sombras de un paisaje. Sentí que la pintura la llevaba más allá de sí misma para ese único espectador que podía medir la instantánea metamorfosis nunca repetida, la entrevisión de Alana en Alana. Intercesores involuntarios, Keith Jarrett, Beethoven y Aníbal Troilo me habían ayudado a acercarme, pero frente a un cuadro o un grabado Alana se despojaba todavía más de eso que creía ser, por un momento entraba en un mundo imaginario para, sin saberlo, salir de sí misma, yendo de una pintura a otra, comentándolas o callando, juego de cartas que cada nueva contemplación barajaba para aquel que sigiloso y atento, un poco atrás o llevándola del brazo, veía sucederse las reinas y los ases, los piques y los tréboles, Alana.
Version pour le 02 juillet
Díjose así y se agachó a recogerse los pantalones. Abrió el paraguas por fin y se quedó un momento suspenso y pensando: «y ahora, ¿hacia dónde voy?, ¿tiro a la derecha o a la izquierda?» Porque Augusto no era un caminante, sino un paseante de la vida. «Esperaré a que pase un perro ––se dijo–– y tomaré la dirección inicial que él tome.»
En esto pasó por la calle no un perro, sino una garrida moza, y tras de sus ojos se fue, como imantado y sin darse de ello cuenta, Augusto.
Y así una calle y otra y otra.
«Pero aquel chiquillo ––iba diciéndose Augusto, que más bien que pensaba hablaba consigo mismo––, ¿qué hará allí, tirado de bruces en el suelo? ¡Contemplar a alguna hormiga, de seguro! ¡La hormiga, ¡bah!, uno de los animales más hipócritas! Apenas hace sino pasearse y hacernos creer que trabaja. Es como ese gandul que va ahí, a paso de carga, codeando a todos aquellos con quienes se cruza, y no me cabe duda de que no tiene nada que hacer. ¡Qué ha de tener que hacer, hombre, qué ha de tener que hacer! Es un vago, un vago como... ¡No, yo no soy un vago! Mi imaginación no descansa. Los vagos son ellos, los que dicen que trabajan y no hacen sino aturdirse y ahogar el pensamiento. Porque, vamos a ver, ese mamarracho de chocolatero que se pone ahí, detrás de esa vidriera, a darle al rollo majadero, para que le veamos, ese exhibicionista del trabajo, ¿qué es sino un vago? Y a nosotros ¿qué nos importa que trabaje o no? ¡El trabajo! ¡El trabajo! ¡Hipocresía! Para trabajo el de ese pobre paralítico que va ahí medio arrastrándose... Pero ¿y qué sé yo? ¡Perdone, hermano! ––esto se lo dijo en voz alta––. ¿Hermano? ¿Hermano en qué? ¡En parálisis! Dicen que todos somos hijos de Adán. Y este, Joaquinito, ¿es también hijo de Adán? ¡Adiós, Joaquín! ¡Vaya, ya tenemos el inevitable automóvil, ruido y polvo! ¿Y qué se adelanta con suprimir así distancias? La manía de viajar viene de topofobía y no de filotopía; el que viaja mucho va huyendo de cada lugar que deja y no buscando cada lugar a que llega. Viajar... viajar... Qué chisme más molesto es el paraguas... Calla, ¿qué es esto ? »
Apparaissant à la porte de chez lui, Augusto tendit son bras droit, la main ouverte, paume vers le sol, et, dirigeant ses yeux au ciel, il demeura un moment dans cette attitude statuaire et auguste. Il ne prenait pas possession du monde extérieur, il cherchait seulement à savoir s'il pleuvait ou non. Alors, recevant sur le dos de sa main la fraîcheur du lent noroît, il fronça les sourcils. Ce n'est pas que la bruine le gênât ; c'était plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si raffiné, si svelte, ainsi plié et rangé dans sa housse ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu'est laid un parapluie ouvert. « C'est tout de même un comble que d'être obligé de se servir des choses — pensa Augusto —, que d'avoir à les utiliser, car leur utilisation détériore voire détruit toute beauté. Or la plus noble fonction des objets est d'être contemplés. Voyez comme une orange est belle, avant d'avoir été mangée ! Tout cela changera quand, une fois au ciel, notre travail sera réduit, ou plutôt s'étendra à la contemplation de Dieu et de toutes choses en lui. Ici-bas, dans cette triste vie, notre unique préoccupation est de nous servir de Dieu ; nous prétendons l'ouvrir, tel un parapluie, pour qu'il nous protège de toute sorte de maux. » Sur ces mots, il se pencha pour retrousser le bas de son pantalon. Il ouvrit finalement son parapluie et resta un moment en suspens, réfléchissant : « Et maintenant, vers où aller ? Est-ce que je prends à droite ou à gauche ? » Parce qu'Augusto n'était pas un marcheur, c'était plutôt un promeneur de la vie. « J'attendrai que passe un chien — décida-il — et j'emprunterai la première direction qu'il prendra. » Là-dessus passa dans la rue non pas un chien, mais une élégante jeune femme, et derrière ses yeux partit Augusto, comme aimanté et sans même s'en rendre compte. Ainsi une rue, puis une autre et encore une autre. « Et ce gamin — se disait Augusto, qui, plutôt que de penser, se parlait à lui-même — qu'est-ce qu'il peut bien faire là, à genoux par terre ? Ah, sûrement observe-t-il une fourmi ! La fourmi... bah, un des animaux les plus hypocrites qui soient ! Que fait-elle d'autre, outre se promener et nous faire croire qu'elle travaille ? C'est comme ce flemmard qui passe là-bas, au pas de charge, bousculant tous ceux qui se trouvent sur son passage, je doute qu'il ait quelque chose à faire. Qu'est-ce qu'il pourrait bien avoir à faire, je vous le demande ? Ce n'est qu'un fainéant, un fainéant, tout comme... Non ! Je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose jamais. Les fainéants, ce sont eux, ceux qui prétendent travailler alors qu'ils ne font que s'abrutir et noyer leur pensée. Parce que, je vais vous dire, moi, ce pauvre bougre de chocolatier qui se tient là-bas, derrière sa vitrine... et que je te manipule cet idiot de rouleau à pâtisserie, juste pour qu'on le voie... eh bien, cet exhibitionniste du travail, qu'est-il sinon un fainéant ? Et qu'est-ce que ça peut bien nous faire, à nous, qu'il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Quelle hypocrisie ! Est-ce qu'il travaille, ce pauvre paralytique, à moitié en train de se traîner ? Et pire encore, que sais-je... Pardon, mon frère ! — il prononça cela à voix haute. — Mon frère ? Mon frère en paralysie, oui ! Ils affirment qu'on descend tous d'Adam. Alors celui-là, Joaquinito, est-ce aussi un fils d'Adam ? Au revoir, Joaquín ! Allons donc, voilà maintenant l'inéluctable automobile, qui n'est que bruit et poussière ! Qui peut prétendre ainsi supprimer les distances ? Cette manie de voyager, ça vient de la topophobie, pas de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit toujours le lieu qu'il laisse et ne cherche jamais à arriver à l'endroit où il arrive. Voyager... voyager... Oh, il n'y a pas babiole plus agaçante qu'un parapluie... Tais-toi donc, qu'est-ce que c'est que ça ?
***
En apparaissant sur le pas de la porte de sa maison, Augusto étendit son bras droit, la paume de sa main ouverte vers le bas, et levant les yeux au ciel, il resta un moment figé dans cette attitude auguste, tel une statue. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais il observait s’il pleuvait. Et en recevant la fraicheur de la lente bruine sur le dos de sa main, il fronça les sourcils. Et ce n’était pas tant la bruine qui le dérangeait mais le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« C’est un malheur que d’être obligé de se servir des choses -pensa Augusto- d’être obligé de les utiliser, l’utilisation abîme et même détruit toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée ! Cela doit changer dans le ciel, quand tout notre office doit se réduire, ou plutôt s’élargir à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous n’occupons notre temps qu’à nous servir de Dieu; nous tentons de l’ouvrir comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toutes sortes de maux. » Ainsi se parla-t-il à lui-même et il se baissa pour arranger son pantalon. Enfin il ouvrit son parapluie et resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, vers où vais-je aller ? Je prends à droite ou à gauche? » Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe- se dit-il- et je prendrai la première direction qu’il prendra. » Sur ces entrefaites, il passa dans la rue non pas un chien, mais une élégante jeune femme, et au derrière de ses yeux Augusto s’en alla, comme aimanté et sans s‘en rendre compte. Et ainsi une rue, et une autre, puis une autre encore. « Mais ce gamin -était en train de se dire Augusto, qui, bien plus qu’il ne pensait, se parlait à lui-même – que fait-il là, allongé à plat ventre sur le sol ? Regarder quelque fourmi, à coup sûr ! La fourmi , bah ! Un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait presque que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui passe là, au pas de charge, en poussant du coude tous ceux qu’il croise, et cela ne me fait aucun doute qu’il n’a rien à faire. Que doit-il avoir à faire, hein ? Que doit-il avoir à faire ? C’est un fainéant , un fainéant comme… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent et ne font rien à part s’abrutir et étouffer leur pensée. Parce que, voyons voir, ce fantoche de chocolatier qui se met là, derrière sa vitrine, à se servir de son rouleau à pâtisserie, pour que nous le voyons, cet exhibitionniste du travail, qu’est-ce qu’il est s’il n’est pas un fainéant ? Et nous, qu’est ce que ça nous importe qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! En voilà un travail, celui de ce pauvre paralytique qui avance là en se traînant à moitié … Mais, et qu’est-ce que j’en sais, moi ? Pardon, mon frère ! –cela il le lui dit à voix haute- Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! On dit que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-ci, Joaquinito, c’est aussi un fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Bon sang, voilà maintenant l’inévitable voiture, bruit et poussière ! Et que double-t-elle à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup s’en va en fuyant chaque lieu qu’il laisse, et non en cherchant chaque lieu où il arrive. Voyager… voyager… Quel truc vraiment embarrassant c’est, le parapluie… Non mais, la ferme! »
***
Lorsqu'Augusto apparut à la porte de sa maison, il tendit le bras droit, avec la main ouverte, paume vers le bas et, levant ses yeux au ciel, il resta un moment figé dans cette attitude statuaire et auguste. Ce n'était pas qu'il prenait possession du monde extérieur, mais qu'il observait s'il pleuvait. Et, en recevant sur le dos de la main la fraîcheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Et ce n'était pas non plus la bruine qui le dérangeait, mais le fait de devoir ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son étui! Un parapluie fermé est aussi élégant qu'un parapluie ouvert est laid.
« Quelle malchance c'est de devoir se servir des choses – pensa Augusto – ; de devoir les utiliser, l'utilisation abîme et même détruit toute beauté. La fonction la plus noble des objets est d'être contemplés. Comme une orange est belle avant d'être mangée! Cela changera dans le ciel si notre travail se réduit, ou plutôt s'élargit à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne nous occupons que de nous servir de Dieu ; nous essayons de l'ouvrir, comme un parapluie, pour qu'il nous protège de toutes sortes de maux. »
Il parla ainsi et il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et il resta un moment perplexe en se demandant : « et maintenant, où je vais? Je tourne à droite ou à gauche? En effet Augusto n'était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J'attendrai qu'un chien passe – se dit-il – et je prendrai la direction initiale qu'il prendra. »
Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa dans la rue mais une superbe jeune fille et, comme attiré par un aimant et sans s'en rendre compte, Augusto suivit ses yeux.
D'abord une rue, une autre, puis une autre.
« Mais ce gamin – était en train de se dire Augusto, qui se parlait plutôt qu'il ne pensait en lui même – qu'allait-il faire là, étalé de tout son long sur le sol? Contempler quelque fourmi, sûrement! La fourmi, bah!, l'un des animaux les plus hypocrites! C'est à peine si elle fait autre chose que de se promener et de nous faire croire qu'elle travaille. Elle est comme ce flemmard qui passe là-bas, au pas de charge, bousculant tous ceux qu'il croise, et je suis certain qu'il n'a rien à faire! Qu'est-ce qu'il peut avoir à faire, hein, qu'est-ce qu'il peut avoir à faire! C'est un fainéant, un fainéant comme … Non, je ne suis pas un fainéant! Mon imagination est sans repos. Ce sont eux les fainéants, ceux qui disent qu'ils travaillent et qui ne font que s'abrutir et étouffer la pensée. Car, nous allons le voir, ce pauvre type de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, s'adonnant au pilon, pour que nous le voyions, cet exhibitionniste du travail, qu'est-il d'autre qu'un fainéant? Et nous, qu'est-ce que cela nous fait, qu'il travaille ou non? Le travail! Le travail! Hypocrisie! Comme travail celui de ce pauvre paralytique qui y va en se traînant à moitié... Mais, qu'est ce que j'en sais? Pardonne-moi, mon frère! – il se dit ceci à haute voix. Mon frère? Frère de quoi? De paralysie! On dit que nous sommes tous fils d'Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi fils d'Adam? Adieu, Joaquín! Allez, nous avons déjà l'inévitable automobile, le bruit et la poussière! Et qu'est-ce qui progresse en supprimant ainsi les distances? La folie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit de chaque lieu qu'il quitte et ne cherche pas chaque lieu auquel il arrive. Voyager... voyager... Quel truc gênant que le parapluie... Tais-toi, qu'est-ce que c'est ? »
En franchissant le seuil de sa maison, Augusto tendit le bras droit avec la paume de sa main ouverte tournée vers le sol, puis, les yeux levés au ciel, il demeura un moment immobile dans cette attitude statuaire et auguste. On ne pouvait pas dire qu’il prenait possession du monde extérieur, non, en réalité, il regardait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de sa main la fraîcheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Et on ne pouvait pas dire non plus que c’était la bruine qui le dérangeait, mais plutôt le fait d’ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié dans sa housse ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert n’est laid. « Cela est vraiment dommage que l’on doive se servir des choses – songea Augusto –, que l’on doive les utiliser, car l’utilisation détériore et va même jusqu’à détruire toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Qu’une orange est belle avant d’être mangée ! Tout cela changera dans le ciel lorsque tout notre travail se réduira, ou plus exactement s’agrandira à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne prenons pas soin de nous, mais avons plutôt tendance à nous servir de Dieu ; nous cherchons à l’ouvrir, comme un parapluie, afin qu’il nous protège de toutes sortes de maux. » Sa réflexion achevée, il s’accroupit pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin son parapluie et resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, vers où me dirigé-je ? Vais-je à droite ou à gauche ? » Parce qu’Augusto n’était pas un marcheur, mais plutôt un flâneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien ne passe – se dit-il – et je suivrai la direction initiale qu’il prendra. » Sur ces entrefaites passa non pas un chien, mais une élégante jeune fille, et derrière ses yeux, comme aimanté et sans s’en rendre compte, Augusto se mit en route. Et c’est de cette façon qu’il traversa une rue, puis une autre, et une autre encore. « Mais ce petit garçon – réfléchissait Augusto, qui davantage que de penser parlait avec lui-même –, que faisait-il là, allongé à plat ventre sur le sol ? Il devait contempler une quelconque fourmi, c’est certain ! La fourmi, beurk, un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait rien d’autre que de se promener et de nous faire croire qu’elle travaille. Elle est comme ce faignant qui marche là, au pas de charge, poussant du coude tous ceux qu’il croise sur son chemin, et je suis sûr qu’il n’a rien à faire. Que peut-il bien avoir à faire, hein, que peut-il bien avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant tel… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination est sans limites. Les fainéants ce sont eux, ceux qui prétendent travailler mais qui ne font rien d’autre que d’étourdir et réprimer leurs pensées. Parce que vous savez, cet imbécile de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, à se pavaner, cet idiot, pour que nous l’admirions, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et à nous, qu’est-ce que cela nous fait qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Par travail j’entends celui de ce pauvre paralytique que l’on voit là, se traînant à moitié… Mais que sais-je, moi ? Pardonnez-moi, mon frère ! – cela, il le dit à voix haute –. Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! On dit que nous sommes tous fils d’Adam. Et celui-là, Joaquinito, est-il aussi fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Ҫa alors ! Nous sommes à présent en possession de l’inévitable automobile, source de bruit et de poussière ! Et qu’est-ce qui s’approche dans l’intention de supprimer de cette manière les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie, et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit peu à peu tous les lieux qu’il quitte, au lieu de chercher tous les lieux qu’il rejoint. Voyager… voyager… Quelle bricole vraiment pénible, le parapluie !… Tais-toi, qu’est-ce que c’est que ça ?
***
En apparaissant à la porte de sa maison, Auguste étendit le bras droit, avec la paume de la main vers le bas et ouverte, et dirigeant les yeux vers le ciel il resta un moment figé dans cette attitude statuaire et auguste. Il ne s’agissait pas de prendre possession du monde extérieur, mais d’observer s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de la main la fraicheur des lentes gouttes d’eau il fronça les sourcils. Et ce n’était pas non plus que la bruine le dérangeait, mais le fait de devoir ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et à l’intérieur de son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« Quel malheur de devoir se servir des choses -pensa Auguste- ; devoir les utiliser, l’utilisation abime et détruit même toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Que c’est beau une orange avant d’être mangée ! Cela changera au ciel lorsque toute notre fonction se réduira, ou plutôt s’étendra à la contemplation de Dieu et toutes les choses en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne nous soucions pas de nous mais de servir Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, afin qu’il nous protège de toute sorte de maux ».
Il se dit ainsi et se baissa pour attacher les pantalons. Il ouvrit finalement le parapluie et resta un moment suspendu et pensant : « et maintenant, vers où je vais ?, je me dirige vers la droite ou vers la gauche ? ». Car Auguste n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie.
« J’attendrai que passe un chien- se dit-il- et je prendrai la direction initiale qu’il prendra. »
C’est la que passa dans la rue non un chien, mais une jeune femme élégante, et derrière ses yeux, Auguste fut comme aimanté et sans s’en rendre compte. Et ainsi une rue et une autre et une autre.
« Mais ce gamin- se disait Auguste, qui plutôt que penser se parlait à lui-même -, que fera- t’il ici, étendu à plat ventre sur le sol ? Contempler quelque fourmi, sûrement ! La fourmi, bah !, un des animaux les plus hypocrites ! C’est à peine si elle se promène et elle veut nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui va la, à pas de charge, poussant du coude tous ceux qu’il croise, et je n’ai pas de doute sur le fait qu’il n’ait rien à faire. Que doit-il faire, tiens, que doit-il faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent et ils ne font qu’être étourdis et noyer leur pensée. Car, voyons, ce pauvre- type de chocolatier qui se pose ici, derrière ce vitrage, à se mettre au rouleau idiot, pour que nous le voyions, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et nous ? Que nous importe- t’il qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Pour le travail de ce pauvre paralytique qui vient ici se trainant à moitié.. Mais que sais-je moi ? Pardonne- moi, mon frère !- il se dit cela à voix haute- Frère ? Frère en quoi ? En paralysie ! Ils disent que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi le fils d’Adam ? Adieu, Joaquin ! Va, nous avons déjà l’inévitable automobile, bruit et poussière ! Et qu’est ce qui s’avance à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque lieu qu’il laisse et ne cherche pas chaque lieu dans lequel il arrive. Voyager.. voyager.. Quelle babiole si ennuyeuse est le parapluie.. Tais- toi, qu’est ce que c’est ? »
En sortant, sur le seuil de sa porte, Augusto tendit son bras droit, avec sa main ouverte et la paume vers le bas, et les yeux levés vers le ciel, il resta un moment debout dans une attitude statuaire et auguste. Non pas qu’il prit possession du monde extérieur, mais il observait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de sa main la fraicheur de la lente bruine, il fronça les sourcils. Ce n’était pas non plus que le crachin le dérangeait, mais plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié, dans son fourreau! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid. « C’est un malheur que l’on soit obligé de se servir des choses – pensa Augusto – ; devoir les utiliser, l’utilisation abime et détruit toute leur beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée! Ceci changera au ciel, quand notre principal métier se réduira, ou plutôt s’élargira à la contemplation de Dieu et de toutes les choses en Lui. Ici-bas, dans cette pauvre vie, nous nous soucions uniquement de nous servir de Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, tel un parapluie, pour qu’il nous protège de tous les maux. »
Il se dit ceci, il se pencha pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin son parapluie et il resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, où vais-je ? Plutôt vers la droite ou vers la gauche ? » Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J’attendrais qu’un chien passe – se dit-il – et je prendrai la direction initiale qu'il prendra. »
Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa, mais une charmante jeune fille, et Augusto partit en suivant ses yeux comme étant aimanté et sans même s’en apercevoir.
Ce fut ainsi une rue et une autre et encore une autre.
« Mais ce gamin – se disait Augusto, qui se parlait lui-même plutôt qu'il ne pensait – que fait-il là, étalé par terre à plat ventre? Il doit sûrement contempler une fourmi ! La fourmi, bah !, l’un des animaux le plus hypocrites ! Elle ne fait que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce flâneur qui passe là-bas, à pas de charge, en poussant du coude tous ceux qu’il croise, je n’ai le moindre doute qu’il n’a absolument rien à faire. Qu’est-ce qu’il pourrait avoir à faire, hein, qu’est-ce qu’il pourrait avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, je ne suis pas un fainéant, moi ! Mon imagination n’a pas de repos. Ce sont eux les fainéants, ceux qui disent qui travaillent et qui ne font que s’étourdir et étouffer la pensée. Parce que, voyons voir, cet imbécile de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, pour qu’on le voie s’affairer avec son rouleau à pâtisserie, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un flemmard ? Et nous, qu’est-ce que ça peut nous faire qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Travail est celui de ce pauvre paralytique qui va là en se trainant à moitié... Mais que sais-je? Pardonne- moi, mon frère !- ceci, il le dit à haute voix – Mon frère? Frère de quoi? De paralysie! On dit que nous sommes tous fils d'Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi fils d'Adam? Au revoir, Joaquín! Zut, voilà que nous avons déjà l'inévitable automobile, du bruit et de la poussière! Et qu'elle est le progrès à supprimer ainsi les distances? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque endroit qu'il quitte et ne cherche pas chaque lieu auquel il arrive. Voyager... voyager... Quel machin gênant que le parapluie... Tais-toi, qu'est-ce que c'est que ça? »