mardi 31 août 2010

La chanson du mardi, choisie par Auréba

aguasalá, bomba estéreo


Références culturelles, 568 : El glaciar Perito Moreno

En photo : Glaciar Perito Moreno, par marquezivan0924

El glaciar Perito Moreno
une idée d'Odile

http://es.wikipedia.org/wiki/Glaciar_Perito_Moreno

lundi 30 août 2010

Version pour le 30 août

LOS DE MI BARRIO SE QUEJAN
Lo que te voy a contar en este capítulo de mi vida no se lo cuentes a nadie, porque en este capítulo lloro, y los capítulos en que lloro me dan un poco de vergüenza. Dice mi abuelo que cuando uno tiene tantos libros sobre su vida es normal que de vez en cuando el protagonista (yo, por ejemplo) llore por una terrible desgracia; dice mi abuelo que al lector eso le gusta muchísimo, que el lector se pone a llorar también como si la desgracia fuera suya. Qué lector más raro. Los lectores que yo conozco, que viven todos, por cierto, en Carabanchel Alto, cada vez que el protagonista las pasa canutas se parten el pecho de risa, sobre todo si ese protagonista soy yo. El chulo de mi barrio, Yihad, dice que cuando más le gustan los libros de mi vida es cuando me tropiezo, o cuando mi madre me da una colleja, o cuando él me rompe las gafas. Yihad, además de chulo, es un mentiroso, porque su propia madre me dijo un día:
—No le hagas caso, Manolito; si éste no abre un libro ni aunque salga él.
Al principio, en mi barrio, todos compraron el primer tomo de mi biografía por la novedad y para ver si salían, pero luego dejaron de comprarlos porque se enfadaron bastante, no sólo por cómo los sacaba yo, sino también por cómo los dibujaba Emilio Urberuaga. La sita Asunción vino a clase diciendo que a ella la había sacado como una foca, y a todos nos dio tanta risa que la sita dijo que no quería volver a ver a ningún niño con un libro de los míos entre las manos. Mi vecina la Luisa dijo que tal y como la había sacado ese individuo en los dibujos, parecía que ella tenía lo menos 50 años.
—Pero, Luisa —le dijo mi madre—, es que tú tienes 52.
—¡Sí, pero eso él no lo sabe, y estarás de acuerdo conmigo, Cata, en que yo aparento diez menos de los que tengo! Un artista no hace eso, un artista te saca favorecida, o no te saca, o que saque a su madre.
—Pero qué me vas a contar a mí, Luisa —le dijo mi madre—, si a mí me pinta siempre con una barbilla que parezco un pelícano.
El señor Ezequiel también protestó porque dice que en los dibujos nunca se aprecian las reformas que ha hecho en el bar:
—Y, verdaderamente, tengo El Tropezón en la actualidad que parece un bar de París, pero este señor parece que no se entera.
—¡O que no se quiere enterar! —dijo un cliente que también salió retratado en uno de los libros. Mi padre también se queja, se queja de que siempre lo saca muy gordo:
—¡Y yo nunca he tenido esa tripa, Cata, nunca la he tenido!
La verdad es que no conozco a nadie de mi barrio que esté contento con cómo ha salido en los libros. Miento, hay uno: el Imbécil, que le encanta vacilar con que el dibujante siempre lo saca en las portadas; pero a mi madre no le hace gracia que siempre lo dibujen con el chupete puesto, porque dice que eso es reírle la gracia.
—Estoy yo intentando quitarle al niño la manía del chupete, y el tío me lo tiene que pintar siempre con el chupete.
Digo que al principio la gente compraba los libros en mi barrio, pero dejaron de hacerlo porque decían que no se iban a gastar un dinero en verse gordos y feos y haciendo el ridículo. Asimismo se lo soltaban a mi madre por la calle, y luego ella me decía:
—Hay que ver, Manolito, que me vas a acabar enemistando con todo el mundo.
—Yo no, mamá; es la que escribe los libros, que siempre se queda con lo peor de lo que le cuento.

Elvira Lindo, Manolito Gafotas 6, Yo y el imbécil

***

Auréba nous propose sa traduction :

Ceux de mon quartier se plaignent.
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et les chapitre dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie, il est normal que de temps en temps le personnage principal (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que le lecteur adore ça, que le lecteur se met à pleurer aussi comme si c’était son propre malheur. Le lecteur est vraiment bizarre. Les lecteurs que moi je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois que le personnage principal en voit des vertes et des pas mûres, ils se marrent, surtout si ce personnage principal, c’est moi. Le caïd de mon quartier, Jihad, il dit que c’est quand je me ramasse qu’il aime le plus les livres de ma vie, ou quand ma mère me donne un coup sur la nuque, ou quand lui, il casse mes lunettes. Jihad, en plus d’être un caïd, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
— Ne l’écoute pas, Manolito ; il n’ouvre jamais de livre, même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, mais après, ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont beaucoup énervés, pas seulement à cause de la façon dont je les décrivais, mais aussi à cause de la façon dont Emilio Urberuaga les dessinait. Mamzelle Asunción est venue en cours en disant qu’il l’avait dessinée comme une grosse vache, et ça nous a tous fait tellement rire que la mamzelle a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine, la Luisa, elle a dit que telle que cet individu l’avait dessinée, elle avait l’air d’avoir bien cinquante ans au moins.
— Enfin, Luisa – lui a dit ma mère – tu as quand même 52 ans.
— Oui, mais ça, lui, il ne le sait pas, et tu es d’accord avec moi, Cata, je fais dix ans de moins que mon âge ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste, il te met en valeur, ou il ne te dessine pas, ou il n’a qu’à dessiner sa mère.
— C’est à moi que tu dis ça ? – lui a dit ma mère – moi, il me dessine toujours avec un tel menton que j’ai l’air d’un pélican.
Monsieur Ezequiel a aussi protesté parce qu’il dit que sur les dessins on ne voit jamais les rénovations qu’il a faites dans le bar :
— Et vraiment, le Tropezón a l’air maintenant d’un bar de Paris, mais ce monsieur, on dirait qu’il ne s’en rend pas compte.
— Ou qu’il ne veut pas s’en rendre compte ! – a dit une cliente qui avait aussi été dessinée dans un de mes livres. Mon père aussi, il se plaint, il se plaint parce qu’il le dessine toujours gros :
— Et moi, je n’ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l’ai jamais eu !
La vérité, c’est que je ne connais personne de mon quartier qui soit content de la façon dont il est apparu dans mes livres. Ah si, il y en a un : l’Imbécile, il adore crâner parce que le dessinateur le fait toujours apparaître sur la première page de couverture ; mais ma mère n’apprécie pas qu’il le dessine toujours avec sa tétine, parce qu’elle dit que ça, oui, c’est se moquer de lui.
— Moi, je suis en train d’essayer d’enlever au petit la manie de la tétine, et le type, il faut qu’il me le dessine toujours avec la tétine
C’est qu’au début, les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas dépenser de l’argent pour se voir gros, moches et faisant le ridicule. C’est ce qu’ils sortaient à ma mère dans la rue, et après, elle me disait :
— C’n’est pas croyable, Manolito, tu vas mettre tout le monde contre moi.
— Pas moi, maman ; c’est celle qui écrit les livres, elle garde ce qu’il y a de pire dans ce que je lui raconte.

***

Alexis nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie ne le raconte à personne, car dans ce chapitre je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie il est normal que de temps en temps le protagoniste (moi, en l'occurence) pleure à cause d'un terrible malheur; mon grand-père dit que le lecteur aime beaucoup cela, que le lecteur aussi se met à pleurer comme si le malheur était le sien. Quel lecteur étrange. Les lecteurs que je connais, qui vivent tous, à propos, à Carabanchel Alto, se tordent de rire chaque fois que le protagoniste en voit de toutes les couleurs, surtout si le protagoniste c'est moi. Le mauvais garçon de mon quartier, Yihad, dit que quand ils aiment le plus les livres sur ma vie c'est quand je trébuche, ou quand ma mère me donne une gifle, ou quand lui me casse les lunettes. Yihad, en plus d'être un mauvais garçon, est un menteur, car sa propre mère me dit un jour:
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, s'il n'ouvre jamais de livre, quand bien même il y apparaîtrait.
Au début, dans mon quartier, tous achetèrent le premier tome de ma biographie pour la nouveauté et pour voir s'ils y apparaissaient, mais ils arrêtèrent ensuite de l'acheter car ils se fachèrent quelque peu, non seulement de la manière dont les dépeignais mais également de comment les dessinait Emilio Urberuaga. La prof Asunción arriva en classe en disant qu'il l'avait faite comme un phoque, et cela nous a fait tellement rire que la prof dit qu'elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine la Louise dit que de la manière dont l'avait fait ressortir cet individu dans les dessins, il semblait qu'elle avait au moins 50 ans.
— Mais, Louise —lui dit ma mère—, tu en as 52.
— Oui, mais lui ne le sait pas, et tu m'accorderas, Cata, que j'en fait dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste te fait sortir sous ton meilleur jour, ou alors il ne te fait pas, ou alors qu'il fasse sa mère.
— Et que me dirais-tu, Louise —lui dit ma mère— alors que moi il me dessine toujours avec un nez que j'en ressemble à un pelican.
Monsieur Ezequiel protesta également car il dit que dans les dessins ne sont jamais reconnues les changements qu'il a fait dans le bar :
— Et, franchement, j'ai refait El Tropezón à la mode qu'il ressemble à un bar de Paris, mais ce monsieur semble ne pas s'en rendre compte.
— Ou il ne veut pas s'en rendre compte ! —dit un client dont le portrait apparaissait également dans un des livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu'on le représente toujours très gros :
— Et moi je n'ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l'ai jamais eu !
La vérité c'est que je ne connais personne dans mon quartier qui ait été content de la mnière dont il est apparu dans les livres. Je mens, il y en a un : l'Imbécile, qui se plait à charrier qu'il apparaît toujours en couverture; mais ma mère ça ne la fait pas rire qu'on le représente toujours avec un tetine, car elle dit que c'est se moquer.
— J'essaie d'enlever au gamin la manie de la tetine, et il faut que le type me le dessine toujours avec la tétine.
Je pense qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire car ils disaient qu'ils n'allaient pas gaspiller de l'argent pour se voir gros et laids et dans des situations ridicules. De même qu'ils se déchaînaient contre ma mère dans la rue, et ensuite elle me disait :
— Tu vas voir, Manolito, que tu vas finir par me faire des ennemis de tout le monde.
— Pas moi, maman; c'est celle qui écrit les livres, car elle ne garde que le pire de ce que le lui raconte.

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Vanessa nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT

Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, surtout ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie, c'est normal que de temps en temps le personnage principal (moi, par exemple) pleure à cause d'une terrible malchance. Mon grand-père dit que ça, ça plaît énormément au lecteur, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si la malchance était la sienne. Quel lecteur bizarre ! Les lecteurs que je connais, moi, qui soit dit en passant vivent tous dans le Haut Carabanchel, se tordent de rire chaque fois que le personnage principal en voit de toutes les couleurs, surtout si ce personnage, c'est moi. Le crâneur du quartier, Yihad, dit que le moment où il aime le plus mes livres de ma vie, c'est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me met une torgnole, ou alors quand c'est lui qui casse mes lunettes. Yihad, en plus d'être frimeur, c'est un menteur, parce qu'un jour sa propre mère m'a dit :
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, celui-là, il n'ouvrirait pas un livre même s'il était dedans.
Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté, et pour voir s'ils y apparaissaient. Mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu'ils étaient drôlement fâchés, non seulement à cause de la façon dont je parle d'eux, mais aussi à cause de la façon dont les dessine Emilio Urberuaga. Mademoiselle Asunción, en arrivant en classe, a dit qu'il l'avait dessiné comme une grosse vache, et nous ça nous a tellement fait rire que la maîtresse a dit qu'elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine la Luisa a dit que telle que cet individu l'avait représentée dans les dessins, on aurait dit qu'elle avait au moins cinquante ans.
— Mais, Luisa, — lui a dit ma mère —, il se trouve que tu en as cinquante-deux.
— Oui, mais ça, lui il ne le sait pas, et tu seras d'accord avec moi, Cata, j'en fais dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste te dessine à ton avantage, ou alors il ne te dessine pas, ou bien qu'il aille dessiner sa mère !
— Mais pourquoi tu me racontes ça à moi, Luisa — lui a dit ma mère —, moi il me peint toujours avec un menton si gros qu'on dirait un pélican.
Monsieur Ézéchiel aussi a protesté, parce qu'il dit que dans les dessins on ne prend jamais en compte les travaux qu'il a fait dans le bar :
— Et, véritablement, à l'heure actuelle mon bar « Le Faux Pas » est aussi beau qu'un bar de Paris, mais ce type-là on dirait qu'il ne comprend pas.
— Ou qu'il ne veut pas comprendre ! — dit un client qui a eu lui aussi son portrait dans un de mes livres. Mon père aussi il se plaint, il se plaint du fait qu'on le peint toujours très gros :
— Et moi, je n'ai jamais eu ce ventre-là, Cata, je ne l'ai jamais eu !
En vérité, je ne connais personne dans mon quartier qui soit content de sa représentation dans les livres. Je mens, il y en a un : l'Imbécile, qui adore délirer sur le fait que le dessinateur le dessine toujours sur les couvertures ; mais ma mère, ça ne la fait pas rire qu'on le dessine toujours avec la tétine à la bouche, parce qu'elle dit que ça, c'est rire de ses bêtises.
— Moi je suis en train d'essayer de lui enlever la manie de la tétine au petit, et il faut toujours que le bonhomme me le peigne avec.
Je dis qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire, parce qu'ils ont dit qu'ils n'allaient pas dépenser leur argent pour se voir gros et moches, et faisant le pitre. C'est aussi ce qu'ils lâchaient à ma mère dans la rue, et elle ensuite elle me disait :
— Voyons voir, Manolito, tu vas finir par me mettre tout le monde à dos.
— Moi non, maman ; c'est celle qui écrit les livres, qui retient toujours le pire de ce que je lui raconte.


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Olivier nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT
Ce que je vais te raconter dans cet épisode de ma vie, tu ne dois le raconter à personne, parce que dans cet épisode je pleure, et j’ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon grand-père dit que c’est normal quand quelqu’un a autant de livres sur sa vie, que le protagoniste (moi par exemple) pleure quand il lui arrive un terrible malheur. Mon grand-père dit que le lecteur adore ça, qu’il se met lui aussi à pleurer comme si tout ça lui arrivait à lui. Il est quand même bizarre ce lecteur. Moi, les lecteurs que je connais, et qui, au fait, habitent tous à Carabanchel Alto, ils se fendent la poire à chaque fois que le héros en voit des vertes et des pas mûres, et surtout si le héros c’est moi. Yihad, la petite frappe du quartier, dit que ce qu’il préfère, c’est les épisodes où je me casse la figure, où ma mère me fout une raclée, ou quand lui, il me casse mes lunettes. En plus d’être une petite frappe, Yihad est un sacré menteur parce que sa propre mère m’a dit un jour :
- Fais pas attention à lui Manolito : il a jamais ouvert un livre, et il le ferait pas même s’il était dedans.
Au tout début, dans mon quartier, parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie, mais après ils ont arrêté de l’acheter parce que ils se sont sacrément fâchés, non seulement à cause de la façon dont je les décrivais, mais aussi à cause des dessins d’Emilio Urberuaga. La maîtresse Asunción est arrivée un jour dans la classe et elle a dit que sur les dessins on dirait un phoque, et nous, on a tellement rigolé qu’elle a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine, La Luisa, a dit que tel que l’avait dessiné cet individu sur les illustrations, on dirait qu’elle avait 50 ans.
- Mais Luisa – lui dit ma mère – c’est que tu en as 52.
- Oui, mais lui, il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi sur le fait que j’en fais dix de moins. Ce n’est pas un artiste ça, un artiste ou ça t’arrange, ou ça ne te dessine pas, sinon eh bien il a qu’à dessiner sa mère
- Mais qu’est ce que tu me racontes ça à moi Luisa – lui répondit ma mère – moi, il me dessine toujours avec un double menton, on dirait un pélican.
Monsieur Ezequiel s’est énervé lui aussi, parce que dans les dessins, on voit jamais les travaux qu’il a fait dans son bar.
- J’ai le journal El Tropezón qui a dit dernièrement que mon bar ressemblait à un bar de Paris, mais on dirait bien que ce monsieur ne comprend rien à rien.
- Ou ne veut rien comprendre ! – dit un client qui lui non plus n’était pas à son avantage dans un des livres.
Mon père se plaint lui aussi, dans les dessins, il a toujours l’air énorme.
- Et moi j’ai jamais eu cette bedaine, Cata, je l’ai jamais eu.
A vrai dire, je ne connais personne du quartier qui soit content de la façon dont il est dessiné. Ah, je me trompe, il y en a un : l’Idiot, qui est tout fier que le dessinateur le mette sur toutes les couvertures des livres. Mais ma mère, elle aime pas qu’il le dessine toujours avec la tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que c’est trop facile de se moquer.
- J’essaye d’enlever la tétine au petit, et il faut que le gars me le dessine toujours avec.
Je sais qu’au début les gens du quartier achetaient mes livres, mais ils ont arrêté de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas continuer à dépenser de l’argent pour se voir gros et moches et être ridiculisés de la sorte.
Les gens, c’est comme ça qu’ils le racontaient à me mère, et après elle, elle me disait :
- Tu vas voir Manolito que tu vas finir par me mettre tout le quartier à dos.
- Moi non, maman. C’est celle qui écrit les livres, elle ne garde que les pires choses de tout ce que je lui raconte.

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Julie nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.

Ne raconte à personne ce que je vais te dire dans ce chapitre de ma vie, parce que je pleure dans ce chapitre, et que les chapitres où je pleure, j’en ai un peu honte. Mon grand-père dit que quand quelqu’un a autant de livres sur sa vie, c’est normal que parfois le personnage (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; il dit que le lecteur aime énormément ça, qu’il se met à pleurer lui aussi comme si le malheur était le sien. Il est bizarre ce lecteur. Les lecteurs que je connais, qui vivent tous, bien sûr, dans le Haut Carabanchel, se plient en quatre à chaque fois que le personnage en voit de toutes les couleurs. Surtout si ce personnage c’est moi. Le crâneur de mon quartier, Yihad, prétend que lorsque les livres de ma vie lui plaisent le plus c’est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me met une calotte, ou encore quand il casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un crâneur, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
Ne l’écoute pas, Manolito ; il n’ouvre jamais un livre même s’il y apparaît.
Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie pour la nouveauté et pour voir s’ils étaient cités. Mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont beaucoup fâchés. Pas seulement à cause la manière dont je les décrivais, mais aussi à cause de la manière dont Emilio Urberuaga les dessinait. Madame Asunción est venue faire cours en disant qu’il l’avait faite comme un phoque, et ceci nous fit tous tellement rire que la professeure dit qu’elle ne voulait plus revoir aucun élève avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine Luisa dit que de la façon dont ce type l’avait peinte dans ses dessins, on aurait dit qu’elle avait au moins 50 ans.
Mais, Luisa -lui dit ma mère-, tu en as 52.
Oui, mais ça lui il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi, Cata, que j’en fais dix de moins que ceux que j’ai ! Un artiste ne fait pas ça. Un artiste te dessine à ton avantage, ou il ne te dessine pas, ou alors il n’a qu’à dessiner sa mère.
Mais pourquoi tu viens te plaindre à moi, Luisa -lui répondit ma mère-, s’il me reproduit toujours avec un menton qui me donne l’air d’être un pélican.
Monsieur Ezequiel rouspéta aussi parce qu’il dit que dans les dessins on ne remarque jamais les changements qu’il a faits dans le bar :
Ah, vraiment, le Tropezón a l’air d’un bar parisien maintenant, mais on dirait que cet homme ne s’en rend pas compte.
Ou qu’il ne veut pas s’en rendre compte ! -dit un client qui dont le portrait était également apparu dans un des livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu’il le dessine toujours très gros :
Non mais j’ai jamais eu ce ventre, Cata, jamais je l’ai eu !
Le fait est que je ne connais personne dans mon quartier qui soit content de la façon dont il est représenté dans les livres. Je mens, il y’ en a un : l’Imbécile, qui adore frimer parce que le dessinateur le représente toujours sur les couvertures ; mais ça agace ma mère qu’on le dessine toujours avec sa sucette à la bouche, parce qu’elle dit que c’est se moquer de lui.
Alors moi j’essaye d’enlever cette manie de la sucette au petit, et il faut toujours que ce type me le dessine avec sa sucette.
Je dis qu’au début les gens achetaient mes livres dans mon quartier, mais ils ont cessé de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas gaspiller leur argent pour se voir gros, laids et ridicules.
D’ailleurs, ils balançaient ça à ma mère dans la rue, et ensuite elle me disait :
Il faut faire quelque chose, Manolito, parce que tu vas finir par monter tout le monde contre moi.
Moi non, maman ; c’est celle qui écrit les livres, elle garde toujours le pire de ce que je raconte.

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Florian nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER VOIENT ROUGE.

Ne rapporte à personne ce que je m'apprête à te raconter dans ce chapitre de ma vie, car dans cette partie-là, je pleure, et les parties où je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que que lorsque quelqu'un possède autant de livres sur sa vie, il est normal que, de temps en temps, le personnage (moi, par exemple) pleure suite à un terrible malheur; mon grand-père dit que le lecteur adore ça, qu'il se met également à pleurer comme si l'infortune en question le concernait lui. Quel étrange lecteur. Moi, les lecteurs que je connais, et qui vivent évidemment tous dans le Haut-Carabanchel, se tordent de rire chaque fois que le personnage en bave, surtout si ce personnage, c'est moi. Le frimeur de mon quartier, Yihad, affirme qu'ils aiment par-dessus tout les livres sur ma vie quand je me casse la figure, ou quand ma mère me donne des coups derrière la tête, ou quand ce même Yihad brise mes lunettes. En plus d'être un crâneur, Yihad est un menteur puisqu'un jour sa mère m'a dit :
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, il n'a jamais ouvert un bouquin de sa vie et en plus il est toujours enfermé.
Au début, dans mon quartier, ils avaient tous acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté, et pour voir s'ils y apparaissaient, mais ensuite ils ont arrêté de les acheter du fait de s'être pas mal fâchés, non seulement à cause de la manière dont je les décrivais, mais aussi à cause de la façon dont Emilio Urberuaga les dessinait. Un jour, la prof Asunción est arrivée en classe en prétendant qu'il l'avait faite ressembler à un phoque, et cela nous a tous fait tellement rire que la prof a exigé qu'elle ne voulait plus revoir un seul enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine Luisa a estimé que tel que cet individu l'avait représentait, on aurait dit qu'elle avait au moins 50 ans.
— Mais, Luisa, lui répondit ma mère, tu as 52 ans.
— Certes ! Mais ça, lui, il n'en sait rien, et tu seras d'accord avec moi quand je dis que je fais 10 ans de moins que mon âge! Un artiste ne travail pas de la sorte, un artiste de dépeint sous ton meilleur jour ou ne te dépeint pas, sinon qu'il dépeigne sa mère.
— Mais c'est pas auprès de moi que tu dois raconter tout ça Luisa, lui rétorqua ma mère, regarde, j'ai toujours l'air d'un pélican avec le menton qu'il me fait.
Monsieur Ezequiel aussi a protesté parce qu'il trouve que dans les dessins, on ne distingue jamais les rénovations qu'il a apportées dans son bar.
— Et actuellement, le Tropezón ressemble véritablement à un bar de Paris, mais apparemment ce monsieur ne s'en rend pas compte.
— Ou c'est qu'il ne veut pas s'en rendre compte plutôt ! s'exclama un client qui apparaît aussi dans le livre. Mon père également se plaint, il se plaint d'être toujours très gros sur les dessins.
— Et moi je n'ai jamais eu un ventre pareil ! Jamais !
En vérité, je ne connais personne de mon quartier qui soit satisfait de sa représentation dans mes livres. Je mens, il y'en à un, l'Imbécile, qui adore se vanter que le dessinateur le mette à chaque fois sur la couverture; mais cela n'amuse pas ma mère qu'on le dessine tout le temps avec sa tétine, car elle pense que c'est se moquer de lui.
— J'essaie d'enlever au gamin cette manie de la tétine, mais il faut toujours que ce gars le dessine avec.
Je dis donc qu'au début, les gens achetaient mes livres dans le quartier, mais ils ont arrêté car ils ne voulaient plus dépenser d'argent pour se voir gros, moche et tourné en ridicule. De ce fait, il les balançaient dans la rue au pied de ma mère, et elle me réprimandais ensuite :
— Voyons, Manolito, tu vas finir par te brouiller avec tout le monde.
— Moi non, maman, c'est celle qui écrit les livres qui se retrouve avec tout les mauvais côtés de ce que je lui raconte.

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Stéphanie nous propose sa traduction :

Les gens de mon quartier rouspètent

Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le répète à personne, parce que dans ce chapitre je pleure, et j'ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon papy, il dit que quand on a autant de livres sur sa vie, c'est normal que, de temps en temps, le héros (moi, par exemple) pleure à cause d'un terrible malheur ; mon papy il me dit que ça plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur il se met à pleurer, lui aussi, comme si c'était le sien de malheur. Il est drôlement bizarre ce lecteur. Les lecteurs que, moi, je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois qu'il arrive un pépin au héros, ils sont pliés de rire, surtout si le héros en question, c'est moi. Le crâneur de mon quartier Yihad il dit que les moments où il aime le plus les livres sur ma vie c'est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me colle une gifle, ou quand lui, il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d'être un crâneur, c'est un menteur, parce que sa propre maman m'a dit un jour :
— Ne l'écoute pas, Manolito ; ce garnement n'ouvre jamais de livre, même s'il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous achetés le premier tome de ma biographie, parce que c'était nouveau et aussi, pour voir s'ils étaient dedans, mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu'ils se sont sacrément fâchés, pas seulement à cause de comment je les décrivais, mais aussi à cause de comment Emilio Urberuaga il les dessinait. Asunción, la maîtresse elle est venue dans la classe en nous disant qu'elle, on aurait dit un phoque sur le dessin, et ça nous a tous tellement fait rigoler que la maîtresse nous a dit qu'elle ne voulait plus revoir aucun enfant avec un livre à moi entre les mains. Ma voisine, la Luisa elle dit que vu comment ce type l'a dessinée, on lui aurait donné au moins 50 ans.
— Mais, Luisa – elle lui a dit ma maman –, tu en as 52.
— Oui, mais, ça lui, il ne le sait pas, et tu seras d'accord avec moi, Cata pour dire que j'en fais dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste, soit il te met en valeur, soit il ne te dessine pas, soit il s’en va tirer le portrait de sa mère.
— À qui le dis-tu Luisa – elle lui a dit ma maman –, moi, il me peint toujours avec un menton tellement gros qu'on dirait un pélican.
Monsieur Ezequiel aussi il a protesté parce qu'il dit que dans les dessins on ne voit jamais les travaux qu'il a faits dans le bar :
— Alors que, vraiment, aujourd'hui mon Tropezón on dirait un vrai bar de Paris, mais ce monsieur on dirait qu'il ne capte pas.
— Ou qu'il ne veut pas capter – a dit un client qui a aussi été dessiné dans un des livres.
Mon papa aussi il se plaint, il se plaint parce qu'il le fait toujours très gros :
— Et moi, je n'ai jamais eu de bedaine, Cata, jamais de la vie !
La vérité c'est que je ne connais personne de mon quartier qui soit content de comment il est dessiné dans les livres. Ce n'est pas vrai, il y en a un : l'Imbécile, il adore frimer parce que le dessinateur il le met toujours sur les couvertures ; mais ma maman, ça ne la fait pas rire, qu'on le dessine avec la tétine dans la bouche, parce qu'elle dit que ça ne fait qu’encourager ses âneries.
— J'essaie de lui faire perdre cette manie de la tétine au petit, et le type n'a rien d'autre à faire que de toujours me le dessiner avec la tétine.
Je disais donc qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce qu'ils disent qu'ils ne vont pas dépenser des sous pour se voir gros, moches et ridiculisés. C'est comme ça qu'ils le lançaient à ma maman dans la rue et ensuite elle me disait :
— Il faut voir, Manolito, par ta faute, je vais finir par me brouiller avec tout le monde.
— C'est pas moi, maman, c'est celle qui écrit les livres, elle garde toujours le pire de ce que je lui dis

***

Jessica nous propose sa traduction :

CEUX DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.
Tu ne dois parler à personne de ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, parce que dans ce chapitre je pleure, et j’ai un peu honte des chapitres dans lesquels je pleure. Il dit, mon grand-père, que quand quelqu’un a autant de livres écrits sur sa vie, il est normal que quelque fois le protagoniste (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur. Il dit, mon grand-père, que cela plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si le malheur était le sien. Le lecteur est quelqu’un de très étrange. Les lecteurs que je connais, moi, qui vivent à coup sur tous à Carabanchel Alto, sont morts de rire à chaque fois que le protagoniste en voit de toutes les couleurs, et surtout si ce protagoniste c’est moi. Le frimeur de mon quartier, Yihad, il dit que les livres sur ma vie qu’il préfère sont ceux où je tombe, où quand ma mère me met des claques derrière la tête, où encore quand il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un frimeur, c’est un menteur, parce qu’un jour sa propre mère m’a dit :
—Ne t’occupes pas de lui, Manolito, il est incapable d’ouvrir un livre même s’il lui tombe dessus.
Au début, tous les gens de mon quartier ont acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté et pour voir s’ils étaient cités dedans. Mais ensuite, ils ont cessé de l’acheter car ils étaient assez fâchés, pas seulement à cause de la façon dont moi je les décrivais, mais aussi à cause de la manière dont les avait dessiné Emilio Urberuaga. La maitresse Asunción est arrivée dans la classe en criant qu’il l’avait dessiné ressemblant à un phoque, ce qui nous à tous fait éclaté de rire, à tel point que la maitresse s’est écriée qu’elle ne voulait plus voir un seul d’entre nous avec un de mes livres entre les mains. Luisa, ma voisine, elle, elle dit que la façon dont l’avait dessiné cet individu la faisait paraître avoir au moins 50 ans.
—Mais Luisa- lui a dit ma mère- tu as 52 ans !
—Oui, mais lui il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi, Cata, pour dire que je parais au moins dix ans de moins que mon âge ! Un artiste ne fais pas cela, un artiste te dessine à ton avantage, ou ne te dessine pas, ou il n’a qu’à dessiner sa mère.
—Et tu viens me dire ça à moi Luisa- lui a répondu ma mère-, moi qu’il dessine toujours avec un menton qui me fait ressemblé à un pélican.
Monsieur Ezequiel a lui aussi protesté parce qu’il dit que les dessins ne représentent jamais à leur juste valeur les rénovations qu’il a fait dans son bar :
—Mon bar El Tropezón est tellement moderne qu’on dirait un bar de Paris, mais ce monsieur ne semble pas s’en rendre compte.
—Ou il n’a pas envie de s’en rendre compte !- a riposté un client, lui aussi dépeint dans un de mes livres. Mon père se plaint lui aussi, il se plaint d’être toujours représenté trop gros.
—Je n’ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l’ai jamais eu.
Pour dire la vérité, je ne connais personne de mon quartier qui soit contente de l’image qu’elle a dans mes livres. Ah je mens, il y en a un : l’Imbécile, à qui cela l’enchante de crâner car le dessinateur le représente toujours sur la couverture. Mais cela n’amuse pas ma mère car il est toujours dessiné la suce dans la bouche, elle dit que c’est se moquer d’elle.
—J’essaie de lui ôter cette manie de la tétine, et ce mec me le représente toujours avec la suce.
Je disais donc que les gens de mon quartier achetaient au début mes livres mais ils ont cessé de le faire parce qu’ils disent qu’ils ne veulent plus dépenser un centime pour se voir gros, moches et ridiculisés. Ils l’ont même jeté sur ma mère dans la rue, elle m’a ensuite dit :
—Réfléchis Manolito, tu vas finir par me mettre tout le monde à dos.
—Pas moi maman ; c’est celle qui écrit les livres et qui garde toujours le pire de ce que je lui raconte.

***

Sonita nous propose sa traduction :

CEUX DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie il est normal que de temps en temps le héros (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que le lecteur aime beaucoup cela, que le lecteur se met à pleurer comme si c’était aussi son malheur. Qu’ils sont étranges ces lecteurs. Les lecteurs que moi je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, à chaque fois que le héros en voit de toutes les couleurs ils en sont morts de rire, surtout si c’est moi ce héros. Le crâneur de mon quartier, Yihad, dit que les livres qu’il aime le plus sur ma vie c’est quand je trébuche, ou quand ma mère me donne un coup sur la nuque ou alors quand il casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un crâneur est un menteur, je le sais parce que c’est sa propre mère qui m’a un jour dit :
—Ne fais pas attention à lui, Manolito, celui-là n’ouvre pas un bouquin même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie à cause de la nouveauté et pour savoir s’ils y figuraient, mais après ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont mis très en colère, pas seulement à cause de la manière dont je les y mettais mais aussi à cause de comment je leur peignais Emilio Urberuaga. Mademoiselle Asunción vint dans la classe pour dire qu’elle, je l’avais peinte comme un phoque et cela nous a fait tous tellement rire qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un livre à moi entre les mains. Ma voisine Luisa me dit que la façon dont j’avais dessiné ce personnage dans les dessins, on aurait dit qu’elle avait au moins 50 ans.
—Mais Luisa – lui dit ma mère — tu as 52 ans.
—Oui, mais ça il ne le sait pas, tu seras d’accord avec moi, Cata, que je fais dix ans de moins. Un artiste ne fait pas ça. Un artiste te peint sous ton meilleur jour, ou il ne peint pas, ou alors qu’il peigne sa mère.
—Mais, qu’est-ce que tu me dis là, Luisa — lui dit ma mère — si moi elle me dessine toujours avec menton qu’on aurait dit un pélican.
Monsieur Ezequiel, lui aussi protesta parce que, selon lui, dans les dessins on n’apprécie jamais les réformes qu’il a faites dans le bar.
—Et, sincèrement, j’ai El Tropezón actuellement qui ressemble à un bar parisien, mais ce monsieur ne semble pas s’en rendre compte.
—Ou alors il ne veut pas s’en rendre compte — dit un client dont le portrait était aussi dans l’un des livres. Mon père aussi,il se plaint, il se plaint qu’on le dessine toujours aussi gros :
—Et je n’ai jamais eu ce ventre-là, Cata, jamais !
La vérité est que je ne connais personne dans mon quartier qui soit content avec la manière dont il apparaît dans les livres.
Je mens. Il y en a un : l’Imbécile qui adore crâner sur le fait que le dessinateur le met toujours en couverture, mais ma mère ne trouve pas ça drôle qu’on le dessine toujours avec une tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que ça c’est rire de ses pitreries.
—Moi j’essaie de lui enlever cette manie de la tétine, et ce gosse doit toujours le peindre avec la tétine.
Je dis qu’au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce ils n’allaient pas dépenser de l’argent pour se voir gros et moches et en train de faire le ridicule, donc ils le lâchaient à ma mère dans la rue et puis elle me disait :
—Il faut voir, Manolito, que tu vas finir par me brouiller avec tout le monde.
Pas moi maman, c’est celle qui écrit les livres qui garde toujours le pire de ce que je lui raconte.

Rappel…

Le dernier délai pour rendre la traduction du texte d'Elvira Lindo est ce soir 20h00… pas au-delà !

Version pour lundi prochain

En photo : El capitán Alatriste, par perezreverte.com

Desperté con sobresalto, dolorido, en la oscuridad de un coche en movimiento cuyas ventanillas estaban cegadas. Sentía un peso extraño en las muñecas, y al moverme escuché un tintineo metálico que me llenó de espanto: llevaba grilletes de hierro, y éstos se hallaban sujetos al suelo del carruaje con una cadena. A través de las rendijas vislumbré luz, por lo que deduje era ya entrado el día. De cualquier modo, yo no tenía idea del tiempo transcurrido desde mi prisión; pero el carruaje rodaba a velocidad regular, y a veces, en las cuestas, oía el chasquido del látigo y los gritos del cochero fustigando a las mulas. También sonaban cascos de caballerías junto al estribo, yendo y viniendo. Me conducían, pues, fuera de la ciudad, encadenado y con escolta. Y según había oído al caer preso, quien me llevaba era la Inquisición. No había que estrujarse mucho el magín para concluir lo evidente: si alguien tenía un negro futuro en perspectiva, ese alguien era yo.
Lloré. Me puse a llorar con desconsuelo en la oscuridad traqueteante del carruaje, donde nadie podía verme. Lloré hasta que no me quedaron lágrimas, y luego, sorbiéndome los mocos, me acurruqué en un rincón y me puse a esperar, muerto de miedo. Como todos los españoles de entonces, yo sabía suficiente de los usos inquisitoriales –aquella siniestra sombra formó durante años y años parte de nuestras vidas– para conocer cuál era mi destino: las temibles mazmorras secretas del Santo Oficio, en Toledo.
Creo haber hablado antes a vuestras mercedes de la Inquisición. Lo cierto es que no fue aquí peor que en otros países de Europa; aunque holandeses, ingleses, franceses y luteranos, que eran entonces nuestros enemigos naturales, la incluyeran en esa infame Leyenda Negra con la que justificaron el saqueo del imperio español en la hora de su decadencia. Verdad es que el Santo Oficio, creado para velar por la ortodoxia de la fe, en España fue más riguroso que en Italia y Portugal, por ejemplo, y aún peor en las Indias Occidentales. Pero Inquisición hubo también en otros sitios. Y además, con su pretexto o sin él, tudescos, franceses e ingleses chamuscaron más heterodoxos, brujas y pobres desgraciados que los quemados en España; donde, merced a la puntosa burocracia de la monarquía austriaca, todos y cada uno de los chicharrones que hubo, muchos pero no tantos, figuran debidamente registrados con procesos, nombres y apellidos. Cosa de la que no pueden presumir, por cierto, los gabachos del Rey cristianísimo de Francia, los malditos herejes de más arriba o la Inglaterra siempre falsa, miserable y pirata; que cuando quemaban ellos lo hacían alegremente y a montón, sin orden ni concierto y según les venía en ganas o en intereses, condenado hatajo de hipócritas. Además, en aquel tiempo la justicia seglar era tan cruel como la eclesiástica, y las gentes también lo eran, por incultura y por afición natural del vulgo a ver descuartizar al prójimo. De cualquier modo, la verdad es que a menudo la Inquisición fue un arma de gobierno en poder de reyes como nuestro cuarto Felipe, que dejó en sus manos el control de cristianos nuevos y judaizantes, la persecución de brujos, bígamos y sodomitas, e incluso la potestad de censurar libros y combatir el contrabando de armas y caballos, y el de la moneda y su falsificación. Esto, con el argumento de que contrabandistas y monederos falsos perjudicaban grandemente los intereses de la monarquía; y quien era enemigo de ésta, defensora de la fe, lo era también de Dios, en corto y por derecho.

Arturo Pérez Reverte, El capitán Alatriste II, Limpieza de sangre

Références culturelles, 567 : El Cabo de Hornos

En photo : Faro Cabo de Hornos, par Pablo Ramil

El Cabo de Hornos
une idée d'Odile

http://es.wikipedia.org/wiki/Cabo_de_Hornos

dimanche 29 août 2010

Entrevista al escritor y traductor Julio Moguel: “En las nuevas traducciones leemos a Rulfo polifónico, poético, magistral”

http://www.rebelion.org/noticia.php?id=102580

Exercices d'écriture du mois de septembre

Ceux qui souhaitent prendre de l'avance trouveront la liste des exercices d'écriture à faire en septembre dans la rubrique habituelle, colonne de droite.

« Soucoupe », par Julie Sanchez

En photo : lettres d'amour, par maloto

Ma bien-aimée,

Je t’écris en ce jour afin de te déclarer ma flamme et de te demander de t’unir à moi.
Il faut que je l’avoue : les contacts que nous avons de plus en plus régulièrement ont fait naître en moi un sentiment qui m’était jusqu’alors inconnu.
Mon vœu le plus cher serait d’être à tes côtés pour l’éternité.
D’aucuns diront que tu n’es pas si belle, certes tu n’es qu’en faïence. Mais ceci ne manque pas de provoquer chez moi une sorte de transe.
Personne n’a jamais voulu te peindre mais tu es celle que chaque jour j’aimerais étreindre.
Tu n’es ni rose, ni à pois mais tu possèdes la douceur de la soie.
Tu n’es pas volante mais tu n’en es que plus troublante.
Tu n’es pas la première que l’on voit mais je n’ai d’yeux que pour toi.
Et bien que tu ne sois pas en porcelaine, tu es celle que j’aime…
Sur ces derniers mots que j’ose rédiger au fond de mon placard, je te demande solennellement, ô ma soucoupe bien-aimée d’être celle qui pourra tout au long de nos modestes vies, m’aimer et me soutenir.

Ta tasse de thé, si tu le désires…

Références culturelles, 566 : El azafrán

En photo : Flor del azafrán, par Soniko

El azafrán
Une idée d'Odile

http://www.saffron-spain.com/espa/azafran.html
http://www.dipualba.es/Municipios/Fuentealbilla/josemaria/azafran.htm

samedi 28 août 2010

« Soucoupe », par Auréba Sadouni

En photo : Bubble, bubble, toil and trouble, par Mukumbura

Un bruit de vaisselle s’entrechoquant précéda son entrée dans le salon. Il m’avait préparé une infusion, l’occasion pour lui de sortir son joli service en porcelaine. Le raffinement était au rendez-vous. Évidemment, comme c’était un homme très soigneux, il n’avait pas oublié de prendre des soucoupes pour ne pas faire de traces sur la table. Pendant que je faisais virevolter le sachet dans la tasse et observais l’eau qui changeait peu à peu de couleur, il me parlait des nombreuses œuvres d’art qu’il avait pu contempler pendant son séjour d’affaires au Japon. Il était fier de pouvoir me faire partager ses découvertes, parmi lesquelles se trouvait son service en faïence, qu’il avait acheté chez un antiquaire. Avant de porter pour la première fois jusqu’à ma bouche la tasse pour ingurgiter le précieux liquide, je posai le sachet de thé sur la soucoupe et me mis à contempler l’image se trouvant inondée par l’eau colorée, qui quelques secondes auparavant, se trouvait cachée. Au centre de la soucoupe, étaient représentées deux personnes prêtes à s’accoupler. L’homme à la tresse, le dos couvert d’un peignoir à rayures, exhibait un sexe aux dimensions hyperboliques tandis que la femme au chignon, drapée dans son kimono fleuri remonté au dessus de la ceinture, offrait à la lumière du jour sa fleur rouge. Je fus tellement choquée et troublée par le caractère explicite de l’image, que mes mains se mirent à faiblir jusqu’à ce que la soucoupe tombe par terre. Je vis alors le visage de mon cher mari collectionneur se décomposer. Il se jeta par terre à la recherche de son « image de printemps », sa shunga, comme il disait, et là, malheur… ’affreux dessin avait été brisé, et l’avenir de notre couple avec. La rupture fut fatale. Je ne l’avais pourtant pas cassée à dessein, cette soucoupe ! À moins que ce ne fut inconscient…

« Soucoupe », par Stéphanie Maze

En photo : Embroidery for badge, par Audrey Jeanne

Trimballée de part et d'autre, je vais là où on veut bien m'emmener. On ne peut pas dire que j'ai vu du pays, mais je rencontre de sacrés personnages. Je les classe en deux catégories : les habitués et les autres... Les autres, ils n'ont pas de profil précis, ça peut être un touriste, un homme qui se rend au travail, qui attend un rendez-vous d'affaires ou encore un rendez-vous galant. Dans le dernier cas, je suis rarement demandée, les amants optent généralement pour une bouteille de vin ou un bon champagne. On fait plutôt appel à moi à l'ouverture, lors du premier café. José, le patron du bar, me plaque sur le comptoir, m'affuble de la décoration de rigueur : cuillère, sucre et dépose la tasse à l'endroit indiqué, et en un clin d'œil, le café est avalé. En général, il n'est pas propice à la discussion, les clients ingurgitent leur dose de caféine et décampent, parés pour le boulot. Mon préféré, c'est celui du milieu d'après-midi, celui des gens qui ont le temps ou qui le prennent. Ils s'attablent un moment, s'attachent à un sujet comme la politique, dans ce cas-là, le ton risque de monter rapidement, les esprits s'échauffent, j'aime cette agitation, ces débats d'idées où l'on entend tout et son contraire. Parfois je me fais secouer, les clients me claquent la tasse dessus et les vibrations de la table me sortent de ma torpeur. Dans ces moments, j'ai l'impression d'être au cœur du conflit, de vivre la conversation. D'autres clients préfèrent évoquer les problèmes qui les assaillent, trouver une issue, alors les conseils vont bon train. Souvent ils s'accrochent à la tasse comme à un point d'ancrage, mais parfois c'est moi qu'ils sollicitent, l'angoisse de ne pas trouver d'échappatoire les pousse à me faire tournoyer dans tous les sens. Je prends vie au gré des humeurs des clients, rien ne dépend de moi, c'est ça que j'aime, me laisser porter...

Références culturelles, 565 : Astor Piazzolla

Astor Piazzolla
une idée d'Odile

http://es.wikipedia.org/wiki/Astor_Piazzolla



vendredi 27 août 2010

Entrevista al escritor Manuel Moya, traductor de Libro del desasosiego de Fernando Pessoa (Baile del Sol)

http://www.ojosdepapel.com/Index.aspx?article=3530

Soutenances – promo Aline Schulman

Comme annoncé, les soutenances auront lieu le lundi 6 septembre, suivant l'ordre de passage suivant :

9h30-10h15 : Émeline Laduche
10h15-11h00 : Laëtitia Sobenes
11h00-11h45 : Amélie Rioual

14h00-14h45 : Laëtitia Sworzil
14h45-15h30 : Chloé Riou
15h30-16h16 : Coralie Bonneau

Présentez-vous chaque fois un peu en avance, au cas où…
Je vous ferai connaître la salle ultérieurement.

Exercice d'écriture pour vendredi prochain

Le sujet : Animaux dangereux

« Soucoupe », par Alexis Poraszka

En photo : C'est mon papa le plus fort, par hyppo250

« Ouais ben mon père il conduit une soucoupe volante ! »
Diego savait qu'il était allé trop loin mais, emmêlé dans son tissu de mensonges, il ne pouvait plus faire marche arrière car il voulait vraiment gagner toutes les billes de la classe et puis il y avait Caroline qui les écoutait. Diego aimait beaucoup Caroline.
« Ben vas-y balance ! lui scandaient ses copains.
— Mon père, eh ben il a le permis S, c'est un permis top secret pour conduire les soucoupes volantes.
— Tu racontes n'importe quoi ! lui lança Axel. Mon père à moi il travaille dans une école pour voitures.
— On dit une auto-école, abruti.
— Ouais peut-être, n'emplêche qu'il a jamais entendu parler d'un permis S.
— Mais c'est normal, lui répéta Diego. Le permis S est proposé par l'armée de l'espace. Il est top secret au cas où les extra-terrestres nous attaqueraient.
— Oh ! firent-ils à l'unisson.
— Même que si jamais la première guerre interstellaire avait lieu, eh ben mon papa il serait pilote de ligne galactique alors que les vôtres... euh... enfin voilà ! »
Du regard inquisiteur de ses amis, Diego ne savait que penser. L'avaient-ils cru ? De nombreux arguments lui trottaient dans la tête mais il ignorait s'il en avait déjà trop dit ou pas assez. Soudain, Kevin le questionna.
« Et alors, c'est quoi comme marque !
— Eh ben... euh… »
Diego marqua une pause. Il détestait Kevin, ce nabot qui se prenait pour Zorro. Il avait beau ne pas mesurer plus d'un mètre dix, il n'en restait pas moins intimidant pour ses camarades car il était vif et bagarreur.
« Caterpillar ! lança Diego.
— Comme les camions et les machines qu'on voit sur les chantiers ? lui demanda Caroline pourtant muette depuis le début de la discussion.
— C'est ça. C'est une soucoupe Caterpillar. Et c'est pas tout les mecs, il y en a de différentes sortes : break, coupé, cabriolet... comme les voitures et puis...
— LES ENFANTS !!!! »
C'était la maîtresse, Madame Michel, qui annonçait la fin de la récréation. Avec ses cheveux roux, son leger strabisme et ses pantalons de cuir moulant ses cuisses rondes, Madame Michel avait la sympathies des enfants. Dès la rentrée en classe, avant de commencer la leçon sur les multiplications, Kevin se leva et demanda à la maîtresse :
« M'dame, c'est vrai qu'on peut apprendre à conduire des soucoupes pour sauver la planète des martiens ? »
Madame Michel sourit et regarda Diego. Ce genre d'histoire ne pouvait provenir que de lui. Diego était un peu effacé, peut-être un peu trop et compensait sa solitude par l'invention d'histoires toutes plus farfelues les unes que les autres.
« Diego, c'est toi qui a inventé tout ça ?
— Non, répondit-il tout bas.
— Si, c'est lui, renchérit Axel. Il nous a même dit que son père conduisait des soucoupes à l'armée.
— Diego, dit la maîtresse, pourquoi tu racontes des histoires à tes camarades ? Tu sais très bien que ton père est jardinier. C'est un beau métier tu sais, tu ne dois pas en avoir honte. »
Après avoir affronté le regard de tous les garçons de la classe, Diego dut se résoudre à rendre les billes qu'il avait gagnées. Mais ce qui le dérangea le plus ce n'est pas d'avoir perdu son trésor ni d'avoir raconté des histoires à ses copains, son regret c'était que Caroline ne le regardait plus.

« Soucoupe », par Vanessa Canavesi

En photo : et-ces-fameuses-soucoupes-volantes2, par blog_paranormal

Deux messieurs, attablés à la terrasse d'un café, lisent chacun un exemplaire du journal local. La nouvelle qu'ils viennent d'apprendre les a rendus perplexes.
— Ah, c'est trop fort. Tout ce tapage, pour un rien, je vous le dis, on en fait beaucoup trop. Si vous voulez mon avis, Gustave, ce bonhomme-là n'était pas dans son assiette lors des événements.
— (Gustave lit.) « Le jeune homme, freluquet à la houppe, a prétendu avoir vu depuis son balcon, – tenez-vous bien – une sorte d'objet lumineux, de forme soucoupique, qui se dirigeait vers l'immeuble. Ne sachant que faire, il a appelé les forces de l'ordre, qui ont réagi, avec toute la diligence qu'on leur connaît, et ont accouru sous les lieux soupçonnés exacts de l'apparition. L'objet en question avait disparu, mais c'est une affaire sur laquelle la police enquête très sérieusement. »
— (L'autre, euphorique, le coupe.) Non, non, la coupe est pleine, c'est la goutte de café qui vient faire déborder la sous-tasse, comment, comment je vous le demande ? Comment peut-on s'abaisser à écrire de la sorte. Une soucoupe volante ! (Articulant.) « De forme soucoupique » !
— Était-elle lente, à votre avis ?
— La soucoupe ? Mais qu'en sais-je ? Mon ami, je vous le répète, la presse, sous couvert de la police, veut nous faire avaler toutes les couleuvres qu'elle ramasse en chemin. Et ce gringalet est certainement sous la coupe d'un organisme quelconque de la corruption publique. Quel souk !
Gustave, qui a de l'esprit, mais peu de paroles, réfléchit un moment. Puis il expose, faisant varier le tempo au rythme de ses adverbes :
— Lentement, c'est une soucoupe. Rapidement, c'est un scoop. De là à en faire tout un plat, il n'y a qu'un pas.
— Mon cher, vous avez définitivement le sens de la formule.

Références culturelles, 564 : Santa María del Naranco y San Miguel de Lillo

Santa María del Naranco y San Miguel de Lillo
Une idée d'Odile

prerrománico asturiano

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Santa_Mar%C3%ADa_del_Naranco_d%27Oviedo
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-Michel-de-Lillo_d%27Oviedo
http://www.ctv.es/USERS/acabiedes/1.htm
http://www.ctv.es/USERS/acabiedes/2.htm
http://www.jdiezarnal.com/santamariadelnaranco.html
(On y trouve un glossaire concernant l'architecture :
http://www.jdiezarnal.com/glosario.html)



jeudi 26 août 2010

Références culturelles, 563 : Los paradores

En photo : Paradores, par rafa_markos

Los paradores
une idée d'Odile

http://es.wikipedia.org/wiki/Parador_de_Turismo

mercredi 25 août 2010

Références culturelles, 562 : Las galletas María

En photo : la buena maría fontaneda, par janbrush2008

Las galletas María
Une idée d'Odile

http://es.wikipedia.org/wiki/Galleta_Mar%C3%ADa

Références culturelles, 561 : La tramontana

En photo : Tramontane, par picou rivedroite

La Tramontana
une idée d'Odile

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tramontane
La tramontana
tramontano, na.
(De transmontano).
1. adj. Que, respecto de alguna parte, está del otro lado de los montes.
2. f. norte (‖ lugar situado al norte de otro).
3. f. Viento procedente del norte.
4. f. Vanidad, soberbia, altivez o pompa.
perder alguien la ~.
1. loc. verb. coloq. perder la brújula.
2. loc. verb. coloq. perder los estribos (‖ desbarrar, obrar fuera de razón).

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« Chili : les indiens mapuches sont vus "comme des sauvages" »

Un article de Rue 89

http://www.rue89.com/alma-latina/2010/08/21/chili-les-indiens-mapuches-sont-vus-comme-des-sauvages-163147

mardi 24 août 2010

La chanson du mardi, choisie par Julie

Como en un mar eterno de Hanna

Références culturelles, 559 : Ricardo Carpani

Ricardo Carpani
une idée d'Auréba

dimanche 22 août 2010

samedi 21 août 2010

« À la page 49… », par Vanessa Canavesi

En photo : Petite Fille à l'ordinateur, par manu4971

À la fin du mois de juin, l'école était enfin terminée. La perspective du séjour chez sa grande-tante ravissait Clara, qui n'appréciait guère ces deux longs mois de solitude annuels. Elle était un peu triste de quitter ses camarades, mais elle savait que la jeune sœur de son grand-père vivait sur une île très lointaine, là où la mer recèle des trésors inouïs, comme les décrivait souvent le vieillard.
Enfin arriva ce jour où l'avion devait s'envoler pour l'île. Pendant le voyage, Clara imagina tout ce qu'elle allait découvrir. Sa maman lui avait offert avant son départ un petit carnet beige au papier vieilli, imitant les anciens cahiers d'école. Sur la jolie étiquette de la couverture, la fillette s'appliqua à inscrire son prénom, et l'orna de petites fleurs. Dès la sortie de l'aéroport, la végétation luxuriante débordant sur les routes accueillaient les nouveaux arrivants. Clara se sentit aussitôt rassurée : ces vacances-là allaient être différentes. La petite fille aurait voulu pouvoir graver ces images dans son esprit ; mais, effrayée à l'idée que certains souvenirs pourraient s'évaporer, elle avait échafaudé un plan : chaque jour, elle remplirait une page de son petit carnet. Le papier recyclé et fripé absorbait l'encre de son stylo, et c'était comme si les mots qu'elle y inscrivait se scellaient à jamais dans les fibres entremêlées. Les lignes étaient déjà imprimées, ainsi que les numéros en bas et au milieu de chaque page, que Clara avait entrepris d'entourer, au fur et à mesure, de petits pétales colorés. Son séjour se déroulait bien ; sa grande-tante était extrêmement douce, et maternelle, et la petite fille n'avait pas tardé à se sentir comme chez elle. Quelques gamins s'amusaient dans les cours voisines, et elle réussit à se lier à leurs jeux. Elle en avait fait une habitude : le matin, après avoir dormi aussi longtemps qu'elle le souhaitait, elle ouvrait son carnet et lui racontait la journée de la veille. Ensuite, elle sortait dans le jardin, s'asseyait sur la vieille balançoire sous le chêne, et attendait là toute une partie de la matinée, jusqu'à ce que les petits voisins l'appellent à grands cris à travers le portail de l'entrée. Une fois l'allégresse des premières semaines de découverte passée, Clara commença à s'ennuyer. Il lui semblait que l'été ne finirait jamais, et elle se languissait de retrouver les siens. Plus d'un mois avait passé, et ses parents ne devaient la rejoindre qu'à la fin de l'été. Un matin, sa grande-tante l'appela pour le petit-déjeuner. Clara abandonna la page inachevée, et durant tout le repas elle songea à la manière dont elle allait raconter la randonnée de la veille jusqu'aux cascades dans la montagne. Elle avait décidé de livrer l'ensemble de ses émotions, à ce qui était désormais plus un journal intime qu'un carnet de voyage. Soudain arrachée à ses pensées, elle put entendre la terre gronder, sans comprendre ce qui se passait réellement, et, croisant le regard de la vieille dame, elle se sentit perdre l'équilibre. Tout ce qui était dans la pièce tremblait, valsait... La grande-tante embrassait Clara, et se signait sans arrêt. Les tremblements de terre étaient fréquents sur l'île, mais celui-ci serait sans précédent. L'histoire s'arrêtait à la page 49...

Références culturelles, 557 : Leandro González

Leandro González
une idée d'Aureba

http://leandrogonzalez.blogspot.com/

vendredi 20 août 2010

« À la page 49… », par Auréba Sadouni


En photo : Exercices de style..., par aurelie guillerey

Je montai dans l’autobus, m’installai, sortis de mon sac le livre des Exercices de style de Raymond Queneau et l’ouvris à la page quarante-neuf… À la page quarante-neuf, je n’appris rien de nouveau par rapport aux pages précédentes : encore la même anecdote à propos d’un voyage en autobus à une heure de pointe. Un titre indiqua ceci : « Passé simple ». Voilà qui fut clair. Le texte fut bref, mais amusant. À la quatrième ligne, une phrase retint mon attention. Je lus et relus ceci : « Il eut un long cou. ». Voila qui sembla absurde. Je souris et me demandai : « Pendant combien de temps ce personnage eut-il un long cou ? ». Une seconde ? Une minute ? La longueur de son cou changea-t-elle de façon soudaine, et deux fois de suite ? En vrai, ceci fut impossible, mais dans mon imagination, ce fut drôle. Je ne corrigeai pas ce qui en apparences seulement fut une imperfection, car à la page 49, ce ne fut pas une erreur mais une démonstration de style. Je continuai alors ma lecture et le temps verbal ne me choqua plus. Quand je tournai la page, le passé simple sortit de mon champ de vision. Il resta à la page 49.

« Chili : Isabel Allende, candidate dénigrée au Prix de littérature »

Un article de Rue 89

http://www.rue89.com/alma-latina/2010/08/14/chili-isabel-allende-candidate-denigree-au-prix-de-litterature-162149

Exercice d'écriture pour vendredi prochain

Le sujet : Soucoupe

« À la page 49… », par Stéphanie Maze

En photo : the very last one, par · b o r g a ·

Il avait pris cette décision depuis un moment déjà, celle de ne plus en prendre. C'était simple, tout ce qu'il avait entrepris jusque là ne lui avait jamais procuré entière satisfaction. Jamais il ne s'était senti plein, accompli. Une pointe d'amertume l'avait toujours accompagné. Derrière chaque passage à l'acte se cachait un échec ou une déception.
Il avait fini par se résigner. Dans un premier temps, il avait opté pour la passivité, se contentant de fantasmer sa vie. Supporter les écueils que lui réservait son quotidien n'était pas une mince affaire, donc pourquoi se risquer à rendre les choses plus compliquées ? Il ne trouvait pas de réponse convaincante, alors il se laissa aller un temps. Mais il se connaissait, il était homme d'action. Il n'aurait pu tolérer cette torpeur indéfiniment. Il avait besoin de mouvement, de se sentir vivant. Il savait aussi que remettre son sort entre ses propres mains lui était impossible. Il en avait déjà fait les frais. Il conservait en mémoire le jour où il avait accepté ce travail d'ingénieur loin de tout pour rejoindre Mia qui, au bout de quelques mois, lui annonça la fin de leur histoire. Ce n'était qu'un exemple, mais que cela concerne des choses insignifiantes ou déterminantes, il semblait toujours emprunter la voie erronée.
Alors un jour dans son bureau, lors de son rituel quotidien à 16h tapantes qui consistait à fumer pendant qu’il savourait un café bien serré – tout droit sorti de sa merveilleuse cafetière italienne, un vrai petit bijou –, l’idée surgit. Il la percevait comme une illumination, cependant il n’aurait su dire s'il l’en était l’initiateur ou si elle provenait d'une lecture ou d'une discussion antérieure. Le fait est que désormais on dirigerait sa vie. Il n'aurait pas recours à un coach spirituel, ni à autre chose de ce genre ! Le charlatanisme de ces escrocs lui donnait la nausée. Il les méprisait profondément, eux et leurs paroles mystiques, leurs formules toutes faites à base d’« aspirations », de « cheminement » et « de sagesse intérieure ». Non, il voulait être dirigé mais de manière subtile, sans se sentir manipuler. Il voulait conserver une marge de manœuvre, que les choses lui soient soufflées, les solutions esquissées. On lui avait toujours dit que la littérature était la vie, il se disait donc que toute situation qu'il traversait avait déjà été vécue par un personnage de roman. C'est ainsi qu'il se laissait dicter sa conduite. Aujourd'hui les prémices de ses agissements s'inspiraient de la page 49, « Étrangement, les cigarettes sont toujours d'autant plus désirables que leur quantité est strictement limitée. »1 Il sentit l'envie irrépressible d'en allumer une, avala une bouffée, regarda son paquet, c'était la dernière.

1 Cinq matins de trop, Kenneth Cooh, Paris, Autrement, 2006, p. 49.

Références culturelles, 556 : Gigantes y cabezudos

En photo : Kukuxumusu (Zaldiko Maldiko).

Gigantes y cabezudos
une idée de Julie

http://es.wikipedia.org/wiki/Gigantes_y_cabezudos

jeudi 19 août 2010

« À la page 49… », par Julie Sanchez

En photo : Dans la marge, par Pimprenelle

Assise sur le sable, Émilie venait de se réveiller. Elle décida de poursuivre la lecture de son livre négligemment posé sur sa serviette encore humide. Elle ôta les grains de sable qui s’étaient glissés entre les pages avant de commencer. En exécutant ce geste pourtant banal, elle se rendit compte que ce livre avait une histoire. Elle l’avait acheté dans une brocante mais n’y avait jamais réellement songé.
Le grain du papier était rugueux mais fin et elle ne put s’empêcher de caresser les pages une fois de plus. Le bruit était lui aussi caractéristique des livres ayant vécu. Les pages crissaient entre ses doigts. Ensuite, elle huma les effluves des feuilles. Cette odeur lui rappelait son enfance, la maison de sa grand-mère et la petite chambre bleue dans laquelle elle passait ses nuits en été.
Ces sensations lui donnaient l’impression d’être liée à ce livre. Comme si elle ne pouvait plus jamais se passer de lui. Une sorte d’amour ou de respect ou bien les deux entremêlés…
Portée par ce sentiment nouveau, elle reprit sa lecture avidement.
Mais, à la page quarante-neuf, elle s’arrêta brusquement. Sur la marge, à droite, un petit symbole avait été dessiné au crayon. Que représentait ce signe ? Elle ne l’avait jamais vu auparavant… On aurait dit une sorte de croix entourée d’arabesques. Et juste en dessous, deux initiales : RJ.
Une multitude de questions se bousculaient dans sa tête. Qui avait bien pu écrire cela ? Et pourquoi ? Que signifiaient ces initiales ? Etaient-ce celles de la personne ayant lu ce livre avant ou bien de deux amoureux ?
Elle parcourut les autres pages, poussée par sa curiosité mais elle ne trouva rien. Aucun autre signe, aucune note, aucun nom…
Ce livre était donc bien mystérieux. Quelle était son histoire et celle de ses précédents propriétaires, Émilie ne le saurait sans doute jamais. Et finalement, cette idée lui plaisait bien.

Références culturelles, 555 : Dulce de leche

En photo : Dulce de Leche, par La Urbanista

Dulce de leche
une idée et une recette de Julie

Le dulce de leche ou Manjar dont voici une recette très simple, si on veut en faire chez nous.
Il suffit de faire chauffer une conserve de lait concentré sucré dans de l'eau frémissante. Pour 400g, compter 2h30, 3h (je le fais dans une casserole). Il faut penser à rajouter de l'eau fréquemment, la boîte doit rester immergée.
Sortir la boîte avec précaution (c'est très chaud) et la mettre au frais. Ne l'ouvrir que lorsqu'elle a complètement refroidi (sinon, il y a risque d'éclaboussures).
C'est prêt !

Et le lien Wikipédia :
http://es.wikipedia.org/wiki/Dulce_de_leche

« À la page 49 », par Alexis Poraszka

En photo : Livres et autres X, par ekwerkwe

La pluie n’avait pas donné de répit à Istanbul depuis plusieurs semaines maintenant. Les couleurs grises du ciel se mêlaient au Bosphore qui avait perdu sa belle teinte bleutée. Il y a cependant une chose qui ne changeait pas, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau le vieux pont de Galata était toujours peuplé de pêcheurs en tout genre venus poser leurs cannes sur la balustrade. Décidée à se réfugier au plus vite dans un endroit à l’abri de la pluie, Suzanne pressa le pas et s’engouffra dans les petites rues du vieux quartier. Elle se précipita dans une petite librairie, s’assit sur la banquette au fond de la salle et demanda du thé. En ôtant ses affaires, elle remarqua le livre oublié sur la table à côté d’elle. Suzanne regarda furtivement à droite et à gauche et, personne ne l’observant, elle saisit le livre et plongea son regard dans la couverture rose. C’était un livre de Elif Shafak, une auteur qu’elle aimait beaucoup. Elle le feuilleta en lisant par moments des passages du romans et s’arrêta à la page 49 où une lettre avait été laissée ; un marque page sûrement. Machinalement elle prit la lettre et, sa curiosité piquée, elle se mit à lire le message. C’était court, deux lignes à peine. Suzanne, qui espérait lire une déclaration d’amour, un souvenir insolite de vacances ou un quelconque témoignage de l’intimité des 15 millions d’âmes peuplant Istanbul, fut gagnée par la déception. Elle remarqua cependant un numéro de téléphone inscrit en post scriptum. Elle mourait d’envie de composer le numéro mais n’osait pas, ne sachant que répondre : « j’ai retrouvé votre livre abandonné » ; ça sonne tellement stupide. Perdue dans ses pensées, elle n’avait même pas remarqué que le serveur lui avait apporté son thé. Il était tiède maintenant. Elle lui fit signe d’en apporter un autre et, quand celui-ci s’approcha, lui tendit le livre en lui disant qu’il avait été oublié. Le serveur montra du doigt un homme au comptoir. Suzanne s’approcha de lui et découvrit un homme d’une quarantaine d’années, les tempes grisonnantes et un petit accent grec. A peine avait-il commencé à parler qu’elle ne portait son attention que sur son élégante apparence. Elle le regarda de la tête aux pieds et lui tendit son livre avec un petit sourire gêné quand il lui proposa un verre. Quand la nuit finit par tomber le déluge n’avait toujours fait de trêve, mais Suzanne n’y prêtait pas attention, elle n’avait d’yeux que pour Giannis souhaitant que la conversation ne s’arrête jamais. Quand ils prirent congé l’un de l’autre, elle remarqua qu’il avait de nouveau oublié son livre. Elle se dit qu’elle pouvait l’appeler… après tout elle avait son numéro de téléphone.

lundi 16 août 2010

Version à rendre pour le 30 août

LOS DE MI BARRIO SE QUEJAN
Lo que te voy a contar en este capítulo de mi vida no se lo cuentes a nadie, porque en este capítulo lloro, y los capítulos en que lloro me dan un poco de vergüenza. Dice mi abuelo que cuando uno tiene tantos libros sobre su vida es normal que de vez en cuando el protagonista (yo, por ejemplo) llore por una terrible desgracia; dice mi abuelo que al lector eso le gusta muchísimo, que el lector se pone a llorar también como si la desgracia fuera suya. Qué lector más raro. Los lectores que yo conozco, que viven todos, por cierto, en Carabanchel Alto, cada vez que el protagonista las pasa canutas se parten el pecho de risa, sobre todo si ese protagonista soy yo. El chulo de mi barrio, Yihad, dice que cuando más le gustan los libros de mi vida es cuando me tropiezo, o cuando mi madre me da una colleja, o cuando él me rompe las gafas. Yihad, además de chulo, es un mentiroso, porque su propia madre me dijo un día:
—No le hagas caso, Manolito; si éste no abre un libro ni aunque salga él.
Al principio, en mi barrio, todos compraron el primer tomo de mi biografía por la novedad y para ver si salían, pero luego dejaron de comprarlos porque se enfadaron bastante, no sólo por cómo los sacaba yo, sino también por cómo los dibujaba Emilio Urberuaga. La sita Asunción vino a clase diciendo que a ella la había sacado como una foca, y a todos nos dio tanta risa que la sita dijo que no quería volver a ver a ningún niño con un libro de los míos entre las manos. Mi vecina la Luisa dijo que tal y como la había sacado ese individuo en los dibujos, parecía que ella tenía lo menos 50 años.
—Pero, Luisa —le dijo mi madre—, es que tú tienes 52.
—¡Sí, pero eso él no lo sabe, y estarás de acuerdo conmigo, Cata, en que yo aparento diez menos de los que tengo! Un artista no hace eso, un artista te saca favorecida, o no te saca, o que saque a su madre.
—Pero qué me vas a contar a mí, Luisa —le dijo mi madre—, si a mí me pinta siempre con una barbilla que parezco un pelícano.
El señor Ezequiel también protestó porque dice que en los dibujos nunca se aprecian las reformas que ha hecho en el bar:
—Y, verdaderamente, tengo El Tropezón en la actualidad que parece un bar de París, pero este señor parece que no se entera.
—¡O que no se quiere enterar! —dijo un cliente que también salió retratado en uno de los libros. Mi padre también se queja, se queja de que siempre lo saca muy gordo:
—¡Y yo nunca he tenido esa tripa, Cata, nunca la he tenido!
La verdad es que no conozco a nadie de mi barrio que esté contento con cómo ha salido en los libros. Miento, hay uno: el Imbécil, que le encanta vacilar con que el dibujante siempre lo saca en las portadas; pero a mi madre no le hace gracia que siempre lo dibujen con el chupete puesto, porque dice que eso es reírle la gracia.
—Estoy yo intentando quitarle al niño la manía del chupete, y el tío me lo tiene que pintar siempre con el chupete.
Digo que al principio la gente compraba los libros en mi barrio, pero dejaron de hacerlo porque decían que no se iban a gastar un dinero en verse gordos y feos y haciendo el ridículo. Asimismo se lo soltaban a mi madre por la calle, y luego ella me decía:
—Hay que ver, Manolito, que me vas a acabar enemistando con todo el mundo.
—Yo no, mamá; es la que escribe los libros, que siempre se queda con lo peor de lo que le cuento.

Elvira Lindo, Manolito Gafotas 6, Yo y el imbécil

« El establo de Eva », une nouvelle de Blasco Ibáñez traduite par les apprentis ou aspirants apprentis traducteurs bordelais

El establo de Eva

Siguiendo con mirada famélica el hervor del arroz en la paella, los segadores de la masía, escuchaban al tío Correchola, un vejete huesudo que enseñaba por la entreabierta camisa un matorral de pelos grises.
Las caras rojas, barnizadas por el sol, brillaban con el reflejo de las llamas del hogar : los cuerpos rezumaban el sudor de la penosa jor­nada, saturando de grosera vitalidad la atmósfera ardiente de la cocina, y a través de la puerta de la masía, bajo un cielo de color violeta en el que comenzaban a brillar las estrellas, veíanse los campos pálidos e indecisos en la penumbra del crepúsculo, unos segados ya, exhalando por las resquebrajaduras de su corteza el calor del día, otros con ondu­lantes mantos de espigas, estremeciéndose bajo los primeros soplos de la brisa nocturna.
El viejo se quejaba del dolor de sus huesos. ¡ Cuánto costaba ga­narse el pan !... Y este mal no tenía remedio : siempre existían pobres y ricos, y el que nace para víctima tiene que resignarse. Ya lo decía su abuela : la culpa era de Eva, de la primera mujer... ¿ De qué no tendrán culpa ellas ?
Y al ver que sus compañeros de trabajo - muchos de los cuales lo conocían poco tiempo - mostraban curiosidad por enterarse de la culpa de Eva, el tío Correchola comenzó a contar, con pintoresco valenciano, la mala partida jugada a los pobres por la primera mujer.
El suceso se remontaba nada menos que a algunos años después de haber sido arrojado del Paraíso el rebelde matrimonio, con la sen­tencia de ganarse el pan trabajando. Adán se pasaba los días destripan­do terrones y temblando por sus cosechas ; Eva arreglaba, en la puerta de su masía, sus zagalejos de hojas..., y cada año un chiquillo más formándose en tomo de ellos un enjambre de bocas que sólo sabían pedir pan, poniendo en un apuro al pobre padre.
De cuando en cuando revoloteaba por allí algún serafin, que venía a dar un vistazo al mundo para contar al Señor cómo andaban las cosas de aquí abajo después del primer pecado.
- ¡ Niño!... ¡ Pequeñín ! - gritaba Eva con la mejor de sus sonrisas -. ¿ Vienes de arriba ? ¿ Cómo está el Señor ? Cuando le hables, dile que estoy arrepentida de mi desobediencia... ¡ Tan ricamente que lo pasá­bamos en el Paraíso !... Dile que trabajamos mucho, y sólo deseamos volver a verle para convencernos de que no nos guarda rencor.
- Se hará como se pide - contestaba el serafín.
Y con dos golpes de ala, visto y no visto, se perdía entre las nubes. Menudeaban los recado s de este género, sin que Eva fuese atendi­da. El Señor permanecía invisible, y según noticias, andaba muy ocu­pado en el arreglo de sus infinitos dominios, que no le dejaban un momento de reposo.
Una mañana, un correveidile celeste se detuvo ante la masía.
- Oye, Eva : si esta tarde hace buen tiempo, es posible que el señor baje a dar una vueltecita. Anoche, hablando con el arcángel Miguel, preguntaba : « ¿ Qué será de aquellos perdidos ? »
Eva quedó como anonadada por tanto honor. Llamó a gritos a Adán, que estaba en un bancal vecino doblando, como siempre, el espinazo. ¡ La que se armó en la casa ! Lo mismo que en víspera de la fiesta del pueblo, cuando las mujeres vuelven de Valencia con sus compras. Eva barrió y regó la entrada de la masía, la cocina y los estu­dis ; puso a la cama la colcha nueva, fregoteó las sillas con jabón y tierra, y entrando en el aseo de las personas, se plantó su mejor saya, endosando a Adán una casaquilla de hojas de higuera que le había arreglado para los domingos.
Ya creía tenerlo todo corriente, cuando le llamó la atención el griterío de su numerosa prole. Eran veinte o treinta..., o Dios sabe cuántos. ¡ Y cuán feos y repugnantes para recibir al Todopoderoso ! El pelo enmarañado, la nariz con costras, los ojos pitarrosos, el cuerpo con escamas de suciedad.
- ¿ Cómo presento esta pillería ? - gritaba Eva -. El Señor dirá que soy una descuidada, una mala madre... ¡ Claro, los hombres no saben lo que es bregar con tanto chiquillo !
Después de muchas dudas, escogió los preferidos ¡ qué madre no los tiene !), lavó los tres más guapitos, y a cachetes llevó hasta el retablo a todo aquel rebaño triste y sarnoso, encerrándolo, a pesar de sus pro­testas.
Ya era hora. Una nube blanquísima y luminosa descendía por el horizonte, y el espacio vibraba con rumor de alas y la melodía de un coro que se perdía en el infinito, repitiendo con mística monotonía:
¡ Hosanna !, ¡ hosanna !... Ya echaban pie a tierra, ya venían por el cami­no, con tal resplandor que parecía que todas las estrellas del cielo ha­bían bajado a pasear por entre los bancales de trigo.
Primero llegó un grupo de arcángeles: el piquete de honor. Envai­naron las espadas de fuego, dirigieron unos cuantos chicoleos a Eva, asegurando que por ella no pasaban años y aún estaba de buen ver, y con marcial franqueza se esparcieron después por los campos, subién­dose a las higueras, mientras Adán maldecía por lo bajo, dando ya por perdida su cosecha.
Después llegó el Señor: las barbas de resplandeciente plata, y en la cabeza un triángulo que deslumbraba como el sol. Tras él, San Miguel y todos los ministros y altos empleados de la corte celestial.
Acogió el Señor a Adán con una sonrisa bondadosa, y a Eva le dió un golpecito en la barba, diciéndole :
- ¡ Hola, buena pieza ! ¿ Ya no eres tan ligera de cascos ?
Emocionados por tanta amabilidad los esposos ofrecieron al Señor una silla de brazos. ¡Qué silla, hijos míos! Ancha, cómoda, de algarro­bo fuerte, y con un asiento de trencilla de esparto del más fino, como la pueda tener el cura del pueblo.
El Señor arrellanado muy a su gusto, se enteraba de los negocios de Adán, de lo mucho que le costaba ganar el sustento de los suyos.
-Bien, muy bien - decía -. Esto te enseñará a no aceptar los consejos de tu mujer. ¿ Creías que todo iba a ser la sopa boba del Paraíso ? Rabia, hijo mío; trabaja y suda; así aprenderás a no atreverte con tus mayores.
Pero el Señor, arrepentido de su rudeza, añadió con tono bondado­so :
- Lo hecho, hecho está, y mi maldición debe cumplirse. Yo sólo tengo una palabra. Pero ya que he entrado en vuestra casa, no quiero irme sin dejar un recuerdo de mi bondad. A ver, Eva : acércame esos chicos.
Los tres arrapiezos formaron en fila frente al Todopoderoso, que los examinó atentamente un buen rato.
- Tú - dijo al primero, un gordiflón muy serio, que le escuchaba con las cejas fruncidas y un dedo en la nariz -, tú serás el encargado de juz­gar a tus semejantes. Fabricarás la ley, dirás lo que es delito, cambian­do cada siglo de opinión, y someterás todos los delincuentes a una misma regla, que es como si a todos los enfermos los curasen con el mismo medicamento.
Después señaló al otro, un morenito vivaracho, siempre con un palo para sacudir a sus hermanos.
- Tú serás un guerrero, un caudillo. Llevarás tras de ti a los hom­bres como el rebaño que marcha al matadero, y, sin embargo, te recla­marán: la gente, al verte cubierto de sangre, te admirará como un semidiós. Si los otros matan, serán criminales ; si tú matas, serás héroe. Inunda de sangre los campos, pasa los pueblos a hierro y fuego, destru­ye, mata, y te cantarán los poetas y escribirán tus hazañas los historia­dores. Los que sin ser tú hagan lo mismo, arrastrarán cadenas.
Reflexionó el Señor un momento, y se dirigió al tercero.
- Tú acapararás las riquezas del mundo, serás comerciante, presta­rás dinero a los reyes, tratándolos como iguales, y si arruinas a todo un pueblo, el mundo entero admirará tu habilidad.
El pobre Adán lloraba de agradecimiento, mientras Eva, inquieta y temblorosa, intentaba decir algo, si decidirse a ello. En su corazón de madre se agitaba el remordimiento ; pensaba en los pobrecitos encerra­dos en el establo que iban a quedar excluídos del reparto de mercedes.
- Voy a enseñárselos -decía por lo bajo a su marido.
Y éste, tímido siempre, se oponía murmurando :
- Sería demasiado atrevimiento. Se enfadará el Señor.
Justamente, el arcángel Miguel, que había venido de mala gana a la casa de aquellos réprobos, daba prisas a su Amo.
- Señor, que es tarde.
El Señor se levantó ; la escolta de arcángeles, bajando de los árbo­les, acudió corriendo para presentar armas a la salida.
Eva, impulsada por su remordimiento, corrió al establo, abriendo la puerta.
- Señor, que aún quedan más. Algo para estos pobrecitos.
El Todopoderoso miró con extrañeza aquella caterva sucia y asquerosa que se agitaba en el estiércol como un motón de gusanos.
- Nada me queda que dar – dijo -. Sus hermanos se lo han llevado todo. Ya pensaré, mujer ; ya veremos más adelante.
San Miguel empujaba a Eva para que no importunase mas al Amo; pero ella seguía suplicando :
- Algo, Señor ; dadles cualquier cosa. ¿ Qué van a hacer estos pobres en el mundo ?
El Señor deseaba irse, y salió de la masía.
- Ya tienen destino –dijo a la madre. Estos se encargarían de servir y mantener a otros.
- Y de aquellos infelices – terminó el viejo segador -, que nuestra primera madre ocultó en el establo, descendemos nosotros que vivimos sobre la tierra.

Vicente Blasco Ibañez

***

Vanessa nous propose sa traduction :

L'étable d'Ève


Suivant de leurs yeux affamés l'ébullition du riz dans la paëlla, les moissonneurs de la ferme valencienne écoutaient le père Correchola, un petit vieux osseux dont la chemise entrouverte dévoilait une toison grise en broussaille.
Les reflets des flammes du foyer faisaient briller les visages rouges, vernis par le soleil : la sueur d'une journée de peines perlait sur les corps, saturant d'une vitalité brute l'atmosphère ardente de la cuisine. À travers la porte de la ferme, sous un ciel pourpre dans lequel les étoiles commençaient à briller, on voyait les champs pâles et indiscernables dans la pénombre du crépuscule ; certains, déjà fauchés, exhalant la chaleur du jour par les brèches de leur écorce béante, d'autres, aux ondulants manteaux d'épis, frémissant sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieillard se plaignait de la douleur de ses os. Combien d'efforts pour gagner son pain !... Et ce mal n'avait pas de remède : il existerait toujours des riches et des pauvres, et celui qui naissait du côté des victimes n'avait qu'à se résigner. Sa grand-mère le disait déjà : c'était la faute d'Ève, de la première femme... Y a-t-il une chose dont les femmes ne soient pas coupables ?
Beaucoup de ses camarades de travail ne le connaissaient que depuis peu, et, voyant qu'ils étaient curieux de comprendre en quoi Ève avait fauté, le père Correchola commença à raconter, dans un valencien pittoresque, le mauvais tour que la première femme avait joué aux pauvres hommes.
Les faits remontaient à bien longtemps, rien de moins que quelques années après que le ménage eut été chassé du Paradis, condamné à gagner son pain à la sueur de son front. Adam passait ses journées à briser les mottes de terre, et à trembler pour ses récoltes ; Ève, à la porte de sa ferme, arrangeait ses jupons de feuilles... Chaque année venait au monde un bambin de plus, et autour du couple se formait un essaim de bouches qui ne savaient réclamer que du pain, causant bien du souci au pauvre père.
De temps en temps voletait dans les parages quelque chérubin, venu jeter un coup d'œil au monde pour raconter ensuite au Seigneur comment allaient les choses ici-bas depuis le premier péché.
— Petit !... Mon tout petit ! – criait Ève, affichant son plus beau sourire. – Tu viens de là-haut ? Comment va le Seigneur ? Quand tu lui parleras, dis-lui que je me repens de ma désobéissance... Ah ! Combien la vie était belle au Paradis !... Dis-lui que nous travaillons beaucoup, et que nous désirons seulement le rencontrer à nouveau, pour nous convaincre qu'il ne nous garde pas rancune. — Ce que vous demandez sera fait – répondait le chérubin.
Et en deux coups d'ailes, vif comme l'éclair, il se perdait entre les nuages. Les pétitions de ce genre se répétaient, mais Ève ne recevait aucune réponse. Le Seigneur demeurait invisible, et, aux dernières nouvelles, il était très occupé à l'agencement de ses infinis domaines, qui ne lui laissaient pas un instant de repos.
Un matin, un messager céleste vint s'arrêter devant la ferme.
— Écoute, Ève : s'il fait beau temps cet après-midi, il est possible que le seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en discutant avec l'archange Michel, il a dit : « Je me demande ce qu'ils deviennent, ces fripons-là. »
Ève se trouva tout étourdie par tant d'honneur. Elle appela à grands cris Adam, qui était dans un champ voisin, courbant l'échine comme toujours. Quel chambardement cela produisit dans la maison ! Exactement comme à la veille de la fête du village, quand les femmes rentrent de Valence avec leurs courses. Ève arrosa et balaya l'entrée, la cuisine, et les chambres. Elle mit un nouveau couvre-lit, elle frotta les chaises avec du savon et de la terre, et, entrant dans le vestiaire, elle revêtit sa plus belle jupe, endossant à Adam un casaquin de feuilles de figuier qu'elle lui avait confectionné pour le dimanche.
Elle pensait avoir tout réglé, lorsque le vacarme de son abondante progéniture retint son attention. Ils étaient vingt, ou trente..., ou Dieu seul sait combien. Et ô combien laids et répugnants pour recevoir le Tout-Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez plein de croûtes, les yeux chassieux, le corps recouvert d'écailles de crasses.
— Comment puis-je présenter cette bande de canailles ? – criait Ève. - Le Seigneur dira que je suis négligée, que je suis une mauvaise mère... Naturellement, les hommes ne savent pas ce que c'est que de se démener avec une marmaille pareille !
Après avoir longuement douté, elle choisit ses préférés (quelle mère n'en a pas !), elle lava les trois plus bien faits, et, à coups de gifles, elle mena à l'étable le reste de ce troupeau galeux et triste, et les enferma malgré leurs protestations.
L'heure était venue. Une nuée excessivement blanche et lumineuse descendait à l'horizon, et dans l'espace résonnaient le bruit des ailes et la mélodie d'un chœur qui se perdait dans l'infini, répétant dans une mystique monotonie :
Hosanna !, hosanna !... Déjà ils posaient pied à terre, déjà ils avançaient sur le chemin, avec tant de splendeur qu'il semblait que toutes les étoiles du ciel étaient descendues se promener parmi les champs de blé.
Tout d'abord arriva un groupe d'archanges : c'était le piquet d'honneur. Ils engainèrent leurs épées de feu, adressèrent quelques compliments à Ève, lui assurant que les années ne passaient pas pour elle, qu'elle avait toujours belle allure, et avec une franchise toute militaire ils se dispersèrent ensuite dans les champs, se nichant dans les figuiers, tandis qu'Adam maugréait dans sa barbe, pensant sa récolte perdue.
Par la suite arriva le Seigneur : il portait une barbe d'un argent resplendissant, et sur la tête un triangle éblouissant comme le soleil. Derrière lui, venaient Saint Michel et tous les ministres et les hauts employés de la cour céleste.
Le Seigneur accueillit Adam avec un sourire bienveillant, et donna à Ève un petit coup sur le menton, en lui disant :
— Bonjour, petite futée ! Alors tu as enfin du plomb dans la cervelle ?
Émus par tant d'amabilité, les époux offrirent au Seigneur une chaise à bras. Et quelle chaise, mes enfants ! Large, confortable, faite de caroubier fort, et à l'assise tressée du sparte le plus fin, comme seul pourrait l'avoir le curé du village.
Le Seigneur, installé fort à son aise, s'informait des affaires d'Adam, et des difficultés qu'il avait à rapporter du pain pour les siens.
— Bien, très bien – disait-il-. Ceci t'apprendra à ne pas suivre les conseils de ta femme. Croyais-tu continuer à vivre en fainéant, comme au Paradis ? Rage, mon garçon ; travaille et sue ; ainsi tu apprendras à ne pas manquer de respect à tes aînés.
Mais le Seigneur, regrettant sa sévérité, ajouta d'un ton bienveillant :
— Ce qui est fait, est fait, et ma malédiction doit s'accomplir. Je n'ai qu'une parole. Mais puisque je suis ici, je ne veux m'en aller sans vous laisser un souvenir de ma bonté. Voyons, Ève : montre-moi ces petits.
Les trois gamins se placèrent à la file devant le Tout-Puissant, qui les examina attentivement durant un bon moment.
— Toi – dit-il au premier, un grassouillet très sérieux qui l'écoutait les sourcils froncés et un doigt dans le nez, – toi tu seras chargé de juger tes semblables. Tu fabriqueras la loi, tu diras ce qui est interdit, changeant d'opinion chaque siècle, et tu soumettras tous les délinquants à une même règle, ce qui reviendrait à traiter tous les malades avec le même remède.
Puis il désigna l'autre, un petit brun vif, toujours un bâton à la main pour frapper ses frères.
— Toi tu seras un guerrier, un chef. Tu mèneras les hommes derrière toi comme le troupeau est mené à l'abattoir, et, pourtant, on te réclamera : les gens, te voyant couvert de sang, t'admireront comme un demi-dieu. Si les autres tuent, ce seront des criminels ; si toi tu le fais, tu seras un héros. Inonde de sang les champs, réduit à néant les villages, détruit, tue, les poètes te chanteront, et les historiens écriront tes exploits. Ceux qui feront de même sans toutefois être toi, traîneront des chaînes.
Le Seigneur réfléchit un moment, et s'adressa au troisième.
— Toi tu accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l'argent aux rois en les traitant comme tes pairs, et si tu ruines tout un peuple, le monde entier admirera ton habileté.
Le pauvre Adam pleurait de gratitude, tandis qu'Ève, inquiète et tremblante, était tentée d'intervenir, sans toutefois s'y décider. Le remords agitait son cœur de mère ; elle pensait aux pauvres petits enfermés dans l'étable qui allaient être exclus de la distribution des grâces.
— Je vais les lui montrer – disait-elle tout bas à son mari.
Et celui-ci, toujours timoré, s'opposait en murmurant :
— Ce serait beaucoup trop risqué. Le Seigneur se fâcherait sans doute.
Justement, l'archange Michel, qui était descendu à contre-cœur chez ces réprouvés, pressait son Maître.
— Seigneur, il se fait tard.
Le Seigneur se leva ; l'escorte d'archanges, descendant des arbres, vint en courant pour présenter les armes à la sortie.
Ève, poussée par le remords, courut à l'étable et en ouvrit la porte.
— Seigneur, c'est qu'il en reste encore. Quelque chose pour ces pauvres petits.
Le Tout-Puissant regarda avec étonnement cette flopée sale et écœurante qui s'agitait dans le fumier comme un tas d'asticots.
— Il ne me reste rien à donner – dit-il. Leurs frères ont tout pris. J'y penserai, femme ; nous verrons cela plus tard.
Saint Michel repoussait Ève, pour qu'elle n'importune plus le Maître ; mais celle-ci continuait à implorer :
— Quelque chose, Seigneur ; donnez leur n'importe quoi. Que vont faire ces pauvres-là sur la Terre ?
Le Seigneur voulait s'en aller, et il sortit de la ferme.
— Leur destin est déjà tracé – dit-il à la mère.
Ceux-là se chargeraient de servir et d'entretenir les autres.
— Et c'est de ces pauvres malheureux – termina le vieux moissonneur-, que notre première mère cacha dans l'étable, que nous descendons, nous qui vivons sur la Terre.

***

Julie nous propose sa traduction :

L’étable d’Ève.

Tout en observant d’un regard famélique le riz bouillonner dans le plat à paëlla, les moissonneurs de la ferme écoutaient le père Correchola, un petit vieux squelettique qui exhibait, par sa chemise entrouverte, un buisson de poils gris.
Les visages rouges, tannés par le soleil, brillaient de par le reflet des flammes du foyer : les corps laissaient perler la sueur de la pénible journée, saturant l’atmosphère ardente de la cuisine d’une vitalité grossière. Par la porte de la ferme, sous un ciel aux tons violets dans lequel commençaient à briller les étoiles, on apercevait les champs pâles et imprécis dans la pénombre du crépuscule : certains ayant déjà été fauchés, exhalant la chaleur du jour à travers les sillons de leur surface, d’autres vêtus de capes d’épis ondulantes, frémissant sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieux se plaignait de la douleur que lui causaient ses os. Gagner son pain n’était pas chose facile !… Et ce mal était sans remède : il y avait toujours des pauvres et des riches, et celui qui naît dans le but d’être une victime doit se résigner.
Sa grand-mère le disait jadis : c’était de la faute d’Ève, de la toute première femme… D’ailleurs, de quoi celles-ci ne sont-elles pas coupables ?
Comme il remarquait que ses compagnons de travail -dont un grand nombre le connaissaient depuis peu de temps- étaient curieux d’apprendre quelle était la faute d’Ève, le père Correchola se mit à raconter, en valencien pittoresque, le mauvais tour qu’avait joué la toute première femme aux pauvres.
Les faits remontaient à pas moins de quelques années après que le couple rebelle a été expulsé hors du Paradis, avec le châtiment de gagner son pain en travaillant. Adam passait ses journées à émotter les terres et à trembler pour ses récoltes ; Ève rapiéçait leurs jupons de feuilles, sur le perron de la ferme…, et chaque année un rejeton de plus formait parmi eux un essaim de bouches qui savaient uniquement quémander du pain, faisant se presser leur pauvre père.
De temps à autre, voletait dans les parages un séraphin qui venait jeter un coup d’œil sur le monde pour rapporter au Seigneur comment se déroulaient les choses d’ici-bas après le premier péché.
« Mon enfant !... Mon petit ! -s’écriait Ève avec son plus beau sourire-. Tu viens d’en haut ? Comment se porte le Seigneur ? Quand tu lui parleras, dis-lui que je me suis repentie de ma désobéissance… Nous nous sentions si bien au Paradis !... Dis-lui que nous travaillons énormément, et que nous désirons seulement le revoir pour être convaincus qu’il ne nous en veut plus.
— Vos désirs sont des ordres » -répondait le séraphin.
Et de deux coups d’ailes, en un éclair, il disparaissait dans les nuages. Les commissions de ce genre avaient fréquemment lieu, sans qu’Ève ne s’en rendît compte. Le Seigneur restait invisible, et selon les dires, il était très occupé à mettre la dernière main sur ses infinis domaines, qui ne lui laissaient pas un moment de répit.
Un matin, un rapporteur céleste s’arrêta devant la ferme.
— « Écoute Ève : si cet après-midi il fait beau temps, il est possible que le Seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en discutant avec l’archange Michel, il demandait : « Qu’en est-il de ces égarés ? »
Ève fut abasourdie par tant d’honneur. Elle appela à grands cris Adam qui était, comme toujours, en train de courber l’échine dans une parcelle voisine. Avec quelle ardeur elle s’affaira dans la maison ! Tout comme à la veille de la fête du village, lorsque les femmes reviennent de Valence avec leurs achats. Ève balaya et lessiva l’entrée de la ferme, la cuisine et les chambres ; elle mit la courtepointe neuve sur le lit et elle briqua les chaises avec du savon et de la terre. En ce qui concerne la toilette des gens, elle se para de son plus beau jupon, puis fit endosser à Adam un casaquin en feuilles de figuier qu’elle lui avait confectionné pour le dimanche.
Elle pensait déjà avoir tout terminé, quand les piaillements de sa nombreuse progéniture attirèrent son attention. Ils étaient vingt ou trente..., ou Dieu sait combien. Et ils étaient si laids et répugnants pour recevoir le Tout-Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez plein de croûtes, les yeux chassieux et le corps couvert de plaques de saleté.
« Comment vais-je présenter cette bande de coquins ? –criait Ève- Le Seigneur va dire que je suis négligente, une mauvaise mère… Bien sûr, les hommes ne savent pas ce que c’est que de se démener avec tant d’enfants ! »
Après avoir beaucoup douté, son choix se porta sur ses préférés (Quelle mère n’en a pas !) : elle lava les trois plus mignons et, en les tirant par les joues, elle emmena toute cette troupe triste et galeuse jusqu’au retable, l’enfermant, malgré leurs récriminations.
C’était déjà l’heure. Un nuage infiniment blanc et lumineux descendait à l’horizon, l’espace vibrait avec la rumeur des ailes et la mélodie d’un chœur qui se perdait dans l’infini, en répétant d’une monotonie mystique:
Hosanna ! Hosanna !... Déjà ils mettaient pied à terre, déjà ils arrivaient par le chemin, avec un tel éclat qu’on eût dit que toutes les étoiles du ciel étaient venues se balader parmi les parcelles de blé.
Un groupe d’archanges arriva d’abord : le piquet d’honneur. Ils rengainèrent leurs épées de feu, couvrirent Ève de compliments en lui assurant que les années ne la marquaient pas et qu’elle avait encore belle allure. D’une simplicité martiale, ils se dispersèrent ensuite à travers champs, se perchant sur les figuiers, alors qu’Adam pestait tout bas, faisant déjà le deuil de sa récolte.
Puis le Seigneur arriva : la barbe d’un argent étincelant, avec sur sa tête un triangle qui rayonnait comme le soleil. Derrière lui, Saint Michel et tous les ministres et hauts fonctionnaires de la Cour céleste.
Le Seigneur accueillit Adam avec un sourire affectueux, et il donna une chiquenaude sur le menton d’Ève, en lui disant :
« Salut, sacré numéro ! Tu as retrouvé tes esprits ? »
Émus par tant d’amabilité les époux offrirent au Seigneur une chaise à bras. Et quelle chaise, mes enfants ! Large, confortable, en caroubier solide et avec une assise ornée de soutache du sparte le plus fin, comme peut en posséder le curé du village.
Le Seigneur installé bien à son aise, s’informait des affaires d’Adam, de tout ce que cela lui coûtait de subvenir aux besoins des siens.
« Bien, très bien -disait-il-. Ceci t’enseignera à ne pas suivre les conseils de ta femme. Tu pensais que tout allait t’être servi sur un plateau comme au Paradis ? Enrage, mon fils ; travaille et sue : ainsi tu apprendras à ne pas t’enhardir auprès de tes aînés.
Mais le Seigneur, regrettant sa rudesse, ajouta d’un ton prévenant :
« Ce qui est fait est fait, et ma malédiction doit s’accomplir. Je n’ai qu’une seule parole. Mais maintenant que je suis entré chez vous, je ne veux pas m’en aller sans laisser un souvenir de ma bonté. Tiens, Ève : approche-moi ces enfants.
Les trois pauvres diables se mirent en file indienne face au Tout-Puissant, qui les examina attentivement durant un bon moment.
« Toi -dit-il au premier, un grassouillet très sérieux qui l’écoutait avec les sourcils froncés et un doigt dans le nez-, tu seras chargé de juger tes semblables. Tu feras la loi, tu définiras ce qu’est un délit, en changeant d’opinion tous les siècles, et tu soumettras tous les délinquants à une même règle, comme si on soignait tous les malades avec le même médicament. »
Après il désigna l’autre, un petit brun espiègle, toujours muni d’un bâton pour battre ses frères.
« Toi tu seras un guerrier, un chef. Tu mèneras derrière toi les hommes tel le troupeau qui marche vers l’abattoir, et, malgré tout, ils te réclameront : les gens, en te voyant couvert de sang, t’admireront comme un demi-dieu. Si les autres tuent, ils seront des criminels ; si tu tues, tu seras un héros.
Inonde les champs de sang, mets les villages à feu et à sang, détruit, tue, ainsi les poètes te célèbreront et les historiens écriront tes exploits. Ceux qui sans être toi feront de même, traîneront des chaînes.
Le Seigneur réfléchit un temps, et s’adressa au troisième.
« Toi tu accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant. Tu prêteras de l’argent aux rois, en les traitant d’égal à égal, et si tu ruines tout un peuple, le monde entier admirera ton habileté. »
Le pauvre Adam pleurait de reconnaissance, alors qu’Ève, inquiète et tremblante, essayait de dire quelque chose, sans se décider à le faire. Le remords s’agitait dans son cœur de mère ; elle songeait aux pauvres petits enfermés dans l’étable qui allaient être exclus de la répartition des faveurs.
« Je vais les lui montrer -disait-elle à voix basse à son mari.
Et celui-ci, toujours timide, s’opposait en murmurant :
— Ce serait trop audacieux. Le Seigneur pourrait se fâcher. »
Justement, l’archange Michel, qui était venu à contrecœur au domicile de ces réprouvés, hâtait son maître.
« Seigneur, il se fait tard. »
Le Seigneur se leva ; l’escorte d’archanges, descendant des arbres, arriva à toute allure pour présenter les armes à la sortie.
Ève, guidée par son remords, courut vers l’étable dont elle ouvrit la porte.
« Seigneur, c’est qu’il y en a d’autres. Un geste pour ces pauvres petits. »
Le Tout-Puissant regarda avec perplexité cette flopée sale et repoussante qui s’agitait dans le fumier comme un tas de vers.
« Il ne me reste plus rien à offrir -dit-il-. Vos frères ont tout pris. J’y penserai, femme ; nous verrons cela plus tard. »
Saint Michel poussait Ève afin qu’elle n’importunât plus le Maître ; mais elle continuait à supplier :
« Quelque chose, Seigneur ; donnez-leur n’importe quoi. Que vont faire ces misérables dans le monde ?
Le Seigneur désirait partir, et il sortit de la ferme.
— Ils ont déjà un destin – dit-il à la mère. Ceux-ci pourraient se charger de servir et d’en nourrir d’autres. »
« Et c’est de ces malheureux – termina le vieux moissonneur – , que notre première mère cacha dans l’étable, que nous sommes issus nous qui vivons sur la terre.

***

Alexis nous propose sa traduction :

L'étable d'Eva.

Tout en suivant d’un regard affamé le bouillonnement du riz dans la paëlla, les faucheurs de la ferme écoutaient le vieux Correchola, un petit vieux osseux que laissait entrevoir par la chemise entrouverte un buisson de poils gris. Les visages rouges, vernis par le soleil, brillaient avec le reflet des flammes du foyer : les corps suintaient la sueur de la pénible journée, saturant d'une vitalité grossière l'atmosphère ardente de la cuisine, et à travers la porte de la ferme, sous un ciel de couleur violette où commençaient à briller les étoiles, on voyaient les champs pâles et indécis dans le pénombre du crépuscule, certains déjà fauchés, exhalant par le fendillement de leur écorce la chaleur de la journée, d'autres avec des traînes d'épis ondulantes, frémissant sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieux se plaignait de la douleur de ses os. Que ne fallait-il pas faire pour gagner sa croûte !... Et ce mal n'avait pas de remède : il a toujours existé des pauvres et des riches, et celui qui naît dans le rôle de la victime doit se résigner. Sa grand mère le disait déjà : la faute en incombait à Eve, à la première femme... De quoi ne sont-elles pas coupables ? Et en voyant que ses compagnons de travail - dont beaucoup d'entre eux le connaissaient depuis peu - montraient de la curiosité pour en savoir davantage sur la faute d’Eve, le vieux Correchola commença à raconter, dans un valencien pittoresque, le mauvais coup fait aux pauvres par la première femme.
L'histoire ne remontait pas plus tard que quelques années après l'exclusion du Paradis du couple rebelle, avec la punition de gagner son pain en travaillant. Adam passait ses journées à émotter et trembler pour ses récoltes ; Eve arrangeait, sur le seuil de la ferme, ses jupons de feuilles..., et chaque année un autre gamin venait s'ajouter à l'essaim de bouches qui ne savaient réclamer que du pain, mettant le pauvre papa dans l'embarras.
De temps en temps voltigeait par là un chérubin venant jeter un coup d'œil au monde pour conter au Seigneur comment allaient les choses ici-bas après le premier péché.
— Petit ! Mon Cher Petit !, criait Eve avec son plus beau sourire.
— Viens-tu de là-haut ? Comment va le Seigneur ? Quand tu lui parleras, dis-Lui que je me repens de ma désobéissance... Nous vivions tellement bien au Paradis !... Dis-Lui que nous travaillons beaucoup, et que nous souhaitons juste le revoir pour nous assurer qu'il ne garde pas de rancœur à notre égard.
— Il en sera fait comme vous le demandez, répondit le chérubin.
Et en deux coups d'aile, ni vu ni connu, il se fondait entre les nuages. Les messages de ce type abondaient, sans que la requête d'Eve ne soit satisfaite. Le Seigneur restait invisible, et sans nouvelle, il était fort occupé dans le règlement de ses infinis domaines, ce qui ne lui laissait pas un moment de repos. Un matin, un rapporteur céleste s'arrêta devant la ferme.
— Hé, Eve ! Si ce soir le temps est agréable, il est possible que le Seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en parlant avec l'archange Michel, il a demandé « Que deviennent de ces perdus ? ».
Eve resta comme atterrée par tant d'honneur. Elle appela Adam à cor et à cris, lequel courbait l'échine, comme toujours, dans un champ voisin. Quel remue ménage dans la maison ! Semblable à la veille de la fête du village, quand les femmes reviennent de Valence avec leurs achats. Eve balaya et arrosa l'entrée de la ferme, la cuisine et le reste de la maison, sortit le nouveau couvre-lit, frotta rapidement les chaises avec du savon et de la terre, et en arrivant à l'hygiène personnelle, elle se para de sa plus belle jupe, faisant endosser à Adam une blouse de feuilles de figuier qu'elle lui avait préparé pour les dimanches. Elle pensait avoir tout fait au mieux quand les cris de sa nombreuse progéniture attirèrent son attention. Ils étaient vingt ou trente... ou seul Dieu sait combien. Et tellement laids et répugnants pour recevoir le Tout Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez croûté, le coin des yeux emplis de chassie, le corps écaillé par la saleté.
— Comment puis-je présenter cette bande de coquins ? criait Eve. Le Seigneur dira sûrement que je ne suis pas attentionnée, que je suis une mauvaise mère... Il est sûr que les hommes ne savent pas ce que c'est que de se mettre en quatre avec autant de gamins ! Après de nombreux doutes, elle choisit ses préférés (quelle mère n'en a pas !), lava les trois plus beau, et à coups de gifles emmena jusqu'au retable ce troupeau triste et galeux, l'y enferma, malgré leurs protestations.
C'était l'heure. Un nuée blanchissime et lumineuse descendait sur l'horizon, et l'espace vibrait avec des bruits d'ailes et la mélodie d'un chœur qui se perdait dans l'infini, répétant avec une mystique monotonie : Hosana ! hosana !... Ils posaient pied à terre, ils venaient sur le chemin, avec un tel éclat qu'il semblait que toutes les étoiles du ciel étaient descendues se promener au milieu des champs de blé. En premier arriva un groupe d'archanges : le peloton d'honneur. Ils rengainèrent les épées de feu, adressèrent quelques compliments à Eve, s'assurant que les années n'ont pas d'impact sur elle et qu'elle a toujours bonne allure, puis s'éparpillèrent ensuite avec une franchise martiale à travers les champs, remontant les figuiers, alors qu'Adam maudissait à voix basse, considérant désormais sa récolte perdue.
Ensuite arriva le Seigneur : la barbe d'une couleur argentée resplendissante, et sur la tête un triangle qui brillait comme le soleil. Derrière lui, Saint Michel et tous les ministres et hauts fonctionnaires de la cour céleste.
Le Seigneur accueillit Adam avec un gentil sourire, et donne à Eve un petit coup dans le menton lui disant :
— Salut, beau morceau ! As-tu toujours une cervelle d'oiseau ?
Emus par tant d'amabilité, les époux offrirent au Seigneur une chaise de bras. Quelle chaise mes enfants ! Large, confortable, d'un bois fort, et avec une siège de galon de Sparte des plus fins, comme celle que pourrait avoir le curé du village. Le Seigneur assis à son aise, s'informa sur les affaires d'Adam, de tout ce que lui coutait que de gagner de quoi faire vivre les siens.
— Bien, très bien, disait-il. Cela te montrera qu'il ne faut pas suivre les conseils de ta femme.

Croyais-tu vraiment que tout allait être aussi bien qu'au Paradis ? Rage, mon fils; travaille et sue, tu apprendras ainsi qu'il ne faut pas manquer de respect aux grandes personnes. Mais le Seigneur, repenti de sa rudesse, ajouta d'un ton gentil :
— Ce qui est fait est fait, et ma malédiction doit s'appliquer. Je n'ai qu'une parole. Mais vu que je suis entré dans votre maison, je ne veux pas m'en aller sans y laisser un souvenir de ma bonté. Voyons, Eva : fais donc s'approcher ces enfants.
Les trois mioches formèrent une file devant le Tout Puissant, lequel les examina attentivement pendant un bon moment.
— Toi, - dit-il au premier, un rondouillet très sérieux qui l'écoutait avec les sourcils froncés et un doigt dans le né -, tu seras chargé de juger tes semblables. Tu fabriqueras la loi, diras ce qui est un délit, changeant d'opinion tous les siècles, et tu soumettras tous les délinquants à une même règle, comme si on soignait tous les malades avec le même médicament. Ensuite il s'adressa à l'autre, un bronzé pétulant, toujours avec un bâton pour battre ses frères.
— Toi tu seras un guerrier, un capitaine. Tu traîneras derrière toi les hommes tel le troupeau qui marche vers l'abattoir, et, cependant, ils te réclameront : les gens, te voyant couvert de sang, t'admireront comme un demi dieu. Si les autres tuent, ce seront des criminels; si toi tu tues, tu seras un héros. Inonde de sang les champs, mets les villages à feu et à sang, détruit, tue, et les poètes de chanteront et les historiens écriront tes exploits. Ceux qui feront de même sans être toi devront traîner des chaînes. Le Seigneur réfléchit un instant et s'adressa au troisième.
— Toi, tu accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l'argent aux rois, les traitant d'égal à égal, et si tu ruines tout un peuple, le monde entier admirera ton habilité.
Le pauvre Adam pleurait de gratitude, alors qu'Eve, inquiète et tremblante, essayait de dire quelque chose, sans grande conviction. Dans son cœur de mère s'agitait le remord ; elle pensait aux pauvres petits enfermés dans l'étable qui allaient être exclus de la distribution des grâces.
— Je vais les lui montrer - disait-elle à voix basse à son mari.
Ce dernier, toujours timide, s'y opposait en murmurant :
— Cela serait trop d'audace. Le Seigneur pourrait se fâcher.
Justement, l'archange Michel, qui était venu contre son gré à la maison de ces réprouvés, pressait son Maître.
— Seigneur, il se fait tard.
Le Seigneur se leva ; l'escorte d'archanges, descendant des arbres, arriva en courant pour présenter les armes à la sortie. Eve, poussée par son remord, couru à l'étable et ouvrit la porte.
— Seigneur, il y en a d'autres. Quelque chose pour pauvres petits.
Le Tout Puissant regarda avec étonnement cette flopée sale et dégoûtante qui s'agitait dans le fumier comme des vers.
— Je n'ai plus rien à donner - dit-il. Leurs frères ont tout pris. J'y penserai, femme ; on verra ça plus tard.
Saint Michel empoigna Eva pour l'empêcher d'importuner plus le Maître ; mais elle continua de supplier :
— Quelque chose, Seigneur, donnez-leur quelque chose. Que vont faire ces pauvres petits dans le monde ?
Le Seigneur souhaitait s'en aller, et il sortit de la ferme.
— Leur destin est déjà tracé - dit-il à la mère. Ceux-ci se chargeront de servir et de subvenir aux autres.
— Et de ces pauvres malheureux - termina le vieux faucheur -, que notre première mère cacha dans l'étable, nous en sommes les descendants, nous qui vivons sur la terre.

***

Auréba nous propose sa traduction :

L’étable d’Ève :
En suivant avec un regard famélique l’ébullition du riz dans la paella, les faucheurs de la ferme, écoutaient l’oncle «Correchola», un petit vieux osseux qui montrait à travers sa chemise entrouverte un buisson de poils gris. Les visages rouges, vernis par le soleil, brillaient avec le reflet des flammes du foyer : les corps laissaient s’écouler la sueur de la pénible journée, saturant de grossière vitalité l’atmosphère ardente de la cuisine, et à travers la porte de la ferme, sous un ciel violet dans lequel commençaient à briller les étoiles, on voyait les champs pâles et indécis dans la pénombre du crépuscule, certains déjà fauchés, exhalant par les fissures de leur écorce la chaleur du jour, d’autres avec des manteaux ondulants d’épis, frissonnant sous les premiers souffles de la brise nocturne. Le vieux se plaignait de la douleur de ses os. Comme il était dur de gagner son pain ! Et ce mal était sans remède il existait toujours des pauvres et des riches, et celui qui nait pour être victime doit se résigner. Sa grand-mère le disait déjà : c’était la faute d’Ève, de la première femme…De quoi ne sont-elles pas coupables, elles ? Et en voyant que ses collègues de travail – dont beaucoup le connaissaient depuis peu de temps – montraient de la curiosité pour s’informer de la faute d’Ève, l’oncle «Correchola» commença à raconter, dans un valencien pittoresque, le mauvais coup joué aux pauvres par la première femme.
L’évènement remontait à pas moins de quelques années après que le couple rebelle ait été jeté du Paradis, avec la sentence de gagner son pain en travaillant ; Adam passait ses journées à émotter et à trembler pour ses récoltes, Ève arrangeait, à la porte de sa ferme, ses jupons de paysanne en feuilles…, et chaque année, un petit de plus, se formant autour d’eux un essaim de bouches qui ne savaient que demander du pain, mettant le pauvre père dans l’embarras.
De temps en temps voltigeait par là un séraphin, qui venait jeter un coup d’œil au monde pour raconter au Seigneur comment ça allait ici bas après le premier péché.
— Petit !...Tout petit ! – criait Ève avec son plus beau sourire_ Tu viens d’en haut ? Comment va le Seigneur ? Quand tu lui parleras, dis-lui que je suis repentie de ma désobéissance…On était tellement bien au paradis ! Dis-lui que nous travaillons beaucoup, et nous voulons juste le revoir pour nous convaincre du fait qu’il ne nous garde pas rancune.
— On fera comme vous le demandez – répondait le séraphin. Et avec deux battements d’ailes, ni vu ni connu, il se perdait dans les nuages. Les messages de ce genre abondaient, sans que l’on ne s’occupe d’Eve.
Le Seigneur restait invisible, et selon certaines nouvelles, il était très occupé par l’arrangement de ses infinis domaines, qui ne lui laissaient pas un moment de repos. Un matin, un rapporteur céleste s’arrêta devant la ferme :
— Dis, Ève : si cet après-midi il fait bon, il est possible que le seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en parlant avec l’archange Michel, il demandait : Que sont devenus ces vauriens ? »
Ève resta comme stupéfaite par tant d’honneur. En poussant des cris, elle appela Adam, qui était sur un carré voisin à courber, comme toujours, l’échine. Le remue-ménage qu’il y eut à la maison ! Pareil qu’à la veille de la fête du village, quand les femmes reviennent de Valence avec leurs achats. Ève balaya et arrosa l’entrée de la ferme, la cuisine et les ateliers ; et elle mit le nouveau couvre-lit, elle frotta les chaises avec du savon et de la terre, et en entrant dans les toilettes des personnes, elle mit sa plus belle jupe, en faisant endosser à Adam une petite casaque en feuilles de figuier qu’elle lui avait arrangée pour les dimanches. Elle pensait que tout était déjà prêt, quand la criaillerie de sa nombreuse progéniture attira son attention. Ils étaient vingt ou trente, ou Dieu sait combien. Et qu’est-ce qu’ils étaient moches et répugnants pour recevoir le Tout Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez avec des croûtes, les yeux chassieux, le corps avec des squames de saleté. Comment est-ce que je présente cette bande de canailles ? – criait Ève : Le Seigneur va dire que je suis une insouciante, une mauvaise mère.
Bien sûr, les hommes ne savent pas ce que c’est de trimer avec tant de petits !
Après de nombreuses hésitations, elle choisit ses chouchous. Quelle mère n’en a pas ! Elle lava les trois plus beaux, et en donnant des gifles, elle emmena jusqu’à l’étable tout ce troupeau triste et galeux, en l’enfermant, malgré ses protestations. Il était temps. Un nuage très blanc et lumineux descendait à travers l’horizon, et l’espace vibrait avec un bruit d’ailes et la mélodie d’un chœur qui se perdait dans l’infini, en répétant avec une mystique monotonie : Hosanna ! Hosanna ! Ils mettaient déjà pied à terre, ils venaient déjà sur le chemin, avec un tel éclat que l’on aurait dit que toutes les étoiles du ciel étaient descendues se promener au milieu des carrés de blé.
Arriva d’abord un groupe d’archanges : la haie d’honneur. Ils rengainèrent les épées de feu, adressèrent quelques propos galants à Ève, assurant que sur elle, les années ne passaient pas et qu’elle était encore très jolie, et avec une franchise martiale ils s’éparpillèrent ensuite à travers champs, en montant sur les figuiers, alors qu’Adam médisait tout bas, considérant déjà comme perdue sa récolte.
Arriva ensuite le Seigneur : la barbe d’un gris-argenté resplendissant, et sur la tête un triangle qui éblouissait comme le soleil. Derrière lui, Saint Michel et tous les ministres et hauts employés de la cour céleste. Le Seigneur accueillit Adam avec un sourire gentil, et à Ève, il fit une pichenette sur le menton, en lui disant.
— Bonjour, bonne pièce ! Tu n’es plus aussi écervelée ?
Émus par tant d’amabilité les époux offrirent au Seigneur une chaise avec des accoudoirs. Quelle chaise, mes enfants ! Large, confortable, en bon bois de caroubier, et avec un siège aux soutaches en sparte très délicat, comme peut l’avoir le curé du village.
Le Seigneur, installé bien confortablement, s’informait des affaires d’Adam, de combien il lui était difficile de gagner la subsistance des siens.
— Bien, très bien – disait-il. Ça, ça t’apprendra à ne pas accepter les conseils de ta femme. Tu croyais que tout allait être comme la vie de parasite du Paradis ? De la rage, mon fils, travaille et transpire ; ainsi, tu apprendras à ne pas défier plus âgé que toi. Mais le Seigneur, repenti de sa rudesse, ajouta avec un ton bienveillant :
— Ce qui est fait est fait, et ma malédiction doit s’accomplir. Moi, je n’ai qu’une seule parole : Mais vu que je suis entré chez vous, je ne veux pas partir sans laisser un souvenir de ma bonté. Voyons voir, Ève : amène-moi ces enfants. Les trois gamins se mirent en rang en face du Tout Puissant, qui les examina attentivement un bon moment.
— Toi, dit-il au premier, un patapouf très sérieux, qui l’écoutait les sourcils froncés et un doigt dans le nez, toi, tu seras chargé de juger tes semblables. Tu inventeras la loi, tu diras ce qui tient du délit, en changeant chaque siècle d’opinion, et tu soumettras tous les délinquants à une même règle, c’est comme si l’on soignait tous les malades avec le même médicament. Ensuite, il désigna l’autre, un petit brun pétulant, toujours avec un bâton pour secouer ses frères.
— Toi, tu seras un guerrier, un chef. Tu entraineras derrière toi les hommes comme le troupeau qui marche vers l’abattoir ; néanmoins, on te réclamera : les gens, en te voyant couvert de sang, t’admireront comme un demi-dieu. Si les autres tuent, ce seront des criminels ; si toi tu tues, tu seras un héros. Inonde de sang les campagnes, passe les villages à feu et à sang, détruis, tues, et les poètes te chanteront et les historiens écriront tes hauts-faits. Ceux qui sans être toi feront la même chose, ils traineront des chaînes.
Le Seigneur réfléchit un moment, et il s’adressa au troisième.
— Toi, tu accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l’argent aux rois, en les traitant comme des égaux, et si tu ruines tout un peuple, le monde entier admirera ton habileté. Le pauvre Adam pleurait de reconnaissance, tandis qu’Ève, inquiète et tremblante, essayait de dire quelque chose, hésitant à se décider. Dans son cœur de mère s’agitait le remord ; elle pensa aux pauvres petits enfermés dans l’étable qui allaient rester exclus de la distribution de faveurs.
— Je vais les lui montrer – disait elle, tout bas, à son mari. Et celui-ci, toujours timide, s’opposait en murmurant :
— Ça serait trop d’insolence. Le Seigneur va se fâcher. Justement, l’archange Michel, qui était venu de mauvais gré chez ces réprouvés, disait à son Maître de se dépêcher.
— Seigneur, il est tard.
Le Seigneur se leva ; l’escorte d’archanges, en descendant des arbres, vint en courant pour présenter les armes à la sortie. Ève, poussée par son remord, courut à l’étable, en ouvrant la porte.
— Seigneur, il en reste d’autres. Quelque chose pour ces pauvres petits. Le Tout Puissant regarda avec étonnement ce ramassis sale et dégoutant qui s’agitait dans le fumier comme un tas d’asticots.
— Il ne me reste rien à donner – dit-il. Leurs frères ont tout pris. Oui! Je vais y penser. Nous verrons plus tard. Saint Michel empoignait Ève pour qu’elle n’importune plus le Maître, mais elle continuait à supplier.
— Quelque chose, Seigneur; donnez leur n’importe quoi. Que vont faire ces pauvres dans le monde ?
Le Seigneur désirait s’en aller, et il sortit de la ferme.
— Ils ont déjà un destin – dit la mère. Ceux-ci pourraient se charger de servir et d’en nourrir d’autres.

***

Jessica nous propose sa traduction :

L'étable d'Eve.
Les moissonneurs de la ferme, tout en suivant d'un regard affamé le riz en ébullition dans la paella, écoutaient le tío Correchola, un vieil homme décharné qui laissait voir une épaisse toison grise à travers sa chemise entrouverte.
Les visages rouges, tannés par le soleil, brillaient sous le reflet des flammes du feu. La sueur d'une dure journée de labeur perlait sur leur corps, saturant l'air étouffant de la cuisine d'une grossière virilité. Par la porte de la ferme, sous un ciel de couleur pourpre dans lequel commençaient à apparaître les premières étoiles, on pouvait voir s'étendre les champs pâles dans la pénombre du crépuscule. Certains étaient déjà fauchés, laissant sortir de ses blessures ouvertes la chaleur de la journée, alors que d'autres étaient toujours recouverts d'onduleux manteaux d'épis, frissonnant sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieux se plaignait de douleur dans les articulations. Comme il est difficile pour un homme de gagner son pain quotidien!... Ce mal est sans remède. Il existera toujours des riches et des pauvres, et ceux qui sont nés pour servir les autres doivent se faire une raison. Sa grand-mère le disait bien : c’est la faute d’Eve, de la première femme… De quoi les femmes ne seraient-elle pas coupables ?
En voyant se collègues de travail- surtout ceux qui le connaissaient depuis peu de temps- montrer de la curiosité à propos de la culpabilité d’Eve, le tío Correchola commença à raconter le mauvais tour jouait aux pauvres par la première femme.
Les faits remontaient ni plus ni moins qu’à quelques années après que le couple rebelle est été chassé du Paradis, condamné à gagner son pain à la sueur de son front. Adam passait ses journées à cultiver les champs et à trembler pour ses récoltes, quant à Eve, elle arrangeait son tablier de feuilles dans l’entrée de la ferme…et chaque année, un nouvel enfant s’ajoutait à la famille, une bouche en plus à nourrir, enfonçant un peu plus le pauvre père.
De temps en temps, un chérubin virevoltait autour de la ferme, jetant des coups d’œil afin d’informer le Seigneur sur le déroulement des choses ici- bas, après qu’Adam et Eve est commis le péché originel.
— Mon enfant !... Mon tout petit ! – criait Eve, son plus beau sourire aux lèvres. Tu arrives de là haut ? Comment va le Seigneur ? Quand tu le verras, dis lui que je me repens de ma désobéissance… Nous étions si bien au Paradis !... Dis lui aussi que nous travaillons beaucoup et que nous ne désirons qu’une chose ; le revoir pour nous convaincre qu’il ne nous garde pas rancune.
— Il sera fait selon son désir-répondit le chérubin. Et, en deux ou trois coups d’ailes, il disparaissait, ni vu ni connu, entre les nuages. Eve n’obtenait jamais de réponses à ce genre de commissions. Le Seigneur restait invisible. Aux dernières nouvelles, il était très occupé par l’administration de ses immenses domaines, qui ne lui laissaient aucune minute de répit.
Un matin, un messager céleste s’arrêta devant la ferme.
— Ecoute Eve : s’il ne pleut pas cette après midi, il est possible que le Seigneur descende vous rendre une petite visite. Hier soir, parlant avec l’archange Michel, il lui a demandé : « Que deviennent Adam et Eve ? »
Eve resta bouche bée devant tant d’honneur. Elle appela Adam, qui comme d’habitude était dans un champ voisin à courber l’échine. Un remue-ménage s’ensuivit dans la maison ! Egal à celui de la veille d’une fête de village, lorsque les femmes reviennent de Valence avec leurs achats. Eve balaya et lava les sols de la ferme, la cuisine et la chambre à coucher. Elle mit un nouveau couvre lit, frotta les chaises avec du savon et de la terre. En entrant dans la salle de bain, elle enfila sa plus belle jupe et donna à Adam un veston fait en feuilles de figuier qu’elle lui avait confectionné pour porter le dimanche.
Elle pensait tout avoir sous control lorsque le cri de sa nombreuse progéniture l’interpella. Ils étaient vingt ou trente… Dieu seul savait combien. Et tous tellement moches et répugnants pour recevoir le Tout Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez couvert de croûtes, les yeux plein de pus et le corps recouvert de tâches de crasse.
— Ces polissons ne sont pas présentables ! criait Eve. Le Seigneur va dire que je suis une malpropre, une mauvaise mère… Bien sûr, les hommes ne savent pas ce que c’est que de s’occuper d’autant de rejetons !
Après beaucoup d’hésitations, elle choisit ses préférés (quelle mère ne fait pas de différences ?). Elle lava les trois plus mignons, puis à coup de gifles, elle emmena le reste du triste et galeux troupeau dans l’étable, et l’enferma malgré les protestations.
Il était l’heure. Une nuée blanche et lumineuse descendait à l’horizon, un bruissement d’ailes et la mélodie d’un chœur se répétant avec une monotonie mystique se répercutaient dans les espaces infinis.
Hosanna ! Hosanna ! Ils mettaient déjà le pied à terre et remontaient le chemin, auréolaient d’une telle splendeur qu’on avait l’impression que toutes les étoiles étaient tombées du ciel pour illuminer les champs de blé.
Un groupe d’archanges arriva le premier : le peloton d’honneur. Après avoir rangé leurs épées dans leurs fourreaux, ils adressèrent quelques compliments à Eve après s’être assurés que le passage du temps n’avait pas laissait de traces sur elle et qu’elle était toujours agréable à regarder. Après cette franchise implacable, ils se dispersèrent dans les champs et se perchèrent sur les figuiers. Pendant ce temps, Adam râlait tout bas, donnant déjà pour perdue sa récolte. Le Seigneur parut enfin : sa barbe d’argent était resplendissante et il avait sur la tête un triangle qui rayonnait comme le soleil. Derrière lui venaient Saint Michel, le reste des ministres et les hauts dignitaires de la cour céleste.
Le Seigneur accueillit Adam un sourire de générosité aux lèvres, quant à Eve, il lui tapota la joue tout en lui disant :
— Bonjour, bonne pièce ! Tu as récupéré le bon sens ?
Touchés par tant de simplicité, les époux offrirent au Seigneur un siège avec des accoudoirs. Quelle chaise mes enfants ! Large, confortable, en bois massif, l’assise faite avec la meilleure corde de sparte, comme pourrait être celle du curé du village.
Très bien callé dans cette chaise, le Seigneur écouta Adam lui parler de ses affaires, des difficultés qu’il avait de faire vivre sa famille.
— C’est bien, très bien, répondit le Seigneur. Cela t’apprendra à ne plus écouter les conseils de ta femme. Tu pensais que tout allait être aussi simple qu’au Paradis ? Souffre mon garçon ; travaille et sue, c’est ainsi que tu apprendras à obéir à tes supérieurs.
Cependant, conscient de la rudesse de ses propos, le Seigneur ajouta d’un ton généreux :
— Ce qui est fait est fait, ma sentence doit être accomplie. Je n’ai qu’une seule parole. Mais maintenant que je suis venu vous rendre visite, je ne veux pas m’en aller sans vous laisser un souvenir de ma générosité. Voyons voir, Eve fais approché les enfants.
Les trois marmots formèrent une file devant le Tout Puissant, qui les examina attentivement durant quelques instants.
— Toi, dit-il au premier, un petit gros très sérieux, qui l’écoutait les sourcils froncés et un doigt dans le nez. Toi tu seras chargé de juger tes semblables. Tu inventeras des lois, tu décideras ce qui est bien et ce qui est mal, changeant d’opinion de siècle en siècle. Tu soumettras tous les délinquants à une même règle, comme si un seul médicament pouvait soigner tous les malades.
Il fit signe ensuite au second, un petit brun vif comme l’éclair, qui avait toujours un bâton à la main pour battre ses frères.
— Toi tu seras un guerrier, un chef. Les hommes te suivront à la guerre, comme le troupeau se dirige à l’abattoir. Cependant, tout le monde t’admireras ; les gens, en te voyant couvert de sang, te considèreront comme un demi dieu. Si les autres tuent, on les jugera comme des criminels, mais si toi tu tues, tu seras un héros. Inonde les champs de sang, détruit les villages à feu et à sang, massacre, tue, cela n’empêchera pas les poètes de chanter tes louanges et les historiens d’écrire tes exploits. Ceux qui tenteront de t’imiter traineront une chaine à leur pied.
Après un moment de réflexions, le Seigneur s’adressa au troisième.
— Toi tu t’accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l’argent aux rois, les traitant comme tes égaux. Et si tu ruines tout un peuple, le monde entier admirera ton habilité.
Le pauvre Adam pleurait, plein de gratitude, alors qu’Eve, inquiète et tremblante, essayait de lui dire quelque chose. Le remord étreignait son cœur de mère ; elle pensait aux pauvres petits enfermaient dans l’étable qui allaient rester exclus de la répartition des grâces divines.
— Je vais lui montrer les autres, murmura-t-elle à son mari.
Ce grand timide s’y opposa en lui murmurant :
— Ce serait beaucoup trop demander. Le Seigneur va se fâcher.
Au même instant, l’archange Michel, qui était venu à contrecœur rendre visite aux réprouvés, pressa son Maître pour partir.
— Seigneur, il est déjà tard.
Le Seigneur se leva, l’escorte d’archanges, descendue des arbres, accourut pour présenter les armes à la sortie de la ferme.
Eve, pleine de remords, courut jusqu’à l’étable et en ouvrit la porte.
— Seigneur, il en reste encore quelques uns. Donnez quelque chose à ces pauvres petits.
Le Tout Puissant regarda avec surprise cette tripotée d’enfants sales et répugnants qui grouillait dans le fumier comme un tas d’asticots.
— Je n’ai plus rien à donner, dit-il. Leurs frères ont tout pris. J’y penserai femme, nous verrons cela plus tard.
Saint Michel empoigna Eve afin qu’elle n’importune plus le Maître, mais elle continua de le supplier :
— Quelque chose Seigneur ; donnez leur n’importe quoi. Que vont devenir ces pauvres petits ?
Le Seigneur voulait partir et sorti de la ferme.
— Ils ont déjà un avenir, dit-il à la mère. Ils seront chargés de servir et de soutenir les autres.
— Nous autres, ceux qui vivons sur terre, nous sommes les descendants de ces malheureux que notre première mère avait enfermé dans l’étable, termina le vieux moissonneur.

***

Sonita nous propose sa traduction :

L’étable d’Ève
Suivant avec des yeux faméliques l’ébullition du riz de la paëlla, les moissonneurs de la ferme écoutaient l’oncle Correchola, un vieux osseux qui montrait à travers sa chemise entrouverte une toison de poils gris.
Les visages rouges, vernis par le soleil, brillaient sous le reflet des flammes de l’âtre : les corps dégageaient la sueur de la pénible journée de travail, qui saturaient d’une grossière vitalité l’atmosphère de la cuisine, et à travers la porte de la ferme, sous un ciel violet dans lequel les étoiles commençaient à briller, on voyait les champs pâles et indécis dans la pénombre du crépuscule, quelques uns déjà moissonnés, exhalant à travers leur écorce brisée la chaleur de la journée, d’autres avec d’ondulants manteaux d’épis, qui tremblaient sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieux se plaignait de la douleur dans ses os. Que c’était difficile de gagner le pain… ! Et ce mal n’avait pas de cure : il existait depuis toujours les pauvres et les riches, et celui qui naît comme victime doit se résigner. Grand-mère le disait déjà : c’est la faute à Ève, à la première femme…. De quoi ne seront-elles pas coupables ?
Et, en voyant que ses compagnons de travail – beaucoup d’entre eux le connaissaient depuis peu –montraient de la curiosité pour en savoir plus sur la culpabilité d’Ève, l’oncle Correchola commença à raconter, dans un pittoresque valencien, le mauvais tour joué aux pauvres par la première femme.
Le fait ne remontait à rien de moins qu’à quelques années après que le couple rebelle ne fut jeté du Paradis avec la sentence de gagner le pain en travaillant. Adam passait ses journées à étriper des mottes et craignant pour ses récoltes ; Ève arrangeait à la porte de la ferme ses jupons de feuilles…et année après année un gamin de plus formant autour d’eux une foule de bouches qui ne savaient demander que le pain, en mettant le pauvre père dans l’embarras.
De temps à autre, voletait par-là un séraphin qui venait jeter un coup d’œil au monde pour ensuite raconter au Seigneur comment allaient les choses ici-bas après le premier péché.
–Mon enfant ! Petit ! – criait Ève avec le meilleur de ses sourires – Tu viens de là-haut ? Comment va le Seigneur. Quand tu le verras dis-lui que je regrette ma désobéissance… Nous étions si bien au Paradis… Dis-lu serai que nous travaillons beaucoup et que nous souhaitons simplement le voir pour nous assurer qu’il ne nous garde pas de rancœur.
–Votre volonté sera faite – répondait le séraphin.
Et en deux coups d’ailes, vu ou pas vu, il se perdait entre les nuages. Les messages dans ce genre abondaient, sans qu’Ève ne fût exaucée. Le Seigneur demeurait invisible, et selon les nouvelles, il était très occupé par l’arrangement de ses infinis domaines, qui ne lui laissaient pas une minute de repos.
Un matin, un rapporteur céleste s’arrêta devant la ferme.
–Écoute, Ève, si cet après-midi il fait beau, il est probable que le Seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en parlant avec l’archange Gabriel, il demandait : « Qu’en est-il de ces égarés ? »
Ève demeura abasourdie par tant d’honneur, et appela, en criant, Adam qui était dans une terrasse voisine, l’échine courbée, comme à son habitude. Quel grabuge il y eut dans la maison ! Le même qu’il y a la veille de la fête du village, quand les femmes reviennent de Valence avec leurs courses. Ève balaya et arrosa l’entrée de la ferme, la cuisine et les studios, mit le nouveau couvre-lit sur le lit, frotta les chaises avec du savon et de la terre, et s’attelant à la toilette des personnes elle se flanqua de sa meilleure jupe, endossant à Adam une casaque en feuilles de figuier qu’elle lui avait cousue pour les dimanches.
Elle croyait avoir déjà tout en ordre quand elle entendit les cris de ses nombreuses progénitures. Ils étaient vingt ou trente… ou Dieu sait combien. Et qu’est-ce qu’ils étaient moches et répugnants pour recevoir le Tout-Puissant ! Les cheveux emmêlés, les nez plein de croûtes, les yeux chassieux, le corps avec des écailles de saleté.
–Comment vais-je présenter cette friponnerie ? – criait Ève – Le Seigneur dira que je suis négligée, une mauvaise mère… Bien entendu, les hommes ne savent pas ce que c’est se démener avec autant de gamins !
Après de longs doutes, elle choisit les préférés (quelle mère ne les a pas !), lava les trois plus beaux, et, à coups de gifles elle emmena dans le retable tout ce troupeau triste et galeux, l’y enfermant malgré leurs protestations.
Le moment était venu. Un nuage immaculé et lumineux descendait dans l’horizon, et l’espace vibrait d’une rumeur d’ailes et la mélodie d’un chœur qui se perdait dans l’infini, répétant avec une mystique monotonie : « Hosanna, hosanna…! ». Ils mettaient déjà un pied à terre et venaient en chemin, avec un tel éclat qu’on aurait dit que toutes les étoiles du ciel étaient descendues sur terre pour se promener dans les champs de blé.
Les premiers à arriver furent un groupe d’archanges : le peloton d’honneur. Ils ont rengainé les épées de feu, firent quelques compliments à Ève, lui assurant que les années n’avaient pas de prise sur elle et qu’elle avait toujours une belle allure, et ensuite, dans une martiale franchise ils se répandirent sur les champs, montèrent sur les figuiers, tandis qu’Adam maudissait entre les dents, donnant déjà sa récolte comme perdue.
Puis, vint le Seigneur, la barbe éclatante couleur argent, et sur la tête un triangle qui rayonnait comme le soleil.
Derrière lui, Saint Michel et tous les ministres et hauts fonctionnaires de la cour céleste.
Il salua Adam avec un sourire bon, et à Ève, il lui assena un petit coup sur le menton en lui disant :
–Salut ! Alors, tu n’es plus aussi tête en l’air ?
Émus par tant d’amabilité les époux offrirent au Seigneur une chaise avec accoudoirs. Quelle chaise, mes enfants ! Large, commode, au caroubier fort, et un siège en galon d’alfa des plus fins, comme celle que le curé du village peut avoir.
Le Seigneur bien installé à son goût, prenait connaissance des affaires d’Adam, et apprenait ô combien il était difficile de gagner le pain quotidien pour les siens.
–Très bien – disait-il – cela t’apprendra à ne pas accepter les conseils de ta femme. Croyais-tu que tout allait être du gâteau comme au Paradis ? Rage, mon fils, travaille et sue ; comme cela tu apprendras à ne pas t’enhardir avec les plus âgés.
Mais, le Seigneur, repenti de sa rudesse, ajouta dans un ton bon :
–Ce qui est fait, est fait, ma malédiction doit s’accomplir. Je n’ai qu’une seule parole. Mais, puisque je suis déjà entré dans votre maison, je ne veux pas partir sans laisser un souvenir de ma bonté. Voyons voir Ève : amène-moi ces petits.
Les trois loupiots formèrent une file devant le Tout-Puissant, qui les examina attentivement un bon moment.
–Toi – dit-il au premier, un grassouillet très sérieux qui l’écoutait les sourcils froncés et un doigt dans le nez – tu seras le responsable de juger tes semblables, tu fabriqueras la loi, diras ce qui est un délit, changeant chaque siècle d’opinion, et tu soumettras tous les délinquants à une même règle, ce qui est comme si l’on guérissait tous les malades avec un même médicament.
Puis, il signala un autre, un métis vif, toujours un bâton à la main pour secouer ses frères.
–Tu seras un guerrier, un chef militaire. Tu mèneras derrière toi les hommes comme le troupeau qui marche vers l’abattoir, et cependant, on te réclamera : les gens, en te voyant couvert de sang, t’admireront comme un demi-dieu. Si les autres tuent ce seront des criminels ; si tu tues, tu seras un héros. Inonde de sang les champs, passe les villages à feu et à sang, détruis et tue, les poètes te chanteront et les historiens écriront tes exploits. Ceux qui, n’étant pas toi, fassent la même chose, traîneront des chaînes.
Le Seigneur réfléchit un instant et se dirigea vers le troisième.
–Tu t’accapareras des richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l’argent aux rois en les traitant d’égal à égal, et si tu ruines un village tout entier, le monde entier admirera ton habilité.
Le pauvre Adam pleurait de reconnaissance, alors qu’Ève, agitée et tremblante, essayait de dire quelque chose, sans s’y décider. Dans son cœur de mère s’agitait le regret ; elle pensait aux pauvres petits enfermés dans l’étable qui allaient être privés du partage des grâces divines.
–Je vais les lui montrer – disait-elle entre les dents à son mari.
Et celui-ci, timide comme à son habitude, s’y opposait en murmurant :
–Ce serait trop d’hardiesse, le Seigneur se fâcherait.
Justement, l’archange Michel, qui était venu de mauvais gré chez ces réprouvés, pressait son Maître.
–Seigneur, il se fait tard.
Le Seigneur se leva, l’escorte d’archanges, descendit des arbres et vint en courant pour présenter les armes à la sortie.
Ève, mue par son regret, courut vers l’étable, en ouvrant la porte :
–Seigneur, il en reste encore. Quelque chose pour ces pauvres petits.
Le Seigneur regarda étrangement ce ramassis sale et répugnant qui s’agitait dans le fumier comme un tas de vers.
–Il ne me reste plus rien à donner – dit-il – leurs frères ont tout eu. J’y réfléchirai, femme, on verra plus tard.
Saint Michel poussait Ève afin qu’elle n’importune plus le Maître, mais elle continuait de supplier :
–Quelque chose, Seigneur ; donnez-leur n’importe quoi. Que vont devenir ces pauvres petits dans le monde ?
Le Seigneur désirait s’en aller et sortit de la ferme.
–Ils ont déjà une destinée – dit-il à la mère – Ceux-là se chargeront de servir et maintenir les autres.
–Et de ces malheureux – termina le vieux moissonneur – que notre première mère occulta dans l’étable, descendons nous qui vivons sur la terre.

***

Stéphanie nous propose sa traduction :

L'étable d'Ève

Tout en lorgnant d'un regard famélique le riz de la paella porté à ébullition, les moissonneurs de la ferme écoutaient le père Correchola, un vieillard osseux qui exhibait par sa chemise entrouverte une forêt de poils gris.
Les visages rubiconds, lustrés par le soleil, brillaient sous le reflet des flammes de l'âtre : les corps suintaient la sueur de leur laborieuse journée, saturant d'une vitalité grossière l'atmosphère ardente de la cuisine, et à travers la porte de la ferme sous un ciel aux teintes violacées où les étoiles commençaient à briller, on distinguait les champs pâles aux contours imperceptibles dans la pénombre du crépuscule. Certains, déjà moissonnés, exhalaient par les craquelures de leur terre la chaleur du jour, d'autres aux ondulants manteaux d'épis frémissaient sous les premiers souffles de la brise nocturne.
Le vieux se plaignait d'une douleur aux os. C'était dur de gagner sa croûte !... Et ce mal n'avait pas de remède : il y avait toujours des riches et des pauvres, et celui qui naît victime doit se résigner. Sa grand-mère le disait déjà : c'était de la faute d'Ève, de la première femme... C'était à se demander ce qui n'était pas de la faute des femmes.
Et en voyant que ses collègues de travail – nombre d'entre eux le connaissait depuis peu – étaient curieux de savoir quelle était la faute d'Ève, le père Correchola commença à raconter, dans un valencien pittoresque, le mauvais tour joué aux pauvres hommes par la première femme.
L'affaire remontait ni plus ni moins à quelques années après que le couple rebelle eut été expulsé du Paradis, condamné à gagner son pain en travaillant. Adam passait ses journées à écraser des glèbes et à trembler pour ses récoltes; Ève raccommodait, à la porte de la ferme, ses jupons de feuilles..., et chaque année un gamin venait s'ajouter, formant autour d'eux un essaim de bouches qui ne faisait que réclamer du pain, mettant le pauvre père dans une situation délicate. De temps en temps, voletait dans les parages un séraphin qui venait jeter un coup d'œil sur terre pour raconter au Seigneur ce qui se passait ici bas depuis le péché originel.
- Hé petit !... Mon petit ! – criait Ève affichant son plus beau sourire –. Tu viens de là-haut ? Comment se trouve le Seigneur ? Quand tu lui parleras, dis-lui que je me suis repentie de ma désobéissance... Nous étions si bien au Paradis ! Dis-lui que nous travaillons beaucoup, et nous souhaitons le revoir uniquement pour nous assurer qu'il ne garde pas de rancœur envers nous.
- Vos désirs sont des ordres – répondit le séraphin.
Et en deux coups d'ailes, en un clin d'œil, il disparut entre les des nuages. Les messages de ce genre se multipliaient, sans que l'on accède à la demande d'Ève. Le Seigneur restait invisible, et d'après les nouvelles, il était très occupé par l'aménagement de ses infinis territoires, qui ne lui laissaient pas un instant de repos.
Un matin, un rapporteur céleste s'arrêta face à la ferme.
- Écoute, Ève : s'il fait beau cet après-midi, il se peut que le Seigneur descende faire un petit tour. Hier soir, en parlant à l'archange Michel, il a demandé : « Qu'en est-il de ces pécheurs? »
Ève fut comme abasourdie par tant d'honneur. Elle héla Adam, qui était dans un champ voisin l'échine courbée, comme toujours. Quel remue-ménage dans la maison ! Comme une veille de fête de village, lorsque les femmes reviennent de Valence avec leurs courses. Ève balaya et arrosa l'entrée de la ferme, de la cuisine, des chambres ; elle dressa un couvre-lit tout neuf, frotta les chaises avec du savon et de la terre, et en entrant dans la salle de bain, elle enfila sa plus belle jupe, et fit endosser à Adam une casaque de feuilles de figuier qu'elle lui avait confectionné comme habit du dimanche.
Elle pensait avoir les choses bien en mains, lorsque les cris de sa nombreuse progéniture retinrent son attention. Ils étaient vingt ou trente... ou Dieu sait combien. Et comme ils étaient laids et répugnants pour recevoir le Tout-Puissant ! Les cheveux emmêlés, le nez encrouté , les yeux crottés, le corps couvert de squames de saleté.
- Comment puis-je présenter cette bande de malpropres ? - s'écria Ève -. Le Seigneur dira que je les néglige, que je suis une mauvaise mère. Évidemment, les hommes ne savent pas ce que c'est que de se démener avec tous ces gamins.
Après de longues hésitations, elle choisit ses préférés, (qui diable n'en a pas !), lava les trois plus jolis, et mena jusqu’à l'étable tout ce bétail triste et galeux, à coups de pieds aux fesses, et les enferma, malgré leurs protestations. Il était temps. Un nuée lumineuse d'une blancheur immaculée descendait de l’horizon, et l’espace vibrait dans un bruissement d’ailes et la mélodie d’un chœur qui se perdait dans l’infini, répétant avec une mystique monotonie :
Hosanna ! Hosanna !... Déjà ils posaient pied à terre, déjà ils arrivaient par le chemin, avec un tel éclat qu’on aurait dit que toutes les étoiles du ciel étaient descendues se promener parmi les champs de blé.
Un groupe d’archanges ouvrait le cortège : le piquet d’honneur. Ils rengainèrent leurs épées de feu, adressèrent quelques compliments à Ève, lui assurant que le passage des années n’avait aucun effet sur elle et qu’elle était toujours aussi belle, et avec une franchise martiale, ils se dispersèrent ensuite à travers les champs, grimpant aux figuiers, alors qu’Adam jurait tout bas, donnant déjà sa récolte pour perdue.
Puis vint le Seigneur : une barbe d’un argent resplendissant, et sur la tête un triangle aussi éblouissant que le soleil. Derrière lui, Saint-Michel et tous les ministres et hauts employés de la cour céleste.
Le Seigneur accueillit Adam d’un sourire affable, et donna une petite tape sur le menton d’Ève, en lui disant :
- Tiens, sacré numéro ! Tu n'es plus si inconséquente ?
Émus par tant d’amabilité les époux proposèrent au Seigneur un fauteuil. Quel fauteuil, mes enfants ! Large, confortable, en caroubier résistant, et avec une assise ornée de soutaches du sparte le plus fin, pareil à celui que pourrait avoir le curé du village.
Le Seigneur carré bien à son aise, prenait connaissance des affaires d’Adam, de combien il lui était difficile de subvenir aux besoins des siens.
- Bien, très bien – disait-il -. Ça t’apprendra à ne pas suivre les conseils de ta femme. Tu pensais que tu allais vivre aux crochets du Paradis ? Que nenni, mon enfant ; travaille et transpire ; ainsi tu apprendras à ne pas maltraiter tes aînés.
Mais le Seigneur, repenti de sa dureté, ajouta d’un ton bienveillant :
- Ce qui est fait, est fait, et ma sentence doit être purgée. Je n’ai qu’une parole. Mais maintenant que je suis entré dans votre maison, je ne veux pas partir sans laisser un souvenir de ma bonté. Voyons Ève : approche-moi ces enfants.
Les trois mouflets se mirent en ligne face au Tout-Puissant, qui les examina attentivement un bon moment.
- Toi, dit-il au premier, un grassouillet à l’air très sérieux, qui l’écoutait les sourcils froncés et un doigt dans le nez-, tu seras chargé de juger tes semblables. Tu créeras la loi, tu décideras ce qui relève du crime, changeant d’avis au gré des siècles, et tu soumettras les délinquants à une seule et même règle, comme si on soignait tous les malades avec le même médicament.
Ensuite il en montra un autre, un petit brun gaillard, toujours armé d’un bâton pour battre ses frères.
- Toi, tu seras un guerrier, un meneur. Tu traîneras les hommes derrière toi tel le bétail qui se dirige vers l’abattoir, et, cependant, on te réclamera: les gens, en te voyant couvert de sang, t’admireront comme un semi-dieu. Si les autres tuent, ils seront des criminels ; si tu tues, tu seras un héros. Inonde de sang les champs, mets les villages à feu et à sang, détruis, tue, et les poètes te célèbreront et les historiens écriront tes exploits. Ceux qui sans être toi feront la même chose, traîneront des chaînes.
Le Seigneur réfléchit un moment, et s’adressa au troisième.
- Tu accapareras les richesses du monde, tu seras commerçant, tu prêteras de l’argent aux rois, les traitant comme tes pairs, et si tu ruines tout un village, le monde entier admirera ton habileté.
Le pauvre Adam pleurait de reconnaissance, alors qu’Ève, inquiète et tremblante, essayait de dire quelque chose, sans se décider à le faire. Dans son cœur de mère les remords s’agitaient ; elle pensait aux pauvres petits enfermés dans l’étable qui allaient être exclus de la répartition des grâces.
- Je vais les lui présenter – disait-elle tout bas à son mari.
Et celui-ci, toujours timide, s’y opposait en murmurant :
- Ce serait trop osé. Le Seigneur se fâcherait.
Alors, l’archange Michel, qui était venu à contrecœur chez ces réprouvés, pressait son Maître.
- Seigneur, il se fait tard.
Le Seigneur se leva ; l’escorte d’archanges, descendant des arbres, arrivèrent en toute hâte pour présenter les armes à la sortie.
Ève, vaincue par les remords, courut à l’étable, ouvrit la porte.
- Seigneur, il y en a d'autres. Quelque chose pour ces pauvres petits.
Le Tout-Puissant regarda avec étonnement ce troupeau sale et dégoûtant qui s'agitait dans le fumier comme un grouillement de vers.
- Il ne me reste rien à donner -dit-il. Leurs frères ont tout pris. J'y penserai, ma jolie ; nous nous en occuperons plus tard.
Saint Michel poussait Ève pour qu'elle cesse d'importuner le Maître, mais elle ne cessait de le supplier :
- Quelque chose, Seigneur : donnez-leur quelque chose d'infime. Que vont faire ces malheureux dans la vie?
Le Seigneur souhaitait s'en aller, et sortit de la ferme.
- Ils ont déjà une destinée – dit-il à la mère. Ceux-ci se chargeront de servir et de maintenir les autres à leur place.
Et de ces malheureux – finit le vieux moissonneur -, que notre première mère cacha dans l'étable, nous descendons, nous autres qui vivons ici bas.