samedi 29 octobre 2011

vendredi 28 octobre 2011

Version de CAPES, 19 (à rendre pour le 4 novembre)

El escritor siempre está escribiendo. En eso consiste en realidad la gracia de ser novelista: en el torrente de palabras que bulle constantemente en el cerebro. He redactado muchos párrafos, innumerables páginas, incontables artículos, mientras saco a pasear a mis perros, por ejemplo: dentro de mi cabeza voy moviendo las comas, cambiando un verbo por otro, afinando un adjetivo. En ocasiones redacto mentalmente la frase perfecta, y a lo peor, si no la apunto a tiempo, luego se me escapa de la memoria. He refunfuñado y me he desesperado muchísimas veces intentando recuperar esas palabras exactas que iluminaron por un momento el interior de mi cráneo, para luego volver a sumergirse en la oscuridad. Las palabras son como peces abisales que sólo te enseñan un destello de escamas entre las aguas negras. Si se desenganchan del anzuelo, lo más probable es que no puedas volverlas a pescar. Son mañosas las palabras, y rebeldes, y huidizas. No les gusta ser domesticadas. Domar una palabra (convertirla en un tópico) es acabar con ella., Pero en el oficio de novelista hay algo aún mucho más importante que ese tintineo de palabras, y es la imaginación, las ensoñaciones, esas otras vidas fantásticas y ocultas que todos tenemos. Decía Faulkner que una novela «es la vida secreta de un escritor, el oscuro hermano gemelo de un hombre». Y Sergio Pitol, de quien he tomado la cita de Faulkner (la cultura es un palimpsesto y todos escribimos sobre lo que otros ya han escrito), añade: «Un novelista es un hombre que oye voces, lo cual lo asemeja con un demente». Dejando aparte el hecho de que, cuando todos los varones escriben «hombre», yo he tenido que aprender a leer también «mujer» (esto no es baladí, y probablemente vuelva a ello más adelante), me parece que en realidad esa imaginación desbridada nos asemeja más a los niños que a los lunáticos. Creo que todos los humanos entramos en la existencia sin saber distinguir bien lo real de lo soñado; de hecho, la vida infantil es en buena medida imaginaria. El proceso de socialización, lo que llamamos educar, o madurar, o crecer, consiste precisamente en podar las florescencias fantasiosas, en cerrar las puertas del delirio, en amputar nuestra capacidad para soñar despiertos; y ay de aquel que no sepa sellar esa fisura con el otro lado, porque probablemente será considerado un pobre loco., Pues bien, el novelista tiene el privilegio de seguir siendo un niño, de poder ser un loco, de mantener el contacto con lo informe. «El escritor es un ser que no llega jamás a hacerse adulto», dice Martin Amis en su hermoso libro autobiográfico Experiencia, y él debe de saberlo muy bien, porque tiene todo el aspecto de un Peter Pan algo marchito que se niega empeñosamente a envejecer. Algún bien haremos a la sociedad con nuestro crecimiento medio abortado, con nuestra madurez tan inmadura, pues de otro modo no se permitiría nuestra existencia. Supongo que somos como los bufones de las cortes medievales, aquellos que pueden ver lo que las convenciones niegan y decir lo que las conveniencias callan. Somos, o deberíamos ser, como aquel niño del cuento de Andersen que, al paso de la pomposa cabalgata real, es capaz de gritar que el monarca está desnudo. Lo malo es que luego llega el poder, y el embeleso por el poder, y a menudo lo desbarata y lo pervierte todo.

Rosa Montero, La loca de la casa

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Hélène nous propose sa traduction :

L’écrivain est continuellement en train d’écrire. C’est en cela que réside en réalité le bonheur d’être romancier : dans le torrent de mots qui ne cesse de bouillonner dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, maintes pages, un nombre incalculable d’articles en sortant promener les chiens par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, je change le verbe par un autre, j’affine un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, lorsque je ne la note pas à temps, je l’oublie. J’ai maugréé et je me suis agacé de nombreuses fois en essayant de retrouver ces mots exacts qui illuminèrent un moment mon esprit et replongèrent ensuite dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui laissent entrevoir un bref instant l’éclat de leurs écailles dans les eaux sombres. S’ils lâchent l’hameçon, le plus probable c’est qu’on ne puisse plus les repêcher. Les mots sont capricieux et rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le transformer en cliché) c’est l’abolir. Mais dans le métier de romancier, il y a quelque chose de beaucoup plus important encore que ce tintement de mots, c’est l’imagination, les rêves, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, le mystérieux frère jumeau d’un homme ». Sergio Pitol, à qui j’ai emprunté la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et tous nous écrivons ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, c’est pourquoi on l’identifie à un dément ». Si on laisse de côté le fait qu’au moment où tous les garçons écrivent « homme », moi j’ai aussi dû apprendre à lire « femme » (cela n’a rien d’insignifiant et j’y reviendrais sans doute plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination démesurée nous identifie plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous, tous les hommes, naissons sans bien savoir distinguer le réel du rêve ; de fait, l’enfance est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, ou mûrir, ou grandir, consiste précisément à tailler les floraisons de l’imagination, à fermer la porte au délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne sait colmater cette brèche avec une attitude inverse car autrement il sera probablement assimilé à un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de continuer à être un enfant, de pouvoir être un fou, de garder contact avec l’imaginaire. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à l’âge adulte », dit Martín Amis dans son beau livre autobiographique Experiencia. Il doit le savoir parfaitement bien, lui le Peter Pan quelque peu défraîchi qui refuse obstinément de vieillir. Nous devons faire du bien à la société avec notre croissance à moitié avortée, notre maturité si immature, car autrement on ne nous laisserait pas exister. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours du Moyen Âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions dissimulent et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou plutôt nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage d’une cavalcade royale, est capable de crier que le monarque est nu. Ce qui est mauvais c’est qu’après apparaissent le pouvoir et la tentation du pouvoir et que souvent ils détruisent et pervertissent tout.

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Xavier nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. A vrai dire, le bonheur d’être romancier se résume à un torrent de mots qui bouillonne constamment dans le cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, un nombre incalculable d’article et de pages, pendant que je sors promener mes chiens ; par exemple : dans ma tête je déplace les virgules, je change un verbe par un autre, j’ajuste un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, après elle s’échappe de ma mémoire. Je me suis énervé et bien souvent désespéré à récupérer ces mots exacts qui avaient éclairés l’intérieur de mon crâne, pour ensuite plonger à nouveau dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne te montrent qu’un éclat de leurs écailles entre les eaux sombres. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne puisses plus les pêcher à nouveau. Les mots sont rusés, rebelles et fugaces. Ils n’aiment pas être domptés. Dompter un mot (le rendre banal) c’est l’achever. Mais a travers le métier de romancier il y a quelque chose de bien plus important que ce tintement de mots, et c’est l’imagination, les rêves, ces autres vies fantastiques et occultes que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, le frère jumeau caché d’un homme ». Et Sergio Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous sur ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui l’assimile à un fou ». En mettant de coté le fait que moi j’ai du apprendre à lire aussi « femme » quand tous les hommes écrivent « homme », (ceci n’est pas futile, et j’y reviendrai probablement plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous assimile plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous, tous les humains, nous entrons dans l’existence sans savoir bien distinguer le réel du rêve ; en effet, la vie infantile est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, ou murir, ou grandir, consiste précisément à tailler les floraisons rêveuses, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver debout ; et malheur à celui qui ne saura sceller cette fissure à l’autre bout, car il sera probablement considérer comme un fou. Bref, le romancier a le privilège rester encore un enfant, de pouvoir être un fou, de garder le contact avec l’abstrait. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à devenir un adulte. », dit Martin Amis dans son merveilleux livre autobiographique Experencia, et il doit très bien le savoir, car il a tout l’air d’un Peter Pan quelque peu fané qui refuse délibérément de vieillir. Nous ferons du bien à la société avec notre croissance à moitié avortée, avec notre maturité tant immature, car notre existence n’aurait pas lieu d’être d’une autre façon. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que les conventions taisent. Nous sommes, ou plutôt nous devrions être, comme cet enfant tiré du conte d’Andersen qui, lorsque passe le pompeux défilé royal, est capable de crier que le roi est tout nu. Le problème est qu’après vient le pouvoir, et le charme du pouvoir, et souvent il le démantèle et pervertit tout.

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Annabelle nous propose sa traduction :

L’écrivain écrit tout le temps. C’est là que réside en réalité l’intérêt d’être romancier : en ce flot de mots qui bouillonne constamment dans son esprit. J’ai rédigé de nombreux paragraphes, d’innombrables pages, des articles inénarrables, quand je sors promener mes chiens, par exemple : je déplace dans ma tête les virgules, je remplace un verbe par un autre, j’affine un adjectif. Parfois je rédige mentalement la phrase parfaite, et le pire, si je ne la note pas à temps, c’est qu’après elle s’échappe de ma mémoire. J’ai ronchonné et je me suis désespérée bien des fois en essayant de récupérer ces mots exacts qui ont illuminé pendant un moment l’intérieur de mon crâne, pour ensuite repartir se plonger dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne te montrent qu’un scintillement d’écailles à travers les eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne pourras pas les pêcher à nouveau. Les mots sont adroits, rebelles, et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le changer en un lieu commun), c’est en finir avec lui. Mais dans le métier de romancier, il y a quelque chose d’encore plus important que ce tintement de mots, qui est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, l’obscur frère jumeau d’un homme ». Et Sergio Pitol, chez qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous à propos de ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le fait ressembler à un dément ». En laissant de côté le fait que, quand tous les mâles écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ceci n’est pas anodin et j’y reviendrai probablement plus loin), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous fait plus ressembler aux enfants qu’aux désaxés. Je crois que tous les humains entrent dans l’existence sans savoir distinguer le réel de l’illusoire ; de fait, la vie enfantine est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou grandir, consiste justement à élaguer les floraisons fantaisistes, fermer les portes du délire, amputer notre capacité à rêver éveillés ; et pauvre de celui qui ne saurait pas combler cette brèche vers l’autre côté, parce qu’il sera probablement considéré comme un pauvre fou. Alors, le romancier a le privilège de demeurer enfant, de pouvoir être fou, de garder le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à devenir adulte », dit Martin Amis dans son beau livre autobiographique Expérience, et il doit très bien le savoir, car il a tout l’air d’un Peter Pan un peu fané qui refuse désespérément de vieillir. Nous ferons du bien à la société avec notre croissance à demi avortée, avec notre maturité si immature, puisqu'autrement notre existence ne serait pas permise. Je suppose que nous sommes les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions nient, et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage de la pompeuse chevauchée royale, est capable de s’écrier que le monarque est nu. Le problème est qu’ensuite le pouvoir arrive, et la fascination du pouvoir, qui souvent détruit et pervertit tout.

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Justine nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. En cela réside en réalité la prouesse d’être écrivain : dans le torrent de mots en ébullition constante dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, un nombre incalculable d’articles, pendant que je sors promener mes chiens, par exemple : dans ma tête je déplace les virgules, je remplace un verbe par un autre, je cherche l’adjectif adéquat. Parfois je rédige mentalement la phrase parfaite, et malheureusement, si je ne la note pas à temps, elle échappe de suite à ma mémoire. J’ai râlé et désespéré de très nombreuses fois en essayant de récupérer ces mots justes qui un instant avaient illuminé l’intérieur de mon crâne, pour ensuite replonger dans l’obscurité. Les mots sont semblables aux poissons des abysses qui ne te montrent que le scintillement de leurs écailles dans les eaux sombres. S’ils se libèrent de l’hameçon, le plus probable est que tu ne puisses pas les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles, fugaces. Etre dressé ne leur plaît pas. Dompter un mot (en faire un lieu commun), c’est en finir avec lui. Mais dans le métier de romancier il y quelque chose d’encore plus important que ce tintement de mots, et c’est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète de l’écrivain, le jumeau méconnu d’un homme ». Et serge Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous à propos de ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le rend semblable à un dément ». Abstraction faite du fait que, lorsque tous les hommes écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire également « femme » (ceci n’est pas insignifiant, donc j‘y reviendrai probablement plus tard), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous fait davantage ressembler aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois qu’en temps qu’êtres humains, nous entrons tous dans l’existence sans bien savoir distinguer la réalité du rêve ; de ce fait la vie infantile est en grande partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à tailler les floraisons d’imagination débordante, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés, et malheur à celui qui ne saura pas fermer hermétiquement cette fissure avec l’autre côté, car il sera probablement considéré comme un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de continuer à être un enfant, de pouvoir être un fou, de maintenir le contact avec ce qui est informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à devenir adulte », dit Martin Amis dans son beau livre autobiographique, Expérience, et il doit très bien le savoir, parce qu’il a tout l’air d’un Peter Pan un peu fané qui refuse obstinément de vieillir. On doit faire du bien à la société avec notre croissance à demi avortée, avec notre maturité si immature, autrement on ne permettrait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons du roi au moyen-âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent, et dire ce que la richesse permet de taire. Nous sommes, ou devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage du pompeux défilé royal, est capable de crier que le monarque est nu. L’ennui c’est que de suite arrive le pouvoir, et l’ivresse du pouvoir, et souvent cela bouleverse et pervertit tout.

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Elena nous propose sa traduction :

L’écrivain est sans arrêt en train d’écrire. Voilà en quoi consiste en réalité la grâce d’être un romancier : en le torrent de mots qui grouille constamment dans son cerveau. J’ai rédigé beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, nombre d’articles, en promenant mes chiens, par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, je remplace un verbe par un autre, j’affine un adjectif. À l’occasion, je rédige mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, elle s’échappe par la suite de ma mémoire. J’ai maugrée et j’ai désespéré des nombreuses fois en essayant de récupérer ces mots exacts qui avaient éclairé un instant l’intérieur de mon crâne, pour me plonger ensuite de nouveau dans le noir. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne montrent qu’un scintillement d’écailles dans les eaux sombres. S’ils se décrochent de l’hameçon, le plus probable est qu’on ne puisse pas les repêcher. Les mots sont malins, et rebelles, et farouches. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en un topique) est en finir avec lui. Or dans le métier de romancier, il y a quelque chose de beaucoup plus importante que ce tintement des mots, et c’est l’imagination, les rêveries, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait qu’un roman « est la vie secrète d’un écrivain, l’obscur frère jumeau d’un homme ». Et Sergio Pitol, à qui j’ai pris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous par-dessus ce que les autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui le rapproche des déments ». En laissant de côté le fait que, lorsque tous les garçons écrivent le mot « homme », moi, j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ça n’est pas insignifiant, et probablement, je reviendrai dessus plus loin), il me semble qu’en réalité cette imagination débridée nous rapproche plus des enfants que des lunatiques. Je crois que tous les humains entrent dans l’existence sans savoir bien distinguer le réel du rêve ; d’ailleurs, la vie enfantine relève en grande partie de l’imaginaire. Le processus de socialisation, ce qu’on appelle éduquer, ou mûrir, ou grandir, consiste précisément à cisailler les floraisons fantaisistes, à fermer les portes au délire, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne saura pas sceller cette fissure aux deux côtés, car il sera à coup sûr considéré comme un pauvre fou. Eh bien, le romancier a le privilège de rester encore un enfant, de pouvoir être un fou, de maintenir le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui ne parvient jamais à devenir adulte.», déclarait Martin Amis dans son beau livre autobiographique Expérience et lui, il doit très bien le savoir parce qu’il a tout l’air d’un Peter Pan quelque peu flétri qui refuse avec ténacité de vieillir. Nous faisons sans doute un peu de bien à la société avec notre croissance à demie avortée, avec notre maturité si immature, car sinon, on ne tolérerait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions nient et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage de la pompeuse chevauchée royale, est capable de crier que le monarque est nu. Ce qui est dommage, c’est qu’ensuite arrive le pourvoir, et l’engouement pour le pouvoir, et souvent il bouleverse et pervertit tout.

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Jean-Nicolas nous propose sa traduction :

L’écrivain est toujours en train d’écrire. Voici en quoi consiste le talent du romancier : le torrent de mots qui bouillonne sans cesse dans son cerveau. J’ai écrit beaucoup de paragraphes, d’innombrables pages, quantité d’articles, pendant que je sors mes chiens se promener par exemple : dans ma tête, je bouge les virgules, change un verbe par un autre, affine un adjectif. Parfois, je rédige mentalement la phrase parfaite et, dans le pire des cas, si je n’en prends pas note à temps, elle s’échappe aussitôt de ma mémoire. J’ai ronchonné et je me suis tuée à la tache maintes fois pour essayer de récupérer ces mots exacts qui ont illuminé l’intérieur de mon crâne l’espace d’un instant pour ensuite se plonger à nouveau dans l’obscurité. Les mots sont comme des poissons colossaux qui ne te montrent qu’un éclat d’écailles dans les eaux troubles. S’ils se dérobent à l’hameçon, c’est que tu ne pourras certainement plus les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et volatils. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en un cliché), c’est le perdre. Mais, dans le métier de romancier, il y a encore quelque chose de plus important que ce tintement de mots, ce sont l’imagination, les songes, ces autres vies fantastiques et cachées que nous avons tous. Faulkner disait que le roman « est la vie secrète d’un écrivain, le frère jumeau caché d’un homme ». Et Sergio Pitol, duquel j’ai repris la citation de Faulkner (la culture est un palimpseste et nous écrivons tous sur ce que d’autres ont déjà écrit), ajoute : « Un romancier est un homme qui entend des voix, ce qui l’apparente à un fou ». Sans compter le fait que, quand tous les hommes écrivent « homme », j’ai dû apprendre à lire aussi « femme » (ceci a son importance et j’y reviendrai probablement plus tard) ; il me semble qu’en réalité, cette imagination débridée nous assimile plus aux enfants qu’aux lunatiques. Je crois que nous les humains, rentrons tous dans la vie sans savoir bien faire la part des choses entre la réalité et le rêve ; en réalité, la vie infantile est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que nous appelons éduquer, mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à tailler les effloraisons imaginaires, à barrer la porte aux délires, à amputer notre capacité à rêver éveillés ; et malheur à celui qui ne sait pas fermer cette fissure avec l’autre côté car il sera certainement considéré comme un pauvre fou. Car, le romancier a le privilège de continuer à être enfant, de pouvoir être un fou, de garder le contact avec l’informe. « L’écrivain est un être qui n’arrive jamais à se réaliser adulte » dit Martin Amis dans son merveilleux livre autobiographique Expérience et, lui doit être très bien placé car il a tout de l’aspect d’un Peter Pan un peu obsolète et qui refuse catégoriquement de vieillir. Nous profiterons à la société avec notre croissance à moitié avortée, avec notre maturité si immature car notre existence ne nous sera pas permise autrement. Je suppose que nous sommes tels les bouffons de la cour au Moyen Âge, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que les convenances taisent. Nous sommes, ou nous devrions être, comme cet enfant du conte d’Andersen qui, au passage du défilé royal, est capable de crier que le monarque est nu. Le pire dans tout cela, c’est qu’alors vient le pouvoir et le goût pour le pouvoir et, bien souvent, il dérègle et pervertit tout.

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Florian nous propose sa traduction :

L'écrivain est toujours entrain d'écrire. En réalité, c'est en ceci que consiste le bonheur d'être romancier: dans le torrent de mots qui bout constamment dans le cerveau. J'ai rédigé bien des paragraphes, d'innombrables pages, d'incalculables articles, tout en sortant promener mes chiens, par exemple: dans ma tête, je déplace les virgules, je change un verbe par un autre, j'affine un adjectif. À l'occasion, je construis mentalement la phrase parfaite, et dans le pire des cas, si je ne la note pas à temps, elle finit par m'échapper de la mémoire. J'ai ronchonné et me suis désespéré maintes et maintes fois à essayer de retrouver ces mots exacts qui avaient illuminé l'espace d'un instant l'intérieur de mon crâne, pour en suite s'enfouir à nouveau dans l'obscurité. Les mots sont comme des poissons abyssaux qui ne montrent qu'une lueur d'écailles au fond des eaux noires. S'ils se décrochent de l'hameçon, le plus probable est que vous ne pourrez plus jamais les pécher. Les mots sont rusés, et rebelles, puis fuyants. Ils n'aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (le convertir en lieu commun), c'est en finir avec lui. Sauf que dans la tâche du romancier, il existe quelque chose ô combien plus important que ce tintement de mots, et c'est l'imagination, les songes, ces autres vies fantastiques et cachées que nous possédons tous. Faulkner disait qu'un roman "c'est la vie secrète d'un écrivain, l'obscur frère jumeau d'un homme". Et Sergio Pitol, dont j'ai repris la citation Faulkner (la culture est un palimpseste, autrement dit, nous nous inspirons tous de ce que les autres ont déjà produit), ajoute: "un romancier est un homme qui entend des voix, si bien qu'on l'assimile à un fou". Laissant de côté le fait que, lorsque toute la gente masculine écrit "homme", moi, j'ai dû également apprendre à lire "femme" ( cela n'est pas sans importance, et j'y reviendrai probablement plus loin), il m'apparaît qu'en réalité cette imagination débridée nous fait davantage ressembler aux enfants qu'aux lunatiques. Je crois que nous tous, humain, naissons sans savoir distinguer ce qui relève du réel ou du rêve; de fait, la vie infantile est en bonne partie imaginaire. Le processus de socialisation, ce que l'on appelle: éduquer, ou mûrir, ou encore grandir, consiste précisément à élaguer les fleuraisons fantaisistes, à fermer les portes du délire, à amputer notre capacité à rêver éveillé; et malheur à celui qui ne saura colmater cette fissure avec l'autre côté, car il sera sans nul doute considéré comme un pauvre aliéné. Ainsi donc, le romancier a le privilège de conserver son âme d'enfant, de pouvoir être dément, de maintenir le contact avec ce qui est informe. "L'écrivain est un être qui n'arrive jamais à devenir adulte", estime Martin Amis dans son très beau livre autobiographique Expérience, et il doit en savoir quelque chose, puisqu'il a le parfait aspect d'un Peter Pan un tantinet dépéri se refusant obstinément à vieillir. Nous apportons, quand même, un grand bol d'air à la société de part notre croissance à moitié avortée, notre immaturité probante, car dans le cas contraire, on ne permettrait pas notre existence. Je suppose que nous sommes comme les bouffons des cours médiévales, ceux qui peuvent voir ce que les conventions refusent et dire ce que ces mêmes conventions taisent. Nous sommes, ou devrions être, comme ce petit garçon du conte d'Andersen qui, au passage du pompeux défilé royal, est capable de crieur que le monarque est tout nu. Ce qui est mauvais, c'est qu'en suite vient le pouvoir, puis le sortilège causé par le pouvoir, qui très souvent bouleverse et pervertit tout.

Version de CAPES, 18 (à rendre pour le 27 octobre)

¿Cómo había transcurrido ese primer año de ma­trimonio entre Adelina y Rodolfo? Acaso el joven, al tomar estado, decidió que sus obligaciones consistían en mantener, dentro de lo posible, la consabida apa­riencia de un Ceballos. Algún cambio moral debía suponer el matrimonio: el único probable, en el caso de Rodolfo Ceballos, era pasar de la existencia sim­pática, despreocupada, guanga, que hasta entonces había conducido, a una vida –¿cómo lo diría él mismo?– más seria, más asentada. Nunca habían tenido fe en él. No había podido hacer la carrera de leyes. Su madre lo destituyó de la administración de las tierras. Ahora demostraría que podía ser tan exce­lente jefe de familia como su padre. La transforma­ción no había de costarle demasiado trabajo: si Ro­dolfo era nieto de Margarita la jocunda, también era hijo de Guillermina la tiesa; La verdad es que Ade­lina López puso cuanto estuvo de su parte para es­timularlo en esta dirección. La actitud de la mujer era suicida: si su interés estribaba en que, para encumbrarla, Rodolfo se condujera con el mayor rigor social, en este desarrollo habría de destacar, con el tiempo, la propia vulgaridad de Adelina. La mujer no se dio cuenta de que sus posibilidades de felicidad radicaban, precisamente, en que Rodolfo continuase por su senda de bonhomía desaliñada. Hubiese sido la mujer ideal de un jugador de dominó. Fue Ade­lina quien obligó a Rodolfo a cerrar las puertas de la casa a los antiguos compañeros de dominó. Adeli­na quien limitó a un almuerzo dominical la estridente presencia de don Chepepón. Adelina quien orilló a su marido a abrir de nuevo el largo salón afrancesado, y ella quien formuló las listas de invitados selectos. Ella, quien clamó para que Rodolfo tomase un dependiente de almacén y se escondiese en la improvisada oficina de los altos. Ella, en fin, quien suprimió la eterna sonrisa de los labios del comerciante. Pero también, al exhibirse en la forzada tertulia de los sá­bados ante las viejas familias, Adelina había permi­tido al marido comparar costumbres. No porque las de los invitados fuesen ejemplares, sino porque Ade­lina siempre resultaba en un escaño más bajo que el de la estricta mediocridad provinciana. Todas las voces eran apresuradas; la de Adelina, chillona. To­dos eran hipócritas; Adelina sobreactuaba. Todos eran beatos; Adelina, con mal gusto. Y todos poseían el mínimo de conocimiento de los valores entendidos; a ella le faltaba. Abundaron las opiniones: cursilería, ausencia de tacto, mala educación social. Y Rodolfo, dispuesto a asumir de nuevo su tradición, hubo de aceptar las censuras. A medida que los propósitos de la esposa se realizaban, el afecto del marido se iba en­friando. Empezaron los altercados, los dimes y diretes, los lloriqueos.

Carlos Fuentes, Las buenas conciencias

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Irène nous propose sa traduction :

Comment s'était écoulée cette première année de mariage entre Adelina et Rodolfo? Peut-être le jeune homme avait-il décidé, en prenant épouse, que ses obligations consistaient à sauver, autant que possible, la traditionnelle apparence d'un Ceballos. Le mariage devait supposer un certain changement moral : le seul probable, dans le cas de Rodolfo Ceballos, consistait à passer de l'existence sympathique, insouciante, oisive, qu'il avait menée jusqu'alors, à une vie - comment le dirait-il lui-même? plus sérieuse, plus établie. Jamais ils n'avaient cru en lui. Il n'avait pas pu faire son droit. Sa mère l'avait écarté de l'administration des terres. Maintenant, il allait prouver qu'il pouvait être un excellent chef de famille, tout comme son père. La transformation ne devait pas lui coûter beaucoup : si Rodolfo était le petit-fils de Margarita la joviale, il était également le fils de Guillermina l'inflexible. La vérité, c'est qu'Adelina López fit tout ce qui était en son pouvoir pour le pousser dans ce sens. L'attitude de la femme était suicidaire : si elle avait tout intérêt, pour s'élever socialement, à ce que Rodolfo se conduisît avec la plus grande rigueur sociale, c'est dans cet essor que ressortirait, avec le temps, la vulgarité naturelle d'Adelina. La femme, ne se rendit pas compte, que ses possibilités de bonheur résidaient précisément dans le fait que Rodolfo poursuivît son chemin, avec cette bonhomie nonchalante. Elle eut été la femme idéale d'un joueur de domino. Ce fut Adelina qui obligea Rodolfo à fermer les portes de la maison à ses anciens partenaires de domino. Adelina qui limita à un déjeuner dominical la stridente présence de don Chepepón. Adelina qui poussa son mari à ouvrir de nouveau le long salon à la mode française et qui établit les listes d'invités choisis. Elle, qui clama pour que Rodolfo prît un vendeur au magasin et se cachât dans le bureau improvisé à l'étage. Elle, enfin, qui fit disparaître l'éternel sourire des lèvres du commerçant. Mais, en s'exhibant devant les vieilles familles, lors des réunions obligées du samedi, elle avait aussi permis à son mari de comparer des habitudes. Non pas que celles des invités fussent exemplaires, mais parce qu'Adelina se trouvait toujours un degré en dessous de celui de la stricte médiocrité provinciale. Toutes les voix étaient pressées ; celle d'Adelina était criarde.Tous étaient hypocrites ; Adeline surjouait. Tous étaient dévots ; Adelina était bigote. Et tous possédaient un minimum de connaissance des conventions sociales ; elle, elle en était dépourvue. Les opinions abondèrent : mauvais goût, absence de tact, mauvaise éducation sociale. Et Rodolfo, disposé à assumer de nouveau sa tradition, dut accepter les censures. Au fur et à mesure que les desseins de l'épouse se réalisaient, l'affection du mari se refroidissait. Alors commencèrent les altercations, les chamailleries, les pleurnicheries.

***

Hélène nous propose sa traduction :

Comment s’était passée cette première année de mariage entre Adelina et Rodolfo? Peut-être qu’en se mariant, le jeune homme avait décidé que ses obligations consistaient à conserver, dans la mesure du possible, l’apparence coutumière d’un Ceballos. Le mariage devait supposer quelque changement : le seul probable, dans le cas de Rodolfo Ceballos, était de passer de l’existence agréable, insouciante, dissolue, qu’il avait menée jusqu’alors, à une vie – comment dirait-il lui-même ? – plus sérieuse, plus rangée. On n’avait jamais cru en lui. Il n’avait pas pu faire des études de droit. Sa mère lui avait ôté l’administration des terres. Maintenant, il démontrerait qu’il pouvait être un aussi bon chef de famille que son père. La transformation ne devrait pas lui demander trop d’efforts : s’il était vrai que Rodolfo était le petit-fils de Margarita la Joconde, il était aussi le fils de Guillerma la guindée ; La vérité, c’est qu’Adelina López mit tout ce qu’elle avait en elle pour l’encourager dans cette voie. L’attitude de la femme était suicidaire : si, pour être encensée, son intérêt était que Rodolfo se conduisît avec la plus grande rigueur sociale, ce plan révèlerait, avec le temps, la propre vulgarité d’Adelina. La femme ne se rendit pas compte que ses chances de bonheur dépendaient précisément de la constance de Rodolfo sur le chemin de la bonhomie négligée. Elle aurait été la femme idéale d’un joueur de domino. C’est Adelina qui obligea Rodolfo à fermer les portes de la maison à ses anciens amis de jeu. Adelina qui limita la présence dérangeante de don Chepepón au déjeuner dominical. Adelina qui obligea son mari à rouvrir le grand salon francisé et elle qui fit la liste des invités de choix. Elle qui exigea que Rodolfo engageât un vendeur et se cachât dans le bureau improvisé de l’étage. Elle, enfin, qui supprima l’éternel sourire des lèvres du commerçant. Mais, en se montrant lors de la réunion forcée du samedi aux anciennes familles, Adelina avait aussi permis au mari de comparer les coutumes. Non pas que celles des invités étaient exemplaires, mais Adelina apparaissait toujours un cran en dessous de la stricte médiocrité provinciale. Toutes les voix étaient empressées ; celle d’Adelina était criarde. Tous étaient hypocrites ; Adelina surjouait. Tous étaient dévots ; Adelina, avec mauvais goût. Et tous possédaient le minimum de connaissance des valeurs conventionnelles ; elle, elle ne les avait pas. Les avis abondèrent : mièvrerie, absence de tact, mauvaise éducation sociale. Rodolfo, disposé à nouveau à se soumettre à la tradition, dut accepter la censure. À mesure que les objectifs de la femme se réalisaient, l’affection du mari baissait en intensité. Les querelles, les chamailleries, les pleurnichements commencèrent.

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Elena nous propose sa traduction :

Comment s’était-elle passée cette première année de mariage entre Adelina et Rodolfo ? Peut-être le jeune homme, en se mariant, avait-il décidé que ses obligations consistaient à maintenir, dans la mesure du possible, l’apparence habituelle d’un Ceballos. Le mariage devait comporter un certain changement morale : le seul probable, dans le cas de Rodolfo Ceballos, était de passer de l’existence sympathique, insouciante, aisée, qu’il avait mené jusqu’alors, à une vie – comment le dirait-il lui-même ? – plus sérieuse, plus stable. On n’avait jamais eu confiance en lui. Il n’avait pas pu suivre des études de droit. Sa mère l’avait destitué de l’administration des terres. À présent, il démontrerait qu’il pouvait être un aussi excellent chef de famille que son père. La transformation ne devrait pas trop lui coûter. Si Rodolfo était le petit-fils de Margarita la gaie, il était aussi le fils de Guillermina la rigide ; La vérité étant qu’Adelina López fit tout ce qui était en son pouvoir pour l’entraîner dans cette direction… L’attitude de la femme était suicidaire : si son intérêt résidait dans le fait que, pour l’élever socialement, Rodolfo devait se conduire avec la plus grande rigueur sociale, de cette évolution allait ressortir, avec le temps, la propre vulgarité d’Adelina. La femme ne se rendit pas compte que ses chances de bonheur résidaient, précisément, dans le fait que Rodolfo continuât son chemin avec sa bonhomie négligée. Elle aurait été la femme idéale d’un joueur de domino. Ce fut Adelina qui obligea Rodolfo à fermer les portes de leur maison à ses anciens partenaires de domino. Adelina qui limita à un déjeuner les dimanches, la stridente présence de don Chepepón. Adelina qui obligea son mari à ouvrir de nouveau le long salon à la française, et elle, qui rédigea les listes des invités choisis. Elle, qui clama pour que Rodolfo prît un vendeur au magasin et qu’il se cachât dans le bureau improvisé en haut. Elle, enfin, qui supprima le sourire éternel des lèvres du commerçant. Mais aussi, en s’exhibant devant les vieilles familles lors des réunions imposées les samedis, Adelina avait permis à son mari de comparer ses habitudes. Non pas que celles des invités fussent exemplaires, mais parce qu’Adelina s’avérait toujours à un échelon plus bas que celui de la stricte médiocrité provinciale. Toutes les voix étaient pressées ; celle d’Adelina, criarde. Tous étaient hypocrites ; Adelina surjouait. Tous étaient bigots ; Adelina avec mauvais goût. Et tous possédaient un minimum de connaissance des valeurs conventionnelles ; elle, elle en manquait. Il y eut des nombreuses opinions : du snobisme, de l’absence de tact, de la mauvaise éducation sociale. Et Rodolfo, disposé de nouveau à assumer sa tradition, dut accepter les censures. Au fur et à mesure que les propos de l’épouse se réalisaient, l’affection du mari se refroidissait. Les altercations, les querelles et les lamentations commencèrent.

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Florian nous propose sa traduction :

Comment s'était déroulée cette première année de mariage entre Adelina et Rodolfo? Peut-être que le jeune homme, en prenant de l'envergure, avait décidé que ses obligations consistaient à maintenir, dans la mesure du possible, la traditionnelle apparence d'un Ceballos. Le mariage devait bien engendrer quelques changements moraux: le seul probable, dans le cas de Rodolfo Ceballos, s'était de passer d'une existence sympathique, insouciante, aisée, à une vie- comment l'appellerait-il, lui?- plus sérieuse, plus posée. Personne n'avait jamais eu foi en lui. Il n'avait pas pu suivre d'études en droit. Sa mère l'avait destitué de l'administration des terres. Aujourd'hui, il démontrerait enfin qu'il pouvait être un excellent chef de famille, comme son père.La transformation n'allait sans doute pas lui demander trop d'efforts: si Rodolfo était le petit-fils de Margarita la rigolote, il était aussi le fils de Guillermina la rigide; Adelina López avait véritablement mis tout ce qui était en son pouvoir pour le stimuler dans cette voie. L'attitude de sa femme était suicidaire: si son intérêt consistait, pour qu'elle fût comblée, à ce que Rodolfo se comportât de la plus grande des rigueurs sociales, il faudrait, dans ce cas de figure, souligner, au fil du temps la vulgarité, d'Adelina elle-même. Sa femme ne se rendit pas compte que ses chances de bonheurs résidaient, précisément, dans le fait que Rodolfo continuât sur le chemin de la bonhomie désinvolte. Elle aurait été la femme idéal d'un joueur de domino. C'est Adelina qui avait obligé Rodolfo à fermer les portes de sa maison à ses vieux amis de domino. Adelina qui avait limité à un seul déjeuner dominical l'excentrique présence de Don Chepepón. Adelina qui avait forcé son mari à rouvrir le grand salon fréquenté par les partisans du modèle français, et elle qui avait établi les listes d'invités sélectionnés. Elle encore, qui avait plaidé pour que Rodolfo embauchât un vendeur et pour qu'il se cachât dans le bureau improvisé pour les gens d'en haut. Et en fin, c'est elle qui avait supprimé l'éternel sourire des lèvres du commerçant. Adelina avait également permis au mari, en s'exhibant devant les vielles familles, aux tertulias du samedi, de comparer des coutumes. Non pas que celles des invités eût été exemplaires, mais parce qu' Adelina se trouvait toujours sur un siège plus bas que celui de la plus stricte médiocrité provinciale. Toutes les voix étaient pressées; celle d'Adelina, braillarde. Tous étaient hypocrites; Adelina surenchérissait. Tous étaient bigots; Adelina, avec déplaisir. Et ils possédaient tous un minimum de connaissances sur les valeurs prônées; à elle, il lui en manquait. Les opinions abondèrent: snobisme, manque de tacte, mauvaise éducation sociale. Et Rodolfo, disposé à assumer à nouveau la tradition, avait dû accepter la censure. Au fur et à mesure que les objectifs de l'épouse se réalisaient, le côté affectueux du mari se refroidissait peu à peu. Les altercations commencèrent: il y eut des mailles à partir, des sanglots.

jeudi 27 octobre 2011

Question de lexique

Qu'est-ce qu'une = GOULE ?

mardi 25 octobre 2011

La chanson du mardi, choisie par Elena

Esta no es una canción cualquiera. Remonta a lejos, los años 70. Para poder escuchar este tipo de música, había que ser discretos. Todo era clandestino. Nos gustaba el rock, pero en esa época llevar el pelo largo y pantalones vaqueros era subversivo. Un día, por la noche, vinieron a buscar gente, les destruyeron todo, según contaron, los colchones, por ejemplo, quedaron deshilachados a cuchilladas. Se los llevaron en una camioneta, atados y con los ojos vendados. No los volvimos a ver durante días. Y esperábamos con miedo, el miedo de la incertidumbre. De todas las personas que se llevaron esa noche, todos volvieron, menos uno, el padre de una chica de nuestra edad que jamás volvimos a ver... Nunca contaron lo que vivieron, les estaba prohibido, y ademas somos la generacion protegida.
Escuchábamos las canciones acostadas en el piso, encerradas en una semi penumbra y todo adquiría una dimensión mágica...

Référence culturelle : la jarana yucateca

la jarana yucateca
une idée d'Auréba


En vidéo :

Pour celles et ceux qui s'interrogent sur…

… la « guanga » – terme présent dans le texte de Fuentes, à rendre pour dans quelques jours. Je vous joins la petite fiche établie par Elena à ce sujet. Merci à elle de son aide.

"guanga" significa literalmente "aguada" "floja" etc. Se refiere a algo que se ha ensanchado con el uso, como un sueter ajustado que se ha usado mucho y ahora se ha ensanchado. Cuando se usa de manera ofensiva, se refiere a una mujer que tiene el cuerpo demasiado flácido y, en un sentido ofensivo en extremo, se refiere a una mujer que ha estado con muchos hombres.

http://www.wordreference.com/definicion/guangohttp://elplop.com/?search=guango

dimanche 23 octobre 2011

Question de lexique

Qu'est-ce qu'un = ÉMOTICÔNE ?

samedi 22 octobre 2011

Version de L1 (à rendre pour le 5 novembre)

Un día estaba en la cola del cine esperando para entrar a ver El Zorro, que la ponían en un cine de Carabanchel Bajo, se me acercó un chaval y me preguntó por todo el morro:, –Oyes, niño, ¿tú no serás Manolito Gafotas?, Y yo le dije a ese niño que sí que lo era y que por qué lo había sabido. Y ese niño me dijo que se lo había imaginado por las gafas, porque las llevaba sujetas con una goma, porque llevaba de la mano al Imbécil, por las orejas de ese Orejones que iba a mi lado, porque había un chulo conmigo que debía de ser Yihad y porque también me acompañaban dos niñas bastante bestias, que seguramente eran: La Susana Bragas–sucias y Melody Martínez., Todos nos quedamos bastante alucinados con la inteligencia sobrenatural de aquel niño adivinador y le rodeamos para preguntarle cosas sobre nuestras vidas y lo sabía todo de todo, porque había leído los cuatro volúmenes que se han escrito sobre mi vida., El niño adivinador superó todas las pruebas sobre quién era la Luisa, las collejas de efecto–retardado que da mi madre, la próstata de mi abuelo o los peluquines de mi padrino Bernabé, pero sobre lo que no pudo contestar casi ninguna pregunta fue sobre mi padre, porque me dijo que casi nunca salía en los capítulos de mi espeluznante vida. Todos mis amigos, que además de ser mis amigos son unos cerdos y unos traidores, le dieron la razón y dijeron a coro: «Es cierto, es cierto, a tu padre no lo sacas nunca».

Elvira Linda, Manolito Gafotas on the road

Version de CAPES, 18 (à rendre pour le 27 octobre)

¿Cómo había transcurrido ese primer año de ma­trimonio entre Adelina y Rodolfo? Acaso el joven, al tomar estado, decidió que sus obligaciones consistían en mantener, dentro de lo posible, la consabida apa­riencia de un Ceballos. Algún cambio moral debía suponer el matrimonio: el único probable, en el caso de Rodolfo Ceballos, era pasar de la existencia sim­pática, despreocupada, guanga, que hasta entonces había conducido, a una vida –¿cómo lo diría él mismo?– más seria, más asentada. Nunca habían tenido fe en él. No había podido hacer la carrera de leyes. Su madre lo destituyó de la administración de las tierras. Ahora demostraría que podía ser tan exce­lente jefe de familia como su padre. La transforma­ción no había de costarle demasiado trabajo: si Ro­dolfo era nieto de Margarita la jocunda, también era hijo de Guillermina la tiesa; La verdad es que Ade­lina López puso cuanto estuvo de su parte para es­timularlo en esta dirección. La actitud de la mujer era suicida: si su interés estribaba en que, para encumbrarla, Rodolfo se condujera con el mayor rigor social, en este desarrollo habría de destacar, con el tiempo, la propia vulgaridad de Adelina. La mujer no se dio cuenta de que sus posibilidades de felicidad radicaban, precisamente, en que Rodolfo continuase por su senda de bonhomía desaliñada. Hubiese sido la mujer ideal de un jugador de dominó. Fue Ade­lina quien obligó a Rodolfo a cerrar las puertas de la casa a los antiguos compañeros de dominó. Adeli­na quien limitó a un almuerzo dominical la estridente presencia de don Chepepón. Adelina quien orilló a su marido a abrir de nuevo el largo salón afrancesado, y ella quien formuló las listas de invitados selectos. Ella, quien clamó para que Rodolfo tomase un dependiente de almacén y se escondiese en la improvisada oficina de los altos. Ella, en fin, quien suprimió la eterna sonrisa de los labios del comerciante. Pero también, al exhibirse en la forzada tertulia de los sá­bados ante las viejas familias, Adelina había permi­tido al marido comparar costumbres. No porque las de los invitados fuesen ejemplares, sino porque Ade­lina siempre resultaba en un escaño más bajo que el de la estricta mediocridad provinciana. Todas las voces eran apresuradas; la de Adelina, chillona. To­dos eran hipócritas; Adelina sobreactuaba. Todos eran beatos; Adelina, con mal gusto. Y todos poseían el mínimo de conocimiento de los valores entendidos; a ella le faltaba. Abundaron las opiniones: cursilería, ausencia de tacto, mala educación social. Y Rodolfo, dispuesto a asumir de nuevo su tradición, hubo de aceptar las censuras. A medida que los propósitos de la esposa se realizaban, el afecto del marido se iba en­friando. Empezaron los altercados, los dimes y diretes, los lloriqueos., Carlos Fuentes, Las buenas conciencias

vendredi 21 octobre 2011

Question de culture générale…

… posée par Elena : Qui était Mateo Sánchez ?

Version de CAPES, 17 (à rendre pour le 21 octobre)

CADA VIDA, UN FOLLETÍN

Pasé casi todo ese año de 1993 encerrada escribiéndote, Paula, entre lágrimas y recuerdos, pero no pude evitar una larga gira por varias ciudades norteamericanas para promover El plan infinito, una novela inspirada en la vida de Willie; acababa de publicarse en inglés, pero la había escrito dos años antes y ya existía en varios idiomas europeos. El título se lo robé al padre de Willie, cuya religión trashumante se llamaba «el plan infinito». Willie había mandado mi libro de regalo a todos sus amigos, calculo que él compró la primera edición completa. Estaba tan ufano que debí recordarle que no era su biografía, sino ficción.

«Mi vida es una novela», me respondió. Todas las vidas pueden contarse como una novela, cada uno de nosotros es el protagonista de su propia leyenda. En este momento, al escribir estas páginas, tengo dudas. ¿Sucedieron los hechos tal como los recuerdo y como los cuento? A pesar de la fundamental correspondencia con mi madre, en la que preservamos día a día una versión más o menos verídica tanto de los eventos triviales como de los importantes, estas páginas son subjetivas. Willie me dijo que el libro era un mapa de su trayectoria y agregó que era una lástima que el actor Paul Newman estuviese un poco viejo para el papel del protagonista en caso que hicieran la película.

«Habrás notado que Paul Newman se parece a mí», me hizo ver con su habitual modestia. No me había dado cuenta, pero no conocí a Willie de joven, cuando seguramente eran iguales.

La publicación del libro en inglés ocurrió en mal momento para mí; no deseaba ver a nadie y la idea de una gira de promoción me agobiaba. Estaba enferma de pena, obsesionada por lo que pude haber hecho y no hice para salvarte. ¿Cómo no me di cuenta de la desidia de los médicos en aquel hospital de Madrid? ¿Por qué no te saqué de allí y te traje de inmediato a California? Por qué, por qué... Me encerraba en la pieza donde pasaste tus últimos días, pero ni siquiera en ese lugar sagrado hallaba algo de paz. Habrían de pasar muchos años antes de que te convirtieras en una amiga suave y constante. Entonces sentía tu ausencia como un dolor agudo, una lanza en el pecho, que a veces me ponía de rodillas.

También me preocupaba Nico, porque acabábamos de enterarnos de que tu hermano también tiene porfiaría.

«Paula no murió de porfiria, sino por negligencia médica», insistía tu hermano, para tranquilizarme, pero estaba inquieto, no tanto por sí mismo como por sus dos hijos y el tercero que venía en camino. Los niños podrían haber recibido esa nefasta herencia; lo sabríamos cuando tuvieran edad para someterse a los exámenes. Tres meses después de tu muerte, Celia nos anunció que esperaban otro crío, lo que yo ya sospechaba, por sus ojeras de sonámbula y porque yo lo había soñado, tal como soñé a Alejandro y Andrea antes de que se movieran en el vientre de su madre. Tres hijos en cinco años era una imprudencia; Nico y Celia carecían de empleo seguro y sus visas de estudiante estaban a punto de expirar, pero igual celebramos la noticia.

Isabel Allende, La suma de los días

***

Annabelle nous propose sa traduction :

Chaque vie, un feuilleton

Je passai presque toute cette année 1993 enfermée à t'écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je ne pus éviter une longue tournée par différentes villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d'être publié en anglais, mais je l'avais écrit deux ans auparavant et il existait déjà dans plusieurs langues européennes. J'avais volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s'appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis, je pense qu'il a acheté la première édition complète. Il était si fier que je dus lui rappeler que ce n'était pas sa biographie, mais une fiction.

« Ma vie est un roman », me répondit-il. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d'entre nous est le protagoniste de sa propre légende. Maintenant, en écrivant ces pages, j'ai des doutes. Les faits se sont-ils produits comme je m'en souviens et comme je les raconte ? Malgré la correspondance fondamentale avec ma mère, où nous avons préservé jour après jour une version plus ou moins véridique aussi bien des événements triviaux que de ceux qui sont importants, ces pages sont subjectives. Willie me dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il ajouta qu'il était dommage que l'acteur Paul Newman soit un peu trop vieux pour le rôle du personnage principal au cas où on ferait le film.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble », me fit-il observer avec sa modestie habituelle. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais je n'avais pas connu Willie jeune, lorsqu'ils étaient certainement pareils.

La publication du livre en anglais arriva à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l'idée d'une tournée de promotion m'accablait. J'étais malade de chagrin, obsédée par ce que j'aurais pu faire et que je n'avais pas fait pour te sauver. Comment ne m'étais-je pas aperçue de la désinvolture des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t'avais-je pas sortie de là pour d'emmener immédiatement en Californie ? Pourquoi, pourquoi... Je m'enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même en ce lieu sacré je ne trouvais pas de paix. Il aura fallu que beaucoup d'années passent avant que tu ne te transformes en une amie douce et constante. En ce temps-là, je sentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine, qui me mettait parfois à genoux.

Je m'inquiétais aussi pour Nico, parce que nous venions d'apprendre que ton frère aussi a la porphyrie.

« Paula n'est pas morte de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet, pas autant pour lui-même que pour ses deux fils et pour le troisième qui était en route. Les enfants pouvaient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions quand ils auraient l'âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Célia nous annonça qu'elle attendait un autre bébé, ce que je soupçonnais déjà, à cause de ses cernes de somnambule et parce que je l'avais rêvé, tout comme j'avais rêvé d'Alejandro et Andrea avant qu'ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c'était une imprudence ; Nico et Celia n'avaient pas d'emploi stable et leurs visas d'étudiants étaient sur le point d'expirer, mais nous avons quand même célébré la nouvelle.

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Hélène nous propose sa traduction :

À chaque vie, un feuilleton

Paula, j’ai passé presque l’intégralité de cette année 1993 renfermée, à t’écrire, avec pour seule compagnie les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pas pu éviter une longue tournée dans différentes villes nord-américaines pour promouvoir El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux années auparavant et il existait déjà en plusieurs langues en Europe. J’ai volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumaniste s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis ; d’après mes calculs, il a acheté l’intégralité de la première édition. Il était si fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment même, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les évènements se sont-ils produits tels que je m’en rappelle et tels que je les raconte ? Ces pages sont subjectives même si dans la correspondance fondamentale avec ma mère, nous préservons jour après jour une version plus ou moins véridique tant des évènements banals que des principaux. Willie m’a dit que le livre retraçait son parcours et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle principal au cas où il y aurait une adaptation au cinéma.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble » m’a-t-il souligné avec son habituelle modestie. Je ne m’étais pas rendue compte, mais je n’ai pas connu Willie dans sa jeunesse, quand assurément ils étaient semblables.

La publication du livre en anglais a eu lieu à un mauvais moment pour moi ; je ne voulais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion m’accablait. J’étais malade de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire et ce que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment ai-je pu ne pas me rendre compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’ai-je pas sortie de là pour t’emmener aussitôt en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu as passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais la paix. Il faudra sans doute beaucoup d’années avant que tu deviennes une amie douce et constante. Pour l’instant, je sentais ton absence telle une douleur aiguë, un poignard dans le cœur, qui parfois me mettait à genoux.

Je m’inquiétais également pour Nico car nous venions d’apprendre que ton frère était lui aussi atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie mais de négligence médicale » insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet, pas tant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les petits pouvaient avoir reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions quand ils seraient en âge de passer les tests. Trois mois après ta mort, Celia nous annonçait qu’ils attendaient un autre bébé, ce que je soupçonnais déjà au vu de ses cernes de somnambules et parce que je l’avais rêvé, de la même manière que j’ai rêvé d’Alejandro et d’Andrea avant même qu’ils bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était une folie ; Celia et Nico n’avaient pas d’emploi stable et leurs visas étudiants étaient sur le point d’expirer, mais nous fêtions la nouvelle comme si de rien était.

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Laurie nous propose sa traduction :

Chaque vie est un feuilleton

J’avais passé presque toute cette année 1993, enfermée, à t’écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je n’avais pas pu éviter une longue tournée dans plusieurs villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, pour lequel je m’étais inspirée de la vie de Willie. Il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il était déjà sorti dans plusieurs langues européennes. Le titre, je l’avais volé au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre, en cadeau, à tous ses amis, d’après mes calculs, il avait acheté, à lui seul, la première édition en entier. Il était si fier que j’avais dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’avait-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun d’entre nous est le héros de sa propre légende. Maintenant, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les faits se sont-ils passés tel que je m’en souviens et tel que je les raconte ? Malgré ma correspondance fondamentale avec ma mère, dans laquelle nous préservons, jour après jour, une version plus ou moins véridique des événements, qu’ils soient triviaux ou importants, ces pages sont subjectives. Willie m’avait dit que le livre était une carte de son parcours et il avait ajouté qu’il trouvait dommage que l’acteur Paul Newman fût un peu vieux pour le rôle du protagoniste au cas où on ferait un film.

« Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble », avait-il souligné avec son habituelle modestie. Je ne m’en étais pas rendue compte, mais je n’avais pas connu Willie dans sa jeunesse, quand ils étaient, sûrement, identiques.

La publication du livre en anglais était mal tombée pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée promotionnelle m’accablait. J’étais malade de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire, et que je n’avais pas fait, pour te sauver. Comment avais-je pu passer à côté du laisser-aller des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas faite sortir pour t’emmener aussitôt en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais pas un peu de paix. De nombreuses années avaient dû passer avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Alors, je sentais ton absence comme une douleur aiguë, comme un poignard dans le cœur, qui me mettait parfois à genoux.

Nico aussi m’inquiétait, parce que nous venions d’apprendre que ton frère aussi était atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère, pour me rassurer, mais il était inquiet, pas vraiment pour lui-même mais plutôt pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants avaient pu recevoir cet héritage néfaste ; nous ne l’aurions su que quand ils auraient eu l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu’ils attendaient un autre enfant, ce que, moi, je soupçonnais déjà, à cause de ses cernes de somnambule et parce que je l’avais rêvé, tout comme j’avais rêvé d’Alexandre et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était de l’imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas d’emploi fixe et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais cela ne nous avait pas empêchés de fêter la nouvelle.

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Auréba nous propose sa traduction :

J’ai passé quasiment toute cette année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, avec mes larmes et mes souvenirs, mais je n’ai pas pu éviter une longue tournée à travers plusieurs villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans plus tôt et il existait déjà dans plusieurs langues européennes. Le titre, je l’ai volé au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis, je crois que c’est lui qui a acheté l’intégralité de la première édition. Il était tellement fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais de la fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, en écrivant ces pages, j’ai des doutes. Les faits se sont-ils déroulés comme je me les rappelle et comme je les raconte ? Malgré la correspondance essentielle avec ma mère, dans laquelle nous préservons au jour le jour une version plus ou moins véridique autant des événements triviaux que des plus importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du protagoniste au cas où on en ferait un film.

« Tu as peut-être dû remarquer que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait voir avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie quand il était jeune, quand ils étaient sûrement pareils.

La publication du livre en anglais est arrivée à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion me stressait. Je mourais de chagrin, obsédée par ce que j’aurais pu faire et que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment ai-je pu ne pas me rendre compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’en ai-je pas sorti pour t’emmener de suite en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la pièce où tu as passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré, je n’arrivais pas à trouver un peu de paix. De nombreuses années allaient devoir s’écouler avant que tu deviennes une amie douce et constante. À l’époque, je ressentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine, au point quelques fois de me mettre à genoux.

J’étais inquiète aussi pour Nico, parce que nous venions d’apprendre que ton frère aussi souffre de porphyrie.

« Paula n’est pas morte pour cause de porphyrie, mais de négligence médicale », insistait ton frère, pour me tranquilliser, mais il était inquiet, pas autant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pouvaient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions quand ils auraient l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous a annoncé qu’ils attendaient un autre bébé, ce dont je me doutais déjà, à en juger par ses cernes de somnambule et parce que j’en avais rêvé, tout comme j’ai rêvé d’Alejandro et d’Andréa avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c’était une imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas de travail sûr et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais nous avons quand même célébré la nouvelle.

***

Elena nous propose sa traduction :

CHAQUE VIE, UN FEUILLETON

J’ai passé presque toute l’année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, entre larmes et souvenirs, mais je n’ai pu éviter une longue tournée dans plusieurs villes nord-américaines afin de promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il existait déjà en plusieurs langues européennes. Le titre, je l’avais emprunté au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre comme cadeau à tous ses amis, je crois même qu’il avait acheté la première édition en entier. Il en était tellement fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais une fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d’entre nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, en écrivant ces pages, je suis dans le doute. Les faits se sont-ils déroulés tel que je m’en souviens et comme je les raconte ? En dépit de l’importante correspondance avec ma mère, à travers laquelle nous préservons, jour après jour, une version plus ou moins véridique autant des événements triviaux que des importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de son parcours et il a ajouté que c’était dommage que l’acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle principal, si jamais on réalisait le film.

« Tu auras constaté que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait remarquer avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie étant jeune, quand ils étaient certainement semblables.

La publication du livre en anglais avait eu lieu à une mauvaise période pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion m'accablait. J’étais malade de peine, obsédée par l’idée de ce que j’aurais pu faire et que je n’avais pas fait pour te sauver. Comment ne m’étais-je pas aperçue de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas sortie de là et ramenée immédiatement en Californie ? Pourquoi, pourquoi… Je m’enfermais dans la chambre où tu avais passé tes derniers jours, mais même à cet endroit sacré, je ne trouvais pas un peu de repos. Beaucoup d’années ont dû s’écouler avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Mais à l’époque, je ressentais ton absence comme une douleur aigüe, une lance dans ma poitrine, qui parfois m’agenouillait.

Nico m’inquiétait aussi, car nous venions d’apprendre que ton frère aussi est atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais par négligence médicale », insistait ton frère, pour me rassurer, cependant il était inquiet, pas tellement pour lui-même, mais pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pourraient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurions lorsqu’ils auraient l’âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ton décès, Celia nous avait annoncé qu’ils attendaient un autre gamin, ce que je soupçonnais déjà, de par ses cernes de somnambule et parce que je l’avais rêvé, tel que j’avais rêvé d’Alejandro et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans était une imprudence ; Nico et Celia n’avaient pas de travail fixe et leurs visas d’étudiant étaient sur le point d’expirer, mais nous avons également célébré la nouvelle.

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Irène nous propose sa traduction :

Chaque vie, un feuilleton

J'ai passé presque toute cette année 1993 enfermée à t'écrire, Paula passant des larmes aux souvenirs, mais je n'ai pas pu éviter une longue tournée à travers différentes villes nord-américaines pour promouvoir Le plan infini, un roman inspiré de la vie de Willie ; on venait de le publier en anglais, mais je l'avais écrit deux ans auparavant et il existait en différentes langues européennes. Le titre, je l'avais volé au père de Willie dont la religion transhumante s'appelait « le plan infini ».

Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis et je suppose qu'il avait acheté toute la première édition. Il en était si fier que je dus lui rappeler que ce n'était pas sa biographie mais une fiction.

« Ma vie est un roman » me répondit-il. Toutes les vies peuvent être racontées comme un roman, chacun de nous est le héros de sa propre légende. En ce moment, lorsque j'écris ces pages, j'ai des doutes. Les faits se sont-ils déroulés comme je les remémore et comme je les raconte? Malgré la correspondance avec ma mère, correspondance fondamentale dans laquelle nous avons préservé jour après jour une version plus ou moins véridique, aussi bien des événements triviaux que des événements importants, ces pages sont subjectives. Willie me dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il ajouta qu'il était regrettable que l'acteur Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du protagoniste, si par cas on faisait le film.

«Tu as dû remarquer que Paul Newman me ressemble», me signifia t-il avec sa modestie habituelle. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais je ne connaissais pas Willie dans sa jeunesse, lorsqu'ils étaient sûrement pareils. La publication du livre en anglais eut lieu à un mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l'idée d'une tournée promotionnelle m'angoissait. J'étais malade de chagrin, obsédée par ce que j'aurais pu faire et que je n'avais pas fait pour te sauver. Comment ne m'étais-je pas rendu compte de la négligence des médecins dans cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t'avais-je pas sortie immédiatement de là et ne t'avais-je pas emmenée directement en Californie? Pourquoi, pourquoi... Je m'enfermais dans la chambre où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré je ne trouvais pas un peu de paix. Il a fallu que s'écoulent de nombreuses années avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. En ce temps-là, je ressentais ton absence comme une douleur aiguë, une lance dans la poitrine qui m'obligeait parfois à m'agenouiller.

Nico aussi m'inquiétait, parce que nous venions d'apprendre que ton frère lui aussi est atteint de porphyrie.

« Paula n'est pas morte de porphyrie, mais à cause d'une négligence médicale », insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet et pas tant pour lui-même que pour ses deux fils ainsi que pour le troisième qui était en route. Les enfant avaient peut-être reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions lorsqu'ils seraient en âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu'ils attendaient un autre enfant, ce que je soupçonnais déjà à ses cernes de somnambule et parce que je l'avais rêvé, de même que j'avais rêvé d' Alejandro et d'Andrea avant qu'ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans, c'était une imprudence ; Nico et Celia n'avaient pas d'emploi stable et leurs visas d'étudiants étaient sur le point d'expirer, mais nous fêtâmes tout de même la bonne nouvelle.

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Justine nous propose sa traduction :

J’ai passé presque toute cette année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, entre les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pu éviter un long voyage dans de nombreuses villes nord-américaines pour la promotion de El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait d’être publié en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il en existait déjà de nombreuses versions européennes. J’avais volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « el plan infinito ». Willie avait offert mon livre à tous ses amis, je pense qu’il a acheté la première édition complète. Il était si fier que j’ai dû lui rappeler que ce n’était pas sa biographie, mais de la fiction.

« Ma vie est un roman », m’a-t-il répondu. Chaque vie peut être racontée comme un roman, chacun de nous est le protagoniste de sa propre légende. En ce moment, lorsque j’écris ces pages, j’ai des doutes. Les choses se sont-elles passées comme dans mon souvenir et comme je les raconte ? Malgré une correspondance fondamentale avec ma mère, dans laquelle nous préservons jour après jour une version plus ou moins véridique aussi bien des évènements banals que des évènements importants, ces pages sont subjectives. Willie m’a dit que le livre était une carte de sa trajectoire et il a ajouté qu’il était dommage que Paul Newman soit un peu vieux pour le rôle du personnage principal en cas d’adaptation cinématographique.

« Tu auras remarqué que Paul Newman me ressemble », m’a-t-il fait observer avec sa modestie habituelle. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais je n’ai pas connu Willie quand il était jeune, lorsque ils étaient sûrement semblables.

La publication du livre en anglais a eu lieu au mauvais moment pour moi ; j’avais envie de ne voir personne et l’idée d’un voyage de promotion m’angoissait. J’étais rongée par la peine, obnubilée par ce que j’aurais pu faire et n’avais pas fait pour te sauver. Comment ne m’étais-je pas rendu compte de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’avais-je pas sorti de là pour t’emmener immédiatement en Californie ? Pour qui, pour quoi… ? Je m’enfermais dans la pièce où tu avais passé tes derniers jours, mais même dans ce lieu sacré, je ne trouvais pas la paix. Beaucoup d’années auront passé avant que tu ne deviennes une amie douce et constante. Je ressentais alors ton absence comme une douleur aigue, un poignard en plein cœur, qui parfois me laissait à genoux.

Je me faisais aussi du souci pour Nico, car nous venions d’apprendre que ton frère aussi était atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de la porphyrie, mais à cause de négligence médical », insistait ton frère, pour me rassurer, mais il était inquiet, pas tant pour lui-même que pour ses deux enfants et le troisième qui allait naître. Les enfants pourraient avoir reçu ce néfaste héritage ; nous le saurons quand ils seront en âge d’aller faire les examens. Trois mois après ta mort, Celia nous a annoncé qu’ils attendaient un autre enfant, ce que je soupçonnais déjà, à ses oreilles de somnambule, et pour en avoir rêvé, comme j’avais rêvé d’ Alejandro et d’Andrea avant qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en cinq ans c’était imprudent ; Nico et Celia n’avaient pas d’emplois stables, et leurs visas d’étudiants arrivaient bientôt à expiration, mais peu importe nous célébrons la nouvelle.

J'aimerais savoir si les choix temporels pour lesquels j'ai opté vous paraissent judicieux?

D'autre part, j'ai cru comprendre que vous enseigniez actuellement à Poitiers, savez-vous si là-bas ou à Bordeaux, il y aura un jour un Master Professionnel de traduction littéraire, ou si celui -ci est définitivement condamné?

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Armelle nous propose sa traduction :

A chaque vie, son feuilleton.

J’ai passé presque toute l’année 1993 enfermée à t’écrire, Paula, dans les larmes et les souvenirs, mais je n’ai pu échapper à une longue tournée dans plusieurs villes des Etats-Unis pour faire la promotion de El plan infinito, un roman inspiré de la vie de Willie ; il venait de paraître en anglais, mais je l’avais écrit deux ans auparavant et il était déjà disponible dans plusieurs langues européennes. J’ai volé le titre au père de Willie, dont la religion transhumante s’appelait « le plan infini ». Willie avait envoyé mon livre en cadeau à tous ses amis ; je suppose qu’il acheta l’ensemble de la première édition. Il était tellement fier, que j’ai du lui rappeler que ce n’était pas sa biographie mais bien une fiction.

« Ma vie est un roman » me répondit-il. Toutes les vies peuvent se raconter comme un roman, chacun d’entre nous est le héros de sa propre légende. A cet instant, en écrivant ces pages, je doute. Les événements se sont-ils passés tels que je m’en souviens et tels que je les raconte ? Ces pages demeurent subjectives, en dépit de l’importante correspondance avec ma mère, où nous gravions jour après jour une version plus ou moins véridique des événements les plus banals comme les plus importants. Willie m’a dit que le livre était une carte de son parcours et il ajouta que c’était dommage que Paul Newman fût trop âgé pour jouer le rôle principal dans le cas où ils en feraient un film.

« Tu auras noté que Paul Newman me ressemble » me dit-il avec son habituelle modestie. Je ne l’avais pas remarqué, mais je n’ai pas connu Willie jeune, quand vraisemblablement ils se ressemblaient.

La publication du livre en anglais advint au mauvais moment pour moi ; je ne souhaitais voir personne et l’idée d’une tournée de promotion me rendait malade. J’étais morte de tristesse, obsédée par ce que j’aurais pu faire et ce que je n’ai pas fait pour te sauver. Comment est-il possible que je ne me sois pas rendu compte de la négligence des médecins de cet hôpital de Madrid ? Pourquoi ne t’ai-je pas tirée de là et immédiatement amenée en Californie ? Pourquoi… pourquoi… Je me retirais dans la pièce où tu passas tes derniers jours, mais même dans cet endroit sacré, je ne trouvais pas la moindre paix. Il aura fallu de nombreuses années avant que tu ne deviennes en une amie douce et constante. C’est alors que je ressentais une douleur insupportable, une flèche en plein cœur, qui parfois me mettait à genoux.

Nico aussi m’inquiétait, en effet, nous venions d’apprendre qu’il était également atteint de porphyrie.

« Paula n’est pas morte de porphyrie, mais de la négligence des médecins » insistait ton frère pour me rassurer, mais il était inquiet. Pas tant pour lui-même, que pour ses deux enfants et le troisième qui était en route. Les enfants pourraient avoir reçu cet héritage néfaste ; nous le saurions lorsqu’ils seraient en âge de se soumettre aux examens. Trois mois après ta mort, Celia nous annonça qu’elle attendait un autre bébé, ce que je suspectais, en voyant ses cernes d’insomniaque et parce que je l’avais vu, comme j’avais vu Alejandro et Andrea en rêve avant même qu’ils ne bougent dans le ventre de leur mère. Trois enfants en moins de cinq ans, c’était une imprudence ; il manquait à Nico et Celia un emploi stable et leurs visas d’étudiants étaient sur le point d’expirer, mais nous nous sommes tout de même réjouis de la nouvelle.