He soñado mucho a lo largo de mi vida, pero el sueño que tuve, o mejor dicho, tuvimos, en aquel verano de 1977, llegó muy lejos, más allá de esa clase de pesadillas en las que nos vemos convertidos en caballos o a merced de un verdugo chino, y fue, en ese sentido, extraordinario. Todo comenzó cuando Pablo Ardisán, un compañero del club de alpinismo al que yo entonces pertenecía, me invitó a hacer una travesía por la isla Ellesmore, en el Océano Ártico., Ardisán me explicó que la isla estaba muy cerca de Groenlandia y que su propósito, el suyo y el de otro montañero, un tal Fernando, era atravesar las cordilleras y valles helados que se extendían entre Craig Harbour y una pequeña población llamada Alert. "¿Y cuál es el cuento?", le pregunté. "Alert queda más al norte que Thule o cualquier otro lugar habitado. Es el último pueblo del mundo", me respondió. No estaba mal. También a mí me gustaba la idea de llegar a lo más norte del norte. Por otra parte, mi especialidad dentro del montañismo era el esquí de fondo. Le dije que sí, que contara conmigo., Unos meses más tarde, los tres miembros de la expedición nos encontrábamos en Ottawa, en las oficinas del Canadian Artic State: "¿Por qué motivo quieren ir a Ellesmore? ¿Por qué sólo hay dos policías en toda la isla?", nos preguntó el funcionario con buen humor. "Si es que los dos siguen allí. Se ha corrido la voz de que el más joven ha huido con una osa", añadió otro funcionario provocando la risa de todos los que en ese momento trabajaban en la oficina. El comentario no nos extrañó. El barman del hotel ya nos había contado un par de chistes acerca de aquella pareja de la Policía Montada, la única que, al parecer, patrullaba por los fríos y solitarios treinta y cinco mil kilómetros cuadrados de Ellesmore. "Somos deportistas y queremos hacer una travesía desde Craig hasta Alert", aclaró Ardisán con su seriedad habitual. "Supongo que estarán ustedes al tanto de la dificultad de su empresa", nos dijo el funcionario a la vez que nos entregaba los permisos. También él se había puesto serio. "No crean ustedes que aquello es Europa. Es el Ártico". "Y además", añadió su compañero, el mismo gracioso de antes, "el fantasma de William Baffin habita en esa isla. Pero no se preocupen. Si tienen algún problema, acudan a la cabaña de los dos policías. Para ellos será un placer echarles una mano. Por lo que cuentan, están ansiosos por conocer gente nueva". Sonreímos ante su comentario y nos marchamos de la oficina. Lo importante era que ya teníamos los permisos.
Bernardo Atxaga, « Declaración del tercer montañero »
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Hélène nous propose sa traduction :
J’ai beaucoup rêvé au cours de ma vie, mais le rêve que j’ai fait, ou plutôt que nous avons fait, cet été 1977, atteignit des sommets, dépassa ce type de cauchemars où l’on se voit transformé en cheval ou bien à la merci d’un bourreau chinois. C’est en ce sens, qu’il fut extraordinaire. Tout commença quand Pablo Ardisán, un ami du club d’alpinisme auquel j’appartenais alors, m’invita à faire une traversée de l’île d’Ellesmere, qui se trouve dans l’Océan Arctique. Ardisán m’expliqua que l’île était très proche du Groenland et que son objectif, le sien et celui d’un autre alpiniste, un certain Fernando, était de traverser les montagnes et les vallées gelées qui s’étendent de Craig Harbour jusqu’à une petite bourgade appelée Alert. « Et quel est l’enjeu ? », lui demandai-je. Alert se situe plus au nord que Thule ou que n’importe quel autre lieu habité. C’est le village aux confins de monde », me répondit-il. Ce n’était pas rien. Moi aussi, j’aimais l’idée d’atteindre l’extrémité nord du Nord. D’ailleurs, ma spécialité dans le domaine de l’alpinisme était le ski de fond. Je lui dis que oui, qu’il pouvait compter sur moi. Quelques mois plus tard, nous, les trois membres de l’expédition, nous retrouvions à Ottawa, dans les bureaux de la Canadian Artic State : « Pour quelle raison voulez-vous aller à Ellesmere ? C’est parce qu’il n’y a que deux policiers sur toute l’île ? », nous demanda le fonctionnaire avec humour. « S’il est vrai qu’ils sont encore deux. La rumeur court que le plus jeune s’est enfui avec une ourse », ajouta un autre fonctionnaire ce qui fit rire tous ceux qui travaillaient à ce moment-là dans le bureau. Le commentaire ne nous étonna guère. Le barman de l’hôtel nous avait déjà raconté quelques blagues au sujet de ces deux agents de la police montée, les seuls, semble-t-il, qui patrouillaient dans les trente-cinq mille kilomètres carrés froids et retirés d’Ellesmere. « Nous sommes des sportifs et nous voulons faire une traversée de Craig jusqu’à Alert » expliqua Ardisán avec son sérieux habituel. « Je suppose que vous connaissez la difficulté de votre entreprise », nous dit le fonctionnaire alors qu’il nous remettait les permis. Lui aussi était sérieux. « Ne croyez pas que c’est l’Europe, c’est l’Arctique ». « Et en plus, ajouta son collègue, le même plaisantin de tout à l’heure, le fantôme de William Baffin hante cette île. Si vous avez un quelconque problème, rendez-vous à la cabane des deux policiers. Pour eux, ce sera un plaisir de vous aider. D’après ce qu’on dit, ils sont avides de nouvelles rencontres ». Nous répondîmes à son commentaire par un sourire et nous sortîmes du bureau. Ce qui importait, c’était que nous avions les permis.
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Irène nous propose sa traduction :
J'ai beaucoup rêvé tout au long de ma vie, mais le rêve que je fis, ou plutôt, que nous fîmes en cet été 1977, alla très loin, plus loin que le type de cauchemars dans lesquels nous nous voyons transformés en chevaux ou à la merci d'un bourreau chinois, et en ce sens, il fut extraordinaire. Tout commença quand Pablo Ardisán, un camarade du club d'alpinisme auquel j'appartenais alors, m'invita à faire une traversée sur l'île Ellesmore, dans l'Océan Arctique. Ardisán m'expliqua que l'île était très près du Groenland et que son propos, le sien et celui d'un autre montagnard, un dénommé Fernando, était de franchir les cordillères et les vallées glacées qui s'étendaient entre Craig Harbour et une petite agglomération qui s'appelait Alert. Et quelle est l'histoire? lui demandai-je. Alert se trouve plus au nord que Thule ou n'importe quel autre lieu habité. « C'est le dernier village du monde » me répondit-il. Ce n'était pas mal. Moi aussi, j'aimais bien l'idée d'arriver à l'extrême nord du Nord. D'autre part, ma spécialité dans le domaine de l'alpinisme, c'était le ski de fond. Je lui dis que oui, qu'il pouvait compter sur moi. Quelques mois plus tard, nous nous retrouvions à Otawa, dans les bureaux du Canadian Arctic State, nous, les trois membres de l'expédition : « Pour quel motif voulez-vous aller à Ellesmore ? Parce qu'il n'y a que deux policiers sur toute l'île ? » nous demanda le fonctionnaire, de bonne humeur. « Si tant est que les deux y soient encore. Le bruit a couru que le plus jeune s'est enfui avec une ourse, ajouta un autre fonctionnaire », faisant éclater de rire tous ceux qui travaillaient dans le bureau à ce moment-là. Le commentaire ne nous étonna pas. Le barman de l'hôtel nous avait déjà raconté deux ou trois blagues sur cette paire d'agents de la Police Montée, la seule qui, apparemment, patrouillait sur les 35 kilomètres carrés froids et solitaires de Ellesmore. Nous sommes sportifs et nous voulons faire une traversée de Craig à Alert, précisa Ardisán avec son sérieux habituel. «Je suppose que vous êtes au courant de la difficulté de votre entreprise » nous dit le fonctionnaire tout en nous remettant les autorisations. Lui aussi avait repris son sérieux. « Ne croyez pas que là-bas c'est l'Europe. C'est l'Arctique ». « Et de plus », ajouta son compagnon, le même comique qu'auparavant, « le fantôme de William Baffin vit sur cette île. Mais ne vous inquiétez pas. Si vous rencontrez le moindre problème, adressez-vous à la cabane des deux policiers. Ce sera pour eux un plaisir de vous donner un coup de main. D'après ce que l'on raconte, ils sont désireux de faire de nouvelles connaissances ». Nous sourîmes à son commentaire et quittâmes le bureau. L'important c'était que nous avions déjà les autorisations.
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Justine nous propose sa traduction :
J’ai beaucoup rêvé tout au long de ma vie, mais le rêve que j’ai fait, ou plus exactement, que nous avons fait lors de l’été 1977, alla très loin, plus loin encore que ce genre de cauchemars dans lesquels on se voit changé en chevaux ou à la merci d’un bourreau chinois, et c’est en ce sens que ce rêve a été extraordinaire. Tout a commencé lorsque Pablo Ardisán, un membre du club d’alpinisme auquel j’appartenais alors, m’a invité à faire une traversée en passant par l’île d’Ellesmore, dans l’Océan Arctique. Ardisán m’a expliqué que l’île était très proche du Groenland et que leur but, à lui et à un autre passionné de montagne, un certain Fernando, était de traverser les cordillères et les vallées gelées qui s’étendaient entre Craig Harbour et une petite localité appelée Alert. « Qu’est ce que c’est encore que cette histoire ? », lui ai-je demandé. « Alert se situe plus au nord que Thule ou que n’importe quel autre endroit habité. C’est le dernier village du monde », m’a-t-il rétorqué. Ce n’était pas mal. A moi aussi l’idée d’arriver le plus au nord du nord me plaisait. D’autre part ma spécialité en alpinisme c’était le ski de fond. J‘étais partant, je lui ai dit de compter sur moi. Quelques mois plus tard, nous, les trois membres de l’expédition, nous sommes retrouvés à Ottawa, dans les bureaux de l’Etat Arctique canadien : « Pour quelle raison voulez-vous aller à Ellesmore ? Serait-ce parce qu’il n’y a que deux gendarmes sur toute l’île ? », nous a demandé le fonctionnaire sur un ton enjoué. « Enfin si les deux y sont toujours. Le bruit a couru que le plus jeune s’était enfui avec une ourse », a ajouté un autre fonctionnaire provoquant le rire de tous ceux qui à cet instant travaillaient dans le bureau. Son commentaire ne nous a pas étonnés. Le barman de l’hôtel nous avait déjà raconté deux blagues à propos de ce couple de la Gendarmerie royale, la seule qui paraît-il, patrouillait à travers les trente-cinq kilomètres carrés froids et isolés d’Ellesmore. « Nous sommes sportifs et nous voulons faire une traversée de Craig à Alert », a précisé Ardisán avec son sérieux habituel. « Je suppose que vous êtes au courant de la difficulté de votre entreprise », nous a dit le fonctionnaire en même temps qu’il nous remettait nos autorisations. Lui aussi était devenu sérieux. « Ne croyez pas que là-bas c’est l’Europe. C’est l’Arctique ». « Et en plus », a ajouté son collègue, celui qui auparavant était drôle, « le fantôme de William Baffin hante cette île. Mais ne vous inquiétez pas. Si vous avez le moindre problème, rendez-vous à la cabane des deux gendarmes. Pour eux ce sera un plaisir de vous donner un coup de main. A ce qu’on raconte, ils sont désireux de faire de nouvelles connaissances ». Nous avons souri à son commentaire, et nous avons quitté le bureau. Nous avions les autorisations, c’était là l’important.
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