Equipo Crónica, L’intrus (1969).
Equipo Crónica, La reddition de Torrejón (1971).
Equipo Crónica, Le tribunal de Burgos (1971).
Crédits photographiques :
- DALMACE Michèle, Equipo Crónica : catálogo razonado, Valencia, Institut Valencià d’Art Modern, 2001, pp. 114-115 et 143.
- Equipo Crónica en la colección del IVAM, 2005 (catálogo de exposiciones), p. 146.
Le Guerrero del Antifaz chez Equipo Crónica
Le Guerrero del Antifaz, héros de bande dessinée, né à Valence en 1943 des mains du dessinateur Manuel Gago, a parfois quitté le monde de l’illustré au cours de sa longue existence pour s’aventurer dans d’autres contrées. En effet, il a inspiré les artistes de son temps, comme en témoignent ses apparitions dans les toiles d’Equipo Crónica, équipe de peintres pop constituée à Valence au milieu des années 1960, qui ont systématisé dans leur œuvre la pratique de l’emprunt et de la citation en puisant dans des iconographies aussi larges que l’iconographie cinématographique (western, série noire...), publicitaire (comme le préconisait le pop art), photographique événementielle (de la télévision et de la presse), picturale (détournement des œuvres des grands maîtres de la peinture espagnole, des avant-garde européennes, des artistes pop nord-américains tels Warhol ou Lichtenstein), ou littéraire (références bibliques et mythologiques) ainsi que l’iconographie de propagande (affiches de la guerre civile) et l’iconographie du dessin animé et de la bande dessinée (notamment le Guerrero del Antifaz).
Mais avant de découvrir comment les membres d’Equipo Crónica ont intégré le Guerrero del Antifaz dans leur univers, revenons quelques instants sur les débuts de ce personnage...
L’histoire de la bande dessinée débute en terre castillane, à l’époque des Rois Catholiques, avant la conquête de Grenade. Fils d’un comte chrétien dont l’épouse a été enlevée et séquestrée par un prince maure, il naît en territoire ennemi. Élevé dans le secret de sa véritable filiation, il adopte les valeurs de sa communauté d’adoption, ce qui le conduit, lorsqu’il est en âge de combattre, à affronter les chrétiens. Il se distingue d’ailleurs très tôt par sa force et sa bravoure. Mais un beau jour, sa mère, excédée par ses exploits impies, décide de lui révéler ses origines. Malheureusement, le prince surprend leur conversation et tue celle qui l’a trahi. Dès lors, le jeune homme, bafoué dans son honneur, poursuivra un but incessant : venger la mort de sa mère et le mensonge de sa naissance pour reconquérir son identité volée.
À la croisée d’interprétations contraires, le Guerrero del Antifaz a suscité la polémique...
Reflétant un « désir autarcique de posséder un héros autochtone combattant tous les ennemis extérieurs » (1), le Guerrero incarne « [l’]esprit du nouveau Cid Campeador » (2). Aussi, le sort réservé dans la bande dessinée aux représentants des autres religions conduit-il souvent à leur discrédit. En effet, la représentation du juif « obéit à une norme de comportement directement issue du stéréotype raciste [qui le] présente toujours comme un traître cupide » (3). Le musulman, quant à lui, reçoit un traitement plus ambigu : il est tantôt l’allié qui aide le Guerrero dans ses aventures, tantôt la figure du père adoptif. Cependant, il est surtout le responsable de son « traumatisme originel » (4). En outre, par sa subite conversion, son inépuisable ferveur et son besoin irrépressible de réhabilitation, le Guerrero se pose comme « la preuve vivante de l’impossible métissage et de la très difficile cohabitation » (5) entre chrétiens et musulmans. En définitive, « l’incompatibilité entre les trois religions [...] prétend instaurer [...] la supériorité des chrétiens qui apparaissent, dans tous les cas, plus nobles » (6).
Symbole d’une dérive idéologique ? Simple révélateur des « blessures ouvertes par la guerre civile [...] où tous les personnages ont un désir de vengeance et une haine féroce » (7) ? Le Guerrero del Antifaz suscite des interprétations contraires. Dans tous les cas, il s’est imposé comme le héros populaire de la bande dessinée d’après-guerre, comme la figure épique par excellence. Ses aventures se poursuivront d’ailleurs jusqu’en 1966. Mais le discours dont il est porteur n’est certes pas innocent : le Guerrero rapproche insidieusement deux époques éloignées, celle des Rois Catholiques et celle du franquisme, sur lequel « le passage des siècles ne semble pas avoir eu de prise » (8).
Œuvres d’Equipo Crónica dans lesquelles il est présent :
Ce personnage apparaît pour la première fois en 1969 dans le tableau « Usine » (Factoría) appartenant à la série « La Récupération » (La Recuperación) des années 1967-1969. On le compte ensuite dans cinq des dix-sept tableaux de la série « Guernica » (1969). Il est partiellement présent (par une de ses jambes) dans le tableau « Tunnel de tir » (Túnel de tiro). Il est suggéré par son épée dans le tableau éponyme « La espada ». Il occupe le premier plan dans « L’intrus » (El intruso). Il se dédouble dans un autre tableau (sans titre). Il est assis à la table des officiers franquistes dans « Le banquet » (El banquete). Il intervient également une fois dans la série « Autopsie d’un métier » (Autopsia de un oficio) (1970-1971) dans le tableau « La reddition de Torrejón » (La rendición de Torrejón) (1971). On le retrouve enfin dans la sérigraphie « Le tribunal de Burgos » (El tribunal de Burgos) (1971) ainsi que dans un tableau de 1974 intitulé « Rupture numéro 2 (à coups de ciseaux) » (Ruptura número 2 (a tijeras)).
Quelques clés d’interprétation dans l’œuvre d’Equipo Crónica :
Qu’il revisite les toiles de la série « Guernica » (1969), qu’il intègre les rangs de l’armée espagnole (« La reddition de Torrejón », 1971) ou qu’il s’invite aux côtés des juges franquistes (« Le tribunal de Burgos », 1971), le Guerrero del Antifaz incarne l’image d’une Espagne tournée vers la défense et l’expansion de la chrétienté, en somme, une Espagne impériale. D’un point de vue plastique, Equipo Crónica se sert de l’efficacité du langage de la bande dessinée. En effet, cette dernière permet une identification immédiate des personnages par le biais d’une « représentation métonymique de leurs attributs moraux » (9) à travers « des traits physiques visibles » (10). La traduction de ces « stéréotypes sociaux fortement codifiés » (11) apparaît ici dans le casque et la cotte de mailles du chevalier, dans la cape et le loup du héros qui doit avancer masqué pour protéger son anonymat, dans l’image d’un corps aux muscles saillants, caricature de puissance et d’intrépidité et dans la représentation d’une croix surdimensionnée sur la poitrine du personnage, exaltant son statut de croisé.
Notes :
(1) CONDE Javier, Del tebeo al cómic : un mundo de aventuras, Madrid, Libsa, 2001, p. 52 : « deseo autárquico de poseer a un héroe autóctono que se enfrentara a todos los enemigos exteriores ».
(2) Ibid. : « [el] espíritu del nuevo Cid Campeador ».
(3) ALTARRIBA Antonio, op. cit., p. 254 : « obedece a una pauta de comportamiento directamente derivada del estereotipo racista [que le] presenta siempre como traidor y avaricioso ».
(4) Ibid., p. 255 : « trauma original ».
(5) Ibid. : « la prueba viviente del imposible mestizaje y de la muy difícil cohabitación ».
(6) Ibid. : « la incompatibilidad entre las tres religiones [...] pretende instaurar [...] la superioridad de los cristianos que quedan, en cualquier caso, como más nobles ».
(7) CONDE Javier, op. cit., p. 53 : « heridas abiertas por la contienda civil [...] donde todos los personajes quieren vengarse y odian con vehemencia ».
(8) ALTARRIBA Antonio, op. cit., p. 255 : « no parecen haber pasado los siglos ».
(9) GUBERN Román, op. cit., p. 109 : « representación metonímica de sus atributos morales ».
(10) Ibid. : « rasgos físicos visibles ».
(11) Ibid., pp. 108-109 : « estereotipos sociales fuertemente codificados ».
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