jeudi 18 août 2011

Faut-il réhabiliter l'édition à compte d'auteur ?

(Entretien avec Devis Ravel, directeur littéraire aux Éditions de La Compagnie Littéraire, réalisé par Julie Sanchez)

1) Bonjour Denis, pouvez-vous vous présenter ? Comment êtes-vous devenu éditeur ?
Ancien publicitaire, je suis venu à l’édition uniquement par passion. Au départ, dans les années 90, j’ai commencé à écrire. Après avoir observé le fonctionnement des maisons d’édition traditionnelles, j’ai voulu publier mes livres moi-même, de façon à avoir une réelle existence en tant qu’auteur.
Je les trouvais trop élitistes, avec beaucoup d’a priori, ées d’une certaine créativité, manquant de fraîcheur. Je me définis comme un adepte de la mouvance romantique et mes lectures ont été influencées par le XIXe(Poe, Maupassant, Nerval, Mérimée, Gautier…).

2) Au sein de La Compagnie Littéraire, quels sont vos collaborateurs ?
J’ai fondé officiellement La Compagnie Littéraire en avril 2004 (la maison existait depuis 2000 mais était hébergée par une autre société) avec deux amis :
Monique Rault, qui est correctrice et Bernard Rathaux qui s’occupe du département édition (mise en page, normes typographiques…). Je travaille également avec Évelyne Leduc qui gère l’organisation et la comptabilité.
Un graphiste, Stéphane Duveau, fait les couvertures.

3) Quel était votre objectif lors de la fondation de La Compagnie Littéraire ?
Je souhaitais que chaque auteur puisse s’exprimer et publier : un roman, un essai, un recueil de poèmes, un livre pour enfants ou encore une autobiographie ou un témoignage. Notre maison est donc généraliste et notre catalogue est très varié. (Annexe 1).
Je considère que l’expression écrite est la forme la plus aboutie de l’intelligence humaine car elle mélange culture, créativité, psychologie, analyse, introspection, philosophie et expression littéraire.
Je voulais réhabiliter le compte d’auteur qui, pratiqué avec une certaine éthique, est une discipline tout à fait respectable.

4) Cet objectif a-t-il changé depuis ?
Aujourd’hui, je suis un peu moins candide et c’est déjà dommage. La pureté est ce qui permet d’avancer sur des voies durables et de construire tout en permettant de se réaliser. Avec le développement, je suis tenu de raisonner en chef d’entreprise et forcément, mes objectifs se diluent un peu.

5) Votre investissement dans La Compagnie Littéraire a-t-il changé depuis 2004 ?
Aujourd’hui, la vie en entreprise est dure. Il faut combattre au quotidien et chaque jour est une reconstruction.
Mon métier reste celui du petit éditeur et j’en suis parfaitement conscient. Les marges sont infimes, le don de soi est permanent et il est nécessaire de mettre beaucoup de passion dans ce travail. En même temps, la somme de connaissances qu’il faut avoir est assez considérable et cet élément est très enrichissant. (Citons entre autres : capacité d’évaluation d’un écrit, sens relationnel, maîtrise de la langue, de la typographie, connaissances graphiques, de l’impression, maîtrise des techniques du net, de la vente…).

6) Parlez-nous de votre philosophie…
Ma philosophie est articulée autour de la phrase d’Anaïs Nin : « Nous devons protéger les écrivains minoritaires, parce qu’ils sont les chercheurs de la littérature, ils la gardent en vie ».
Encore aujourd’hui, je pense que cette femme avait raison et qu’elle était, dans ce domaine, probablement une visionnaire.

7) Si vous étiez éditeur à compte d’éditeur, votre philosophie serait-elle différente ?
Non, car ce serait me renier. Dans la vie, il ne faut jamais renoncer à ses idéaux.

8) Quelle est votre politique éditoriale actuelle ?
Publier une œuvre qui se tienne, qui soit lisible et qui permette à l’auteur de se réaliser.

9) Lorsque vous choisissez de publier un livre, quelles sont vos motivations ?
Autant que faire se peut, publier un beau livre dont je puisse être fier tant dans le contenu que dans l’esthétique. Un livre qui procurera à l’auteur satisfaction et fierté.

10) Combien de livres vendez-vous par an environ ?
Nous publions environ 4 à 5 livres par mois. Ceux-ci sont imprimés à 300 exemplaires dans la plupart des cas (150 environ pour la poésie) et ça peut aller jusqu’à 500. Le nombre d’exemplaires varie aussi selon la demande de l’auteur. Certains, qui ont écrit une autobiographie, peuvent n’en demander que 30. Cela représente finalement peu de livres.
Nous en vendons 60 à 80 par mois en moyenne (cette année, les chiffres étaient de 115 en janvier, 50 en février et 190 en mars).

11) Avez-vous des diffuseurs ? Comment se passe la vente des ouvrages que vous publiez ?
L’auteur est son propre diffuseur.
Lorsque le livre est publié, l’auteur en reçoit la majeure partie (environ 250 sur 300). Nous lui fournissons des bons de souscription et il vend lui-même ses livres. (Annexe 2).
Dans ce cas-là, l’auteur touche la totalité du prix du livre.
Sur les livres que nous gardons (50 sur 300 pour cet exemple), nous en vendons à des particuliers qui les ont vus sur notre site (http://compagnie-littéraire.com) ainsi qu’à des libraires.
Tous les livres que nous publions sont disponibles sur des bases de données professionnelles du livre (Fnac.com, electre.fr, dilicom.com, amazon.fr, alapage.com, passiondulivre.com, decitre.fr, evene.fr, titelive.com, aligastore.com, passagedulivre.com, lechoixdeslibraires.com).
Lorsque le livre n’est pas vendu directement par l’auteur, celui-ci touche 30% du prix du livre H.T (contre 10% dans une maison à compte d’éditeur. Il faut tout de même que la vente lui permette d’amortir les coûts de départ, ce qu’il a investi). L’organisme qui a vendu touche également 30% et La Compagnie Littéraire, ce qui reste.
Nous souhaitons développer la vente en ligne (avec paiement sécurisé) pour augmenter nos ventes en quantité ainsi qu’en autonomie (car on supprime alors les intermédiaires).
Ceci serait également bénéfique pour notre image.

12) Publiez-vous des traductions ?
Oui. Nous publions quelques livres traduits de langues étrangères (russe, anglais, espagnol) vers le français.

13) Quel est votre rapport avec les traducteurs ?
Je n’en ai pas, ou peu. Je laisse l’auteur travailler avec le traducteur qu’il a choisi.
J’ai aussi eu un cas particulier. Un homme a traduit un auteur russe décédé et est venu nous voir pour publier cet ouvrage.

14) Quels sont, pour vous, les critères qui font qu’un manuscrit a un bon potentiel ?
La véracité du ton. Selon le thème abordé, on n’attend forcément pas la même chose de chaque auteur. Il y a différents niveaux dans l’écriture. Nous tenons à respecter un auteur, même si son histoire ne dépassera pas le cadre familial. Le témoignage n’en restera pas moins un regard sur la vie, sur une époque.

15) Concernant les stagiaires, que pouvez-vous dire de leur travail auprès de vous ?
C’est un partage. Il y a pas mal de choses différentes et variées à faire et je n’hésite pas à déléguer selon les capacités de chaque stagiaire.
Le stage permet de mettre le pied à l’étrier, de vivre en entreprise et de toucher à des postes qui seraient inaccessibles pour un jeune dans de grosses entreprises.
De mon côté, en échange, je forme beaucoup, je parle énormément avec les stagiaires, les impliquant dans le quotidien de l’entreprise.

16) Pensez-vous qu’ils réalisent des stages satisfaisants ? Le temps consacré à la formation du stagiaire est-il satisfaisant ?
Pour ma part, j’ai constaté que dans la plupart des cas, les stagiaires étaient satisfaits de leur stage. Ceux-ci permettent d’établir des contacts professionnels dans le cadre du travail et, de spectateurs, les stagiaires deviennent acteurs. C’est, je pense, le point le plus important durant le stage : passer de la théorie à la pratique.
Pour moi, à la fin du stage, ils doivent avoir gagné en assurance, en confiance en eux.

17) Que faites-vous en ce sens ?
Je parle beaucoup, j’explique, j’informe et autant que possible, je forme.

18) Estimez-vous, à titre personnel, que pour l’instant, l’évolution de La Compagnie Littéraire est satisfaisante ou, du moins, à la hauteur de vos espérances ?
Non, étant donné que j’ai démarré cette activité relativement tard, vers l’âge de cinquante-cinq ans. Je m’étais donné peu de temps pour développer la société.
Aujourd’hui, je constate combien ce challenge était ambitieux.
J’ai obtenu un positionnement sur ce petit marché, gagné dans certains cas le respect des auteurs, mais la société est loin d’être à la hauteur de l’ambition que j’avais placée en elle.

19) Avez-vous des regrets ou des déceptions à ce sujet ?
Avant de parler de regrets, je souhaite parler de satisfactions.
Le compte d’auteur est le parfait reflet d’une société où l’on retrouve la totalité de ses couches. On passe alternativement du médecin à l’ingénieur, de la retraitée à la mère de famille, du capitaine de police au truand, de la prostituée à son client, du scientifique à l’informaticien, du prêtre au lycéen…
C’est, je dois le dire, ce brassage qui m’a souvent donné la force de continuer.
En même temps, pour chaque auteur, la part de rêve ou de fantasme est telle, que l’on ne peut pas la laisser se développer et que notre rôle est de la pondérer sans la briser complètement.
Au rang des déceptions, je mettrais la fatuité de certains auteurs, leur côté irréaliste.
On a parfois l’impression que derrière une publication d’un livre, il y a des rêves de gloire, d’argent et de célébrité.
Peu d’auteurs sont en réalité des écrivains potentiels réels qui écrivent en faisant jaillir une source intérieure.
C’est peut-être à ce niveau que se situe ma déception.

20) Comment voyez-vous l’évolution de La Compagnie Littéraire dans les mois et années à venir ?
En ce moment, nous sommes en train de réactualiser totalement notre site. Nous souhaiterions être plus visibles et nous travaillons en ce sens.
Pour la fin de l’année 2011, nous avons prévu de développer le paiement sécurisé en ligne (voir question 11 sur la diffusion) ainsi que la filière numérique. Ce marché se développe et nous avons déjà quelques demandes pour certains ouvrages. Les livres numériques seront proposés à moitié prix, ce que pourront apprécier un grand nombre de lecteurs.
J’aimerais également développer les livres audio et, pourquoi pas, créer une partie à compte d’éditeur. Ces deux derniers projets sont encore un peu flous, mais j’y crois.

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