On nous avait prévenus, une traduction, c’est du travail, beaucoup de travail. Personne ne peut réellement se rendre compte de l’investissement que cela demande. La traduction, pour en parler, il faut la vivre, la transpirer, la rêver. Car il faut s’accrocher, ne pas lâcher prise, ne pas se disperser, chose ô combien tentante quand les doutes s’installent et quand les questions restent en suspens… Et autant dire que des questions, il y en a eu pléthore. Maintenant que la traduction longue est terminée, je me demande encore si mes réponses sont les bonnes, si j’ai été à la hauteur de la responsabilité qui m’a été donnée… Désormais libéré de mes chaînes, envahi par un vent de satisfaction et de soulagement de me savoir arrivé au bout de cet énorme chantier, je peux enfin prendre du recul et repasser dans mon esprit le film de ces mois si intenses.
La traduction, c’est un ticket d’entrée aux montagnes russes. On fait la queue, on attend son tour devant le manège avec une certaine appréhension – vais-je résister ? Puis c’est parti, on est dans le wagon qui se met en route rapidement. On fait connaissance avec son voisin, on se sent en proie aux mêmes doutes mais aussi à la même excitation. On cherche la sensation forte. Et on va l’avoir. Tout au long de cette année, de ces mois de traduction où notre texte fait office de compagnon de route, on retient notre respiration, on crie pour évacuer la pression qui monte et descend, les nerfs lâchent et se reprennent et quand on croit que c’est fini, quand on pense que le manège est « over », c’est reparti pour un tour. Ceux qui me connaissent bien savent pourtant que je ne raffole pas des manèges… De ma traduction longue, j’en suis sorti comme je suis sorti d’Europa Park la première fois, avec des haut-le-cœur, avec l’envie de remercier le Ciel que tout soit enfin terminé et que j’en sois sorti indemne et vivant. Voilà. Un concentré de sensations fortes dans une centaine de pages. Pas la peine de sauter à l’élastique depuis un viaduc, le ressenti est le même en se plongeant corps et âme dans un texte.
Dès le départ, je me suis senti assailli par les interrogations, les dilemmes. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne le choix du livre. Je ne souhaite pas plagier ou paraphraser mes collègues de promo mais on se laisse vite prendre au jeu : rechercher celui qui est fait pour nous. Il nous attend, là, sur une étagère poussiéreuse ou caché entre un Mendoza et un García Márquez… Une fois trouvé, on imagine que 50% du travail est fait. Que nenni, trouver le livre, ce n’est que l’apéro, c’est la soupe miso avant le plateau de sushis – mes six compères sauront apprécier la référence culturelle… Tout reste à faire. On le lit, on le découvre, on l’apprécie. On tente un premier jet, mais rapide, histoire de « décrasser » tout ça, à savoir le vocabulaire, le gros de la syntaxe et tutti quanti. Sauf que rien n’est toujours aussi simple, on rencontre un premier obstacle. Et de la même manière que les roses ne s’offrent jamais en chiffre pair, les problèmes, eux, ne viennent jamais seuls. Je ne saurais dire si j’ai pris les bonnes décisions. Il me semble que oui. Sauf qu’en petit bonhomme indécis que je suis, maintenant que je ne peux plus revenir sur le texte, je me dis que l’autre solution, celle que j’ai rejetée sans la moindre hésitation, c’était finalement peut-être la bonne. Voilà bien une frustration, une remise en cause perpétuelle, l’envie de défaire ce que j’ai fait la veille, de remettre ce mot que j’avais remplacé. Et tous ces problèmes de traduction… Mais que faire ? Toutes les solutions paraissent à la fois bonnes et mauvaises, utiles et ridicules. C’est là qu’il faut décider, trancher et assumer. Quoi qu’on en dise, mes choix, je les assume. Ils peuvent paraître hasardeux, un peu maladroits, exagérés peut-être… mais après avoir pesé le pour et le contre, il m’a semblé qu'ils étaient les bons. Bien sûr, il y a des pertes, et il faut apprendre à les accepter. Mais après tous ces détails qui font de notre traduction – en tout cas de la mienne – un Sudoku force six, il y a ces moments qui nous remplissent de joie. Ceux où les solutions, à force d’acharnement, apparaissent comme une évidence, déboulant sans crier gare. On ne les voit pas venir, mais on est content de voir arriver les renforts car sur le front, on a perdu des hommes, on s’est arraché les cheveux. On se sent stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt alors que cela fait quatre mois qu’on se demande s’il n’y a pas une erreur dans le texte. Ces petits instants, « que je ne peux décrire que comme épiphaniques » – pour citer Adrián, le personnage de ma traduction – où l’ampoule éteinte au fond de notre cerveau a un ultime instinct de survie et décide de s’allumer, ces instants-là sont de véritables moments de bonheur. Et c’est ainsi qu’après neuf jets, on se sent fier. On est allé au bout, et on a donné tout ce qu’on avait : on y a mis notre cœur, notre énergie, notre sommeil… Voilà bien quelque chose qu’on ne pourra jamais nous reprocher. Bien sûr, il y a des choses à dire, des corrections à faire mais une traduction n’est jamais vraiment terminée, et ça, personne ne peut le contredire.
La traduction, c’est un ticket d’entrée aux montagnes russes. On fait la queue, on attend son tour devant le manège avec une certaine appréhension – vais-je résister ? Puis c’est parti, on est dans le wagon qui se met en route rapidement. On fait connaissance avec son voisin, on se sent en proie aux mêmes doutes mais aussi à la même excitation. On cherche la sensation forte. Et on va l’avoir. Tout au long de cette année, de ces mois de traduction où notre texte fait office de compagnon de route, on retient notre respiration, on crie pour évacuer la pression qui monte et descend, les nerfs lâchent et se reprennent et quand on croit que c’est fini, quand on pense que le manège est « over », c’est reparti pour un tour. Ceux qui me connaissent bien savent pourtant que je ne raffole pas des manèges… De ma traduction longue, j’en suis sorti comme je suis sorti d’Europa Park la première fois, avec des haut-le-cœur, avec l’envie de remercier le Ciel que tout soit enfin terminé et que j’en sois sorti indemne et vivant. Voilà. Un concentré de sensations fortes dans une centaine de pages. Pas la peine de sauter à l’élastique depuis un viaduc, le ressenti est le même en se plongeant corps et âme dans un texte.
Dès le départ, je me suis senti assailli par les interrogations, les dilemmes. Ne serait-ce qu’en ce qui concerne le choix du livre. Je ne souhaite pas plagier ou paraphraser mes collègues de promo mais on se laisse vite prendre au jeu : rechercher celui qui est fait pour nous. Il nous attend, là, sur une étagère poussiéreuse ou caché entre un Mendoza et un García Márquez… Une fois trouvé, on imagine que 50% du travail est fait. Que nenni, trouver le livre, ce n’est que l’apéro, c’est la soupe miso avant le plateau de sushis – mes six compères sauront apprécier la référence culturelle… Tout reste à faire. On le lit, on le découvre, on l’apprécie. On tente un premier jet, mais rapide, histoire de « décrasser » tout ça, à savoir le vocabulaire, le gros de la syntaxe et tutti quanti. Sauf que rien n’est toujours aussi simple, on rencontre un premier obstacle. Et de la même manière que les roses ne s’offrent jamais en chiffre pair, les problèmes, eux, ne viennent jamais seuls. Je ne saurais dire si j’ai pris les bonnes décisions. Il me semble que oui. Sauf qu’en petit bonhomme indécis que je suis, maintenant que je ne peux plus revenir sur le texte, je me dis que l’autre solution, celle que j’ai rejetée sans la moindre hésitation, c’était finalement peut-être la bonne. Voilà bien une frustration, une remise en cause perpétuelle, l’envie de défaire ce que j’ai fait la veille, de remettre ce mot que j’avais remplacé. Et tous ces problèmes de traduction… Mais que faire ? Toutes les solutions paraissent à la fois bonnes et mauvaises, utiles et ridicules. C’est là qu’il faut décider, trancher et assumer. Quoi qu’on en dise, mes choix, je les assume. Ils peuvent paraître hasardeux, un peu maladroits, exagérés peut-être… mais après avoir pesé le pour et le contre, il m’a semblé qu'ils étaient les bons. Bien sûr, il y a des pertes, et il faut apprendre à les accepter. Mais après tous ces détails qui font de notre traduction – en tout cas de la mienne – un Sudoku force six, il y a ces moments qui nous remplissent de joie. Ceux où les solutions, à force d’acharnement, apparaissent comme une évidence, déboulant sans crier gare. On ne les voit pas venir, mais on est content de voir arriver les renforts car sur le front, on a perdu des hommes, on s’est arraché les cheveux. On se sent stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt alors que cela fait quatre mois qu’on se demande s’il n’y a pas une erreur dans le texte. Ces petits instants, « que je ne peux décrire que comme épiphaniques » – pour citer Adrián, le personnage de ma traduction – où l’ampoule éteinte au fond de notre cerveau a un ultime instinct de survie et décide de s’allumer, ces instants-là sont de véritables moments de bonheur. Et c’est ainsi qu’après neuf jets, on se sent fier. On est allé au bout, et on a donné tout ce qu’on avait : on y a mis notre cœur, notre énergie, notre sommeil… Voilà bien quelque chose qu’on ne pourra jamais nous reprocher. Bien sûr, il y a des choses à dire, des corrections à faire mais une traduction n’est jamais vraiment terminée, et ça, personne ne peut le contredire.
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