Ronald Delgado est l'auteur de « Réplique » la nouvelle traduite par l'équipe des Étoiles filantes (Irène Descamps et Elena Geneau) pour notre projet SF / C2C.
Je remercie vivement Florence et Justine de cette traduction…
Je publie votre travail ici et dans le post initial, à la suite du texte en espagnol.
Elena
Geneau. Depuis quand écrivez-vous ?
Ronald
Degaldo.
Très jeune déjà, je dévorais des livres, mais j’ai commencé à
écrire de façon un peu plus formelle et sérieuse vers l'âge de
14-15 ans. Au début, bien sûr, il s'agissait d'histoires plutôt mal
abouties, dont le but était uniquement d'impressionner (du moins le
croyais-je) ma famille et mes amis au collège.
E.G.
Depuis quand vos textes sont-ils publiés ?
R.D.
J'ai obtenu ma première publication à l'âge de 17 ans, dans un
hebdomadaire de portée nationale nommé « Urbe » qui existait à
l'époque. Ce magazine avait une rubrique dédiée aux micro-récits
et, par pure curiosité, je leur ai envoyé une nouvelle (que je
jugeais très mauvaise) intitulée « Digital ». Ils l’ont retenue puis
publiée, et ça a été pour moi une grande satisfaction de voir figurer
mon nom et mon récit dans ce magazine, dont je conserve d'ailleurs
encore quelques exemplaires jaunis.
Évidemment,
j’ai continué à lire et à écrire, améliorant peu à peu ma
manière de faire. À cette époque-là (et aujourd'hui encore), il
existait très peu de supports imprimés ou de place pour la
science-fiction. J’ai alors décidé d'effectuer des recherches sur
Internet, et c’est là que j’ai découvert les revues
électroniques consacrées à ce genre. Après plusieurs
tentatives et de nombreux refus, la revue « Axxón Ciencia Ficción » a finalement accepté l'une de mes nouvelles,
d'abord intitulée « Disfrutar de esa manera », puis par la suite « El
nuevo juguete de María », publiée en juin 2002.
À
partir de ce moment-là, j’étais convaincu que mon travail avait atteint une qualité minimum pour que des revues électroniques
importantes et reconnues telles que « Axxón Ciencia Ficción », « Alfa
Eridiani » ou encore « NCG3660 » acceptent mes textes. Au cours des
années suivantes, j’ai continué à écrire et à être publié
dans lesdites revues.
En
2007, j’ai participé au « 1er concours de récits érotiques :
sexe à lire », organisé par le magazine « Urbe Bikini ». J’ai
remporté la 3ème place grâce à une nouvelle érotique de
science-fiction, publiée dans le magazine ainsi que dans d'une anthologie des textes finalistes.
Mon
premier recueil de nouvelles, El Despertar de Meganet, a été publié
en Espagne en 2008, aux éditions Alfa Eridiani.
En
2009, j'ai été invité à participer à l'événement « Semaine du
nouveau roman urbain », un cycle de lectures d'écrivains émergents
qui a lieu à Caracas une fois par an.
Mon
second recueil de nouvelles, intitulé Réplica, a été quant à lui
publié en 2011 et édité par le Fondo Editorial del Caribe
(Anzoátegui, Venezuela).
En
2011, j'ai également décroché la première place du « VII ème
Prix Andromède de Fiction Spéculative » dans la catégorie récit.
J'ai
récemment publié, au format électronique et gratuit, un recueil de
nouvelles de Fantasy intitulé La tierra del cielo sin sol, qu'il est
possible de télécharger sur mon blog : ronalddelgado.wordpress.com,
de même que Réplica.
E.G.
Avez-vous toujours écrit de la Science-Fiction ?
R.D.
Principalement. J'ai également abordé la fantasy et l'épouvante,
mais je considère que mon point fort est la Science-Fiction.
C'est le genre dans lequel je me sens le mieux et le plus à mon
aise.
E.G.
Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir ce
genre ?
R.D.
Cela
va sans doute faire cliché, mais je crois que c’est plutôt la
science-fiction qui m’a choisi.
Depuis
tout petit, je me suis toujours senti étrangement attiré par tout
ce qui était en rapport avec l’espace, les étoiles, les robots,
les vaisseaux, la science, les scientifiques… tous ces thèmes-là
(je suis d'ailleurs toujours un geek). Je me souviens qu’enfant,
j’aimais prendre des livres au hasard dans la bibliothèque de mes
parents, surtout un en particulier, rempli de figurines,
de nombres, de schémas, de dessins de véhicules, de projectiles et
de choses qu’à ce moment-là, je ne comprenais pas mais qui, malgré
tout, me paraissaient intéressantes. Curieusement, ce livre n’était
autre que Le Livre de Physique Générale de Resnick qui, des années
plus tard, m’a servi lors de mes études de physique à
l’université. J’aimais (et c’est toujours le cas) Star Wars,
ainsi que les films et les jeux-vidéo de science-fiction en général.
Je ne sais toujours pas si c’est la SF qui m’a conduit à étudier
la physique, ou si c’est la physique qui m’a conduit à écrire
de la SF.
Mon
premier contact avec la littérature de science-fiction a eu lieu à
l’école primaire. Un jour, l'institutrice avait apporté une
caisse pleine de livres en classe. J'ai commencé à les feuilleter,
et j’en ai choisi un dont le titre avait retenu mon attention. Je
lui ai alors demandé si je pouvais l’emmener chez moi pour le
lire, et elle a accepté à condition qu'après l'avoir lu, je le lui
raconte. Il s’agissait de L’Homme qui n’existait pas, de Roger
Zelazny. Cependant, mon penchant pour la SF s’est révélé quand
je suis tombé sur l’œuvre d'Isaac Asimov. Ce sont ses recueils de
nouvelles et ses romans qui ont fait de moi un lecteur compulsif de
SF. Après Asimov, j'ai lu Clarke, Bradbury, Heinlein, Dick, Gibson.
Et la suite, vous la connaissez…
E.G.
Quels autres textes avez-vous publié ?
R.D.
Pour
résumer, j’ai publié des nouvelles dans les revues Axxón Ciencia
Ficción, NCG3660, Alfa Eridiani, Quibit, Revista NM, Necronomicón,
Semanario Urbe, Urbe Bikini, et Imaginarios, entre autres.
Les
recueils que j'ai publiés jusqu'à présent sont El Despertar de
Meganet, Réplica et La tierra del cielo sin sol.
Certains
autres de mes textes apparaissent dans les anthologies de littérature
vénézuélienne Sexo a 62 manos et Tiempos de Ciudad. Je suis
actuellement sur le point de terminer un nouveau recueil de récits
(je n’ai pas encore arrêté de titre), avant de me mettre en quête
d’une maison d’édition qui veuille bien le publier.
E.G.
Êtes-vous un grand lecteur de science-fiction ?
R.D.
Je ne lis quasiment que ça. J’aime aussi lire, de temps en temps,
des ouvrages de vulgarisation scientifique, mais la SF constitue le
plus gros de mes lectures ; ce qui je pense, est une erreur. Je crois
qu'il me reste à lire encore beaucoup de littérature classique et
latino-américaine de genres différents afin d'enrichir ma propre
littérature. Le problème est qu'habituellement, la plupart de ce
que l’on appelle mainstream ou littérature de courant principal
m’ennuie profondément ; il m’est donc souvent très difficile
d’en supporter la lecture, si bien que tôt ou tard je finis par
fermer l'un de ces livres, au profit d'un de SF, que je dévore. Bien
sûr, je lis également avec plaisir la fantasy et l'épouvante.
E.G.
Quels sont vos auteurs favoris ? Pourquoi ?
R.D.
En premier lieu, Isaac Asimov, car comme je l’ai dit, c’est grâce
à lui que j'ai approché la SF dans mon enfance et mon adolescence.
Sa littérature (objet de nombreuses critiques) est sans conteste
simple et légère, mais je crois qu'il n'a existé aucun autre
écrivain aussi ingénieux pour ce qui est de conter des histoires.
Ce fut un auteur qui a toujours respecté l'aspect scientifique de la
SF, et même en dépit des faiblesses qu'il a pu avoir sur le plan
littéraire, on se souviendra toujours de ses nouvelles et de ses
romans comme étant fondamentaux dans l'histoire du genre.
Un
autre de mes auteurs favoris est Frank Herbert avec son Cycle Dune.
Pour moi, Dune, le premier tome du Cycle, représente le meilleur
roman de SF jamais écrit. C'est le genre de roman que j'envie et
dont j'aurais aimé être l'auteur. Aussi souvent que je le lise, il
n'a jamais cessé de me surprendre, non seulement de par sa qualité
littéraire et linguistique, mais également de par la profondeur de
l'histoire, la richesse des lieux, des personnages, et des intrigues.
Dune est une épopée, où se rejoignent des thèmes majeurs tels que
la politique, la religion, l'écologie, la société, la science ou
encore la technologie. Frank Herbert a su créer tout un univers
merveilleux autour de ces thèmes si importants, et si humains.
Philip
K.Dick ne peut être absent de la liste de mes auteurs favoris, en
particulier pour ses romans (il est selon moi meilleur romancier que
nouvelliste). Chez Dick, j'ai découvert une SF qui, au-delà de se
centrer sur les aspects scientifiques et technologiques, considérait
l'être humain comme le véritable protagoniste des histoires. La
littérature de Dick est à mes yeux hallucinante, à l'image de sa
vie. Il avait un talent exceptionnel pour construire et renverser les
réalités. Des romans tels que Ubik ou Les Androïdes rêvent-ils de
moutons électriques ? , représentent pour moi de parfaits exemples
du type de littérature que j'espère pouvoir produire un jour : des
histoires qui explorent en profondeur l'esprit humain, sa relation
aux autres et à son environnement, à la technologie, ainsi qu'au
reste de l'univers.
Je
suis également obligé de faire référence à l'œuvre de Wiliam
Gibson. Après tout, j'ai grandi à l'ère des technologies
d'information et de communication. J'ai la chance d'avoir
toujours eu accès aux ordinateurs, à Internet, aux jeux vidéo et
aux technologies émergentes, si bien que je me suis naturellement
identifié au Cyberpunk de Gibson. Neuromancien fut évidemment mon
premier contact avec Gibson, et le seul dont j'ai eu besoin pour
savoir que je l'admirais. Aujourd'hui, ma littérature est
chargée d'éléments propres au mouvement dont Gibson fut le chef de
file, et cela me paraît inévitable étant donné la direction que
prend la technologie actuelle.
Outre
ceux que je viens de mentionner, d'autres auteurs ayant largement
influencé ma littérature sont Robert Heinlein, Orson Scott Card,
Ray Bradbury, E.A. Poe,et Arthur Clarke.
Je
ne dois pas oublier non plus deux auteurs vénézuéliens qui m'ont
beaucoup appris sur ma littérature : il s'agit de Carlos Noguera et
Armando José Sequera.
E.G.
Quel auteur vous a le plus inspiré ?
R.D.
Je ne crois pas qu'il y en ait un en particulier, mais plutôt que
tous m'ont apporté quelque chose. Outre Asimov, Herbert, Dick et
Gibson, je préfère penser aux grandes œuvres qui m'ont marqué,
tant au niveau littéraire qu'humain. Parmi ces œuvres, je peux
citer le Cycle de Fondation (Asimov), le Cycle de Dune (Herbert), le
Cycle d'Ender (Scott Card), En Terre Étrangère (Heinlein), Ubik,
Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, et Substance
Mort (Dick), Farenheit 451 (Bradbury), 1984 (Orwell), Des Fleurs Pour
Algernon (Keyes), Neuromancien (Gibson), Orange Mécanique (Burgess)
et bien d'autres encore.
E.G.
On dit qu'il y a très peu de science-fiction dans votre pays, c'est
vrai ? Pourquoi ?
R.D.
C'est
malheureusement le cas. Au Venezuela, la science-fiction est un
genre littéraire qui, plus qu'un mouvement consistant, a été
abordé de manière sporadique par quelques auteurs depuis environ
trente ou quarante ans, mais sans qu'il n'y ait jamais pour autant
une masse critique d'auteurs susceptibles d'établir le genre. Le
Venezuela est un pays qui a eu et qui a toujours une grande
tradition littéraire du réalisme magique, et les premiers essais de
science-fiction ou de fantasy qui y ont été réalisés sont
peut-être partis de cette optique.
Cependant,
je peux énumérer quelques unes des raisons qui sont, me
semble-t-il, à l'origine de ce manque d'égards pourtant nécessaires
au genre : en premier lieu, en tenant compte de l'histoire
universelle du genre, on a toujours perçu la science-fiction comme
une littérature du « premier monde », en grande partie du fait de
son rapport à la science et à la technologie. Historiquement, nos
pays d'Amérique latine ont toujours été les laissés-pour-compte
du développement technologique, c'est pourquoi il me semble que dans
un tel contexte, au Venezuela, on n'a jamais considéré la
science-fiction comme quelque chose de vraisemblable ou de sérieux.
(En réalité, à ses débuts, la SF avait effectivement beaucoup à
voir avec le développement technologique, mais ce paradigme a
aujourd'hui évolué, et la SF moderne a également à voir avec la
société, l'environnement, la nature humaine, le développement
physique et mental, la relation entre les espèces et les races,
humaines ou non, entre beaucoup d'autres choses. Dans ce nouveau
paradigme, je crois que l'Amérique latine a beaucoup à dire).
D'un
autre côté, je crois qu'il y a toujours eu (et qu'il y a encore)
une sorte de rejet éditorial envers le genre. Le terme que j'emploie
d'habitude pour qualifier le genre dans mon pays est qu'il est
marginalisé. Au Venezuela, on publie beaucoup de poésie et de
romans de qualité, mais j'ai toujours remarqué un préjugé
important de la part des grandes maisons d'édition envers la
science-fiction. Il est certain que ces dernières sont toujours
régies par l'argent et les bénéfices, et, malheureusement, la
science-fiction n'est pas exactement le genre qui enregistre les
meilleures ventes (du moins, pas en Amérique latine), bien que
lorsque le marché se retrouve envahi de romans fantastiques importés
(et à la mode), le public vénézuélien les achète avec le même
engouement que dans les autres pays.
Généralement,
le soutien envers le genre est pratiquement nul (sauf cas isolés),
tant de la part des grandes maisons d'édition que de celle des
organisations, des sociétés ou des institutions tournées
vers la littérature.
Je
suppose que tous ces facteurs tendent à ce que les auteurs, au vu du
peu de soutien dont bénéficie le genre et de la difficulté à
publier, se démotivent et renoncent à écrire sérieusement de la
science-fiction en vue d'être connus et reconnus et, par conséquent,
finissent par le faire davantage comme un hobby ou en dilettante, en
perdant de vue l'objectif de créer et de soutenir un mouvement
national autour du genre.
Heureusement,
la scène de la science-fiction vénézuelienne a considérablement
changé avec l'apparition d'Internet et des médias numériques. Bien
que l'on soit encore peu nombreux, les revues numériques et les
médias électroniques de diffusion de contenu ont permis à
plusieurs voix de se faire connaître, comme par exemple Jorge de
Abreu, Susana Sussmann, Nicolás Camacho, Joseín Moros, entre
autres, chacun défendant sa place avec beaucoup d'humilité,
quelques-uns produisant davantage que d'autres, mais en tous cas avec
beaucoup plus de présence et de cohérence qu'au cours des dernières
années. Grâce à cela, on a pu démontrer qu'il existait bel et
bien des auteurs de science-fiction vénézuéliens (aussi surprenant
que cela puisse paraître, je me suis souvent retrouvé face à des
personnes, aussi bien des lecteurs fortuits que des écrivains et «
experts » littéraires, qui me demandaient : « Et est-ce qu'il
existe des écrivains de SF vénézuéliens ? »).
Pour
ma part, je considère cela comme une lutte, longue de plusieurs
années déjà. Un professeur d'écriture a une fois employé un
terme qui m'a beaucoup plu : il a affirmé que j'étais un militant
de la SF. J'ai toujours écrit de la SF, et je ne cesserai jamais de
le faire. Par chance, ou peut-être est-ce le fruit de mes efforts,
mon insistance m'a permis d'obtenir au Venezuela la publication de
Réplica, un recueil de nouvelles de science-fiction (je pensais que
ça n'arriverait jamais). Évidemment, mon obstination m'a également
permis d'obtenir le peu de prix que j'ai gagné, mais que je conserve
précieusement.
Pour
l'heure, je mise sur la portée des médias électroniques afin de
faire connaître mon travail, et c'est pourquoi j'ai créé mon blog
ronalddelgado.wordpress.com.
J'y propose mes livres gratuitement, les lecteurs intéressés
peuvent y trouver des extraits de mon œuvre et, s'ils le désirent,
réaliser des collaborations ou des donations afin de soutenir mon
labeur. En dépit de toutes les difficultés, je ne perds pas
l'espoir de continuer à publier sur papier par l'intermédiaire de
maisons d'édition connues, et bien que je sache que cela s'avérera
difficile, je crois que le plus important est de continuer à lutter,
en démontrant par des faits (c'est-à-dire, avec de bons textes)
qu'il existe bel et bien une science-fiction vénézuelienne, et
qu'il n'est pas nécessaire d'être un pays du premier monde pour
créer de la bonne littérature SF.
E.G.
On dit que la littérature de science-fiction est plutôt destinée
aux adolescents, pensez-vous qu'elle ait, en réalité, une portée
plus importante ?
R.D.
Le fait que la SF soit perçue comme un genre pour adolescents tire
peut-être son origine de la façon même dont s'est développé le
genre, principalement aux USA, à partir des magazines dits pulps.
Les feuilletons et les bandes-dessinées furent, en partie, les
premiers médias de vulgarisation de la SF au niveau mondial, et cela
a peut-être engendré cette conception de la SF comme étant de la
littérature pour adolescents. Cependant, ceux qui ont aujourd'hui
cette opinion font preuve, selon moi, d'une grande ignorance.
En
réalité, la SF a fait office de vecteur de choix pour pointer et
penser les problèmes fondamentaux de la société humaine, d'un
point de vue aussi adulte que peuvent l'avoir la science, la
technologie, la politique, la religion, le sexe ou l'économie.
Ce
qui a également fait beaucoup de tort à la perception de la SF en
tant que genre littéraire sérieux, c'est le cinéma Hollywoodien.
Malheureusement, la plupart des films de SF sont des œuvres très
mauvaises dont le seul but est de divertir, chose totalement
contraire à la littérature SF de qualité.
En
définitive, le caractère spéculatif de la SF permet de concevoir
des cadres, des réalités alternatives et des points de vue que la
littérature traditionnelle ne peut généralement pas adopter et
qui, de fait, nous servent à étudier et à exposer, de multiples
façons, les aspects les plus profonds de la nature humaine. Des
œuvres telles que 1984, Le Meilleur des mondes, Farenheit 451, ou En
Terre Étrangère, sont des exemples du niveau de critique sociale
que permet le genre dans son contexte.
Bien
sûr, la SF peut aussi parfaitement générer de la littérature qui
divertit, qui émerveille, qui permet de savourer une histoire ou une
anecdote, tout comme le font des centaines d'œuvres littéraires
conventionnelles. Selon moi, la portée de la SF est uniquement
limitée par l'imagination de l'auteur et celle de son complice, le
lecteur.
E.G.
Que pensez-vous de l'avenir de la littérature de Science-Fiction en
Amérique latine en général, et dans votre pays en particulier ?
R.D.
Ironiquement,
même pour moi en tant qu'auteur de SF, il est difficile de prédire
l'avenir de la SF latino-américaine.
Je
crois que son expansion au cours des dernières années est évidente,
comme je l'ai dit, grâce aux médias numériques de diffusion de
contenu. Afin de consolider la SF latino-américaine, il faudrait un
peu plus d'ouverture ainsi qu'un changement de mentalité de la part
des maisons d'édition. Cependant, le futur me semble malgré tout
prometteur.
Je
dis cela principalement parce qu'aujourd'hui, le monde est en crise,
et il est de notoriété publique que les pays développés,
principaux producteurs de littérature SF, se trouvent à présent
plongés au cœur d'importants problèmes sociaux et économiques
(souvent prédits par la SF), or de tels problèmes ont évidemment
aussi porté préjudice à leur secteur éditorial. En Espagne, par
exemple, les maisons d'édition s'en sont vues très touchées,
notamment les plus petites, qui se montrent en général plus
ouvertes envers les genres spéculatifs. Aux États-Unis, d'un autre
côté, il semble exister une tendance indiquant que le public est en
train de se « lasser » de la SF locale, et commence à s'intéresser
à de nouveaux points de vue, comme par exemple la littérature
asiatique.
Dans
ce contexte, je pense qu'il est temps pour l'Amérique latine de
positionner ses manifestations artistiques et littéraires (pas
seulement pour la SF, mais pour tout type de littérature), surtout
si l'on considère que les changements politiques et sociaux qui
s'opèrent dans nos pays depuis quelques années ont apparemment fait
de la région le point de mire de l'opinion publique mondiale.
En
tenant compte de notre idiosyncrasie latino-américaine, de nos
coutumes, de nos réalités spécifiques et de notre histoire, je
crois que l'Amérique latine a le potentiel pour offrir une SF
différente avec son propre style, et le moment le plus opportun pour
le faire, c'est maintenant, car c'est ce que semble indiquer la
dynamique mondiale.
En
ce qui concerne le Venezuela, j'ose affirmer que, peu à peu,
l'existence de passionnés de SF — qu'ils soient lecteurs ou
écrivains— se fait plus notoire (et une fois de plus, grâce aux
médias numériques, aux réseaux sociaux, etc). Le rejet éditorial
des grandes entreprises liées au commerce du livre persiste toujours
mais je crois que, tôt ou tard, les changements qui se produisent
quant à la manière dont on génère et distribue les contenus
provoqueront en conséquence un réexamen de ces modèles
d'entreprise, ce qui, je l'espère, favorisera autant la littérature
de genre que les auteurs débutants.
Enfin,
je crois que les auteurs ont également une grande responsabilité en
ce qui concerne l’avenir du genre. Dans un monde où la plupart des
« académiciens » et « experts » de la littérature ont
d'évidents préjugés envers la SF, c'est le travail des auteurs de
SF que de leur démontrer le contraire. Il est nécessaire d'écrire,
de produire et de publier, par tous les moyens, toujours plus de SF,
et toujours meilleure. Il est essentiel de produire des textes de
qualité, de conquérir des espaces, de faire du bruit, de vulgariser
le genre et de séduire le lectorat. Il est indispensable de secouer
les structures pour défendre l'idée que la SF est aussi importante
que tout autre type de littérature réaliste ou du courant
principal.
Je
suis optimiste, et même si cela peut sembler naïf, je continue de
rêver d'une Amérique latine où un auteur de SF, comme moi,
pourrait vivre de sa littérature. C'est beau de rêver !
E.G.
La Science-Fiction est-elle une manière d'exprimer la réalité ?
R.D.
Selon
moi, la SF est le genre littéraire le plus réaliste qui soit. Sa
versatilité et sa flexibilité nous permettent de créer des mondes,
des cadres, des atmosphères et des situations diverses qui
parviennent à faire ressortir et à mettre à l'épreuve tous les
aspects de la nature et de la psyché humaine, sans les limites, les
règles, les tabous ni les conventionnalismes du monde réel ou
quotidien (Il est évident qu'on doit toujours particulièrement
tenir compte de la vraisemblance, sans quoi cela ne serait pas de la
SF, mais de la fantasy).
La
SF est donc non seulement un moyen d'exprimer et d'explorer la
réalité, mais constitue également l'un des genres les plus
appropriés, les plus merveilleux et les plus satisfaisants qui
soient pour le faire.