Le personnage principal de ma traduction longue
L’inspecteur Leo Caldas, le personnage principal du roman policier « Ojos de agua », répond dans une large mesure, comme on peut s’y attendre en pareil cas, aux codes du genre : solitaire, un peu taciturne, parfois nostalgique ou mélancolique, il est le reflet de ces enquêteurs pugnaces et méticuleux qui peuplent les polars dont le but ultime est, bien sûr, de démasquer le coupable de crimes atroces. Une observation s’impose d’emblée : il n’est décrit, au fil du récit, que par des caractéristiques psychologiques. Effectivement, nous n’avons pas la moindre trace de description physique, ce qui laisse tout le loisir au lecteur de donner libre cours à son imagination. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un personnage récurrent que nous suivons ici dans sa première affaire (une première précision : sa première affaire dans la réalité extra-fictionnelle, puisque dans l’histoire, il a déjà à son actif une longue série d’enquêtes). Par conséquent, nous aurons l’occasion de le retrouver dans d’autres romans (une deuxième précision : un second roman intitulé « La playa de los ahogados » est paru en 2009). Observons en outre que ces caractéristiques psychologiques se déduisent plus qu’elles ne sont décrites dans la mesure où nous ne découvrons l’intériorité de Caldas qu’à la faveur de flashes-back qui éclairent certains épisodes précis de sa vie. En voici quelques exemples :
1) la découverte, au début du roman, du cadavre d’un jeune saxophoniste, Luis Reigosa, provoque chez Leo une réaction qu’il connaît bien : son habituel « sursaut intérieur » qui le ramène à chaque fois à la mort de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant (p.27), son premier traumatisme (un traumatisme durable, par ailleurs).
2) la vue de l’entrée fleurie de la maison d’un des suspects qu’il va interroger (p.112) le transporte dans un souvenir de voyage (la visite des châteaux de la vallée de la Loire) avec Alba, son ex compagne. Ce personnage interviendra de façon récurrente dans le récit mais il s’agit toujours d’évocations brèves et vagues déclenchées par des réminiscences fugaces. Dans le même ordre d’idées, Leo se remémore certains dimanches après-midi passés à lire et à écouter de la musique avec Alba. Le lecteur comprend, au fil du roman, qu’elle est partie et que son absence pèse à Leo, mais il n’a jamais l’occasion d’apprendre les circonstances de son départ, ni à quand remonte celui-ci, pas plus qu’il ne sait d’ailleurs si elle est vivante ou morte aujourd’hui.
3) les rencontres assez rares avec son père vieillissant sont l’occasion pour Leo de s’apercevoir qu’il a lui aussi accompli une grande partie du chemin de sa vie de même qu’il vit beaucoup avec ses souvenirs.
4) l’escapade à la plage de Lapamán (pp. 80-81) lui rappelle les vacances de son enfance. Il est content de faire découvrir à Rafael Estévez la beauté et le calme de cette plage de sable fin et blanc, bordée de pins et d’eucalyptus, où sont échouées quelques « dornas », les barques de pêche galiciennes traditionnelles.
5) la rencontre avec un personnage-clé du roman (p. 70) dont il remarque le drôle de tremblement qui affecte sa lèvre inférieure (alors qu’il lui demande quelques renseignements en apparence anodins) fait surgir dans la mémoire de Leo le souvenir d’un livre marquant : « La colmena » de l’écrivain galicien Camilo José Cela (prix Nobel de littérature en 1989).
Comme les autres personnages de la région (tels que Guzmán Barrio, le médecin légiste ou María de Castro Raposo, la femme de ménage de la victime), Leo a une façon « toute galicienne » de se comporter : par exemple, l’habitude de répondre à une question par une autre question (le plus souvent rhétorique) alors que rien ne l’exige (la situation est explicite) ; à l’inverse, celle de rester dans le flou, de s’enfermer dans le silence ou de cultiver l’ambiguïté alors que le contexte, là, n’est justement pas clair ; et même parfois, celle de s’amuser à dire tout le contraire de ce que l’on pense, ou comment ne pas rater une occasion de s’adonner à l’ironie ! Autant de particularismes qui ne manquent pas de décontenancer Rafael Estévez, l’assistant de Leo, fraîchement débarqué de sa Saragosse natale : le pauvre a un mal fou à s’adapter à toutes ces subtilités du tempérament galicien.
Enfin, Leo a, comme tout bon enquêteur, une conscience aiguë des situations qui lui sont données de rencontrer. Silencieux, apparemment détaché, sa pensée n’en reste pas moins toujours en éveil, son esprit critique toujours affûté, le flux de sa conscience toujours occupé à démêler les fils de la pelote emmêlée qui symbolise son affaire à éclaircir. Il fonctionne à l’intuition, au flair, au ressenti empirique des lieux et des personnes et il s’appuie sur les réflexes et les enseignements qu’il a acquis ou retirés de sa longue expérience. Il est courtois, réfléchi, patient, tout le contraire de son assistant qui s’emporte à tout bout de champ, ce qui n’empêche pourtant pas Leo de le couvrir dans ses débordements. On peut donc ajouter à son portrait d’autres qualités : loyal, tolérant, avec une bonne dose d’épaisseur humaine. Cet homme dont on mesure tout le vécu tend parfois à se montrer un peu blasé, voire désenchanté. On peut observer, par exemple, comment il apparaît résigné face à l’éventail de comportements incorrigibles des auditeurs qui le contactent à son émission de radio « Patrulla en las ondas ». Notons que sa participation à cette émission lui a assuré une incroyable popularité, que l’on peut vérifier à chaque fois qu’il est amené à croiser de nouvelles personnes, notamment dans le cadre de son travail. Néanmoins, il n’en tire aucune gloire. Au contraire, il en est même un peu agacé. En effet, il ne comprend pas les raisons de cet engouement puéril qui consiste à être émerveillé devant quelqu’un de plus ou moins connu, au seul prétexte de sa supposée célébrité. Dans cette émission, Leo écoute patiemment les requêtes des habitants de Vigo (problèmes de voisinage, etc.) et essaye d’y répondre favorablement. Il est là pour rendre service aux citoyens, des plus loufoques au plus enquiquinants. Il a d’ailleurs une manière amusante de comptabiliser leurs appels comme s’il disputait avec eux un match. Inutile de préciser que Leo est toujours perdant...
L’inspecteur Leo Caldas, le personnage principal du roman policier « Ojos de agua », répond dans une large mesure, comme on peut s’y attendre en pareil cas, aux codes du genre : solitaire, un peu taciturne, parfois nostalgique ou mélancolique, il est le reflet de ces enquêteurs pugnaces et méticuleux qui peuplent les polars dont le but ultime est, bien sûr, de démasquer le coupable de crimes atroces. Une observation s’impose d’emblée : il n’est décrit, au fil du récit, que par des caractéristiques psychologiques. Effectivement, nous n’avons pas la moindre trace de description physique, ce qui laisse tout le loisir au lecteur de donner libre cours à son imagination. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un personnage récurrent que nous suivons ici dans sa première affaire (une première précision : sa première affaire dans la réalité extra-fictionnelle, puisque dans l’histoire, il a déjà à son actif une longue série d’enquêtes). Par conséquent, nous aurons l’occasion de le retrouver dans d’autres romans (une deuxième précision : un second roman intitulé « La playa de los ahogados » est paru en 2009). Observons en outre que ces caractéristiques psychologiques se déduisent plus qu’elles ne sont décrites dans la mesure où nous ne découvrons l’intériorité de Caldas qu’à la faveur de flashes-back qui éclairent certains épisodes précis de sa vie. En voici quelques exemples :
1) la découverte, au début du roman, du cadavre d’un jeune saxophoniste, Luis Reigosa, provoque chez Leo une réaction qu’il connaît bien : son habituel « sursaut intérieur » qui le ramène à chaque fois à la mort de sa mère alors qu’il n’était encore qu’un enfant (p.27), son premier traumatisme (un traumatisme durable, par ailleurs).
2) la vue de l’entrée fleurie de la maison d’un des suspects qu’il va interroger (p.112) le transporte dans un souvenir de voyage (la visite des châteaux de la vallée de la Loire) avec Alba, son ex compagne. Ce personnage interviendra de façon récurrente dans le récit mais il s’agit toujours d’évocations brèves et vagues déclenchées par des réminiscences fugaces. Dans le même ordre d’idées, Leo se remémore certains dimanches après-midi passés à lire et à écouter de la musique avec Alba. Le lecteur comprend, au fil du roman, qu’elle est partie et que son absence pèse à Leo, mais il n’a jamais l’occasion d’apprendre les circonstances de son départ, ni à quand remonte celui-ci, pas plus qu’il ne sait d’ailleurs si elle est vivante ou morte aujourd’hui.
3) les rencontres assez rares avec son père vieillissant sont l’occasion pour Leo de s’apercevoir qu’il a lui aussi accompli une grande partie du chemin de sa vie de même qu’il vit beaucoup avec ses souvenirs.
4) l’escapade à la plage de Lapamán (pp. 80-81) lui rappelle les vacances de son enfance. Il est content de faire découvrir à Rafael Estévez la beauté et le calme de cette plage de sable fin et blanc, bordée de pins et d’eucalyptus, où sont échouées quelques « dornas », les barques de pêche galiciennes traditionnelles.
5) la rencontre avec un personnage-clé du roman (p. 70) dont il remarque le drôle de tremblement qui affecte sa lèvre inférieure (alors qu’il lui demande quelques renseignements en apparence anodins) fait surgir dans la mémoire de Leo le souvenir d’un livre marquant : « La colmena » de l’écrivain galicien Camilo José Cela (prix Nobel de littérature en 1989).
Comme les autres personnages de la région (tels que Guzmán Barrio, le médecin légiste ou María de Castro Raposo, la femme de ménage de la victime), Leo a une façon « toute galicienne » de se comporter : par exemple, l’habitude de répondre à une question par une autre question (le plus souvent rhétorique) alors que rien ne l’exige (la situation est explicite) ; à l’inverse, celle de rester dans le flou, de s’enfermer dans le silence ou de cultiver l’ambiguïté alors que le contexte, là, n’est justement pas clair ; et même parfois, celle de s’amuser à dire tout le contraire de ce que l’on pense, ou comment ne pas rater une occasion de s’adonner à l’ironie ! Autant de particularismes qui ne manquent pas de décontenancer Rafael Estévez, l’assistant de Leo, fraîchement débarqué de sa Saragosse natale : le pauvre a un mal fou à s’adapter à toutes ces subtilités du tempérament galicien.
Enfin, Leo a, comme tout bon enquêteur, une conscience aiguë des situations qui lui sont données de rencontrer. Silencieux, apparemment détaché, sa pensée n’en reste pas moins toujours en éveil, son esprit critique toujours affûté, le flux de sa conscience toujours occupé à démêler les fils de la pelote emmêlée qui symbolise son affaire à éclaircir. Il fonctionne à l’intuition, au flair, au ressenti empirique des lieux et des personnes et il s’appuie sur les réflexes et les enseignements qu’il a acquis ou retirés de sa longue expérience. Il est courtois, réfléchi, patient, tout le contraire de son assistant qui s’emporte à tout bout de champ, ce qui n’empêche pourtant pas Leo de le couvrir dans ses débordements. On peut donc ajouter à son portrait d’autres qualités : loyal, tolérant, avec une bonne dose d’épaisseur humaine. Cet homme dont on mesure tout le vécu tend parfois à se montrer un peu blasé, voire désenchanté. On peut observer, par exemple, comment il apparaît résigné face à l’éventail de comportements incorrigibles des auditeurs qui le contactent à son émission de radio « Patrulla en las ondas ». Notons que sa participation à cette émission lui a assuré une incroyable popularité, que l’on peut vérifier à chaque fois qu’il est amené à croiser de nouvelles personnes, notamment dans le cadre de son travail. Néanmoins, il n’en tire aucune gloire. Au contraire, il en est même un peu agacé. En effet, il ne comprend pas les raisons de cet engouement puéril qui consiste à être émerveillé devant quelqu’un de plus ou moins connu, au seul prétexte de sa supposée célébrité. Dans cette émission, Leo écoute patiemment les requêtes des habitants de Vigo (problèmes de voisinage, etc.) et essaye d’y répondre favorablement. Il est là pour rendre service aux citoyens, des plus loufoques au plus enquiquinants. Il a d’ailleurs une manière amusante de comptabiliser leurs appels comme s’il disputait avec eux un match. Inutile de préciser que Leo est toujours perdant...
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