vendredi 30 avril 2010

Votre version de la semaine

El pánico del marqués de Senara por el suceso de la igle­sia le llevó a considerar la posibilidad de abandonar el país. A pesar de que los pocos milicianos que quedaban se refugiaron en el monte cuando comenzaron las re­presalias, la familia no podía superar el miedo a que al­guno de ellos regresara. Su hermana, la duquesa de Au­gusta, había tomado ya la decisión de marcharse, la tomó en el instante en que supo que su marido y cuatro de sus hijos iban a morir, cuando se los llevaron al ama­necer, y los vio llorar abrazada al único hijo que le deja­ban con vida. Necesitaba huir. Huir de las lágrimas que afortunadamente su hijo ciego no pudo ver. Ese llanto de su marido y de sus cuatro hijos, que la duquesa adivi­nó resignado, la perseguía por todas las calles de aquel pueblo al que no pensaba regresar jamás. En su residen­cia de verano, suficientemente lejos del horror, a dos­cientos cincuenta kilómetros más allá de la frontera, co­menzaría su exilio, incapaz de borrar la imagen última de los suyos caminando en pijama hacia la muerte.
La misma tarde que escapó de morir en la parroquia, el marqués de Senara movió todos los resortes que tenía a su alcance hasta que pudo saber la suerte que habían corrido su cuñado y sus sobrinos. En el momento en que se confirmó que habían sido asesinados, se lo comunicó a su hermana.
-Traerán los cuerpos inmediatamente, Amalia. Será muy duro para ti, si prefieres, pueden llevarlos a mi casa.
-Te lo agradezco, Julián, pero de aquí se los lleva­ron y quiero que vuelvan aquí.
Doña Amalia recibió la noticia como si ya la conocie­ra. Acertó a decir que se marcharía después del entierro, y le propuso a su hermano que la acompañara.
-Vente conmigo, Julián. Allí hay sitio para todos.
Su hermana no cesaba en su intento de convencerle, le repetía a cada instante que aceptara su invitación, al menos por un tiempo. Le rogó que pensara en sus cinco hijas. Pero él temía por los dos varones, ambos alféreces provisionales en el frente del sur. Aunque el general al mando de las tropas, íntimo amigo suyo y padrino de su hijo mayor, le había asegurado que no los expondría a ningún peligro, las dudas le llevaban a postergar su deci­sión. Necesitaba serenarse y la insistencia de su hermana le creaba aún más inseguridad. Al regresar a su casa, se refugió en su despacho. Sacó el violín de su estuche y co­menzó a tocar un réquiem. La música le ayudaría a re­flexionar. Pero las notas de la melodía sacra que había escogido le devolvieron al interior de la parroquia. Escu­chó de nuevo las detonaciones que se oían a su alrede­dor y sintió el olor de su propia carne quemada. Retiró el arco de las cuerdas y se apartó del atril. Se sentó en el sillón junto a la puerta de cristal que daba al pasillo, y vio cómo su mujer se acercaba.

Dulce Chacón, Cielo de barro

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Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

La panique qui s’était emparée du marquis de Senara après les événements de l’église le poussa à envisager la possibilité de quitter le pays. En dépit du fait que les quelques miliciens qui restaient s’étaient réfugiés dans la montagne au début des représailles, la famille ne pouvait pas surmonter sa peur de voir l’un d’entre eux revenir. Sa sœur, la duchesse de Augusta, avait déjà pris la décision de partir : elle l’avait prise à l’instant même où elle avait su que son mari et quatre de ses fils allaient mourir, quand on les lui avait amenés à l’aube, et qu’elle les avait vus pleurer, alors qu’elle serrait dans ses bras le seul fils qu’on lui laissait en vie. Elle avait besoin de fuir. Fuir les larmes que son fils aveugle, heureusement, n’avait pas pu voir. Ces pleurs de son mari et de ses quatre fils, dont la duchesse avait deviné la résignation, la poursuivaient à travers toutes les rues de ce village où elle pensait ne jamais revenir. Dans sa résidence d’été, suffisamment loin de l’horreur, à deux cent cinquante kilomètres au-delà de la frontière, elle entamerait son exil, incapable d’effacer la dernière image des siens marchant en pyjama vers la mort.
L’après-midi même où il échappa à la mort dans la paroisse, le marquis de Senara fit jouer tous les ressorts qu’il avait à sa portée jusqu’à ce qu’il pût savoir quel sort avaient connu son beau-frère et ses neveux. Dès qu’il eut la confirmation qu’ils avaient été assassinés, il prévint sa sœur.
— On va te ramener les corps d’ici peu, Amalia. Cela va être très dur pour toi, si tu préfères, ils peuvent les laisser chez moi.
— Je te remercie, Julián, mais c’est d’ici qu’on les a emmenés, c’est donc ici où je veux qu’ils reviennent.
Doña Amalia reçut la nouvelle comme si elle la connaissait déjà. Elle parvint à dire qu’elle partirait après l’enterrement, et elle proposa à son frère de l’accompagner.
— Viens avec moi, Julián. Là-bas, il y a de la place pour tous.
Sa sœur persistait dans sa tentative de le convaincre, elle lui répétait à chaque instant d’accepter son invitation, du moins pour un temps. Elle le pria de penser à ses cinq filles. Mais lui craignait pour ses deux garçons, qui étaient sous-lieutenants provisoires sur le front du sud. Bien que le général au commandement des troupes, son ami intime et le parrain de son fils aîné, l’eût assuré qu’il ne les exposerait à aucun danger, ses doutes le poussaient à retarder sa décision. Il avait besoin de se calmer et l’insistance de sa sœur le rendait encore plus nerveux. De retour chez lui, il se réfugia dans son bureau. Il sortit son violon de son étui et il commença à jouer un requiem. La musique l’aiderait à réfléchir. Mais les notes de la mélodie sacrée qu’il avait choisie le ramenèrent à l’intérieur de la paroisse. Il perçut à nouveau les détonations qu’on entendait autour et il sentit l’odeur de sa propre chair brûlée. Il retira l’archet des cordes et s’éloigna du pupitre. Il s’assit dans le fauteuil près de la porte vitrée qui donnait sur le couloir, et il regarda sa femme s’avancer.

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Laëtitia nous propose sa traduction :

La panique du marquis de Senara ressentie lors de l’épisode de l’église l’amena à considérer la possibilité d’abandonner le pays. Malgré le fait que les rares miliciens qui restaient s’étaient réfugiés dans la montagne quand les représailles avaient commencé, la famille ne pouvait pas supporter la peur que l’un d’eux revînt. Sa sœur, la duchesse d’Augusta, avait déjà pris la décision de s’en aller, elle l’avait prise au moment où elle avait su que son mari et quatre de ses enfants allaient mourir, quand ils les avaient emmenés au lever du jour, et qu’elle les avait vus pleurer étreignant l’unique fils qu’ils lui laissaient en vie. Elle devait fuir. Fuir des larmes qu’heureusement son fils aveugle n’avait pas pu voir. Ces pleurs, de son mari et de ses quatre fils, que la duchesse avait devinés résignés, la poursuivaient dans toutes les rues de ce village où elle ne pensait jamais retourner. Dans sa résidence d’été, suffisamment loin de l’horreur, à deux cent cinquante kilomètres au-delà de la frontière, son exil débuterait, incapable d’effacer l’image ultime des siens marchant en pyjama vers la mort.
Le même après-midi où il avait manqué de mourir dans la paroisse, le marquis de Senara avait tiré toutes les ficelles qui étaient à sa portée jusqu’à ce qu’il pût connaître le sort qu’avaient subit son beau-frère et ses neveux. Au moment où on lui confirma qu’ils avaient été assassinés, il en informa sa sœur.
-Ils vont ramener les corps immédiatement, Amalia. Ce sera très dur pour toi, si tu préfères, ils peuvent les amener chez moi.
-Je t’en remercie, Julián, mais c’est ici qu’ils ont été enlevés et je veux qu’ils reviennent ici. Doña Amalia accueillit la nouvelle comme si elle en avait déjà pris connaissance. Elle consentit à dire qu’elle s’en irait après l’enterrement, et elle proposa à son frère de l’accompagner.
-Viens avec moi, Julián. Là-bas, il y a de la place pour tous.
Sa sœur n’avait de cesse de tenter de le convaincre, elle lui répétait à chaque instant d’accepter son invitation, au moins pour un temps. Elle lui demanda de penser à ses cinq filles. Mais il craignait pour les deux garçons, tous deux aspirants provisoires au front sud. Bien que le général au commandement des troupes, un ami intime à lui et parrain de son fils aîné, lui eût assuré qu’il ne les exposerait à aucun danger, les doutes le conduisaient à retarder sa décision. Il avait besoin de se calmer et l’insistance de sa sœur créait en lui encore plus d’insécurité. En rentrant chez lui, il se réfugia dans son bureau. Il sortit le violon de son étui et il commença à jouer un requiem. La musique l’aiderait à réfléchir. Mais les notes de la mélodie sacrée qu’il avait choisie le ramenèrent à l’intérieur de la paroisse. Il écouta de nouveau les détonations qu’on entendait aux alentours et il sentit l’odeur de sa propre chair brûlée. Il retira l’archet des cordes et s’écarta du pupitre. Il s’assit dans le fauteuil à côté de la porte en verre qui donnait sur le couloir, et vit sa femme s’approcher.

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