Elle se tourne et se
retourne. Au bruissement des draps j’ouvre un œil, elle pas
encore. Elle lutte contre ce rappel récurrent du jour qui pointe, de
la journée qui vient. Elle souffle et marmonne, se meut ; je
ronronne. Elle m’embrasse pour se donner du courage ; je
ronronne de plus belle.
Je tends une
oreille, suis de loin le concert de la vaisselle, qui, une fois
achevé, annoncera le commencement de son festin matinal. Je pourrai
alors la rejoindre. Les cuivres se calment enfin, laissant place à
ce qui réellement m’attire hors de l’édredon : le parfum sucré
provenant de la table et parvenant jusqu’à mes moustaches. À pas
de velours, je viens me frotter à ses mollets, désirant moi aussi
goûter aux délices du petit-déjeuner. Plus elle se hâte, plus
elle est maladroite : un jour elle se brûle, l’autre elle se
tâche.
C’est alors que
commence la course. L’eau coule, de la douche au lavabo, du lavabo
à l’évier. Tentative d’association de chaussettes, échec. Une
minute encore, le sac se remplit de choses et d’autres, au gré des
allers et retours en trombe dans la maison. Moi, je reste tapi sur la
carpette et me réjouis de ma condition. Je suis là, immobile, à
savourer mon absence de contrainte. Une dernière caresse à mon
attention et elle s’élance dans la ville. De la fenêtre, je la
chercherai des yeux, elle, devenue forme inconnue parmi tant
d’autres. Elles vont et viennent, indistinctes, et pendant qu’elles
noircissent les rues, j’étire une patte, une deuxième, accrochant
mes griffes aux tissus, me léchant les babines de paresse.
Toujours élégant,
je me dandine vers mon écuelle, mais, soudain, une envie me prend :
savoir. Savoir enfin à quoi elle s'occupe. Souvent je
m'imagine que, comme le garçon de l'immeuble d'en face, chaque jour,
elle se saisit d'outils en fer et coupe, colore, boucle, frise,
lisse, tresse le poil humain. Puis, je me souviens de sa
maladresse et réfute alors cette hypothèse. Que peut-elle faire,
alors ? Je veux en avoir le cœur net. Je m'élance. La fenêtre
restée entrouverte, je peux partir à sa poursuite. Je la
retrouverai au son, à l'odeur, à tout ce que je connais si bien.
Je m'avance sur le
rebord. Je n'avais jamais remarqué à quel point c'était haut. Je
retomberai sur mes pattes, sûr. Je ferme les yeux et saute. Quatre
étages, à peine un fourmillement dans les coussinets, je me sens
plus fort.
Je bondis dans la
rue, évite une roue, dépasse un talon, contourne un panneau
publicitaire. Les bus klaxonnent, les taxis filent, les enfants me
courent après. J'esquive et me faufile toujours, quand j'aperçois,
se balançant selon le rythme des hanches qui l'avoisinent, le fameux
sac. Je m'approche encore, je m'approche toujours, il n'y a plus de
doute : c'est son odeur, c'est elle. Je retrouve un rythme tranquille
pour la poursuivre de loin, quand elle s'arrête devant une porte
vitrée opaque. Elle sonne, la porte s'ouvre, elle entre. Que peut-il
y avoir ici ? Je fais le tour pour trouver un point de vue.
Enfin, je réussis à grimper sur le balcon du premier étage. De là,
je peux voir à l'intérieur. Elle est là. Assise devant des écrans,
elle tapote un clavier, décroche le téléphone de temps à autres.
Je ne reconnais presque pas sa voix, elle a quelque chose d'étrange,
des sons inconnus sortent de sa voix. Je me concentre mieux, saisis
petit à petit, et finis par comprendre tout à fait.
Un message arrive à
l'écran. Elle tapote, décroche le téléphone, baragouine je ne
sais quel dialecte, raccroche. Satisfaite, elle se remet à tapoter ;
insatisfaite, elle se ressaisit du combiné deux, trois fois. Puis,
l'écran s'emplit de choses et d'autres. Enfin, tout disparaît
jusqu'à ce qu'un nouveau message arrive.
Je l'observe ainsi,
tentant de comprendre la cause, le but, l'utilité. Je suis fasciné
et empli d'interrogations sur ce monde étranger. Tout à coup, un
mouvement. Elle se lève, se saisit de son sac. Je me rends compte
alors que le soleil a commencé à baisser alors qu'il me semble être
installé depuis quelques minutes à peine. Rapidement, je saute de
ma place, contourne le bâtiment. Avant qu'elle ne ressorte par la
porte vitrée, j'emprunte le chemin découvert ce matin à la hâte.
Arrivé au pied de l'immeuble, notre immeuble, je panique : sauter
quatre étages est aisé, mais comment les remonter ? Je
patiente, avec l'espoir qu'un des habitants va venir ouvrir, mais
non. C'est elle qui arrive la première, la mine fatiguée, la
coiffure un peu défaite.
Elle me voit,
s'affole, me saisit, s'empresse d'entrer, et monte les marches en me
demandant pêle-mêle ce que je fais là, comment je suis arrivé
ici, depuis combien de temps, si j'ai voulu m'échapper. Elle ne
comprendra jamais cette journée, moi non plus, mais je viendrai
toujours me frotter à ces mollets au petit-déjeuner. Et peut-être
que, parmi ces dialectes, elle parlera aussi, un jour, le langage des
chats...
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