par || Laya ||
6 VARIATIONS AUTOUR DE LA COUPURE D’ELECTRICITE
Bénie soit l’électricité ? Levons donc notre verre à Newton ! Cela dit, si seulement, dans un même élan de génie, il avait découvert le moyen infaillible d’éviter les pannes de courant, de les empêcher d’apparaître inopinément, au moment où ça pose le plus de problème, ça aurait tout de même été mieux ! Alors finalement, non, ne levons pas notre verre à la gloire et à la santé de Newton car il a bâclé son invention et nous laisse nous fourrer dans de drôles de situations !
D’ailleurs, ne vous êtes-vous jamais demandé quels sont les moments pendant lesquels il ne faut en aucun cas que se produise une coupure d’électricité ? Moi si. Ce que je vous propose aujourd’hui est une liste, non exhaustive cela va sans dire, des situations parmi les plus embarrassantes, ou du moins les plus gênantes, les pire moments pour recevoir ce coup de massue du destin : la coupure d’électricité. Ne voyez pas une hiérarchie particulière quant à l’ordre dans lequel je propose ces situations.
LES TOILETTES.
En montant dans sa voiture, Andrew regretta d’avoir autant abusé des fruits pas assez mûrs présentés au buffet du midi. A peine fut-il engagé sur le périphérique que son ventre se mit à gargouiller. « J’aurais dû aller aux toilettes avant de quitter le bureau » songea-t-il, mais il n’était plus question de faire demi-tour. Par chance, la circulation était fluide et il put rapidement atteindre le quartier résidentiel aux abords de Los Angeles. Il gara sa voiture devant sa maison dans laquelle il venait d’emménager en prenant bien soin de ne pas trop coller la bordure de fleurs qui menait jusqu’à la porte d’entrée : « si je piétine ses fleurs, ma femme sera folle » pensa-t-il. Il saisit son attaché-case sur la banquette arrière et se pressa en direction de la maison. Une fois entré, il referma la porte derrière lui, laissa tomber sa sacoche et se dirigea vers les toilettes. Les derniers mètres étaient les plus difficiles. Il était surpris chaque fois qu’il pénétrait dans cette pièce immense, beaucoup trop vaste pour l’usage qu’ils en avaient sa femme et lui. Il fit un pas et resta paralysé, les plombs avaient sauté. C’était tout un dilemme pour Andrew qui ne savait se repérer dans ces toilettes-salle de bain. En serrant les jambes, il réfléchit un instant. « Alors, devant moi à environ 3 mètres il y a le lavabo. A gauche du lavabo, il y a les toilettes. Oui, c’est ça ». Il s’avança tout en défaisant sa ceinture et déboutonnant son pantalon. « Où est-ce à droite ? Ah, zut ! Non, c’est à droite que sont les toilettes ». Il fit les derniers pas en courant, posa ses mains sur le rebord en céramique, en déduisit qu’il s’agissait bien des toilettes, baissa son pantalon, s’assit et soupira. « Ouf ! Il était moins une ». L’espace de quelques instants, il savoura ce moment délicieux où tous ses muscles étaient relâchés, où plus rien ne pouvait lui arriver. Perdu dans l’obscurité la plus total et un silence religieux, il laissa tomber sa tête en arrière en fermant les yeux. Il souriait. N’ayant pas remarqué que le courant était revenu, il fut tiré de ses pensées par un cri de sa femme suivi d’un fou rire. Il ouvrit les yeux, fixa sa femme qui se moquait de lui et se rendit compte que, dans l’obscurité, il avait confondu les toilettes avec le bidet.
LA DOUCHE
Après une heure passée à courir le long des quais, je posais enfin les pieds chez moi. Je n’avais qu’une envie, enlever mes vêtements et me jeter dans la douche. J’ai toujours apprécié les douches –plus que les bains– mais la douche de l’après jogging est spécialement agréable ! Sentir les premières gouttes d’eau se crasher sur mon épaule, le pouls diminuer progressivement et me rafraîchir le visage avec cette eau bénite. Vous revoyez la publicité pour les shampoings Ushuaïa –ou peut-être est-ce Tahiti– de ces gens qui prennent une douche –au ralenti– ? Eh bien, voilà comment j’aime prendre mes douches après avoir couru. Le problème, c’est que tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait.
En pleine séance de zenification, je fus coupé dans mon élan. La coupure d’électricité m’a tout bonnement coupé mon effet publicité Ushuaïa –ou Tahiti. Je me retrouvais là, comme un con, du shampoing plein les cheveux et devant les yeux et du gel douche sur tout le corps. Je tentai de remettre l’eau afin de me rincer mais je faillis m’ébouillanter. Une chose à laquelle je n’avais encore jamais fait attention, c’est que dans l’obscurité totale, j’avais du mal à rester en équilibre alors que je me rinçais les cheveux. Oui, je l’admets, ça paraît ridicule.
Après tout, le plus problématique, ce n’est pas tant de devoir se rincer dans le noir mais plutôt la grande question « je fais comment maintenant ? ». La serviette est posée quelque part mais j’ignore où, devant ma douche se trouvent les toilettes –étrange emplacement– donc attention à ne pas tomber… J’essaie donc de secouer ma jambe pour faire tomber les dernières gouttes, je pose mes pieds sur le carrelage et cherche, à tâtons, une serviette. Une fois essuyé, j’ouvre la porte de la salle de bain et découvre, tout heureux, la lumière du jour dans le reste du studio. Quelle idée de ne pas mettre de fenêtre dans une salle de bain ?
TELEPHERIQUE EN HAUTE MONTAGNE.
Helmut reposa son verre de vin chaud sur la petite table sans même lever le nez de la carte. Il espérait trouver une petite balade agréable, hors des chantiers battus pour y emmener Gericht, son épouse. Elle ne se préoccupait pas du programme, elle se contenterait de suivre son mari comme elle l’a toujours fait. D’ailleurs, elle avait d’autres choses à faire. Pendant que son mari s’imaginait s’aventurant sur du hors-piste, elle se couvrait de crème solaire.
Après moult discussions, ils furent partis sur les chemins couverts de neige, en direction des sommets. Lui regardait sa boussole, elle regardait en l’air. Après plusieurs heures de marches, de pause et de remise en route, ils s’arrêtèrent devant la pancarte du téléphérique.
— Gericht, ma douce, ça doit être formidable ! –lui lança Helmut.
— Hmm… si tu le dis.
Une fois encore, elle faisait confiance à son mari pour lui faire découvrir de nouveaux paysages et lui faire faire de nouvelles expériences. Ils payèrent leur ticket et se placèrent, dans la cabine, tout contre la fenêtre. Ils étaient seuls avec le conducteur, quel que soit son poste. Mais ils ne prêtèrent aucune attention à ce jeune garçon et Gericht admit que la vue était splendide et que la montagne était vraiment une bonne idée pour s’éloigner du stress professionnel.
À mi-chemin, la cabine s’arrêta accompagné d’un bruit mécanique peu rassurant. Sans plus attendre, Gericht saisit fortement la main de son mari et la serra autant qu’elle le put. Leurs conversations avaient laissé place à un grand silence uniquement brisé par les grincements de la machine. Helmut se retourna pour demander au conducteur ce qu’il se passait mais en voyant le jeune homme plus blanc que la neige environnante, il comprit aussitôt que c’était grave. Helmut voulut s’enquérir du rôle exact du garçon et apprit qu’il ne s’agissait que d’un emploi étudiant pendant l’été et qu’il n’avait aucune idée de comment fonctionnait la mécanique.
— On va mourir ! On va tous mourir ! Helmut ! – commença à hurler Gericht en essuyant ses mains moites sur son short rouge.
— Arrête voir de t’affoler comme ça tu vas nous faire chavirer, espèce de folle !!! –cria Helmut en la secouant. Et surtout ne regarde pas en bas !
Il la lâcha et se tut. Il avait remarqué depuis quelques minutes la tempête qui s’approchait mais n’avait rien dit pour ne pas effrayer davantage son épouse. Par chance, la cabine se remit en marche et ils purent poser un pied sur la terre ferme quelques dix minutes plus tard. Pendant ce laps de temps, Gericht avait concentré ses cent kilos au centre de la machine et juré que plus jamais, au grand jamais, elle n’accepterait de suivre aveuglément son mari.
DISCOTHEQUE
— Vous êtes sexy en diable, jeune homme ! –cria-t-elle.
— Hein ? –hurla Arnaud.
— Je disais –dit la femme en se rapprochant de son oreille– que t’es une p’tite bombe !
— Ah, ouais, merci –avait-il répondu avant de rajouter–, t’es pas mal non plus.
Pendant quelques minutes, il n’avait pas réfléchi à ce qu’il venait de faire. Il continua à danser au rythme endiablé de la techno, puis il posa nonchalamment son regard sur cette femme qui se déhanchait à côté de lui, si ce n’est contre lui. Les faisceaux lumineux rendaient l’opération plus compliquée et, porté par le son, il se tourna vers elle et ils dansèrent ensemble pendant quelques instants. Ne voyant pas bien son visage, il décida de pivoter pour qu’elle se retrouve face au projecteur. Son plan marcha comme sur des roulettes, il tournait petit à petit et elle se déplaçait pour rester devant lui. Soudain, Arnaud fit un pas en arrière. « Oh, putain » avait-il dit. Le projecteur avait illuminé le visage de sa cavalière révélant une femme d’une cinquantaine d’années, blonde platine, probablement accroc aux UV. Elle portait une jupe fendue sur la jambe gauche et un petit débardeur qu’Arnaud devina motifs panthère. Pour s’en défaire, le jeune homme s’approcha d’elle :
— Vas-y, continue à danser ! Attends-moi là, je vais chercher un verre –avait-il dit avec un petit sourire qu’il savait irrésistible.
Au bar, il retrouva Jérémy et Daphné, un couple d’amis.
— Wah, vous imaginez pas qui vient de me draguer ! –dit-il avant de boire une gorgée de bière.
— Si, un Cougar ! –répondit Daphné en rigolant. Fais gaffe, elle est derrière ton joli petit cul !
C’était vrai, elle s’était rapprochée, et se mit à lui lancer des regards très expressifs. Et alors qu’Arnaud cherchait une solution pour s’en débarrasser, la musique s’éteignit d’un coup, l’obscurité tomba dans la discothèque, accompagnées des « ouuh » des danseurs en pleine transe. Puis ce qu’il redoutait le plus se produisit. Il sentit la main de la cinquantenaire se promener sur ses fesses rondes avant de tenter une approche de son entre-jambe. Arnaud lui saisit la main et, discrètement, échangea sa place avec celle de Jérémy. Personne ne s’était rendu compte de rien. La Cougar poursuivait son expédition manuelle et Jérémy susurra à l’oreille de Daphné :
— Je savais pas que ça t’excitait de faire ça dans le noir.
— De quoi ? Qu’est-ce tu racontes toi ? –fit Daphné un peu étonnée.
— Bah, t’es gonflée toi ! Tu me plotes l’engin et tu fais comme si de rien n’était.
— Je te quoi ?
Quand la lumière réapparut, Arnaud se dirigeait vers la sortie. Il se retourna et remarqua que tout le monde avait formé un rond. Au centre, son amie Daphné tentait d’étrangler la blonde cinquantenaire.
— Espèce de connasse. Je vais te faire passer l’envie, moi ! –hurlait la jeune femme.
Arnaud sourit, remit sa veste en cuir et sortit de la discothèque.
METRO PARISIEN
En cette fin d’après-midi, Paris suffoquait sous la chaleur écrasante des derniers jours d’Août et l’agitation des âmes circulant par millions dans la capitale.
Heureux de pouvoir enfin partir en vacances, les époux Arraga étaient sortis à la hâte de leur petit appartement de la rue de Saintonge. Ils avaient choisi de s’envoler pour Mykonos, ses plages et son soleil et étaient impatients d’embarquer à bord du vol AF 3595. Poussés par l’angoisse du retard de Madame Arraga, ils pressaient le pas en direction de la bouche de métro. Après avoir réussi tant bien que mal à se faufiler à travers la foule, descendre les marches avec leurs bagages et arpenter les longs couloirs de la station des Filles du Calvaire, Monsieur et Madame attendirent sagement au bord du quai l’arrivée imminente de la rame.
Un fois à bord, Keisuki Arraga supportait mal la promiscuité avec tous ces inconnus. Elle posa délicatement sa main sur la barre métallique non sans montrer une petite moue de dégoût que reconnut son mari. Heureusement, elle se rappela qu’elle avait sa lotion alcoolique, tueuse de bactéries, dans son sac. Naguro Arraga, lui, prêtait attention aux jeunes gens bruyants, quelques mètres plus loin. C’étaient des supporters se rendant au Stade de France pour aller applaudir leur équipe.
Alors que Keisuki plongeait sa main dans son sac à main à la recherche de sa lotion, le métro s’arrêta d’un coup et toute la rame fut plongée dans l’obscurité la plus totale. Là où tous les voyageurs émettaient des soupirs et des « oh là là », Monsieur Arraga, lui, pensa immédiatement à son vol qu’ils allaient certainement rater. Il songea ensuite à son épouse. Bien que ne la voyant pas, il savait très bien qu’elle était totalement affolée et incommodée. En effet, elle ne supportait pas d’entendre plus distinctement la respiration de son voisin de gauche, la toux de son voisin de droite. Mise à part la vue, tous ses sens étaient soudainement en éveil, l’ouïe, l’odorat, le toucher… L’odeur de la transpiration envahissait ses narines, la sueur coulait sur son visage en de petites gouttelettes et elle se détesta sentir quelqu’un frôler sa main. Elle voulut s’approcher de son époux, sentir le réconfort en se blottissant contre lui mais il lui fut impossible de bouger. Son rythme cardiaque s’accéléra, sa respiration devenait de plus en plus bruyante… Elle avait l’impression d’être asphyxiée à cause de la chaleur et du manque d’espace… Elle avait peur.
— Naguro ? Naguro, tu es là ? –demanda-t-elle, apeurée.
— Je suis là, ne t’inquiète pas. Tout va s’arranger. –répondit-il de manière très calme.
— Naguro, j’ai peur. Je me sens pas bien. Je sens que je vais m’évanouir.
— Donne-moi ta main.
Elle lui tendit sa main et sentir celle de son mari, la chaleur qui s’en dégageait et la douceur de sa peau lui permit de se calmer. Après quelques minutes, la lumière réapparut et le métro reprit sa course.
LE COMA.
Aristide n’avait pas eu de chance. Ce jour là, après avoir suivi sa fiancée Candy dans les rayons lingerie, cosmétique, cuisine et vêtements des Grands Magasins, une folle envie d’uriner l’avait assailli. Se précipitant dans les toilettes du parking de la République, il avait marché sur son lacet, trébuché et s’était assommé sur le water. C’était Candy qui, inquiète en ne le voyant pas revenir, l’avait trouvé inconscient, la tête dans la cuvette.
Il était dans le coma désormais, totalement immobile. Mais alors que son entourage ne cessait de se ronger les sangs quant à l’évolution de son état, Aristide, lui, se promenait pénard dans son inconscient. Il courait, bondissait, galopait. Il riait, chantait, dansait. Tellement heureux de ne plus avoir à supporter l’exaspérante attitude de Candy, il avait finalement trouvé dans son sommeil artificiel la liberté dont il n’avait jamais imaginé pouvoir jouir.
Aujourd’hui, il dormait, calme comme l’immense océan de ses secrets et agité comme la lutte acharnée entre la vie et la mort. Mais alors qu’il se promenait dans un jardin luxuriant où triomphaient arbres et fleurs, parfums et caresses, soleil et brise fraîche, le rêve d’Aristide fut avorté : coupure d’électricité générale à l’Hôpital !
Mais le phénomène provoqua, tel un électrochoc, le réveil du patient. S’affairant autour de lui, les médecins ne remarquèrent pas qu’il avait ouvert les yeux. Ce qu’Aristide vit en se réveillant l’acheva ; Candy n’avait pas changé, elle avait toujours ses fichues manies de petite fille pourrie gâtée, son visage ingrat et sa diction incorrecte.
Cause donnée au décès d’Aristide Lestu : coma dépassé
Bénie soit l’électricité ? Levons donc notre verre à Newton ! Cela dit, si seulement, dans un même élan de génie, il avait découvert le moyen infaillible d’éviter les pannes de courant, de les empêcher d’apparaître inopinément, au moment où ça pose le plus de problème, ça aurait tout de même été mieux ! Alors finalement, non, ne levons pas notre verre à la gloire et à la santé de Newton car il a bâclé son invention et nous laisse nous fourrer dans de drôles de situations !
D’ailleurs, ne vous êtes-vous jamais demandé quels sont les moments pendant lesquels il ne faut en aucun cas que se produise une coupure d’électricité ? Moi si. Ce que je vous propose aujourd’hui est une liste, non exhaustive cela va sans dire, des situations parmi les plus embarrassantes, ou du moins les plus gênantes, les pire moments pour recevoir ce coup de massue du destin : la coupure d’électricité. Ne voyez pas une hiérarchie particulière quant à l’ordre dans lequel je propose ces situations.
LES TOILETTES.
En montant dans sa voiture, Andrew regretta d’avoir autant abusé des fruits pas assez mûrs présentés au buffet du midi. A peine fut-il engagé sur le périphérique que son ventre se mit à gargouiller. « J’aurais dû aller aux toilettes avant de quitter le bureau » songea-t-il, mais il n’était plus question de faire demi-tour. Par chance, la circulation était fluide et il put rapidement atteindre le quartier résidentiel aux abords de Los Angeles. Il gara sa voiture devant sa maison dans laquelle il venait d’emménager en prenant bien soin de ne pas trop coller la bordure de fleurs qui menait jusqu’à la porte d’entrée : « si je piétine ses fleurs, ma femme sera folle » pensa-t-il. Il saisit son attaché-case sur la banquette arrière et se pressa en direction de la maison. Une fois entré, il referma la porte derrière lui, laissa tomber sa sacoche et se dirigea vers les toilettes. Les derniers mètres étaient les plus difficiles. Il était surpris chaque fois qu’il pénétrait dans cette pièce immense, beaucoup trop vaste pour l’usage qu’ils en avaient sa femme et lui. Il fit un pas et resta paralysé, les plombs avaient sauté. C’était tout un dilemme pour Andrew qui ne savait se repérer dans ces toilettes-salle de bain. En serrant les jambes, il réfléchit un instant. « Alors, devant moi à environ 3 mètres il y a le lavabo. A gauche du lavabo, il y a les toilettes. Oui, c’est ça ». Il s’avança tout en défaisant sa ceinture et déboutonnant son pantalon. « Où est-ce à droite ? Ah, zut ! Non, c’est à droite que sont les toilettes ». Il fit les derniers pas en courant, posa ses mains sur le rebord en céramique, en déduisit qu’il s’agissait bien des toilettes, baissa son pantalon, s’assit et soupira. « Ouf ! Il était moins une ». L’espace de quelques instants, il savoura ce moment délicieux où tous ses muscles étaient relâchés, où plus rien ne pouvait lui arriver. Perdu dans l’obscurité la plus total et un silence religieux, il laissa tomber sa tête en arrière en fermant les yeux. Il souriait. N’ayant pas remarqué que le courant était revenu, il fut tiré de ses pensées par un cri de sa femme suivi d’un fou rire. Il ouvrit les yeux, fixa sa femme qui se moquait de lui et se rendit compte que, dans l’obscurité, il avait confondu les toilettes avec le bidet.
LA DOUCHE
Après une heure passée à courir le long des quais, je posais enfin les pieds chez moi. Je n’avais qu’une envie, enlever mes vêtements et me jeter dans la douche. J’ai toujours apprécié les douches –plus que les bains– mais la douche de l’après jogging est spécialement agréable ! Sentir les premières gouttes d’eau se crasher sur mon épaule, le pouls diminuer progressivement et me rafraîchir le visage avec cette eau bénite. Vous revoyez la publicité pour les shampoings Ushuaïa –ou peut-être est-ce Tahiti– de ces gens qui prennent une douche –au ralenti– ? Eh bien, voilà comment j’aime prendre mes douches après avoir couru. Le problème, c’est que tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait.
En pleine séance de zenification, je fus coupé dans mon élan. La coupure d’électricité m’a tout bonnement coupé mon effet publicité Ushuaïa –ou Tahiti. Je me retrouvais là, comme un con, du shampoing plein les cheveux et devant les yeux et du gel douche sur tout le corps. Je tentai de remettre l’eau afin de me rincer mais je faillis m’ébouillanter. Une chose à laquelle je n’avais encore jamais fait attention, c’est que dans l’obscurité totale, j’avais du mal à rester en équilibre alors que je me rinçais les cheveux. Oui, je l’admets, ça paraît ridicule.
Après tout, le plus problématique, ce n’est pas tant de devoir se rincer dans le noir mais plutôt la grande question « je fais comment maintenant ? ». La serviette est posée quelque part mais j’ignore où, devant ma douche se trouvent les toilettes –étrange emplacement– donc attention à ne pas tomber… J’essaie donc de secouer ma jambe pour faire tomber les dernières gouttes, je pose mes pieds sur le carrelage et cherche, à tâtons, une serviette. Une fois essuyé, j’ouvre la porte de la salle de bain et découvre, tout heureux, la lumière du jour dans le reste du studio. Quelle idée de ne pas mettre de fenêtre dans une salle de bain ?
TELEPHERIQUE EN HAUTE MONTAGNE.
Helmut reposa son verre de vin chaud sur la petite table sans même lever le nez de la carte. Il espérait trouver une petite balade agréable, hors des chantiers battus pour y emmener Gericht, son épouse. Elle ne se préoccupait pas du programme, elle se contenterait de suivre son mari comme elle l’a toujours fait. D’ailleurs, elle avait d’autres choses à faire. Pendant que son mari s’imaginait s’aventurant sur du hors-piste, elle se couvrait de crème solaire.
Après moult discussions, ils furent partis sur les chemins couverts de neige, en direction des sommets. Lui regardait sa boussole, elle regardait en l’air. Après plusieurs heures de marches, de pause et de remise en route, ils s’arrêtèrent devant la pancarte du téléphérique.
— Gericht, ma douce, ça doit être formidable ! –lui lança Helmut.
— Hmm… si tu le dis.
Une fois encore, elle faisait confiance à son mari pour lui faire découvrir de nouveaux paysages et lui faire faire de nouvelles expériences. Ils payèrent leur ticket et se placèrent, dans la cabine, tout contre la fenêtre. Ils étaient seuls avec le conducteur, quel que soit son poste. Mais ils ne prêtèrent aucune attention à ce jeune garçon et Gericht admit que la vue était splendide et que la montagne était vraiment une bonne idée pour s’éloigner du stress professionnel.
À mi-chemin, la cabine s’arrêta accompagné d’un bruit mécanique peu rassurant. Sans plus attendre, Gericht saisit fortement la main de son mari et la serra autant qu’elle le put. Leurs conversations avaient laissé place à un grand silence uniquement brisé par les grincements de la machine. Helmut se retourna pour demander au conducteur ce qu’il se passait mais en voyant le jeune homme plus blanc que la neige environnante, il comprit aussitôt que c’était grave. Helmut voulut s’enquérir du rôle exact du garçon et apprit qu’il ne s’agissait que d’un emploi étudiant pendant l’été et qu’il n’avait aucune idée de comment fonctionnait la mécanique.
— On va mourir ! On va tous mourir ! Helmut ! – commença à hurler Gericht en essuyant ses mains moites sur son short rouge.
— Arrête voir de t’affoler comme ça tu vas nous faire chavirer, espèce de folle !!! –cria Helmut en la secouant. Et surtout ne regarde pas en bas !
Il la lâcha et se tut. Il avait remarqué depuis quelques minutes la tempête qui s’approchait mais n’avait rien dit pour ne pas effrayer davantage son épouse. Par chance, la cabine se remit en marche et ils purent poser un pied sur la terre ferme quelques dix minutes plus tard. Pendant ce laps de temps, Gericht avait concentré ses cent kilos au centre de la machine et juré que plus jamais, au grand jamais, elle n’accepterait de suivre aveuglément son mari.
DISCOTHEQUE
— Vous êtes sexy en diable, jeune homme ! –cria-t-elle.
— Hein ? –hurla Arnaud.
— Je disais –dit la femme en se rapprochant de son oreille– que t’es une p’tite bombe !
— Ah, ouais, merci –avait-il répondu avant de rajouter–, t’es pas mal non plus.
Pendant quelques minutes, il n’avait pas réfléchi à ce qu’il venait de faire. Il continua à danser au rythme endiablé de la techno, puis il posa nonchalamment son regard sur cette femme qui se déhanchait à côté de lui, si ce n’est contre lui. Les faisceaux lumineux rendaient l’opération plus compliquée et, porté par le son, il se tourna vers elle et ils dansèrent ensemble pendant quelques instants. Ne voyant pas bien son visage, il décida de pivoter pour qu’elle se retrouve face au projecteur. Son plan marcha comme sur des roulettes, il tournait petit à petit et elle se déplaçait pour rester devant lui. Soudain, Arnaud fit un pas en arrière. « Oh, putain » avait-il dit. Le projecteur avait illuminé le visage de sa cavalière révélant une femme d’une cinquantaine d’années, blonde platine, probablement accroc aux UV. Elle portait une jupe fendue sur la jambe gauche et un petit débardeur qu’Arnaud devina motifs panthère. Pour s’en défaire, le jeune homme s’approcha d’elle :
— Vas-y, continue à danser ! Attends-moi là, je vais chercher un verre –avait-il dit avec un petit sourire qu’il savait irrésistible.
Au bar, il retrouva Jérémy et Daphné, un couple d’amis.
— Wah, vous imaginez pas qui vient de me draguer ! –dit-il avant de boire une gorgée de bière.
— Si, un Cougar ! –répondit Daphné en rigolant. Fais gaffe, elle est derrière ton joli petit cul !
C’était vrai, elle s’était rapprochée, et se mit à lui lancer des regards très expressifs. Et alors qu’Arnaud cherchait une solution pour s’en débarrasser, la musique s’éteignit d’un coup, l’obscurité tomba dans la discothèque, accompagnées des « ouuh » des danseurs en pleine transe. Puis ce qu’il redoutait le plus se produisit. Il sentit la main de la cinquantenaire se promener sur ses fesses rondes avant de tenter une approche de son entre-jambe. Arnaud lui saisit la main et, discrètement, échangea sa place avec celle de Jérémy. Personne ne s’était rendu compte de rien. La Cougar poursuivait son expédition manuelle et Jérémy susurra à l’oreille de Daphné :
— Je savais pas que ça t’excitait de faire ça dans le noir.
— De quoi ? Qu’est-ce tu racontes toi ? –fit Daphné un peu étonnée.
— Bah, t’es gonflée toi ! Tu me plotes l’engin et tu fais comme si de rien n’était.
— Je te quoi ?
Quand la lumière réapparut, Arnaud se dirigeait vers la sortie. Il se retourna et remarqua que tout le monde avait formé un rond. Au centre, son amie Daphné tentait d’étrangler la blonde cinquantenaire.
— Espèce de connasse. Je vais te faire passer l’envie, moi ! –hurlait la jeune femme.
Arnaud sourit, remit sa veste en cuir et sortit de la discothèque.
METRO PARISIEN
En cette fin d’après-midi, Paris suffoquait sous la chaleur écrasante des derniers jours d’Août et l’agitation des âmes circulant par millions dans la capitale.
Heureux de pouvoir enfin partir en vacances, les époux Arraga étaient sortis à la hâte de leur petit appartement de la rue de Saintonge. Ils avaient choisi de s’envoler pour Mykonos, ses plages et son soleil et étaient impatients d’embarquer à bord du vol AF 3595. Poussés par l’angoisse du retard de Madame Arraga, ils pressaient le pas en direction de la bouche de métro. Après avoir réussi tant bien que mal à se faufiler à travers la foule, descendre les marches avec leurs bagages et arpenter les longs couloirs de la station des Filles du Calvaire, Monsieur et Madame attendirent sagement au bord du quai l’arrivée imminente de la rame.
Un fois à bord, Keisuki Arraga supportait mal la promiscuité avec tous ces inconnus. Elle posa délicatement sa main sur la barre métallique non sans montrer une petite moue de dégoût que reconnut son mari. Heureusement, elle se rappela qu’elle avait sa lotion alcoolique, tueuse de bactéries, dans son sac. Naguro Arraga, lui, prêtait attention aux jeunes gens bruyants, quelques mètres plus loin. C’étaient des supporters se rendant au Stade de France pour aller applaudir leur équipe.
Alors que Keisuki plongeait sa main dans son sac à main à la recherche de sa lotion, le métro s’arrêta d’un coup et toute la rame fut plongée dans l’obscurité la plus totale. Là où tous les voyageurs émettaient des soupirs et des « oh là là », Monsieur Arraga, lui, pensa immédiatement à son vol qu’ils allaient certainement rater. Il songea ensuite à son épouse. Bien que ne la voyant pas, il savait très bien qu’elle était totalement affolée et incommodée. En effet, elle ne supportait pas d’entendre plus distinctement la respiration de son voisin de gauche, la toux de son voisin de droite. Mise à part la vue, tous ses sens étaient soudainement en éveil, l’ouïe, l’odorat, le toucher… L’odeur de la transpiration envahissait ses narines, la sueur coulait sur son visage en de petites gouttelettes et elle se détesta sentir quelqu’un frôler sa main. Elle voulut s’approcher de son époux, sentir le réconfort en se blottissant contre lui mais il lui fut impossible de bouger. Son rythme cardiaque s’accéléra, sa respiration devenait de plus en plus bruyante… Elle avait l’impression d’être asphyxiée à cause de la chaleur et du manque d’espace… Elle avait peur.
— Naguro ? Naguro, tu es là ? –demanda-t-elle, apeurée.
— Je suis là, ne t’inquiète pas. Tout va s’arranger. –répondit-il de manière très calme.
— Naguro, j’ai peur. Je me sens pas bien. Je sens que je vais m’évanouir.
— Donne-moi ta main.
Elle lui tendit sa main et sentir celle de son mari, la chaleur qui s’en dégageait et la douceur de sa peau lui permit de se calmer. Après quelques minutes, la lumière réapparut et le métro reprit sa course.
LE COMA.
Aristide n’avait pas eu de chance. Ce jour là, après avoir suivi sa fiancée Candy dans les rayons lingerie, cosmétique, cuisine et vêtements des Grands Magasins, une folle envie d’uriner l’avait assailli. Se précipitant dans les toilettes du parking de la République, il avait marché sur son lacet, trébuché et s’était assommé sur le water. C’était Candy qui, inquiète en ne le voyant pas revenir, l’avait trouvé inconscient, la tête dans la cuvette.
Il était dans le coma désormais, totalement immobile. Mais alors que son entourage ne cessait de se ronger les sangs quant à l’évolution de son état, Aristide, lui, se promenait pénard dans son inconscient. Il courait, bondissait, galopait. Il riait, chantait, dansait. Tellement heureux de ne plus avoir à supporter l’exaspérante attitude de Candy, il avait finalement trouvé dans son sommeil artificiel la liberté dont il n’avait jamais imaginé pouvoir jouir.
Aujourd’hui, il dormait, calme comme l’immense océan de ses secrets et agité comme la lutte acharnée entre la vie et la mort. Mais alors qu’il se promenait dans un jardin luxuriant où triomphaient arbres et fleurs, parfums et caresses, soleil et brise fraîche, le rêve d’Aristide fut avorté : coupure d’électricité générale à l’Hôpital !
Mais le phénomène provoqua, tel un électrochoc, le réveil du patient. S’affairant autour de lui, les médecins ne remarquèrent pas qu’il avait ouvert les yeux. Ce qu’Aristide vit en se réveillant l’acheva ; Candy n’avait pas changé, elle avait toujours ses fichues manies de petite fille pourrie gâtée, son visage ingrat et sa diction incorrecte.
Cause donnée au décès d’Aristide Lestu : coma dépassé
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