par GaleriePeche
Il avait toujours été peu loquace, discret, effacé, disposé à dissimuler toute trace d’émotion, que ce soit dans sa voix ou sur son visage. Depuis qu’il était tout petit, il ne se faisait pas aisément des amis, mais lorsqu’il mettait la main sur une perle rare, il ne la lâchait pas de sitôt.
Lorsque son père était mort d’un infarctus il y a cinq ans, il s’était renfermé dans son mutisme. Il avait à peine réussit à murmurer un « je t’aime » à sa mère et sa petite sœur, le jour du drame, puis plus un mot. Régulièrement, il se remémorait cet instant tragique, lorsqu’il était rentré de l’université et avait découvert sa sœur assise sur le canapé du salon, les yeux gonflés et rougis, un mouchoir à la main, se rongeant les cuticules ; sa mère accrochée au téléphone, le teint blafard, parlant à voix basse. Il avait interrogé sa petite protégée, « c’est papi ? », et avait été pris de cours lorsqu’elle lui avait répondu, la gorge nouée, « non, c’est papa ». Ensuite, tout était allé très vite. Sa mère lui avait expliqué que son père se trouvait à l’hôpital, qu’il avait fait un arrêt cardiaque, et qu’on était en train d’essayer de le ranimer. Mais, surtout, qu’il ne fallait pas trop espérer, car s’il survivait, il ne serait désormais plus qu’un légume, son cerveau ayant été privé d’oxygène trop longtemps. Il cherchait ses mots, essayait de rassurer sa sœur, de se rassurer lui-même, et n’avait pas suivi le conseil de sa mère : il gardait espoir, un espoir tenace, vif, démesuré, insensé… Puis la sonnerie avait retenti, sa mère avait décroché le combiné, tremblante comme une feuille, avait écouté ce qu’on lui disait à l’autre bout du fil, murmurait des paroles presque inaudibles, tournait autour du pot…Puis il avait soudain entendu le mot « morgue », et tout était devenu trouble.
Il avait poursuivi ses études sans broncher, il était plutôt doué pour ça. Il ne parlait presque jamais de son géniteur, de temps en temps à sa meilleure amie, lorsque le poids était trop lourd à porter. Mais il n’aimait pas ouvrir la faille, déverser toutes ces larmes qui ne le soulageaient que pour quelques minutes. Cette façon de s’abandonner à l’autre, de dévoiler ses souffrances, de se mettre à nu face à un être qu’il aimait tant. Alors il faisait semblant et préférait se voiler la face. Ça aussi, il savait bien faire. Il disait à qui voulait bien l’entendre que tout allait bien, qu’il allait faire de grandes choses, qu’il avait plein de projets en tête, qu’il était prêt à assumer ce rôle d’étudiant qui n’en finit jamais. Il était même parti quelques mois à l’étranger, y avait fait des rencontres extraordinaires, en l’occurrence celle d’un italien avec qui il correspondait régulièrement depuis son retour en France. Mais il n’était pas heureux. Cette peine, trop difficile à supporter, ne voulait plus le quitter. Il ignorait comment faire son deuil, mais savait pertinemment qu’il était sur la mauvaise voie, que la solution ne se trouvait pas dans son silence ou son mensonge. Il avait eu une idée, simple et banale : écrire, déverser sur le papier toutes ses interrogations, ses doutes, retranscrire ses cauchemars qui venaient souvent le hanter. Et ça fonctionnait, du moins le chagrin s’envolait l’espace d’un instant, pour laisser place à la sérénité, à la légèreté, à la paix. Au cours de ces moments-là, il s’imaginait retomber en enfance, retourner au pays des rêves, lorsque sa famille était joyeuse. Il repensait aux contes que lui lisait sa mère avant de s’endormir, ces histoires de princes et de châteaux forts, à l’innocence dont jouissent les petits garçons face aux problèmes auxquels sont confrontés les adultes. Il désirait alors se transformer en personnage de livres ou de dessins animés, devenir cette grenouille laide et répugnante qui l’avait toujours fasciné. Oui, tout était si simple lorsqu’il s’identifiait à cet amphibien qui passait ses journées à bondir de nénuphars en nénuphars, attendant le baiser de sa bien-aimée. Puis il revenait à la réalité, se disait qu’il fallait bien évoluer, que ce n’était pas si mal d’être indépendant, et que les grenouilles, à part coasser et baver, n’avaient pas une grande utilité.
Voilà donc à quoi se résumait son existence : des hauts et des bas, des remises en question constantes, des choix cornéliens, des sauts d’humeurs, des angoisses nocturnes, des masques qu’il enfilait chaque matin au réveil. Mais, malgré tout, il savait qu’il s’en sortirait, il le sentait au fond de lui. Il percevait une petite voix qui lui disait : « Vas-y, fonce ! Même si tu ne sais pas où tu vas, vas-y la tête haute, comme cette grenouille ! ». Et alors, il souriait.
Lorsque son père était mort d’un infarctus il y a cinq ans, il s’était renfermé dans son mutisme. Il avait à peine réussit à murmurer un « je t’aime » à sa mère et sa petite sœur, le jour du drame, puis plus un mot. Régulièrement, il se remémorait cet instant tragique, lorsqu’il était rentré de l’université et avait découvert sa sœur assise sur le canapé du salon, les yeux gonflés et rougis, un mouchoir à la main, se rongeant les cuticules ; sa mère accrochée au téléphone, le teint blafard, parlant à voix basse. Il avait interrogé sa petite protégée, « c’est papi ? », et avait été pris de cours lorsqu’elle lui avait répondu, la gorge nouée, « non, c’est papa ». Ensuite, tout était allé très vite. Sa mère lui avait expliqué que son père se trouvait à l’hôpital, qu’il avait fait un arrêt cardiaque, et qu’on était en train d’essayer de le ranimer. Mais, surtout, qu’il ne fallait pas trop espérer, car s’il survivait, il ne serait désormais plus qu’un légume, son cerveau ayant été privé d’oxygène trop longtemps. Il cherchait ses mots, essayait de rassurer sa sœur, de se rassurer lui-même, et n’avait pas suivi le conseil de sa mère : il gardait espoir, un espoir tenace, vif, démesuré, insensé… Puis la sonnerie avait retenti, sa mère avait décroché le combiné, tremblante comme une feuille, avait écouté ce qu’on lui disait à l’autre bout du fil, murmurait des paroles presque inaudibles, tournait autour du pot…Puis il avait soudain entendu le mot « morgue », et tout était devenu trouble.
Il avait poursuivi ses études sans broncher, il était plutôt doué pour ça. Il ne parlait presque jamais de son géniteur, de temps en temps à sa meilleure amie, lorsque le poids était trop lourd à porter. Mais il n’aimait pas ouvrir la faille, déverser toutes ces larmes qui ne le soulageaient que pour quelques minutes. Cette façon de s’abandonner à l’autre, de dévoiler ses souffrances, de se mettre à nu face à un être qu’il aimait tant. Alors il faisait semblant et préférait se voiler la face. Ça aussi, il savait bien faire. Il disait à qui voulait bien l’entendre que tout allait bien, qu’il allait faire de grandes choses, qu’il avait plein de projets en tête, qu’il était prêt à assumer ce rôle d’étudiant qui n’en finit jamais. Il était même parti quelques mois à l’étranger, y avait fait des rencontres extraordinaires, en l’occurrence celle d’un italien avec qui il correspondait régulièrement depuis son retour en France. Mais il n’était pas heureux. Cette peine, trop difficile à supporter, ne voulait plus le quitter. Il ignorait comment faire son deuil, mais savait pertinemment qu’il était sur la mauvaise voie, que la solution ne se trouvait pas dans son silence ou son mensonge. Il avait eu une idée, simple et banale : écrire, déverser sur le papier toutes ses interrogations, ses doutes, retranscrire ses cauchemars qui venaient souvent le hanter. Et ça fonctionnait, du moins le chagrin s’envolait l’espace d’un instant, pour laisser place à la sérénité, à la légèreté, à la paix. Au cours de ces moments-là, il s’imaginait retomber en enfance, retourner au pays des rêves, lorsque sa famille était joyeuse. Il repensait aux contes que lui lisait sa mère avant de s’endormir, ces histoires de princes et de châteaux forts, à l’innocence dont jouissent les petits garçons face aux problèmes auxquels sont confrontés les adultes. Il désirait alors se transformer en personnage de livres ou de dessins animés, devenir cette grenouille laide et répugnante qui l’avait toujours fasciné. Oui, tout était si simple lorsqu’il s’identifiait à cet amphibien qui passait ses journées à bondir de nénuphars en nénuphars, attendant le baiser de sa bien-aimée. Puis il revenait à la réalité, se disait qu’il fallait bien évoluer, que ce n’était pas si mal d’être indépendant, et que les grenouilles, à part coasser et baver, n’avaient pas une grande utilité.
Voilà donc à quoi se résumait son existence : des hauts et des bas, des remises en question constantes, des choix cornéliens, des sauts d’humeurs, des angoisses nocturnes, des masques qu’il enfilait chaque matin au réveil. Mais, malgré tout, il savait qu’il s’en sortirait, il le sentait au fond de lui. Il percevait une petite voix qui lui disait : « Vas-y, fonce ! Même si tu ne sais pas où tu vas, vas-y la tête haute, comme cette grenouille ! ». Et alors, il souriait.
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