Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
vendredi 30 septembre 2011
mercredi 28 septembre 2011
mardi 27 septembre 2011
Version de CAPES, 14 (à rendre pour le 02 octobre)
«Se cumplen sesenta años de la muerte de Antonio Machado, en las postrimerías de la guerra civil. De todas las historias de aquella historia, sin duda la de Machado es una de las más tristes, porque termina mal. Se ha contado muchas veces. Procedente de Valencia, Machado llegó a Barcelona en abril de 1938, en compañía de su madre y de su hermano José, y se alojó primero en el Hotel Majestic y luego en la Torre de Castañer, un viejo palacete situado en el paseo de Sant Gervasi. Allí siguió haciendo lo mismo que había hecho desde el principio de la guerra: defender con sus escritos al gobierno legítimo de la República. Estaba viejo, fatigado y enfermo, y ya no creía en la derrota de Franco; escribió: "Esto es el final; cualquier día caerá Barcelona. Para los estrategas, para los políticos, para los historiadores, todo está claro: hemos perdido la guerra. Pero humanamente, no estoy tan seguro... Quizá la hemos ganado". Quién sabe si acertó en esto último; sin duda lo hizo en lo primero. La noche del 22 de enero de 1939, cuatro días antes de que las tropas de Franco tomaran Barcelona, Machado y su familia partían en un convoy hacia la frontera francesa. En ese éxodo alucinado los acompañaban otros escritores, entre ellos Corpus Barga y Carles Riba. Hicieron paradas en Cerviá de Ter y en Mas Faixat, cerca de Figueres. Por fin, la noche del 27, después de caminar seiscientos metros bajo la lluvia, cruzaron la frontera. Se habían visto obligados a abandonar sus maletas; no tenían dinero. Gracias a la ayuda de Corpus Barga, consiguieron llegar a Collioure e instalarse en el hotel Bougnol Quintana. Menos de un mes más tarde moría el poeta; su madre le sobrevivió tres días. En el bolsillo del gabán de Antonio, su hermano José halló unas notas; una de ellas era un verso, quizás el primer verso de su último poema: "Estos días azules y este sol de la infancia".
Le temps passa. Je commençai à oublier cette histoire. Un jour, au début du mois de février de 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu’un au journal suggéra l’idée d’écrire un article commémoratif sur la si triste fin du poète Antonio Machado, qui en janvier de 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et des centaines de milliers d’autres d’espagnols épouvantés, repoussé par l’avancement des troupes franquistes avait fui depuis Barcelone jusqu’à Collioure, de l’autre côté de la frontière française, où il mourut peu de temps après. L’événement était bien connu de tout le monde, et, pensai-je avec raison, il n’y aurait pas de journal catalan (ou pas catalan) qui à ces dates-là ne soit pas en train de l’évoquer, donc je me disposais déjà à écrire le traditionnel article de routine, quand je me souvins de Sánchez Mazas et du fait que sa fusillade frustrée avait eu lieu plus ou moins au même moment que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’imaginai alors que la symétrie et le contraste entre ces deux faits terribles ― presque un chiasme dans l’histoire ―n’étaient probablement pas un hasard et que, si j’arrivais à les raconter sans déperdition dans un même article, leur étrange parallélisme pouvait, le cas échéant, les doter d’une signification inédite. Cette superstition se consolida lorsque, en commençant à me documenter un peu, je tombai fortuitement sur l’histoire du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure, peu après la mort de son frère Antonio. C’est alors que je me mis à écrire. Le résultat fut un article intitulé : « Un secret essentiel. » Comme à sa manière lui aussi est essentiel à cette histoire, je le recopie ci-après : « Soixante ans s’écoulèrent depuis la mort d’Antonio Machado, à la fin de la guerre civile. De tous les récits de cette histoire, celui de Machado est sans aucun doute l’un de plus tristes, parce qu’il se finit mal. Il fut raconté nombre de fois. En provenance de Valence, Machado arriva à Barcelone en avril de 1938, en compagnie de sa mère, et de son frère José, et se logea en premier à l’hôtel Majestic, et ensuite dans la Torre de Castañer, un ancien palais situé sur la promenade de Sant Gervasi. À cet endroit, il continua son entreprise de toujours depuis le début de la guerre : défendre par ses écrits le gouvernement légitime de la République. Il était vieux, fatigué et malade, et il ne croyait plus à la défaite de Franco ; il écrivit : « C’est la fin ; un jour ou l’autre Barcelone tombera. Pour les stratèges, pour les politiciens, pour les historiens, c’est évident : nous avons perdu la guerre. Mais humainement parlant, je n’en suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée. » On ne sait pas s’il eut raison sur ce dernier point ; mais il vit certainement juste pour le premier. La nuit du 22 janvier de 1939, quatre jours avant que les troupes de Franco s’emparèrent de Barcelone, Machado et sa famille partaient dans un convoi vers la frontière française. Dans cet exode hallucinant, d’autres écrivains les accompagnaient, entre autres Corpus Barga et Carles Riba. Ils s’arrêtèrent à Cerviá de Ter et à Mas Faixat, près de Figueres. Enfin, la nuit du 27, après avoir marché six cents mètres sous la pluie, ils traversèrent la frontière. Ils furent obligés de se défaire de leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Barga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète y décéda ; sa mère lui survécut trois jours. Dans la poche du manteau d’Antonio, son frère José y trouva des notes ; parmi elles un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance. »
Le temps passa. Je commençai à oublier l’histoire. Un jour, au début du mois de février 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu’un du journal suggéra l’idée d’écrire un article en hommage à la très triste fin du poète Antonio Machado qui, en janvier 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et de cents mille autres espagnols épouvantés et poussé par l’avancée des troupes franquistes, fuit de Barcelone pour Collioure, de l’autre côté de la frontière française où il mourut peu de temps après. L’épisode était très connu et je pensai à juste titre qu’il n’y aurait pas un journal catalan (ou non catalan) qui, en cette période, manqueraient de l’évoquer ; c’est alors que je me disposais à écrire l’éternel article quotidien quand je me souvins de Sanchez Mazas et de son exécution ratée qui avait eu lieu plus ou moins en même temps que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’en vins alors à penser que la symétrie et le contraste de ces deux faits terribles –presque un chiasme de l’histoire -n’étaient peut être pas dus au hasard et que, si je réussissais à les raconter dans un même article sans en perdre une miette, leur étrange parallélisme pouvait peut être leur donner une signification inédite. Cette supposition fut confirmée quand, commençant à me documenter un peu, je tombai par hasard sur l’histoire du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure peu après la mort de son frère Antonio. C’est ainsi que je me mis à écrire. Le résultat fut un article intitulé « Un secret essentiel ». Etant donné qu’il est, à sa façon, essentiel à cette histoire, je le copie ci-dessous :
« On fête les soixante ans de la mort de Antonio Machado, survenue à la toute fin de la guerre civile. Parmi toutes les histoires de cette histoire, Machado est sans conteste l’une des plus tristes car elle termine mal. On l’a racontée plusieurs fois. En provenance de Valence, Machado arriva à Barcelone en avril 1938, en compagnie de sa mère et de son frère José et il se logea d’abord au Majestic Hotel et enfin à la Torre de Castañer, un vieil hôtel situé sur la promenade de Sant Gervasi. Là bas, il continua à faire la même chose qu’il avait faite depuis le début de la guerre : défendre le gouvernement légitime de la République par le biais de ses écrits. Il était vieux, fatigué et malade, ne croyait plus à la défaite de Franco ; il avait écrit : « Ceci est la fin ; Barcelone tombera un jour. Pour les stratèges, les politiciens, les historiens, tout cela ne fait aucun doute: nous avons perdu la guerre. Mais humainement parlant, je ne suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée. Qui sait s’il avait raison sur ce dernier point ; ce qui est certain, c’est que c’était le cas concernant le premier. La nuit du 22 janvier 1939, quatre ans avant que les troupes de Franco ne prennent Barcelone, Machado et sa famille partaient à l’intérieur un convoi vers la frontière française. Dans cet exode saugrenu, d’autres écrivains, entre autres Corpus Barge et Carles Riba. Ils firent une halte à Cervia de Ter ainsi qu’à Mas Faixat, non loin de Figueres. Enfin, la nuit du 27, après six cents mètres de marche sous la pluie, ils traversèrent la frontière. Ils s’étaient vus contraints de laisser leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Braga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète mourait ; sa mère le survécut de trois jours. Dans la poche du pardessus d’Antoine, son frère José trouva quelques notes ; l’une d’elles était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ».
Le temps avait passé. J’avais commencé à oublier l’histoire. Un jour du début du mois de février 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, un membre du journal avait suggéré l’idée de rédiger un article commémoratif en l’honneur de la fin extrêmement triste du poète Antonio Machado, qui en janvier 1939, accompagné de sa mère, de son frère José et d’autres centaines de milliers d’Espagnols épouvantés, poussé par l’avancée des troupes franquistes, avait fui depuis Barcelone jusqu’à Collioure, de l’autre côté de la frontière française, où il était mort peu de temps après. L’épisode était très célèbre, et je m’étais fait la réflexion, à juste titre, qu’à cette époque-là, tous les journaux catalans (ou non catalans) avaient dû finir par l’évoquer, c’est donc pour cette raison que je m’étais disposé à écrire le fameux article de routine quand je me suis souvenu de Sánchez Mazas et de sa fusillade ratée qui avait eu lieu plus ou moins au même moment que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’avais alors imaginé que la symétrie et le contraste entre ces deux terribles événements – presque un chiasme de l’histoire – n’étaient peut-être pas une coïncidence et que si je parvenais à les relater dans les moindres détails à l’intérieur d’un même article, leur étrange parallélisme pourrait les revêtir d’une signification inédite. Cette superstition s’était renforcée lorsqu’en commençant un peu à me documenter, j’étais tombé par hasard sue le récit du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure, peu après le décès de son frère Antonio. C’est alors que je m’étais mis à écrire. Le résultat avait abouti à un article intitulé « Un secret essentiel ». Comme il est également essentiel à sa manière pour cette histoire, je le recopie ci-dessous :« Nous fêtons les soixante ans de la mort d’Antonio Machado, tout comme ceux de la fin de la guerre civile. De toutes les histoires de cette histoire, celle de Machado est sans doute l’une des plus tristes parce qu’elle finit mal. Elle a été racontée des centaines de fois. Originaire de Valence, Machado est arrivé à Barcelone en avril 1938, accompagné de sa mère et de son frère José ; il a tout d’abord vécu à l’Hotel Magestic, puis à la Torre de Castañer, un vieil hôtel particulier sis Paseo de Sant Gervasi. Là-bas, il a poursuivi ce qu’il avait commencé à faire depuis le début de la guerre : défendre le gouvernement légitime de la République à travers ses écrits. Il était âgé, fatigué et malade, et il ne croyait plus en la défaite de Franco. Il avait écrit : " Nous approchons de la fin ; un jour ou l’autre, Barcelone va tomber. Pour les stratèges, pour les politiciens, pour les historiens, tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais humainement, je n’en suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée ". Qui sait si cette victoire avait vraiment eu lieu, mais cela avait sans doute été le cas pour la défaite. La nuit du 22 janvier 1939, quatre jours avant la prise de Barcelone par les troupes de Franco, Machado et sa famille partaient dans un convoi en direction de la frontière française. Dans cet exode délirant, d’autres écrivains les accompagnaient, Corpus Barga et Carles Riba entre autres. Ils avaient fait quelques arrêts à Cerviá de Ter et Mas Faixat, près de Figueres. La nuit du 27, après avoir marché six cents mètres sous la pluie, ils avaient enfin franchi la frontière. Ils s’étaient vus dans l’obligation d’abandonner leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Barga, ils étaient parvenus à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète mourait ; sa mère survécut trois jours de plus. Dans la poche du pardessus d’Antonio, son frère José trouva quelques notes ; l’une d’elles était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : " Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ".
Version de CAPES, 13 (à rendre pour le 26 septembre)
Todavía durante el paseo tuve que chapurrear italiano, como había hecho durante media cena. Durante la otra media era francés lo que había chapurreado aún peor, y a decir verdad estaba ya harto de no poder expresarme correctamente con nadie. Tenía ganas de resarcirme, pero esa noche ya no habría posibilidad, pensaba, pues para cuando regresara a la casa mi amiga Claudia que habla un español convincente, ya se habría acostado con su maduro y gigantesco marido y hasta la mañana siguiente no habría ocasión de cruzar unas palabras bien armadas y pronunciadas. Sentía impulsos verbales, pero debía reprimirlos. Desconecté durante el paseo: dejé que fuera la amiga italiana de mi amiga italiana quien hablara con propiedad en su lengua, y yo, contra mi voluntad y deseo, me limitaba a asentir y a comentar de vez en cuando:‘Certo, certo’, sin prestar atención, cansado como estaba por el vino y hastiado por el esfuerzo lingüístico. Mientras caminábamos echando vaho sólo me percataba de que decía cosas sobre nuestra común amiga, como era por lo demás natural, ya que fuera de la reunión de siete de la que procedíamos no teníamos nada de lo que ponernos al tanto. Al menos eso creía.‘Ma certo’, seguía comentando yo sin ningún sentido, mientras ella, que se daría cuenta de mis omisiones, continuaba un poco para sí sola o quizá por cortesía. Hasta que de pronto, siempre hablando de Claudia, hubo una frase que comprendí muy bien como frase y en absoluto como significado, ya que la comprendí sin querer y aislada de todo contexto.‘Claudia sarà ancora con il dottore’, fue lo que dijo su amiga a mi entendimiento. No hice mucho caso, porque estábamos llegando ya a su portal y yo tenía prisa por hablar mi lengua o al menos quedarme a solas pensando en ella.
En aquel portal había una figura esperando, y ella añadió:‘Ah no, ecco il dottore’, o algo por el estilo. Entendí que aquel doctor venía a visitar a su marido, quien por hallarse indispuesto no la había acompañado a la cena. El doctor era un hombre de mi edad o casi joven y que resultó ser español. Quizá fue sólo por eso por lo que fuimos presentados, aunque muy brevemente (ellos dos hablaron entre sí en francés, el de mi compatriota inconfundible acento), y aunque de buen grado me habría quedado un rato charlando conél para satisfacer mis ansias de verbalidad correcta, la amiga de mi amiga no me invitó a subir, sino que apresuró la despedida, dando a entender o diciendo que el doctor Noguera llevaba ya allí minutos, esperándola. Este médico compatriota portaba maletín negro, como los de otraépoca, y tenía un rostro anticuado, como salido de los años treinta: un hombre bien parecido pero huesudo y pálido, con pelo rubio de piloto de caza, peinado hacia atrás. Comoél, pensé un momento, debió haber muchos en París después de la guerra, médicos exiliados republicanos.
Maintenant que je sais que mon amie Claudia est devenue veuve par mort naturelle de son mari, je n'ai pas pu éviter de me souvenir d'une soirée à Paris, il y a six mois : j'étais sorti après un dîner de sept personnes pour raccompagner chez elle l'une des invitées qui n'avait pas de voiture, mais qui habitait près, quinze minutes à pied à l'aller et quinze au retour. Elle m'avait paru être une jeune un peu écervelée et assez sympathique, une Italienne, amie de mon hôtesse Claudia, Italienne également, qui m'hébergeait dans son appartement parisien pendant quelques jours, comme en d'autres occasions. C'était ma dernière nuit de ce voyage. La jeune femme, dont je ne me rappelle plus le nom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour diversifier un peu la table ou, plus exactement, pour que les deux langues parlées soient mieux réparties.
Au cours de la promenade, je dus encore baragouiner en italien, comme je l'avais fait durant la moitié du repas. Pendant l'autre moitié, c'était en français que j'avais baragouiné encore plus mal et, pour dire vrai, j'en avais bien assez de ne pouvoir m'exprimer correctement avec personne. J'avais envie de me rattraper, mais ce soir-là je n'en aurais plus la possibilité, pensais-je, car quand je rentrerais à la maison, mon amie Claudia qui parle un espagnol convaincant se serait déjà couchée avec son mari âgé et gigantesque et jusqu'au matin suivant je n'aurais pas l'occasion de croiser des mots bien assemblés et prononcés. Je ressentais des élans verbaux, mais je devais les réprimer. Je décrochai durant le trajet : je laissai l'amie italienne de mon amie italienne parler correctement dans sa langue, et moi, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer et à répondre de temps en temps : « Certo, certo », sans y prêter attention, fatigué que j'étais par le vin, et lassé de l'effort linguistique. Tandis que nous avancions en soufflant de la buée, je me rendais seulement compte qu'elle disait des choses sur notre amie commune, ce qui était du reste naturel, puisqu'en dehors de la réunion de sept personnes dont nous venions, nous n'avions aucune nouvelle à nous transmettre. Du moins, je le pensais. « Ma certo », continuais-je à approuver absurdement, pendant qu'elle, qui devait se rendre compte de mes inattentions, continuait un peu pour elle-même ou peut-être par politesse. Jusqu'à ce que, soudain, toujours en parlant de Claudia, il y eut une phrase que je compris très bien comme phrase et pas du tout comme signification, car je la compris sans le vouloir et isolée de tout contexte. « Claudia sarà ancora con il dottore », fut ce que porta son amie à ma connaissance. Je n'y fis pas trop attention, parce que nous étions en train d'arriver à sa porte et que j'étais pressé de parler ma langue ou au moins de me trouver seul pour y penser.
Devant cette porte, il y avait une silhouette qui attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose du même style. J'entendis que ce docteur venait visiter son mari qui, se trouvant indisposé, ne l'avait pas accompagnée au dîner. Le docteur était un homme de mon âge ou presque aussi jeune, qui s'avéra être espagnol. Peut-être que ce fut la seule raison pour laquelle nous avons été présentés, bien que brièvement (tous deux parlèrent entre eux en français, avec l'accent caractéristique de mon compatriote), et même si je serais volontiers resté parler un moment avec lui pour satisfaire ma soif de verbalité correcte, l'amie de mon amie ne m'invita pas à monter, elle écourta plutôt les adieux, laissant entendre ou disant que le docteur Noguera avait déjà passé du temps à l'attendre. Ce médecin compatriote portait une mallette noire, comme celles d'un autre temps, et avait un visage vieillot, semblant sorti des années trente : un homme au physique agréable mais osseux et pâle, avec des cheveux blonds de pilote de chasse, coiffés en arrière. Comme lui, pensais-je un instant, il avait dû y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.
Maintenant que je sais que mon amie Claudia a perdu son mari de mort naturelle, je ne peux m’empêcher de penser à une nuit à Paris, six mois plus tôt : j’étais sorti après un dîner où nous étions sept personnes pour raccompagner chez elle une des invitées, qui n’avait pas de voiture mais n’habitait pas loin, quinze minutes de marche à l’aller, quinze au retour. Elle m’avait paru être une jeune femme quelque peu lunatique mais assez sympathique, une amie italienne de mon amphitryon de Claudia, italienne elle aussi, qui une fois encore m’hébergeait pour quelques jours dans son appartement parisien. C’était la dernière soirée de mon séjour. La jeune femme, dont j’ai déjà oublié le prénom, avait été invitée pour me plaire et pour diversifier un peu la table, où plutôt pour que les dans langues dans lesquelles on s’exprimerait au cours de ce dîner soient plus équitablement réparties. Pendant que je la raccompagnais, je fus encore obligé de baragouiner l’italien, comme je l’avais fait pendant la moitié du repas. Pendant l’autre moitié c’était le français, que j’avais baragouiné encore plus mal, et à dire vrai j’en avais vraiment marre de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de réparer cela, mais je pensais que ce soir je n’en aurais pas la possibilité, car quand je reviendrai chez mon amie Claudia qui parle très bien espagnol, elle serait déjà couchée aux côtés de son mari un géant d’âge mûr, et jusqu’au lendemain matin je n’aurais pas l’occasion d’échanger quelques mots appropriés et bien prononcés. J’avais des pulsions verbales, mais je devais les réprimer. Alors que je raccompagnais la jeune femme, je décrochai : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne employer les mots à bon escient dans sa langue, et pour ma part, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer, et à commenter de temps en temps : « Certo, certo », sans prêter attention à ce qu’elle disait, j’étais fatigué à cause du vin que j’avais bu et las de mes efforts linguistiques. Tandis que nous marchions en produisant de la buée, je me rendais seulement compte qu’elle parlait de notre amie commune, ce qui en outre était normal, parce qu’en dehors du rassemblement de sept personnes dont nous provenions, nous n’avions aucune information à partager. Du moins, c’est ce que je croyais. « Ma certo », continuais-je à commenter sans aucun sens, tandis qu’elle, qui se rendait compte de mon inattention, continuait un peu pour elle-même, ou peut-être par politesse. Jusqu’à ce que soudain, toujours au sujet de Claudia, elle prononça une phrase que je compris très bien en tant que telle, et dont je saisis complètement le sens, bien que je la compris sans le vouloir et sortie de tout contexte. « Claudia sarà ancora con il dottore », telles furent les paroles de son amie d’après ce que j’ai compris. Je n’y fis pas très attention, car nous arrivions déjà devant son portail et j’étais pressé de parler ma langue ou au moins, même si je ne la parlais pas, de rester seul pour penser dans ma langue. Devant ce portail une silhouette attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose du genre. Je compris que ce médecin venait voir son mari, qui étant souffrant, ne l’avait pas accompagnée au dîner. Le médecin était un homme de mon âge ou presque, assez jeune, et qui se trouva être Espagnol. C’est peut-être la seule raison pour laquelle nous fûmes présentés, très brièvement,( eux deux se parlèrent en français, mon compatriote avec un accent qui ne trompait pas), et même si je serai volontiers resté un moment pour discuter avec lui et satisfaire mon ardent désir de volubilité correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter, mais hâta les adieux, en me faisant comprendre ou en me disant que le docteur Noguera l’attendait depuis déjà quelques minutes. Ce médecin compatriote tenait à la main une mallette noire, comme ses pairs jadis, et il avait un visage vieillot, comme sorti des années trente : il était plutôt pas mal mais osseux et pâle, avec les cheveux blonds d’un pilote de chasse, coiffés en arrière. Des comme lui, pensai-je un moment, il devait y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.
Depuis que je sais que mon amie Claudia est veuve de son mari qui est décédé de mort naturelle, je n’ai pu éviter de me souvenir d’une à nuit à Paris, il y a six mois : j’étais sorti après un dîner, où nous étions sept personnes, pour raccompagner chez-elle l’une des convives, qui n’avait pas de voiture, mais qui habitait près de là, à quinze minutes à pied à l’aller et quinze minutes au retour. Elle m’avait semblé une jeune fille un peu frivole et assez sympathique, une italienne amie de mon hôtesse Claudia, italienne elle aussi, qui avait un appartement sur Paris où j’y séjournais quelques jours, comme dans d’autres occasions. C’était la dernière nuit de mon voyage. La jeune fille, dont je ne me souviens plus de son prénom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour varier un peu la tablée, ou plutôt pour que les deux langues parlées soient bien à égalité.
Durant la promenade, j’ai dû encore une fois baragouiner l’italien, tel que je l’avais fait pendant plus de la moitié du dîner. Durant l’autre moitié, c’était le français que j’avais baragouiné pire encore, et, à vrai dire, j’en avais déjà assez de ne pas pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de compenser ceci, mais cette nuit, il n’y aurait plus de possibilité, car quand je serais de retour chez mon amie Claudia qui parle un espagnol convenable, elle serait déjà couchée avec son mari, qui est d’âge mur et gigantesque, et jusqu’au lendemain, il n’y aurait point l’occasion d’échanger quelques mots bien assemblés et bien prononcés. Je ressentais des impulsions verbales, mais je devais les réprimer. J’ai décroché pendant la promenade : j’ai permis que ce soit l’amie italienne de mon amie italienne qui parlât correctement dans sa langue, et moi, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer et à commenter de temps à autre : « Certo, certo », sans faire vraiment attention, car j’étais fatigué à cause du vin et blasé par l’effort linguistique. Pendant que nous marchions en exhalant de la buée, je saisissais juste qu’elle disait des choses sur notre amie en commun, ce qui était d’ailleurs normal, car en dehors de la réunion de sept d’où nous venions, nous n’avions rien en commun. Du moins, je croyais. « Ma certo », disais-je, sans aucun sens, pendant qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait de parler un peu pour elle toute seule ou peut-être par courtoisie. Jusqu’à ce que, tout à coup, en parlant toujours de Claudia, il eut une phrase que j’avais très bien comprise en tant que phrase, mais pas du tout son sens, car je l’ai comprise sans le vouloir et isolée de tout contexte. « Claudia sarà encora con il dottore », ce fut ce qu’a dit son amie à mon entendement. Je n’y ai pas prêté beaucoup d’attention, parce que nous étions déjà sur le point d’arriver au portail, et que j’étais pressé de parler dans ma langue ou au moins de rester tout seul à penser dans celle-ci.
Dans le hall d’entrée il y avait une silhouette qui attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose comme ça. J’ai compris que ce docteur venait rendre visite à son mari, lequel étant souffrant, ne l’avait pas accompagné au dîner. Le docteur était un homme de mon âge ou presque jeune et s’est révélé être espagnol. Peut-être est-ce l’unique raison pour laquelle nous avions été présentés, quoique très brièvement (ils ont parlé en français entre eux, mon compatriote avait un accent indiscutable), et malgré le fait que je serais resté de bon gré un moment à discuter avec lui pour satisfaire ma soif de verbalité correcte, l’amie de mon amie ne m’a pas invité à monter, mais elle a précipité les au revoir, en me faisant comprendre ou en disant que le docteur Noguera était là depuis déjà plusieurs minutes, à l’attendre. Ce médecin compatriote portait une serviette noire, comme celles d’une autre époque, et avait un visage démodé, comme sorti des années trente : un bel homme, mais osseux et pâle, avec des cheveux blonds de pilote de chasse, coiffés en arrière. Des comme lui, pensais-je un instant, il a dû y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.
Depuis que je sais que mon amie Claudia a perdu son mari, décédé de mort naturelle, je n’ai pu occulter le souvenir d’une nuit à Paris il y a six mois : j’étais sorti, après un dîner qui avait réuni sept convives, pour raccompagner chez elle l’une d’entre eux qui ne possédait pas de voiture mais habitait tout près, à quinze minutes de marche. La jeune femme, qui m’avait paru un peu fantasque et assez sympathique, était une amie italienne de mon hôte Claudia, italienne elle aussi, dans l’appartement parisien de laquelle je logeais quelques jours, à l’occasion. C’était la dernière nuit de mon voyage. Cette jeune femme, dont je ne me rappelle plus le prénom, avait été invitée pour m’être agréable et pour diversifier un peu la tablée, c’est-à-dire pour que les deux langues parlées soient un peu mieux réparties.
Je dus, durant la promenade, baragouiner de nouveau l’italien, comme je l’avais fait pendant la moitié du repas. Pendant l’autre moitié, c’était le français que j’avais baragouiné encore plus mal et, à vrai dire, j’en avais plus qu’assez de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de m’amender, mais je n’en aurais plus la possibilité cette nuit-là, pensais-je, car, lorsque je rentrerais chez mon amie Claudia qui parle un espagnol convaincant, celle-ci se serait déjà couchée au côté de son mari, un géant d’âge mûr, et jusqu’au lendemain, je n’aurais pas l’occasion d’échanger avec quiconque des mots bien agencés et prononcés. J’éprouvais des élans verbaux, mais devais les réprimer. Je me déconnectai de la discussion au cours de la promenade : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne parler avec justesse dans sa langue, quant à moi, contre ma volonté et mon désir, je me contentais d’acquiescer et de faire un commentaire de temps à autre : ‘Certo, certo’, sans y prêter plus attention, fatigué que j’étais par le vin et las de l’effort linguistique. En chemin, alors que nos souffles produisaient de la buée, je m’apercevais qu’elle n’abordait que des sujets concernant notre amie commune, ce qui était par ailleurs naturel puisque, hormis le dîner à sept dont nous sortions, nous n’avions rien d’autre à évoquer entre nous. Du moins, le croyais-je. ‘Ma certo’, poursuivais-je sans aucun fondement, tandis qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait de parler un peu pour elle-même ou par politesse peut-être. Jusqu’à ce que, soudain, toujours à propos de Claudia, surgisse une phrase dont je compris fort bien la structure mais pas du tout la signification, étant donné que je la saisis sans le vouloir et hors de tout contexte. ‘Claudia sarà ancora con il dottore’, voilà ce que communiqua son amie à mon entendement. Je n’y fis pas très attention, parce que nous arrivions déjà devant chez elle et j’avais hâte de parler ma langue ou, au moins, de rester seul à penser à elle.
Il y avait, devant chez elle, quelqu’un qui l’attendait et elle ajouta : ‘Ah no, ecco il dottore’, ou quelque chose dans le genre. Je compris que le docteur en question venait rendre visite à son mari, lequel, indisposé, ne l’avait pas accompagné au dîner. Or il se trouvait que le docteur, un homme de mon âge ou d’un peu plus jeune, était espagnol. D’ailleurs, c’est peut-être uniquement pour cela que nous fûmes présentés, quoique très rapidement (tous deux parlèrent français entre eux, mon compatriote, avec un accent caractéristique), et, alors que je serais resté de bonne grâce à discuter un moment avec lui pour étancher ma soif de verbalisation correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter, au contraire, elle abrégea les adieux, laissant entendre ou arguant que le docteur Noguera l’attendait déjà là depuis plusieurs minutes. Ce médecin compatriote portait une mallette noire, semblable à celles d’une autre époque, et avait un visage à l’ancienne, comme sorti des années trente : un homme pas mal fait de sa personne, mais osseux et pâle, avec les cheveux blonds d’un pilote de chasse, coiffés en arrière. À un moment, je pensai qu’il devait y avoir, comme lui, dans le Paris de l’après-guerre, de nombreux médecins républicains exilés.
***
Maintenant que je sais que mon amie Claudie est devenue veuve à la mort naturelle de son mari, je n’ai pu m’empêcher de me souvenir d’une soirée à Paris il y a six mois : j’étais sortie après le dîner de sept personnes pour raccompagner chez elle l’une des invitées qui n’avait pas de voiture mais habitait très près, quinze minutes à pied à l’aller et quinze au retour. Elle m’avait donné l’impression d’être une jeune femme quelque peu affolée et assez sympathique, une amie italienne de mon hôte Claudie, également italienne et dans l’appartement parisien de laquelle je logeais pour quelques jours comme à d’autres reprises. C’était mon dernier soir de ce voyage. La jeune femme, dont je ne me souviens plus du prénom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour diversifier un peu la table ou plutôt pour que les deux langues parlées soient plus équilibrées. Même durant la promenade, je dus baragouiner en italien comme cela avait été le cas durant la moitié du repas. En seconde partie de repas, le français que j’avais baragouiné était encore pire et, pour dire vrai, j’en avais vraiment marre de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais soif de vengeance mais ce soir là, il ne devait plus y avoir d’opportunité, pensais-je, car quand je serais rentrée à l’appartement, mon amie Claudie qui parle avec un espagnol ferme serait déjà couchée aux côtés de son vieux et gigantesque mari et jusqu’au lendemain matin, je n’aurais pas l’occasion de croiser des paroles bien armées et prononcées. Je sentais des élans verbaux mais je devais les réprimer. Je décrochai pendant la promenade : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne parler sa langue avec maîtrise et moi, contre ma volonté et mon désir, je me contentais d’acquiescer et de commenter de temps à autre : « Certo, certo » sans prêter attention, fatiguée par l’alcool et épuisée par l’effort linguistique. Pendant que nous marchions en crachant de la buée, je me rendais compte qu’elle ne disait rien d’autre que des choses concernant notre amie commune, ce qui était d’ailleurs logique puisqu’ hormis la réunion des sept d’où nous venions, nous n’avions rien à nous raconter. Du moins, c’est ce dont je croyais : « Ma certo » continuais-je à commenter sans aucun sens pendant qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait un peu pour elle seule ou peut être par politesse jusqu’à ce que, rapidement, parlant encore de Claudie, il y eut une phrase que je compris très bien en tant que phrase et complètement pour ce qui est du sens car je la compris sans vouloir et dépourvue de tout contexte: « Claudia sara ancora con il dottere » fut ce que dit mon amie à ma connaissance. Je n’en fis guère de cas car nous étions en train d’arriver à son portail et j’avais hâte de parler ma langue ou du moins de rester seule à penser à elle.
Sur ce portail, il y avait une silhouette qui attendait et elle ajouta : « Ah no, ecco il dittore » ou quelque chose du style. Je compris que ce docteur venait rendre visite à son mari qui, indisposé, ne l’avait pas accompagnée au dîner. Le docteur était un homme dans mes âges ou presque un jeune homme qui fut espagnol. Ce fut peut être juste pour cela que nous fûmes présentés quoique brièvement (eux deux parlaient entre eux en français, l’accent de ma compatriote qu’il m’était impossible de confondre) et, même si je serais restée volontiers à discuter avec lui pour assouvir mes envies de verbalité correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter mais elle pressa les au revoirs, faisant comprendre ou disant que cela faisait déjà quelques minutes que le docteur Noruega l’attendait là-bas. Ce médecin compatriote portait une une mallette noire appartenant à une autre époque et avait un vieux visage comme sorti des années trente, il n’était pas mal mais maigre et pale, les cheveux blonds de pilote de chasse, peignés en arrière. Comme lui, je pensai un instant qu’il dut y avoir beaucoup de médecins républicains exilés dans le Paris de l’après-guerre.
lundi 26 septembre 2011
dimanche 25 septembre 2011
Un peu de lecture, de la part d'Elena
Malingret 1999-2
samedi 24 septembre 2011
vendredi 23 septembre 2011
jeudi 22 septembre 2011
Version de CAPES, 13 (à rendre pour le 26 septembre)
Todavía durante el paseo tuve que chapurrear italiano, como había hecho durante media cena. Durante la otra media era francés lo que había chapurreado aún peor, y a decir verdad estaba ya harto de no poder expresarme correctamente con nadie. Tenía ganas de resarcirme, pero esa noche ya no habría posibilidad, pensaba, pues para cuando regresara a la casa mi amiga Claudia que habla un español convincente, ya se habría acostado con su maduro y gigantesco marido y hasta la mañana siguiente no habría ocasión de cruzar unas palabras bien armadas y pronunciadas. Sentía impulsos verbales, pero debía reprimirlos. Desconecté durante el paseo: dejé que fuera la amiga italiana de mi amiga italiana quien hablara con propiedad en su lengua, y yo, contra mi voluntad y deseo, me limitaba a asentir y a comentar de vez en cuando:‘Certo, certo’, sin prestar atención, cansado como estaba por el vino y hastiado por el esfuerzo lingüístico. Mientras caminábamos echando vaho sólo me percataba de que decía cosas sobre nuestra común amiga, como era por lo demás natural, ya que fuera de la reunión de siete de la que procedíamos no teníamos nada de lo que ponernos al tanto. Al menos eso creía.‘Ma certo’, seguía comentando yo sin ningún sentido, mientras ella, que se daría cuenta de mis omisiones, continuaba un poco para sí sola o quizá por cortesía. Hasta que de pronto, siempre hablando de Claudia, hubo una frase que comprendí muy bien como frase y en absoluto como significado, ya que la comprendí sin querer y aislada de todo contexto.‘Claudia sarà ancora con il dottore’, fue lo que dijo su amiga a mi entendimiento. No hice mucho caso, porque estábamos llegando ya a su portal y yo tenía prisa por hablar mi lengua o al menos quedarme a solas pensando en ella.
En aquel portal había una figura esperando, y ella añadió:‘Ah no, ecco il dottore’, o algo por el estilo. Entendí que aquel doctor venía a visitar a su marido, quien por hallarse indispuesto no la había acompañado a la cena. El doctor era un hombre de mi edad o casi joven y que resultó ser español. Quizá fue sólo por eso por lo que fuimos presentados, aunque muy brevemente (ellos dos hablaron entre sí en francés, el de mi compatriota inconfundible acento), y aunque de buen grado me habría quedado un rato charlando conél para satisfacer mis ansias de verbalidad correcta, la amiga de mi amiga no me invitó a subir, sino que apresuró la despedida, dando a entender o diciendo que el doctor Noguera llevaba ya allí minutos, esperándola. Este médico compatriota portaba maletín negro, como los de otraépoca, y tenía un rostro anticuado, como salido de los años treinta: un hombre bien parecido pero huesudo y pálido, con pelo rubio de piloto de caza, peinado hacia atrás. Comoél, pensé un momento, debió haber muchos en París después de la guerra, médicos exiliados republicanos.
mardi 20 septembre 2011
lundi 19 septembre 2011
Entretien avec une correctrice (Florence Moultson), réalisé par Auréba Sadouni
J'ai choisi ce métier par hasard, après avoir regardé une émission télé. J'ai suivi une formation de correcteur à distance. Celle-ci est nécessaire notamment pour la typographie et la ponctuation. Mais la véritable formation se fait avec un texte devant les yeux !
2) Qu'est-ce qui vous plaît dans le métier de correctrice ?
La diversité des textes à corriger, les recherches à effectuer parfois pourvérifier l'orthographe d'un nom par exemple, le travail des auteurs (écrivains ou non) qui se cache derrière ces textes.
3) Pour qui travaillez-vous ? (maisons d'édition, particuliers)
Je travaille effectivement pour des maisons d'édition, mais aussi des agences de communication, des journalistes et rédacteurs indépendants, quelques particuliers, notamment des étudiants (thèse, mémoire...).
4) Corrigez-vous davantage de traductions ou davantage d'œuvres directement écrites en français ? L'organisation de votre travail est-elle différente selon ces deux types de textes ?
La plupart des textes relus sont directement écrits en français. J'ai travaillé plusieurs fois avec une traductrice allemande et je n'ai pas changé ma méthode de travail.
5) Quelles sont les différentes étapes de correction d'un ouvrage ? Combien de lectures ? Combien de temps ?
Je parle en mon nom en disant que je procède à deux lectures et le temps dépend du volume du texte, de sa complexité et du travail demandé ! Parfois, il s'agit de relecture simple (orthographe, grammaire, ponctuation), une autre fois, d'une relecture plus poussée en ajoutant des suggestions de réécriture et, souvent une préparation de copie, avec vérification des dates, faits, noms, etc.
6) Quels sont vos outils de correction ? (logiciels, manuels)
Je travaille avec un logiciel de correction, auquel je ne me fie pas du tout, pour supprimer les coquilles par exemple.Je possède plusieurs manuels dont d'indispensables dictionnaires, le Grévisse, le Thomas...
7) Quelles sont les erreurs les plus fréquentes ?
Les erreurs d'accord, la ponctuation et la typographie.
8) Travaillez-vous sur un manuscrit imprimé ou sur ordinateur ?
Sur ordinateur.
9) Comment proposez-vous les corrections ? (en marge, directement dans le texte)
Les deux ! Selon la demande du client.
10) Votre profession a-t-elle fait de vous une lectrice différente ?
Je crois que je suis plus exigeante sur la qualité des textes que je lis.
samedi 17 septembre 2011
Version de CAPES, 12 (à rendre pour le 21 septembre)
La juge Elena Rincón et le médecin légiste agissant sous son autorité venaient de procéder à la levée d’un cadavre à López de Hoyos et ils rentraient à présent au tribunal à bord d’une voiture officielle, conduite par un très jeune homme à l’air effrayé, au côté duquel se trouvait un secrétaire efflanqué qui donnait de petits coups de tête contre une mallette noire qu’il tenait enserrée dans ses bras. Il était trois heures du matin dans la rue, mais surtout dans l’esprit de la juge qui, alors qu’elle semblait observer les trottoirs déserts avec un intérêt inexplicable, procédait intérieurement à la levée d’un cadavre qui avait son propre visage, son cou, ses mains, ses jambes, sa taille. Il ne montrait pas de signes de violence. Si on l’avait soumis à une analyse médico-légale, il en serait ressorti avec une autopsie blanche. Et cependant, il y avait, à l’origine de la mort, une déception, une blessure. Des mois auparavant, son père était décédé soulagé, pour ne pas dire heureux, de voir qu’elle avait obtenu un poste de juge à Madrid. Son père croyait, et lui avait fait croire à l’époque, que les juges changeaient le monde. Elle serait peut-être nommée dans la petite localité du Nord où il avait vécu et où Elena elle-même avait exercé dans les premiers temps, après avoir réussi son concours, et non dans une ville comme Madrid, où le quotidien dans les tribunaux était abrutissant et où les soirs de garde laissaient une dose d’amertume qui se précipitait, comme un sédiment de plomb, au fond de l’âme. Ces nuits-là, à ces heures tardives, elle se remémorait toujours son père, à un moment ou à un autre, avec un mélange de culpabilité et de ressentiment. Elle avait assisté à son enterrement dans une certaine précipitation et n’avait même pas séjourné à la maison après les funérailles. Elle s’était contentée d’en refermer la porte derrière elle, comme si celle-ci était toujours habitée, et elle avait regagné Madrid avec l’idée confuse que, tant que ses affaires ne bougeraient pas, il continuerait à vivre et elle pourrait différer un sentiment de deuil qu’en cet instant précis, elle n’éprouvait pas. Une nuit, il lui arriva de l’appeler sur son téléphone et juste au moment où elle se rendit compte de sa méprise, le répondeur se déclencha à l’autre bout et elle entendit la voix du mort la prier de lui laisser un message après le signal sonore. La juge raccrocha, étourdie, mais elle demeura obsédée par l’idée qu’elle avait trouvé une voie de communication avec le défunt par le biais de laquelle elle pourrait encore lui confier ses peines. Que les juges dirigeaient le monde, par exemple, était un mensonge, un mensonge auquel elle s’était livrée avec le même acharnement qu’à la construction d’une arche qui la mettrait à l’abri du déluge. Mais le déluge était la vie même, de sorte que j’avais créé une coquille dans laquelle je m’étais peu à peu isolée de l’existence, c’est pourquoi, à présent, je ne comprends ni les détours de l’esprit ni les émotions secrètes qui peuplent les tréfonds de mon âme obscure. Père.
La juge Elena Rincón et le médecin légiste à son service venaient de lever un corps à López de Hoyos et ils rentraient alors au tribunal de garde dans la voiture de fonction conduite par un très jeune garçon, à l'air étonné, à côté duquel se tenait un secrétaire maigre dont la tête ballotait contre le bord d'une mallette noire qu'il serrait dans ses bras. Il était trois heures du matin dehors, mais surtout dans l'esprit de la juge qui, même si elle semblait observer les trottoirs déserts avec un intérêt inexplicable, était en train de lever intérieurement un corps qui avait son propre visage, et son cou, ses mains, ses jambes, sa taille. Elle ne présentait pas de signes de violence. Si on lui avait fait une analyse médicolégale, une autopsie vierge en serait ressortie. Et cependant, à l'origine du décès il y avait une déception, une blessure. Des mois auparavant, son père était mort avec le soulagement, sinon le bonheur, de la voir transformée en une juge avec un poste à Madrid. Son père croyait, et il le lui avait fait croire à une autre époque, que les juges faisaient avancer le monde. Peut-être le faisaient-ils dans la petite localité du Nord où il avait vécu et où Elena elle-même avait exercé pendant les premiers temps, après avoir réussi le concours, mais pas dans une ville comme Madrid, où le quotidien dans les tribunaux était abrutissant, et où les gardes laissaient un lot d'amertume qui se précipitait, comme un dépôt de plomb, au fond de l'âme. Les jours de garde, à cette heure de la nuit, elle se souvenait toujours à un moment ou à un autre de son père, avec un mélange de culpabilité et de ressentiment. Elle avait assisté à son enterrement avec une certaine précipitation et n'avait pas même rangé la maison après les funérailles. Elle s'était bornée à la fermer derrière elle, comme si elle était toujours habitée, et était retournée à Madrid avec l'idée confuse que, tant que ses affaires ne bougeraient pas, il continuerait à vivre et qu'elle pourrait ajourner un deuil qu'elle ne ressentait pas à cet instant. Une nuit, elle en vint à l'appeler au téléphone et, juste au moment de se rendre compte de l'erreur, le répondeur se déclencha à l'autre bout et elle entendit la voix du mort qui la priait de laisser un message après le signal. La juge raccrocha, hébétée, mais elle resta obsédée par l'idée qu'elle avait trouvé une voie de communication avec le défunt à travers laquelle elle pourrait encore lui dire ce qui la ferait souffrir. Que les juges ne dirigeaient pas le monde, par exemple, c'était un mensonge, un mensonge auquel elle s'était adonnée avec le même acharnement que pour la construction d'une arche qui l'aurait sauvée du déluge. Mais le déluge était la vie même, alors ce que j'avais créé était une capsule dans laquelle je me suis isolée de l'existence, c'est pourquoi maintenant je ne comprends pas plus la rue que je ne conçois les émotions secrètes qui peuplent les recoins de mon âme obscure. Papa.
***
La juge Elena Rincón et le médecin légiste en charge de l’affaire venaient de déterrer un cadavre à López de Hoyos et se rendaient à présent au tribunal de garde dans la voiture officielle, conduite par un garçon très jeune à l’air craintif ; à ses côtés était installé un secrétaire maigre dodelinant de la tête sur le bord d’un attaché-case noir qu’il serrait dans ses bras. Il était trois heures du matin dans la rue, mais surtout dans l’âme de la juge qui, bien qu’elle semblât observer les trottoirs déserts avec un intérêt inexplicable, était en train de déterrer mentalement un cadavre qui avait le même visage, le même cou, les mêmes mains, les mêmes jambes et la même taille qu’elle. Il ne montrait aucun signe de violence. Si on lui avait fait une expertise médico-légale, l’autopsie aurait été blanche. Cependant, la nature du décès renfermait une erreur, une faille. Il y a quelques mois, son père était décédé, non pas dans le soulagement, mais plutôt dans la joie de la voir promue au poste de juge à Madrid. Son père croyait, et le lui avait fait croire dans une autre vie, que les juges changeaient le monde. Peut-être le changeaient-ils dans la petite localité du Nord où il avait vécu et où Elena elle-même avait exercé à ses débuts, après avoir réussi le concours, mais pas dans une ville comme Madrid où le quotidien, dans les tribunaux, était abrutissant, et où les agents se contentaient d’une dotation d’amertume qui se précipitait, comme un sédiment de plomb, dans le fond de l’âme. Les jours de permanence, durant ces heures nocturnes, à un moment ou à un autre, elle se souvenait de son père avec un mélange de culpabilité et de rancœur. Elle avait assisté à son enterrement avec une certaine précipitation et n’avait même pas remis la maison en ordre après les funérailles. Elle s’était contentée de la fermer derrière elle, comme si elle était toujours habitée, et était revenue à Madrid avec l’idée confuse qu’il serait toujours en vie et qu’elle pourrait reporter un deuil qu’elle ne ressentait pas à cet instant-là tant qu’on ne déplacerait pas ses affaires. Une nuit, elle l’avait appelé sur son téléphone, et juste au moment où elle s’était rendu compte de sa bêtise, le répondeur s’était déclenché à l’autre bout du combiné et elle avait entendu la voix du mort invitant à laisser un message après le bip. La juge avait raccroché, étourdie, mais elle demeurait obsédée par l’idée d’avoir trouvé un moyen de communication avec le défunt grâce auquel elle pourrait encore lui dire certaines choses qui la faisait souffrir. Que les juges ne dirigeaient pas le monde, par exemple, que c’était un mensonge, un mensonge auquel elle s’était accrochée avec le même acharnement qu’elle aurait employé pour la construction d’une arche qui l’aurait mise à l’abri du déluge. Mais le déluge, c’était la vie même, et, par conséquent, ce qu’elle avait créé était une capsule dans laquelle je me suis éloignée petit à petit de l’existence, et c’est pour cette raison que maintenant, je ne comprends pas les rues, pas plus que je ne perçois les émotions fermées qui meublent les recoins de mon âme obscure. Père.
La juge Elena Rincón et le médecin légiste sous ses ordres venaient d’enlever un cadavre à López de Hoyos et à présent, ils rentraient au tribunal de garde dans la voiture officielle, conduite par un garçon très jeune, avec un visage d’étonnement, à ses côtés se trouvait un secrétaire maigre qui dodelinait de la tête sur le rebord d’un attaché-case noir qu’il serrait dans ses bras. Il était trois heures du matin dans la rue, mais surtout dans l’esprit de la juge, qui, même si elle semblait observer les trottoirs déserts avec un intérêt inexplicable, était en train de soulever à l’intérieur d’elle-même, un cadavre qui avait son même visage, son cou, ses mains, ses jambes et sa ceinture. Il ne montrait pas de traces de violence. Si on lui eût fait une analyse légale, il en résulterait une autopsie vierge. Et pourtant, à l’origine du décès, il y avait bien une déception, une blessure. Quelques mois auparavant, son père était décédé avec le soulagement, voire le bonheur, de la savoir devenue juge en poste à Madrid. Autrefois, son père croyait, et lui fit croire, que les juges bougeaient le monde. Peut-être le bougeaient-ils dans la petite localité du Nord où il avait vécu et où Elena, elle-même, avait travaillé dans un premier temps, après avoir réussi le concours, mais pas dans une ville comme Madrid, où le « au jour le jour », dans les tribunaux, était abrutissant et les jours de garde y laissaient une dose d’amertume qui se précipitait, comme du sédiment de plomb, au fond de l’âme. Les jours de garde, à cette heure de la nuit, elle se souvenait toujours à un moment ou un autre de son père avec un mélange de culpabilité et de ressentiment. Elle avait assisté à son enterrement avec une certaine précipitation et elle n’avait même pas ramassé ses affaires dans la maison après les funérailles. Elle se limita à fermer derrière elle, comme si c’était toujours habité, et elle rentra à Madrid avec l’idée confuse que tant que ses affaires ne bougeaient pas, il demeurait vivant, et qu’elle pourrait reporter ce deuil qu’elle ne ressentait pas à ce moment-là. Une nuit, elle alla jusqu’à l’appeler au téléphone et juste au moment de se rendre compte de sa déraison, à l’autre bout du fil s’enclencha le répondeur et elle entendit la voix du mort en demandant de lui laisser un message après le signal. La juge raccrocha abasourdie, mais elle resta obsédée par l’idée d’avoir trouvé une voie de communication avec le défunt, à travers laquelle, elle pourrait encore lui dire des choses qui lui fissent du mal. Que les juges ne dirigeaient pas le monde, par exemple, que c’était un mensonge, un mensonge auquel elle s’était accrochée avec le même acharnement qu’à la construction d’une arche qui la mît à l’abri du déluge. Sauf que le déluge était la vie elle-même, ce qu’elle avait créé était donc une capsule dans laquelle je m’isolais de l’existence, c’est bien pour cela que maintenant, je ne comprends pas les rues, ni ne conçois les émotions bornées qui meublent les recoins de mon esprit obscur. Père.
La juge Elena Rincón et le médecin légiste sous ses ordres venaient de procéder à la levée d’un cadavre à Lopez de Hoyos et ils se rendaient à présent au tribunal d’instance à bord de la voiture officielle conduite par un très jeune garçon au visage stupéfait et à côté duquel se trouvait un secrétaire maigre qui donnait des coups de tête sur le rebord d’une mallette noire qu’il gardait serré dans ses bras. Il était trois heures du matin dans la rue mais surtout dans l’esprit de la juge qui, bien qu’elle semblait regarder les trottoirs déserts sans savoir pourquoi, était en train de procéder intérieurement à la levée d’un corps ayant le même visage qu’elle, son cou, ses mains, ses jambes et sa taille. Il n y avait aucune trace de violence. Si l’on avait procédé à une analyse légiste, l’autopsie n’aurait rien révélé. Et cependant, à l’origine du décès, il y avait une déception, une blessure. Quelques mois auparavant, son père était décédé, soulagé pour ne pas dire heureux de l’avoir vue devenir juge en poste à Madrid. Son père croyait et lui avait fait croire qu’autrefois les juges changeaient le monde. Peut être était-ce le cas dans le petit village du nord où il avait vécu et où Elena avait vécu après l’obtention de son examen mais pas dans une ville comme Madrid où la routine du quotidien dans les tribunaux était abrutissante et où les gardes laissaient un arrière goût qui se précipitait tel un sédiment de plomb au fond de l’âme. Les jours d’astreinte, à ces heures de la nuit, elle se rappelait toujours à un moment ou un autre la mort de son père avec un mélange de culpabilité et de ressentiment. Elle avait assisté à son enterrement dans une certaine précipitation et ne prit même pas le temps de ranger sa maison après les funérailles. Elle se contenta de fermer la porte derrière elle comme si elle était encore habitée et rentra à Madrid avec l’idée confuse que tant que les affaires resteraient à leur place, il serait encore vivant et qu’elle pourrait retarder le deuil qu’elle ne parvenait pas encore à ressentir. Une nuit, elle alla même jusqu’à lui téléphoner et au moment même où elle se rendit compte de l’absurdité de la situation, le répondeur se mit en marche à l’autre bout du fil et elle entendit la voix du défunt priant que l’on lui laisse un message après le signal sonore. La juge raccrocha, étourdie mais elle resta obsédée par l’idée qu’elle venait de trouver un moyen de communication avec le défunt à travers lequel elle pourrait encore lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur. Que les juges ne dirigeaient pas le monde, par exemple, était un mensonge, un mensonge auquel elle avait cru avec une obstination semblable à une arche qui puisse la mettre à l’abri du déluge. Mais le déluge était la vie même et c’est ainsi que j’avais crée une bulle dans laquelle je m’isolais petit à petit de l’existence, c’est pour cette raison que je n’entends pas ce qui se passe dans les rues et ne conçois pas les émotions renfermées qui peuplent les recoins de mon âme obscure. Père.
La juge Elena Rincón et le médecin légiste qui travaillait pour elle, venaient de procéder à la levée d’un corps à López de Hoyos et maintenant ils retournaient à la judicature de garde à bord de la voiture officielle que conduisait un très jeune garçon, lequel semblait avoir peur, à côté de lui se tenait un secrétaire maigre qui se frappait la tête contre le bord d’une mallette noire qu’il maintenait serrée contre lui. Il était trois heures du matin dans la rue, mais surtout dans l’esprit de la juge, qui même si elle semblait observer les trottoirs déserts avec un intérêt inexplicable, procédait intérieurement à la levée d’un corps, qui avait son propre visage et son cou, ses mains, ses jambes, sa taille. Elle ne montrait pas de signes de violence. Si on lui avait fait un examen médico-légal, l’autopsie se serait révélée négative. Et cependant, à l’origine du décès, il y avait une déception, une blessure. Plusieurs mois auparavant son père était mort soulagé, si ce n’était heureux de voir qu’elle était devenue juge et travaillait à Madrid. Son père croyait et lui avait fait croire à elle en d’autres temps que les juges faisaient bouger le monde. Peut-être le faisaient-ils bouger dans la petite localité du nord où il avait vécu et où Elena elle-même avait exercée quelques temps, juste après avoir réussi son concours, mais pas dans une ville comme Madrid, où le quotidien, dans les tribunaux, était abrutissant et les gardes offrait une dot d’amertume, qui telle une chape de plomb, se précipitait au fond de votre esprit. Les jours de garde, à ces heures de la nuit, elle se souvenait toujours à un moment ou à un autre de son père, avec un mélange de culpabilité et de ressentiment. Elle avait assisté à son enterrement avec une certaine précipitation, et n’a même pas repris la maison après les funérailles. Elle s’est limitée à la fermer derrière elle, comme si elle continuait à être habitée, et elle est retournée à Madrid avec l’idée confuse que tant qu’on ne bougerait pas ses affaires il continuerait à vivre et qu’elle pourrait atermoyer un deuil auquel dans ces instants-là elle n’avait pas le cœur. Une nuit elle a fini par lui téléphoner, et juste au moment où elle s’est rendue compte de son absurdité, le répondeur s’est déclenché à l’autre bout et elle a écouté la voix du mort la prier de lui laisser un message après le bip. La juge a raccroché abasourdie, mais est restée obsédée à l’idée qu’elle avait trouvé une voie de communication avec le défunt au travers de laquelle elle pourrait toujours lui dire quelque chose qui le ferait souffrir. Que les juges ne dirigeaient pas le monde, par exemple, c’était un mensonge, un mensonge face auquel elle avait rendu les armes, avec la même opiniâtreté que celui de la construction d’une arche qui l’aurait mise à l’abri du déluge. Mais le déluge c’était la vie elle-même, si bien que ce qu’on a créé était une capsule dans laquelle je me suis peu à peu éloignée de l’existence, désormais à cause de ça, je ne comprends pas les rues, et ne conçois pas les émotions enfermées qui meublent les recoins de mon esprit obscur. Papa.
Version de CAPES, 11 (à rendre pour le 16 septembre)
Qué le vas a hacer, tenemos esa pinta, ese look, como dicen ahora.
J’étais en sa compagnie depuis plusieurs heures et je venais de m’apercevoir que je ne connaissais pas son prénom. Il me l’avait pourtant dit, il s’était même hâté de me donner sa carte, avant que nous nous asseyions sur les tabourets du faux bar anglais dans la zone de transit de l’aéroport de Pittsburgh, mais je n’y prêtai pas attention, ou alors j’oubliai son prénom dès que je l’entendis, et je me trouvais maintenant dans la situation absurde de recevoir les confessions sentimentales voire sexuelles d’un inconnu qui m’appelait par mon first name et se comportait comme si nous étions des amis de toute la vie. As a matter of fact, comme on dit ici, nous nous étions vus pour la première fois vers onze heures a.m., devant un kiosque à journaux, ou plutôt c’est lui qui avait vu surgir de la poche de mon imperméable un vieil exemplaire de El País Internacional, et immédiatement il s’était adressé à moi en espagnol, avec la certitude absolue, d’après ce qu’il me raconta plus tard, que nous étions compatriotes.
– Tu ne fais pas cas de ce que l’expérience m’enseigne, Claudio – je ne me souvenais pas de son prénom, lui, en revanche, maniait déjà le mien avec fluidité. Un Espagnol en reconnaît un autre bien avant de l’entendre parler, rien qu’à son air. Tu te promènes dans New York, par exemple, sur la Cinquième Avenue, à l’heure où il y a le plus de monde et le plus de trafic, à un feu, tu vois un couple, de dos, en tee-shirt et jean, la trentaine passée, la fille, légèrement callipyge, avec des chaussures de sport ultra neuves et un pull-over fin jeté sur les épaules ou attaché autour de la taille, et je ne sais pas pourquoi mais tu le sais, tu peux le jurer : « Ces deux-là sont espagnols ».
Qu’est-ce que tu veux, on a cette allure, ce look, comme on dit aujourd’hui.
Le fait qu’une personne aussi triviale concède de telles prérogatives à mon allure supposée me déplut. Si quelqu’un de semblable, de si cheap, pour le dire brutalement, m’identifiait aussi rapidement comme l’un de ses compatriotes, c’était que je partageais peut-être, sans m’en rendre compte, une part de sa trivialité, de sa rude franchise espagnole. Je dois également ajouter qu’avec les années, je me suis habitué à ce qui, au début, m’agaçait tant, à savoir les formalités et les réserves de l’étiquette académique nord-américaine, et que, désormais, je me sens incommodé, ou plus exactement, embarrassed, devant tout déploiement excessif de sympathie, qui s’accompagne presque toujours de son corollaire de mauvaise éducation.
Il y a une autre considération que je ne dois pas éluder : lorsque je voyage, je suis dans l’incapacité totale d’entretenir la moindre relation avec les autres, c’est à peine si je sors de chez moi pour aller à l’aéroport ou à la gare, comme si je m’immergeais dans l’eau, vêtu d’une combinaison de plongée, et toute menace de conversation me gêne. J’appartiens à ce que les sociologues nomment ici, par le biais d’une métaphore assez heureuse, le type cocoon. Même quand je ne suis pas chez moi, dans mon intérieur bien chauffé et moquetté, mon cocon douillet de confortable privacy m’enveloppe, où que j’aille. J’ouvre avec avidité un des livres ou des journals que j’ai choisi pour le voyage, ou je recours, si j’ai beaucoup de travail, à quelque paper urgent, à mon petit ordinateur, mon indispensable lap top, je chausse mes lunettes pour voir de près, celles avec une chaînette pratique pour qu’on évite de les perdre, je garde les autres dans leur étui et dans la poche intérieure de ma veste, et, même si je me trouve dans un aéroport bondé, je pourrais aussi bien être, en ce qui me concerne, dans mon bureau de l’université, durant l’une de ces après-midi de fin de semestre où il ne reste plus que quelques étudiants et où règne dans les salles, sur les pelouses des cours et dans les couloirs, un silence de vérité claustrale.
J’étais avec lui depuis plusieurs heures et je venais tout juste de me rendre compte que je ne connaissais pas son nom. Il me l’avait dit, il s’était même empressé de me donner sa carte, avant que nous nous asseyions sur les tabourets du faux bar anglais dans la zone de transit de l’aéroport de Pittsburg, mais je ne prêtai guère attention, ou bien j’oubliai le nom aussitôt après l’avoir entendu, et maintenant je me retrouvais dans une situation absurde à écouter les confessions sentimentales ou sexuelles d’un inconnu que m’appelait par mon first name et se conduisait comme si nous étions des amis de toujours. As a matter of fact, comme on dit ici, nous nous étions rencontrer vers onze heures, dans un kiosque à journaux, ou plutôt il avait vu dépasser de la poche de ma gabardine un vieil exemplaire de El País Internacional et s’était aussitôt adressé à moi en espagnol, avec la certitude absolue, d’après ce qu’il dit plus tard, que nous étions compatriotes.
– Vois mon expérience, Claudio – je ne me souvenais pas de son nom, mais lui il maîtrisait déjà le mien avec fluidité –. Un Espagnol reconnaît un autre Espagnol bien avant de l’entendre parler, rien qu’en voyant son allure. Prends New York par exemple, la Cinquième Avenue, à l’heure de pointe où il y a le plus de monde, à un feu, tu vois un couple, qui te tourne le dos, tous deux vêtus d’un tee-shirt et d’un jean, âgés de trente et quelques années, elle avec une légère culotte de cheval, des chaussures de sport toutes neuves, un pull fin posé sur les épaules ou attaché à la ceinture, et j’ignore pourquoi mais tu le sais, tu peux le jurer : « ces deux là sont espagnols ». On n’y peut rien, on a cette allure, ce look comme on dit maintenant. J’étais contrarié qu’une personne aussi vulgaire obtienne de telles prérogatives sur ce qu’il appelait mon allure. Si quelqu’un comme lui, si cheap, pour le dire crûment, m’identifiait aussi rapidement comme son compatriote, c’était peut-être parce que je partageais, sans m’en rendre compte, une partie de sa vulgarité, de sa rude franchise espagnole. Je dois dire aussi qu’avec le temps je me suis habitué à ce qui me tourmentait autant au début, aux formalités et à la réserve propres à l’étiquette académique nord-américaine, et que maintenant je me sens incommodé, ou plus exactement embarrassed, face à quelque démonstration excessive de sympathie qui n’arrive jamais sans sa contrepartie de mauvaise éducation. Je ne dois pas oublier de considérer autre chose : en voyage, je suis totalement incapable d’avoir de bons rapports avec les autres, c’est à peine si je sors de la maison pour aller à l’aéroport ou à la gare, c’est comme si on me submergeait dans l’eau avec un scaphandre, et la moindre menace d’une conversation me dérange. J‘appartiens à ce que les sociologues appellent ici, avec une métaphore peu disgracieuse, le type cocoon. Même si je ne suis pas à la maison, au chaud, emmitouflé, où que j’aille, un chaleureux cocon m’enveloppe de confortable privacy. J’ouvre avec parcimonie n’importe lequel des livres ou journals que j’ai choisis pour le voyage ou j’ai recours, si j’ai beaucoup de travail, à quelque paper urgent, à mon petit ordinateur, mon indispensable lap top, j’enfonce mes lunettes sur le nez, celles qui ont une chainette pour éviter de les perdre, je range les autres dans leur housse, dans la poche intérieure de ma veste, et en ce qui me concerne même si je me trouve dans un aéroport populeux, je pourrais tout aussi bien être dans mon bureau du département, lors de l’un de ces après-midi de fin de semestre où il reste à peine quelques étudiants et où il règne dans les salles de cours, les patios tapissés de gazon et les couloirs, un silence claustral de vérité.
Annabelle nous propose sa traduction
J'avais passé plusieurs heures avec lui et je venais de me rendre compte que je ne savais pas son nom. Il me l'avait dit, il s'était même empressé de me donner sa carte, avant que nous nous asseyions sur les tabourets du faux bar anglais dans la zone de transit de l'aéroport de Pittsburgh, mais je n'y avais pas prêté attention, ou j'avais oublié le nom en l'entendant, et je me trouvais alors dans la situation absurde d'être en train de recevoir les confessions sentimentales ou sexuelles d'un inconnu qui m'appelait par mon first name et se comportait comme si nous étions amis depuis toujours. As a matter of fact, comme on dit ici, nous nous étions vus pour la première fois vers onze heures a.m. , dans un kiosque de presse, ou plutôt, il avait vu sortir de la poche de ma gabardine un exemplaire périmé de « El País internacional », et il s'était immédiatement adressé à moi en espagnol, avec la certitude absolue, comme il me dirait plus tard, que nous étions compatriotes.
– Toi, considère ce que me dit l'expérience, Claudio – je ne me rappelais pas son nom, mais il maniait déjà le mien avec fluidité. Un espagnol en reconnaît un autre bien avant de l'entendre parler, rien qu'en voyant sa touche. Tu vas dans New-York, par exemple, sur la Cinquième Avenue, à l'heure où il y a le plus de monde et le plus de circulation, tu vois un couple à un feu, dos à toi, tous les deux en chemises et jeans, d'environ trente et quelques années, elle avec un peu de cul, avec des chaussures de sport toutes neuves, avec un petit pull jeté sur les épaules, ou attaché au tour de la taille, et je sais pas pourquoi mais tu le sais, tu peux le jurer : « Ces deux-là sont espagnols ». Qu'est-ce que tu veux faire, on a cette touche, ce look, comme on dit maintenant.
Il me déplut qu'une personne si vulgaire s'octroie de telles prérogatives sur ce qu'il appelait ma touche. Si quelqu'un comme lui, si cheap, pour parler crûment, m'identifiait si rapidement comme son compatriote, c'était peut-être que je partageais, sans m'en rendre compte, une partie de sa vulgarité, de son rude franc-parler espagnol. Je dois aussi ajouter qu'avec les années je me suis habitué à ce qui au début m'agaçait tant : aux formalités et à la réserve de l'étiquette académique nord-américaine, et qu'à présent je me sens mal à l'aise ou, plus exactement, embarrassed, devant tout déploiement excessif de sympathie, qui n'arrive presque jamais sans sa contrepartie de mauvaise éducation.
Il y a une autre considération que je ne dois pas éluder : en voyage je suis complètement incapable de me lier aux autres, à peine sorti de chez moi pour l'aéroport ou la gare de chemin de fer, c'est comme si je m'immergeais dans l'eau vêtu d'une tenue de plongeur, et toute menace de conversation m'incommode. Je fais partie de ce que les sociologues appellent ici, avec une métaphore en rien malencontreuse, le type cocoon. Bien que je ne sois pas dans ma maison, bien chauffée et recouverte de moquettes, partout où je vais mon chaud cocon de confortable privacy m'enveloppe. J'ouvre avec avarice n'importe lequel des livres ou des journals que j'ai choisis pour le voyage, ou je fais appel, si j'ai beaucoup de travail, à un paper urgent, à mon petit ordinateur, mon indispensable lap top ; je mets mes lunettes de près, celles qui ont une opportune chaînette pour éviter leur perte, je garde les autres dans leur étui, dans la poche intérieure de ma veste, et en ce qui me concerne, bien que je me trouve dans un aéroport populeux, je pourrais aussi bien être dans mon bureau du département, un de ces après-midi de fin de semestre où il ne reste presque plus d'étudiants et où règne dans les classes, dans les cours tapissées de gazon et dans les couloirs, un silence de vérité claustral.
***
Amandine nous propose sa traduction :
J'étais avec lui depuis quelques heures et je venais de me rendre compte que je ne savais pas son nom. Il me l'avait dit, il s'était même dépêché à me donner sa carte, avant que l'on s'assoit sur les tabourets d' un bar à l'apparence anglaise dans la zone de passage de l'aéroport de Pttsburgh, cependant je n'y fis pas attention ou j'oubliai le nom juste après l'avoir entendu et maintenant je me trouvais dans une absurde circonstance à écouter les confessions sentimentales ou sexuelles d'un inconnu qui m'appelait par mon first name et se comportait comme si nous étions amis depuis toujours. As a matter of fact, comme ils disent ici, nous nous étions vu pour la première fois vers onze heure du matin au kiosque à journaux ou plutôt il avait vu dépasser de ma gabardine un vieil exemplaire del País Internacional, et il s'était immédiatement dirigé vers moi en espagnol, avec la sûreté absolue, selon ce qu'il dit plus tard, que nous étions compatriotes.
-Toi, fais attention à ce que l'expérience m'a appris, Claudio-moi je ne me souvenais pas de son nom, mais lui, maniait déjà facilement le mien. Un espagnol reconnaît un autre bien avant de l'entendre parler, seulement à son aspect. Vas à New York, par exemple, dans la cinquième avenue, à l'heure à laquelle il y a le plus d'affluence et de trafic, tu vois au feu un couple, de dos, les deux avec des tee-shirt et des jeans, ayant à peu près trente et quelques années, elle avec un peu de fesses, avec des chaussures de sport toutes neuves, un pull fin tiré aux épaules ou attaché et je ne sais pas pourquoi mais tu le sais, tu peux le jurer : « Ces deux là sont espagnols ».
Qu'est ce que tu veux faire, nous avons cette allure, ce look, comme ils disent aujourd'hui. Cela me déplu qu'une personne aussi vulgaire accorde de telles prérogatives sur ce qu'il appelait mon allure. Si quelqu'un comme cela, aussi cheap, pour le dire avec cruauté, m'identifiait aussi rapidement comme son compatriote, c'était que peut-être je partageais, sans m'en rendre compte, une part de sa vulgarité, de sa grossière franchise espagnole. Je dois aussi ajouter qu'avec les années je me suis habitué à ce qui au début me pressait autant, aux formalités et réserves de l'étiquette académique de l'Amérique du nord et que je me sens déjà gêné ou plus exactement, embarrassed, devant n'importe quel déploiement excessif de sympathie, qui n'arrive pratiquement jamais sans sa contrepartie de mauvaise éducation. Il y a une autre consideration que je ne dois pas éviter : pendant les voyages je sios complètement incapable d'avoir une relation avec les autres, dès que je sors de la maison jusqu'à l'aéroport ou la gare de chemins de fer, c'est comme si je plongeais dans l'eau vêtu d'une combinaison de plongeur et toute menace de conversation me dérange. J'appartiens à ce que les sociologues appelent ici, avec une métaphore non infortunée, le type cocoon. Même si je ne suis pas chez moi, bien calfeutré et emmitouflé dans une couverture, n'importe où je vais mon cocon chaud de confortable privacy m'enveloppe. J'ouvre avec avarice n'importe quels livres ou journaux que j'ai choisi pour le voyage, en cas de besoin, si j'ai beaucoup de travail, quelque paper urgent, mon petit ordinateur, mon indispensable lap top, je mets les lunettes tout près , celles qui portent un cordon oportun pour éviter leur perte, je garde les autres dans leur étui et dans la poche intérieure de ma veste et en ce qui me concerne, même si je me trouve dans un aéroport populeux, je pourrais également être dans mon bureau du département, lors d'un de ces après-midi de fin de semestre où il ne reste déjà pratiquement plus d'étudiants et où il règne dans les salles de cours, dans les cours recouvertes de pelouse et dans les couloirs, un silence vraiment égal à celui d'un cloître.
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Justine nous propose sa traduction :
Cela faisait déjà plusieurs heures que je passais avec lui, et je venais de me rendre compte que je ne connaissais pas son prénom. Il me l'avait dit, il s'était même hâté de me donner sa carte, avant que l'on ne s'assoie sur les tabourets du faux pub dans la zone de transit de l'aéroport de Pittsburgh, mais je n'y avais pas prêté attention, et j'avais oublié son nom juste après l'avoir entendu,et maintenant je me trouvais dans une situation absurde où je recueillais les confidences sentimentales ou sexuelles d'un inconnu qui m'appelait par mon first name et se comportait comme si nous étions amis depuis toujours.
As a matter of fact, comme on dit ici,nous nous étions vus pour la première fois vers onze heures du matin, dans un kiosque à journaux, ou plus exactement il avait vu dépasser de la poche de ma gabardine un vieil exemplaire de El país internacional, et immédiatement il s'était adressé à moi en espagnol, avec la certitude absolue,selon ce qu'il m'a dit par la suite, que nous étions des compatriotes.
-Fie toi à mon expérience Claudio- je ne me souvenais pas de son prénom, mais lui maniait déjà le mien avec fluidité.Un Espagnol en reconnaît un autre bien avant de l'entendre parler,rien qu'à son allure. Va à New- York par exemple, sur la cinquième avenue,à l'heure où il y a le plus de monde et où le trafic est dense.A un feu tu vois un couple qui te tourne le dos.Les deux personnes sont vêtues d'une chemise et d'un jean, elles ont une treintaine d'années,elle avec un petit cul, des chaussures de sport toutes neuves,un pull léger sur les épaules, ou noué à la taille, et tu ne sais pas pourquoi mais tu le sais, tu peux le jurer: "Ces deux-là sont Espagnols". Qu'est ce que tu veux y faire,nous avons cette allure, ce look, comme on dit maintenant. j'étais dégoûté qu'une personne aussi vulgaire s'accorde de telles prérogatives sur ce qu'il appelait mon allure. Si quelqu'un comme ça, aussi cheap, pour parler crûment, m'identifiait aussi rapidement comme un de ses compatriotes, c'était que peut-être je partageais, sans m'en rendre compte, une partie de sa vulgarité, de sa grossière franchise espagnole.Je dois aussi ajouter qu'au fil du temps je me suis habitué à ce qui au début m'obsédait tant , les formalités et les réserves de l'étiquette académique nord américaine, et que je me sens mal à l'aise, ou plus exactement embarrassed, devant un déploiement excessif de sympathie quel qu'il soit,qui n'arrive quasiment jamais sans une contrepartie de mauvaise éducation. Il y a une autre considération que je dois prendre en compte: lors d'un voyage je suis tout à fait incapable de me lier avec les autres, je sors tout juste de chez moi pour aller a l'aéroport ou à la gare, et déjà c'est comme si je plongeais dans l'eau vêtu d'une combinaison de plongée, et n'importe quelle menace de conversation me met mal à l'aise.J'appartiens à ce que les sociologues appellent ici, en utilisant une métaphore bien trouvée, le genre cocoon. Même si je ne suis pas dans ma maison, bien chauffée, avec de la moquette au sol, où que j'aille je m'enveloppe dans mon cocon chaud, confortable et privé. J'ouvre avidement n'importe quel livre ou jornals que j'ai choisi pour le voyage, ou j'ai recours si j'ai beaucoup de travail, à un quelconque paper urgent, à mon petit ordinateur , mon indispensable lap top, je mets mes lunettes pour voir de près, celles qui ont heureusement une chaînette pour m'éviter de les perdre, je garde l'autre paire dans son étui, dans la poche intérieure de ma veste, et en ce qui me concerne, même si je me trouve dans un aéroport bondé, je pourrais aussi bien être dans mon bureau du département, par un de ces après-midi de fin de semestre, où il ne reste déjà plus que quelques étudiants et qu'il règne dans les salles, dans les cours tapissées de gazon,et dans les couloir, un silence digne d'un cloître.
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Ana nous propose sa traduction :
Cela faisait déjà quelques heures que j'étais avec lui et je venais juste de me rendre compte que je ne connaissais pas son prénom. Il me l'avait dit. Il n'avait pas tardé à me donner sa carte de visite avant même de nous asseoir sur les tabourets du faux bar anglais dans la zone des transits à l'aéroport de Pittsburgh. Mais je n'ai pas fait attention, ou peut-être ai-je oublié son prénom juste après de l'avoir entendu. C'était à ce moment que je me trouvais dans l'absurde situation de recevoir les confessions sentimentales ou sexuelles d'un quelconque qui m'appelais par mon first name et se comportait comme si nous étions amis depuis toujours. As a matter of fact, comme on dit ici, nous nous étions rencontré par la première fois vers once a.m. dans un poste de vente de presse. À mieux dire, c'était lui qui avait vu un exemplaire de El País Internacional dépasser la poche de ma gabardine, et dans l'immédiat s'était adressé à moi en espagnol, avec la certitude absolue, (selon il a dit plus tard) que nous étions compatriotes.
- Fait moi confiance, Claudio, j'ai de l'experience- Moi, je ne me souvenais pas de son prénom, mais lui, il maniais couramment le mien-. Un espagnol reconnais un autre bien avant de l'écouter parler, qu'en regardant son allure. Par exemple, disons qu'on est à New York, et on marche dans la Cinquième Avenue à l'heure où il y a plus de foule et de trafique et on voit au feu un couple de dos, tous les deux portant des chemises et des jeans, d'environs trente ans. Elle, avec un fesse un peu rond, des baskets très neufs, un pull fin aux épaules ou attaché à la ceinture, et là, je ne sais pas pourquoi, mais on le sais, tu peux le jurer: « ces deux là, ce sont des espagnols » . C'est comme ça, nous avons cet allure, ce look, comme on dit aujourd'hui.
Le faite qu'une personne si vulgaire se permettait telles prérogatives sur ce qu'il appelais « mon allure », me dégouta. Si quelqu'un comme lui, si cheap, pour parler rudement, m'identifiais si rapidement comme son compatriote, c'était parce que, peut-etre , je partageais, sans me rendre compte, une partie de sa vulgarité, de sa rude franchise espagnole. En plus, je dois ajouter qu'au cours des années je me suis habitué à ce qu'au début me harcelais autant: les formalités et réserves d'une étiquette académique nord-américaine. Maintenant, je me sens gêné, ou plus exactement, embarrased, devant n'importe quel déploiement excessif de sympathie, qui n'arrive, presque jamais, sans sa contrepartie de mauvaise éducation.
Il y a une autre considération à ne pas éviter: quand je voyage, je suis totalement incapable de me mettre en rapport avec les autres, je ne sors à peine de la maison que pour aller vers l'aéroport ou la gare, c'est comme si je me plongeais dans l'eau portant une tenue de plongeur et n'importe quelle menace dans la conversation me dérange. J'appartiens à ce que les psychologues appellent ici, avec une métaphore pas infortunée, au type cocoon. Bien que je ne sois pas dans ma maison bien chauffée et couverte de moquettes, n'importe où je vais, mon cocon chaud de confortable privacy m'entoure. J'ouvre avec avarice n'importe quel livre ou journal que j'ai choisi pour le voyage, ou bien, si j'ai beaucoup de travaille, je fais appel à un paper urgent quelconque, à mon petit ordinateur, mon indispensable lap top, je met mes lunettes de près, celles qui ont une opportune petite chaine pour éviter sa perte, je range les autres dans sa pochette puis dans la poche intérieur de ma veste et, quant à moi, bien que je sois dans un aéroport populeux, je pourrais être également dans mon bureau du département, dans une des ces après-midis à la fin du semestre où il ne restent à peines d'étudiants et règne dans les salles, dans les cours tapissés de pelouse et dans le couloir, un silence de vérité claustral.
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Jean-Nicolas nous propose sa traduction :
Je passais des heures avec lui et finissais par me rendre compte que je ne savais pas son prénom. Il me l’avait dit, il s’était même empressé de me donner sa carte avant que nous nous asseyions sur les tabourets du pseudo bar anglais situé dans la zone de transit de l’aéroport de Pittsburg mais ; je n y ai même pas prêté attention ou j’ai oublié son prénom aussitôt après l’avoir entendu et maintenant, je me trouvais dans une situation absurde : recevant les confessions sentimentales ou sexuelles d’un étranger qui m’appelait par mon premier prénom et se comportait comme si nous étions amis depuis toujours. As a matter of fact, comme on dit ici, nous nous étions vus pour la première fois vers onze heures du matin à un kiosque de journaux ou, plutôt, lui avait vu dépasser de la poche de mon pardessus un vieil exemplaire du País Internacional et il s’était immédiatement adressé à moi en espagnol avec l’intime conviction, à ce qu’il dit plus tard, que nous étions compatriotes. Crois-en mon expérience, Claudio-je ne me souvenais plus de son prénom mais lui maniait déjà le mien aisément. Un espagnol reconnaît son semblable longtemps avant lui avoir parlé, rien qu’à son allure. Un exemple : Rends-toi à New York sur la Cinquième Avenue à l’heure où la foule et la circulation abondent ; tu vois à un feu un couple, dos à toi, tous les deux vêtus de chemises et de jeans, âgés d’une trentaine d’années, avec un peu de cul, des chaussures de sport toutes neuves ainsi qu’un pull fin mis sur les épaules ou attaché à la taille et j’ignore pourquoi mais tu le sais, tu peux en être sur : « Ces deux sont des espagnols ».
Que veux tu y faire, nous avons cette allure, ce qu’on appelle aujourd’hui look.
Le fait qu’une personne aussi vulgaire concède de tels avantages à ce qu’il appelait mon allure me déplut. Si quelqu’un comme tel, d’autant insignifiant pour le dire crûment, m’identifiait comme étant un de ses compatriotes, c’était sans doute que je partageais, à mon insu, une part de sa vulgarité, de sa franchise espagnole grossière. Je dois aussi ajouter, qu’avec les années, je me suis habitué aux formalités et réserves de l’étiquette académique nord américaine qui m’étouffaient au départ et que je me sens bien mal à l’aise pour ne pas dire embarassé devant n’importe quelle marque excessive de sympathie qui n’arrive presque jamais sans sa contrepartie de mauvaise éducation.
Il y a un autre point que je ne dois pas passer sous silence : au cours des voyages, je suis complètement incapable de me mêler aux autres, à peine sors-je de chez moi en direction de l’aéroport ou de la gare de chemin de fer que c’est comme si je plongeais dans l’eau vêtu d’un habit de plongeur et passons toute menace de conversation qui m’incommode. J’appartiens à ce que les sociologues appellent, avec une métaphore bienvenue, le type cocoon. Quand bien même je ne me trouve pas dans ma maison, bien chauffée et aux sols moquettés, mon nid douillet assurant mon propre confort me suit où que j’aille. J’ouvre avec une certaine avidité les livres ou les journaux et j’ai recours, si j’ai un peu de travail, à quelque papier urgent, à mon petit ordinateur (mon indispensable lap top) ; je chausse mes lunettes de près, celles portant une chaînette bien pratique pour ne pas les perdre, je garde les autres dans leur étui et dans la petite poche intérieure de ma veste et, pour mon compte, ce serait la même chose de me trouver dans un aéroport réputé que d’être à mon bureau du département lors d’un de ces soirs de fin de semestre où il ne reste à peine que quelques étudiants et règne, dans les salles, dans les cours recouvertes de gazon et dans les couloirs, un silence de vérité claustral.
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Elena nous propose sa traduction :
J’y étais avec lui depuis plusieurs heures et je venais de me rendre compte que je ne savais pas son prénom. Il me l’avait dit, voire même s’était empressé de me donner sa carte de visite, avant que nous nous asseyions sur les tabourets du faux bar anglais dans la zone de transit de l’aéroport de Pittsburg, sauf que moi, je n’y prêtai pas attention, ou j’oubliai son prénom à peine l’avoir entendu, et à présent, je me retrouvais dans l’absurde situation d’être en train de recevoir les confessions sentimentales ou sexuelles d’un inconnu qui m’appelait par mon « first name » et qui se comportait comme si nous étions amis de toute la vie. « As a matter of fact », comme on dit ici, nous nous étions vus pour la première fois vers onze heures a. m., dans un kiosque de presse, ou plutôt il avait vu dépasser de la poche de ma gabardine un vieil exemplaire de El País Internacional, et immédiatement, il s’était adressé à moi en espagnol, avec l’entière certitude, selon me dit-il plus tard, que nous étions compatriotes.
― Toi, écoute bien ce que me dit mon expérience, Claudio ― je ne me rappelais plus son prénom, mais lui, il maniait déjà avec fluidité le mien. ― Un espagnol reconnaît un autre bien avant de l’entendre parler, rien qu’à voir son allure. Si tu te balades à New York, par exemple, sur la Cinquième Avenue, à l’heure de grande affluence et de grande circulation, tu vois un couple à un feu, de dos, tous les deux en chemise et en jeans, d’une trentaine d’années, elle avec un assez gros cul, des chaussures de sport toutes neuves, un pull léger sur les épaules, ou attaché à sa ceinture, et je ne sais pas pourquoi, mais tu le sais, tu peux le jurer : « Ces deux-là sont espagnols ». On n’y peut rien, nous avons cette allure, ce « look », comme on dit maintenant. Cela me contraria qu’une personne tellement vulgaire se permît de telles prérogatives sur ce qu’il appelait mon allure. Si quelqu’un comme lui, si « cheap », pour le dire avec rudesse, m’identifiait aussi rapidement comme son compatriote, c’était peut-être que je partageais, sans m’en rendre compte, une partie de sa vulgarité, de sa rude franchise espagnole. Je me dois aussi d’ajouter qu’avec les années, je m’étais habitué à ce qui au début me contrariait autant : aux formalités et aux retenues de l’étiquette académique nord-américaine, et que désormais, je me sens gêné, ou plus exactement « embarrassed », devant n’importe quel déploiement excessif de sympathie, qui ne vient presque jamais sans sa contrepartie de mauvaise éducation. Il y a une autre considération que je ne dois pas éluder : pendant mes voyages, je suis totalement incapable d’établir un rapport aux autres, à peine sorti de chez-moi vers l’aéroport ou la gare, c’est comme si je me submergeais dans l’eau habillé d’une combinaison de plongée, et n’importe quelle menace de conversation m’agace. J’appartiens à ce que les sociologues appellent ici, par une métaphore pas trop malavisée, le type cocoon. Même si je ne suis pas dans ma maison, bien chauffée et recouverte de moquettes, où que j’aille, mon cocon chaud de confortable « privacy » m’enveloppe. J’ouvre avec avarice n’importe lequel des livres ou des journaux que je choisis pour le voyage, ou je recours, si j’ai beaucoup de travail, à un « paper » urgent quelconque, à mon petit ordinateur, mon indispensable « lap top », je mets mes lunettes loupe, celles qui ont la chaînette adéquate pour éviter de les perdre, je range les autres dans leur étui et dans la poche intérieure de ma veste, et en ce qui me concerne, bien que je sois dans un aéroport bondé, je pourrais tout aussi bien être dans le bureau de mon appartement, l’un de ces après-midi de fin de semestre où il reste à peine quelques étudiants et où il règne dans les salles de cours, dans les cours tapissées de gazon et dans les couloirs, un silence de vérité claustrale.