mardi 27 septembre 2011

Version de CAPES, 14 (à rendre pour le 02 octobre)

Pasó el tiempo. Empecé a olvidar la historia. Un día de principios de febrero de 1999, el año del sesenta aniversario del final de la guerra civil, alguien del periódico sugirió la idea de escribir un artículo conmemorativo del final tristísimo del poeta Antonio Machado, que en enero de 1939, en compañía de su madre, de su hermano José y de otros cientos de miles de españoles despavoridos, empujado por el avance de las tropas franquistas huyó desde Barcelona hasta Collioure, al otro lado de la frontera francesa, donde murió poco después. El episodio era muy conocido, y pensé con razón que no habría periódico catalán (o no catalán) que por esas fechas no acabara evocándolo, así que ya me disponía a escribir el consabido artículo rutinario cuando me acordé de Sánchez Mazas y de que su frustrado fusilamiento había ocurrido más o menos al mismo tiempo que la muerte de Machado, sólo que del lado español de la frontera. Imaginé entonces que la simetría y el contraste entre esos dos hechos terribles —casi un quiasmo de la historia— quizá no era casual y que, si conseguía contarlos sin pérdida en un mismo artículo, su extraño paralelismo acaso podía dotarlos de un significado inédito. Esta superstición se afianzó cuando, al empezar a documentarme un poco, di por casualidad con la historia del viaje de Manuel Machado hasta Collioure, poco después de la muerte de su hermano Antonio. Entonces me puse a escribir. El resultado fue un artículo titulado «Un secreto esencial». Como a su modo también es esencial para esta historia, lo copio a continuación:
«Se cumplen sesenta años de la muerte de Antonio Machado, en las postrimerías de la guerra civil. De todas las historias de aquella historia, sin duda la de Machado es una de las más tristes, porque termina mal. Se ha contado muchas veces. Procedente de Valencia, Machado llegó a Barcelona en abril de 1938, en compañía de su madre y de su hermano José, y se alojó primero en el Hotel Majestic y luego en la Torre de Castañer, un viejo palacete situado en el paseo de Sant Gervasi. Allí siguió haciendo lo mismo que había hecho desde el principio de la guerra: defender con sus escritos al gobierno legítimo de la República. Estaba viejo, fatigado y enfermo, y ya no creía en la derrota de Franco; escribió: "Esto es el final; cualquier día caerá Barcelona. Para los estrategas, para los políticos, para los historiadores, todo está claro: hemos perdido la guerra. Pero humanamente, no estoy tan seguro... Quizá la hemos ganado". Quién sabe si acertó en esto último; sin duda lo hizo en lo primero. La noche del 22 de enero de 1939, cuatro días antes de que las tropas de Franco tomaran Barcelona, Machado y su familia partían en un convoy hacia la frontera francesa. En ese éxodo alucinado los acompañaban otros escritores, entre ellos Corpus Barga y Carles Riba. Hicieron paradas en Cerviá de Ter y en Mas Faixat, cerca de Figueres. Por fin, la noche del 27, después de caminar seiscientos metros bajo la lluvia, cruzaron la frontera. Se habían visto obligados a abandonar sus maletas; no tenían dinero. Gracias a la ayuda de Corpus Barga, consiguieron llegar a Collioure e instalarse en el hotel Bougnol Quintana. Menos de un mes más tarde moría el poeta; su madre le sobrevivió tres días. En el bolsillo del gabán de Antonio, su hermano José halló unas notas; una de ellas era un verso, quizás el primer verso de su último poema: "Estos días azules y este sol de la infancia".

Javier Cercas, Soldados de Salamina

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Annabelle nous propose sa traduction :

Le temps passa. Je commençai à oublier l'histoire. Un jour du début de février 1999, l'année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu'un du journal suggéra l'idée d'écrire un article commémoratif de la fin tragique du poète Antonio Machado qui, en janvier 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et d'autres centaines de milliers d'espagnols épouvantés, repoussés par l'avancée des troupes franquistes, fuit de Barcelone jusqu'à Collioure, de l'autre côté de la frontière française, où il mourut peu après. L'épisode était très connu, et je pensai avec raison qu'il n'y aurait pas de journal catalan (ou non catalan) qui pour ces dates ne finirait pas par l'évoquer, de sorte que je me disposais déjà à écrire le traditionnel article routinier lorsque je me souvins de Sánchez Mazas et que son exécution manquée s'était produite à peu près en même temps que la mort de Machado, seulement, du côté espagnol de la frontière. J'imaginai alors que la symétrie et le contraste entre ces deux faits terribles – presque un chiasme de l'histoire – n'étaient peut-être pas fortuits et que, si j'arrivais à les raconter sans perte en un même article, leur étonnant parallélisme pourrait bien les doter d'une signification inédite. Cette superstition se renforça lorsque, en commençant à me documenter un peu, je tombai par hasard sur l'histoire du voyage de Manuel Machado pour Collioure, peu après la mort de son frère Antonio. Je me mis alors à écrire. Le résultat fut un article intitulé « Un secret essentiel ». Comme, à sa manière, il est essentiel aussi pour cette histoire, je le copie en suivant :
« On célèbre les soixante ans de la mort d'Antonio Machado, à la fin de la guerre civile. De toutes les histoires de cette histoire, celle de Machado est certainement l'une des plus tristes, car elle se termine mal. Elle a été racontée de nombreuses fois. En provenance de Valence, Machado arriva à Barcelone en avril 1938, en compagnie de sa mère et de son frère José, et logea d'abord à l'Hotel Majestic et ensuite à la Torre de Castañer, un vieil hôtel particulier situé sur la promenade de Sant Gervasi. Là, il continua de faire ce qu'il avait toujours fait depuis le début de la guerre : défendre avec ses écrits le gouvernement légitime de la République. Il était vieux, fatigué et malade, et il ne croyait plus en la défaite de Franco ; il écrivit : « Ceci est la fin ; un jour ou l'autre, Barcelone tombera. Pour les stratèges, pour les politiques, pour les historiens, tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais sur le plan humain, je n'en suis pas si sûr... Peut-être l'avons-nous gagnée ». Qui sait s'il devina cela en dernier ; sans doute l'a-t-il fait en premier. La nuit du 22 janvier 1939, quatre jour avant que les troupes de Franco ne prennent Barcelone, Machado et sa famille partaient dans un convoi vers la frontière française. Dans cet exode halluciné, d'autres écrivains les accompagnaient, dont Corpus Barga et Carles Riba. Ils firent des haltes à Cerviá de Ter et à Mas Faixat, près de Figueres. Enfin, la nuit du 27, après avoir parcouru six cents mètres sous la pluie, ils franchirent la frontière. Ils s'étaient vu obligés d'abandonner leurs valises ; ils n'avaient pas d'argent. Grâce à l'aide de Corpus Barga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s'installer à l'hôtel Bougnol Quintana. Moins d'un mois plus tard, le poète mourait ; sa mère lui survécut trois jours. Dans la poche du pardessus d'Antonio, son frère José trouva des notes ; l'une d'elle était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : « Ces jours bleus et ce soleil de l'enfance ».

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Hélène nous propose sa traduction :

Le temps passa. Je commençai à oublier l’histoire. Un jour, au début du mois de février 1999, date du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu’un au journal suggéra qu’on écrive un article en commémoration de la triste fin du poète Antonio Machado, qui en janvier 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et de cent mille autres Espagnols effrayés, poussé par l’avancée des troupes franquistes, fuit Barcelone pour Collioure, de l’autre côté de la frontière française, où il mourut peu de temps après. L’épisode était célèbre et je pensai avec juste raison qu’en cette période les journaux catalans (ou non catalans) ne manqueraient pas de l’évoquer. Je m’apprêtai alors à écrire le traditionnel article de routine lorsque je me souvins de Sánchez Mazas et que son exécution manquée avait eu lieu à peu près au même moment que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’imaginai dès lors que la symétrie et le contraste entre ces deux évènements terribles ˗ qui constituent presque un chiasme de l’histoire ˗ n’étaient peut-être pas dus au hasard et que si je réussissais à les raconter sans les tronquer dans le même article, leur étrange parallélisme pourrait leur donner un nouveau sens. Cette superstition fut confirmée quand, au moment où je commençai à me documenter un peu, je tombai par hasard sur l’histoire du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure, peu de temps après la mort de son frère Antonio. Je me mis alors à écrire. Le résultat fut un article intitulé « Un secret essentiel ». Comme à sa façon lui aussi est essentiel pour cette histoire, en voici à suivre la transcription : « C’est le soixantième anniversaire de la mort d’Antonio Machado, une mort survenue à la toute fin de la guerre civile. De toutes les histoires de cette histoire, celle de Machado est sans doute l’une des plus tristes de par sa fin malheureuse. On l’a racontée de nombreuses fois. Machado arriva à Barcelone, en provenance de Valence, en avril 1938, en compagnie de sa mère et de son frère José, et se logea d’abord à l’Hôtel Majestic puis à la Torre de Castañer, un vieil hôtel particulier situé sur la promenade de Sant Gervasi. Là-bas, il continua à faire ce qu’il avait fait depuis le début de la guerre : défendre le gouvernement légitime de la République avec pour seul moyen son écriture. Il était vieux, fatigué et malade, et ne croyait plus en la défaite de Franco ; il écrivit : “C’est la fin ; un jour ou l’autre Barcelone tombera. Pour les stratèges, pour les politiques, pour les historiens, c’est clair : nous avons perdus la guerre. Mais du point de vue humain, je n’en suis pas aussi sûr… Peut-être avons-nous gagné”. Qui sait s’il avait raison sur ce dernier point ; en tout cas il avait sans doute raison sur le premier point. La nuit du 22 janvier 1939, quatre jours avant que les troupes de Franco ne prennent Barcelone, Machado et sa famille partaient dans un cortège en direction de la frontière française. Dans cet exode hagard, d’autres écrivains les accompagnaient, parmi eux, Corpus Barga et Carles Riba. Ils firent un arrêt à Cerviá de Ter puis à Mas Feixat, près de Figueras. Enfin, la nuit du 27, après une marche de six cents mètres sous la pluie, ils traversèrent la frontière. Ils s’étaient vus obligés d’abandonner leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Barga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois après, le poète mourrait ; sa mère lui survécut trois jours. Dans la poche du pardessus d’Antonio, son frère José trouva quelques notes ; l’une d’elle était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : “Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance”.

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Elena nous propose sa traduction :

Le temps passa. Je commençai à oublier cette histoire. Un jour, au début du mois de février de 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu’un au journal suggéra l’idée d’écrire un article commémoratif sur la si triste fin du poète Antonio Machado, qui en janvier de 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et des
centaines de milliers d’autres d’espagnols épouvantés, repoussé par l’avancement des troupes franquistes avait fui depuis Barcelone jusqu’à Collioure, de l’autre côté de la frontière française, où il mourut peu de temps après. L’événement était bien connu de tout le monde, et, pensai-je avec raison, il n’y aurait pas de journal catalan (ou pas catalan) qui à ces dates-là ne soit pas en train de l’évoquer, donc je me disposais déjà à écrire le traditionnel article de routine, quand je me souvins de Sánchez Mazas et du fait que sa fusillade frustrée avait eu lieu plus ou moins au même moment que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’imaginai alors que la symétrie et le contraste entre ces deux faits terribles ― presque un chiasme dans l’histoire ―n’étaient probablement pas un hasard et que, si j’arrivais à les raconter sans déperdition dans un même article, leur étrange parallélisme pouvait, le cas échéant, les doter d’une signification inédite. Cette superstition se consolida lorsque, en commençant à me documenter un peu, je tombai fortuitement sur l’histoire du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure, peu après la mort de son frère Antonio. C’est alors que je me mis à écrire. Le résultat fut un article intitulé : « Un secret essentiel. » Comme à sa manière lui aussi est essentiel à cette histoire, je le recopie ci-après : « Soixante ans s’écoulèrent depuis la mort d’Antonio Machado, à la fin de la guerre civile. De tous les récits de cette histoire, celui de Machado est sans aucun doute l’un de plus tristes, parce qu’il se finit mal. Il fut raconté nombre de fois. En provenance de Valence, Machado arriva à Barcelone en avril de 1938, en compagnie de sa mère, et de son frère José, et se logea en premier à l’hôtel Majestic, et ensuite dans la Torre de Castañer, un ancien palais situé sur la promenade de Sant Gervasi. À cet endroit, il continua son entreprise de toujours depuis le début de la guerre : défendre par ses écrits le gouvernement légitime de la République. Il était vieux, fatigué et malade, et il ne croyait plus à la défaite de Franco ; il écrivit : « C’est la fin ; un jour ou l’autre Barcelone tombera. Pour les stratèges, pour les politiciens, pour les historiens, c’est évident : nous avons perdu la guerre. Mais humainement parlant, je n’en suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée. » On ne sait pas s’il eut raison sur ce dernier point ; mais il vit certainement juste pour le premier. La nuit du 22 janvier de 1939, quatre jours avant que les troupes de Franco s’emparèrent de Barcelone, Machado et sa famille partaient dans un convoi vers la frontière française. Dans cet exode hallucinant, d’autres écrivains les accompagnaient, entre autres Corpus Barga et Carles Riba. Ils s’arrêtèrent à Cerviá de Ter et à Mas Faixat, près de Figueres. Enfin, la nuit du 27, après avoir marché six cents mètres sous la pluie, ils traversèrent la frontière. Ils furent obligés de se défaire de leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Barga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète y décéda ; sa mère lui survécut trois jours. Dans la poche du manteau d’Antonio, son frère José y trouva des notes ; parmi elles un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance. »

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Jean-Nicolas nous propose sa traduction :

Le temps passa. Je commençai à oublier l’histoire. Un jour, au début du mois de février 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, quelqu’un du journal suggéra l’idée d’écrire un article en hommage à la très triste fin du poète Antonio Machado qui, en janvier 1939, en compagnie de sa mère, de son frère José et de cents mille autres espagnols épouvantés et poussé par l’avancée des troupes franquistes, fuit de Barcelone pour Collioure, de l’autre côté de la frontière française où il mourut peu de temps après. L’épisode était très connu et je pensai à juste titre qu’il n’y aurait pas un journal catalan (ou non catalan) qui, en cette période, manqueraient de l’évoquer ; c’est alors que je me disposais à écrire l’éternel article quotidien quand je me souvins de Sanchez Mazas et de son exécution ratée qui avait eu lieu plus ou moins en même temps que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’en vins alors à penser que la symétrie et le contraste de ces deux faits terribles –presque un chiasme de l’histoire -n’étaient peut être pas dus au hasard et que, si je réussissais à les raconter dans un même article sans en perdre une miette, leur étrange parallélisme pouvait peut être leur donner une signification inédite. Cette supposition fut confirmée quand, commençant à me documenter un peu, je tombai par hasard sur l’histoire du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure peu après la mort de son frère Antonio. C’est ainsi que je me mis à écrire. Le résultat fut un article intitulé « Un secret essentiel ». Etant donné qu’il est, à sa façon, essentiel à cette histoire, je le copie ci-dessous :
« On fête les soixante ans de la mort de Antonio Machado, survenue à la toute fin de la guerre civile. Parmi toutes les histoires de cette histoire, Machado est sans conteste l’une des plus tristes car elle termine mal. On l’a racontée plusieurs fois. En provenance de Valence, Machado arriva à Barcelone en avril 1938, en compagnie de sa mère et de son frère José et il se logea d’abord au Majestic Hotel et enfin à la Torre de Castañer, un vieil hôtel situé sur la promenade de Sant Gervasi. Là bas, il continua à faire la même chose qu’il avait faite depuis le début de la guerre : défendre le gouvernement légitime de la République par le biais de ses écrits. Il était vieux, fatigué et malade, ne croyait plus à la défaite de Franco ; il avait écrit : « Ceci est la fin ; Barcelone tombera un jour. Pour les stratèges, les politiciens, les historiens, tout cela ne fait aucun doute: nous avons perdu la guerre. Mais humainement parlant, je ne suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée. Qui sait s’il avait raison sur ce dernier point ; ce qui est certain, c’est que c’était le cas concernant le premier. La nuit du 22 janvier 1939, quatre ans avant que les troupes de Franco ne prennent Barcelone, Machado et sa famille partaient à l’intérieur un convoi vers la frontière française. Dans cet exode saugrenu, d’autres écrivains, entre autres Corpus Barge et Carles Riba. Ils firent une halte à Cervia de Ter ainsi qu’à Mas Faixat, non loin de Figueres. Enfin, la nuit du 27, après six cents mètres de marche sous la pluie, ils traversèrent la frontière. Ils s’étaient vus contraints de laisser leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Braga, ils réussirent à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète mourait ; sa mère le survécut de trois jours. Dans la poche du pardessus d’Antoine, son frère José trouva quelques notes ; l’une d’elles était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : « Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ».

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Perrine nous propose sa traduction :

Le temps avait passé. J’avais commencé à oublier l’histoire. Un jour du début du mois de février 1999, l’année du soixantième anniversaire de la fin de la guerre civile, un membre du journal avait suggéré l’idée de rédiger un article commémoratif en l’honneur de la fin extrêmement triste du poète Antonio Machado, qui en janvier 1939, accompagné de sa mère, de son frère José et d’autres centaines de milliers d’Espagnols épouvantés, poussé par l’avancée des troupes franquistes, avait fui depuis Barcelone jusqu’à Collioure, de l’autre côté de la frontière française, où il était mort peu de temps après. L’épisode était très célèbre, et je m’étais fait la réflexion, à juste titre, qu’à cette époque-là, tous les journaux catalans (ou non catalans) avaient dû finir par l’évoquer, c’est donc pour cette raison que je m’étais disposé à écrire le fameux article de routine quand je me suis souvenu de Sánchez Mazas et de sa fusillade ratée qui avait eu lieu plus ou moins au même moment que la mort de Machado, mais du côté espagnol de la frontière. J’avais alors imaginé que la symétrie et le contraste entre ces deux terribles événements – presque un chiasme de l’histoire – n’étaient peut-être pas une coïncidence et que si je parvenais à les relater dans les moindres détails à l’intérieur d’un même article, leur étrange parallélisme pourrait les revêtir d’une signification inédite. Cette superstition s’était renforcée lorsqu’en commençant un peu à me documenter, j’étais tombé par hasard sue le récit du voyage de Manuel Machado jusqu’à Collioure, peu après le décès de son frère Antonio. C’est alors que je m’étais mis à écrire. Le résultat avait abouti à un article intitulé « Un secret essentiel ». Comme il est également essentiel à sa manière pour cette histoire, je le recopie ci-dessous :« Nous fêtons les soixante ans de la mort d’Antonio Machado, tout comme ceux de la fin de la guerre civile. De toutes les histoires de cette histoire, celle de Machado est sans doute l’une des plus tristes parce qu’elle finit mal. Elle a été racontée des centaines de fois. Originaire de Valence, Machado est arrivé à Barcelone en avril 1938, accompagné de sa mère et de son frère José ; il a tout d’abord vécu à l’Hotel Magestic, puis à la Torre de Castañer, un vieil hôtel particulier sis Paseo de Sant Gervasi. Là-bas, il a poursuivi ce qu’il avait commencé à faire depuis le début de la guerre : défendre le gouvernement légitime de la République à travers ses écrits. Il était âgé, fatigué et malade, et il ne croyait plus en la défaite de Franco. Il avait écrit : " Nous approchons de la fin ; un jour ou l’autre, Barcelone va tomber. Pour les stratèges, pour les politiciens, pour les historiens, tout est clair : nous avons perdu la guerre. Mais humainement, je n’en suis pas si sûr… Peut-être l’avons-nous gagnée ". Qui sait si cette victoire avait vraiment eu lieu, mais cela avait sans doute été le cas pour la défaite. La nuit du 22 janvier 1939, quatre jours avant la prise de Barcelone par les troupes de Franco, Machado et sa famille partaient dans un convoi en direction de la frontière française. Dans cet exode délirant, d’autres écrivains les accompagnaient, Corpus Barga et Carles Riba entre autres. Ils avaient fait quelques arrêts à Cerviá de Ter et Mas Faixat, près de Figueres. La nuit du 27, après avoir marché six cents mètres sous la pluie, ils avaient enfin franchi la frontière. Ils s’étaient vus dans l’obligation d’abandonner leurs valises ; ils n’avaient pas d’argent. Grâce à l’aide de Corpus Barga, ils étaient parvenus à arriver à Collioure et à s’installer à l’hôtel Bougnol Quintana. Moins d’un mois plus tard, le poète mourait ; sa mère survécut trois jours de plus. Dans la poche du pardessus d’Antonio, son frère José trouva quelques notes ; l’une d’elles était un vers, peut-être le premier vers de son dernier poème : " Ces jours bleus et ce soleil de l’enfance ".


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