Cynthia Rimsky
(Chili)
« La ventana y la pena »
Nous étions deux écrivaines et nous devions nous rendre dans une école de filles au Sud du pays, dans le cadre d’une rencontre d’écrivains. Quelque chose a fait qu'au lieu de faire une lecture à deux dans la bibliothèque, je me suis retrouvée toute seule devant une classe d'adolescentes attendant de pied ferme la visite de l'auteure qui venait de Santiago. Pour gagner du temps, je leur ai demandé pourquoi elles aimaient lire. Elles m’ont expliqué que la lecture leur permettait de vivre d’autres vies, d’imaginer qu’elles étaient quelqu'un d'autre. Je leur ai demandé quelles vies, au juste. La majorité m’a répondu celles d’Harry Potter et de ses amis. L'enseignante, qui avait les cheveux teints en blond, a fait semblant de remettre de l'ordre dans des papiers.
Une fenêtre perçait l’un des murs de la salle ; j’ai demandé aux jeunes filles s’il leur arrivait de regarder à travers. Elles ont toutes levé la main. Évidemment, lorsqu'elles s'ennuyaient à écouter leur professeure, elles regardaient l'immeuble d'en face par la fenêtre ; la femme qui sortait sur le balcon pour arroser ses plantes, l'homme en train de se raser…
À l’autre bout de la pièce, l'enseignante a semblé m'interroger du regard : Et sinon, alors, quand est-ce qu'elle arrive, l'écrivaine ? J'ai cherché à savoir à quelle heure la femme s'occupait de l'arrosage, si ses plantes poussaient, si elle vivait seule ou avec quelqu'un, et, le cas échéant, avec qui. Les filles ne s’étaient pas posé la question. L’enseignante balaya la fenêtre du regard. Je leur ai proposé un exercice : écrire 15 souvenirs sur une expérience vécue. L’enseignante s’approcha : elle ne voulait pas rater ce que je faisais, mais avait aussi grandement envie d’écouter l’autre auteure. Je l'ai autorisée à s'éclipser, puis je me suis approchée de la fenêtre pour voir si j'apercevais la femme qui arrosait ses plantes.
Les histoires racontées par mes jeunes interlocutrices étaient belles car elles étaient sincères : la mort du chat, une punition, une dispute avec une amie, un après-midi pluvieux. L’enseignante est revenue les yeux brillants.
Une fenêtre perçait l’un des murs de la salle ; j’ai demandé aux jeunes filles s’il leur arrivait de regarder à travers. Elles ont toutes levé la main. Évidemment, lorsqu'elles s'ennuyaient à écouter leur professeure, elles regardaient l'immeuble d'en face par la fenêtre ; la femme qui sortait sur le balcon pour arroser ses plantes, l'homme en train de se raser…
À l’autre bout de la pièce, l'enseignante a semblé m'interroger du regard : Et sinon, alors, quand est-ce qu'elle arrive, l'écrivaine ? J'ai cherché à savoir à quelle heure la femme s'occupait de l'arrosage, si ses plantes poussaient, si elle vivait seule ou avec quelqu'un, et, le cas échéant, avec qui. Les filles ne s’étaient pas posé la question. L’enseignante balaya la fenêtre du regard. Je leur ai proposé un exercice : écrire 15 souvenirs sur une expérience vécue. L’enseignante s’approcha : elle ne voulait pas rater ce que je faisais, mais avait aussi grandement envie d’écouter l’autre auteure. Je l'ai autorisée à s'éclipser, puis je me suis approchée de la fenêtre pour voir si j'apercevais la femme qui arrosait ses plantes.
Les histoires racontées par mes jeunes interlocutrices étaient belles car elles étaient sincères : la mort du chat, une punition, une dispute avec une amie, un après-midi pluvieux. L’enseignante est revenue les yeux brillants.
« J'ai écouté des poèmes en mapudungún. » Vous parlez mapudungún ?, me suis-je étonnée. « Non, mais le son était tellement doux à mon oreille que j'ai été transportée dans un autre monde. »
Et, après avoir entendu les textes très personnels composés par ses élèves, elle les réprimanda :
« C'est trop triste ! Pourquoi toute cette tristesse ?, vous devez écrire sur d'autres choses. »
Les élèves sont restées muettes.
Le silence m'a ramenée à mon enfance. Lorsque j'ai réintégré la réalité, et suis donc redevenue une écrivaine de 48 ans, j'ai contredit les propos de la professeure et incité les filles à poursuivre leur lecture. En se levant de sa chaise, l'une d'elles à déclaré : « Moi, en lisant ce que j'avais écrit, j'ai eu l'impression que ce n'était pas moi qui avait vécu ça, mais quelqu'un d'autre. »
La sonnerie a retenti. L'enseignante m'a remerciée de lui avoir montré un exercice qui lui serait utile pour ses cours.
« Il a été conçu par George Perec, un écrivain français qui nous apprend à observer l’infra-ordinaire », lui ai-je expliqué.
« Oui, oui, bien sûr… », a-t-elle répondu en disparaissant avec le cahier de présence.
Quand elle est sortie, deux étudiantes se sont approchées de moi. Elles voulaient me confier qu'avant ma visite, elles ignoraient tout bonnement que leurs vies pouvaient être matière à écriture et devenir des histoires : « Vous avez changé notre façon de regarder autour de nous. »
Et, après avoir entendu les textes très personnels composés par ses élèves, elle les réprimanda :
« C'est trop triste ! Pourquoi toute cette tristesse ?, vous devez écrire sur d'autres choses. »
Les élèves sont restées muettes.
Le silence m'a ramenée à mon enfance. Lorsque j'ai réintégré la réalité, et suis donc redevenue une écrivaine de 48 ans, j'ai contredit les propos de la professeure et incité les filles à poursuivre leur lecture. En se levant de sa chaise, l'une d'elles à déclaré : « Moi, en lisant ce que j'avais écrit, j'ai eu l'impression que ce n'était pas moi qui avait vécu ça, mais quelqu'un d'autre. »
La sonnerie a retenti. L'enseignante m'a remerciée de lui avoir montré un exercice qui lui serait utile pour ses cours.
« Il a été conçu par George Perec, un écrivain français qui nous apprend à observer l’infra-ordinaire », lui ai-je expliqué.
« Oui, oui, bien sûr… », a-t-elle répondu en disparaissant avec le cahier de présence.
Quand elle est sortie, deux étudiantes se sont approchées de moi. Elles voulaient me confier qu'avant ma visite, elles ignoraient tout bonnement que leurs vies pouvaient être matière à écriture et devenir des histoires : « Vous avez changé notre façon de regarder autour de nous. »
Traduction par Elena Geneau et Perrine Huet
21 commentaires:
Merci Caroline, merci Perrine pour tous ces beaux moments de partage !
Merci à toi…
Je suis contente parce que vous avez été complémentaires et cela donne un bon résultat – où tout a été pensé / pesé comme il se doit.
Merci à toutes les deux, encore une belle aventure de traduction.
Euh…, nous n'avons pas traduit le titre…
En effet ! Allez-y, faites des propositions…
Je ne sais pas trop comment interpréter le mot "pena", je trouve qu'il est important, le texte parle de ça...
"La fenêtre et le chagrin."
« chagrin » ou « peine » ?
Dis-moi ce qu'il y a d'intéressant comme synonyme de « chagrin » et « peine ».
Pour chagrin :
è Affliction (cit. 5), déchirement, déplaisir, désespoir, désolation, douleur, ennui, mal, malheur, misère, peine, souci, souffrance, tourment, tristesse.
è Angoisse, contrariété, déboire, déception, dégoût, dépit, désagrément, désappointement, deuil, inquiétude, mécontentement, regret, remords, tracasserie.
(è Tuer, fig.).
è 1. Chagriner.
è Bile (cit. 7), hypocondrie, mélancolie, morosité; cafard, spleen; humeur (mauvaise humeur, humeur noire).
Peine :
è 2. Chagrin, crève-cœur, déplaisir, douleur, épreuve, mal, malheur, souci, souffrance, tourment, tracas.
è Épine, ronce (fig.).
è fig. Meurtrissure, plaie.
è Plaindre (se).
è Collier (de misère), croix.
è Abattement, affliction, agonie (vx), amertume, angoisse, anxiété, dépression, déprime (fam.), désolation, détresse, douleur , ennui (vx), gêne, inquiétude, malheur, misère, tristesse
Et aussi : tribulation
J'attends l'avis de Perrine… Merci pour la recherche.
Ca fait une sacré liste dis donc ! Alors dans tout ça, je pencherais plus pour "tristesse" ou "peine".
J'aurais tendance à préférer « peine » ; l'ennui, c'est que lorsqu'il est est isolé – ce qui est le cas dans un titre –, il évoque aussi la difficulté / pénibilité.
« Tristesse » ?
Pour les documents de vos corrections de l'ensemble, je regarde ça d'ici quelques jours.
"mélancolie" ?
C'est bien, mais vu la nature des récits écrits par les jeunes filles (la mort de je ne sais plus quel animal domestique), est-ce que ça ne te semble pas restrictif… ?
Je ne sais pas... "tristesse" aurait un sens plus large ?
Oui, car cela englobe la vague à l'âme en général et la douleur, alors que « mélancolie » évoque le regret.
Et puisque leur professeure les réprimande à cause de la tristesse, oui, je pense que "tristesse" est bien. De plus, ça rend aussi l’oxymore : une fenêtre est toujours synonyme d'espoir, pas de tristesse...
Perrine,
OK pour « tristesse » ?
Oui, OK pour "tristesse", j'avais en effet pensé à ce terme pour faire référence à la nature des textes qu'écrivent les jeunes filles. Et je trouve qu'à l'oral, ça sonne bien : "La fenêtre et la tristesse"
Bon… Je le mets dans le doc.
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