vendredi 6 août 2010

« Dans les sillons », par Vanessa Canavesi

En photo : l'oubli, par .kimmika

« Krausisme espagnol : expression barbare pour désigner un mouvement de la philosophie espagnole du XIXe siècle, qu'un des ses académiciens aventureux était allé dégoter en Allemagne, qu'il avait entreprit de divulguer largement, et qui allait régénérer la vie intellectuelle de l'Espagne. »
Ah ! Si je pouvais me permettre de résumer ainsi, ce serait déjà terminé. Mais, bien sûr, il y a des zones d'ombre, des incohérences, des polémiques, et si j'ai décidé de fouiller là-dedans c'est justement parce qu'il reste beaucoup à découvrir encore. Oui, je suis plongée dans mon mémoire de Master, alors, comment vous parler d'autre chose ?
Dès ce matin, 9 heures, j'ai remis au bibliothécaire la liste honteusement longue des ouvrages gardés en réserve que je devais consulter. Il a obtempéré, non sans une certaine hostilité dans le regard.
Les précieux volumes enfin entre mes mains, après un moment d'hésitation, comme pour savourer encore l'acquisition de telles ressources, j'ai découvert leur secret. Ils ne dormaient pas dans le dépôt de la bibliothèque des Humanités, non, ils gisaient dans le Cimetière des livres oubliés, celui du roman de Carlos Ruiz Zafón. C'étaient de vieux bouquins poussiéreux, délaissés, abandonnés ; certains, non coupés, témoignaient encore de cette ingratitude. C'est pour ça que je cherche, je me dis, pour sortir des ruines livresques quelques bribes de pensée qui pourraient nous servir aujourd'hui. Comme on dit de ceux qui découvrent les grottes, après excavation je n'ai qu'à « inventer » le krausisme en mettant à jour ses vestiges, contenus dans ces vieux livres qu'on exhume. Tout au fond de ma tranchée, je me dis encore que tout travail – historique ou littéraire – ne peut provenir que d'une fouille archéologique ; que l'on creuse ces sillons dans l'espoir de retrouver les traces de ceux qui ont œuvré dans le passé. En fin de compte, le mot « réception », qui est le sujet de mon travail, prend tout son sens. Julián Sanz del Río était un étudiant audacieux qui, lors de son voyage en Allemagne en 1843, un peu comme notre Erasmus actuel, rencontre la pensée d'un philosophie allemand peu connu, Krause, et décide de la diffuser en Espagne. Il commence par traduire humblement plusieurs œuvres, première étape de la réception, puis il entreprend de commenter, de critiquer, et il finit par forger un véritable mouvement de pensée, dépassant son propre « maître ». Il a suivi ses pas, et des générations se succèdent et marchent à leur tour dans le sillage de Sanz del Río, le krausisme ayant des répercutions sur l'éducation et la culture jusque dans l'Espagne des années 1930. Est-ce que mon expédition ne s'inscrit pas dans leurs sillons, elle aussi ? Et pour quelles raisons sonder les sillons d'un auteur en particulier ? Mystère...
« On m'avait prévenu. On ne se met pas tout seul en tête d'avoir envie de devenir écrivain. Ce n'est pas un appel impérieux, une voix dans le désert qui s'élève et dit : prends ta plume […] et écris. […]
On ne se propose pas devenir écrivain sans avoir fréquenté dans le haut pays de l'enfance une figure qui y ressemble, à laquelle s'identifier. » Jean Rouaud, L'invention de l'auteur
Une analogie possible avec le métier de traducteur ?

http://personal.us.es/alporu/historia/krausismo.htm

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