par benoit.darcy
Confortablement installée sur sa chaise de bureau matelassée, Nicole pianotait à une vitesse vertigineuse. La faible lumière de la lampe halogène lui permettait à peine de distinguer les différentes lettres. Autrefois, elle savait écrire sans regarder les touches, les yeux rivés sur l’écran, écoutant la voix morne et caverneuse de son ancien patron. Mais avec le temps, toute sa technique s’était évaporée, et elle était de nouveau contrainte à garder la tête baissée. Sans pratique, ces choses-là se perdent facilement, mais par chance, elle avait conservé sa rapidité et sa dextérité. En fond sonore tournait un vieux disque de Frank Sinatra, son chanteur favori. Ses grands yeux d’un bleu profond commençaient à la démanger, et ses poignets étaient tout endoloris. Il aurait été judicieux de faire une pause de quelques minutes, d’aller se dégourdir les jambes en sortant le chien, de reposer sa cornée en prenant un peu l’air. Or, il n’était pas question qu’elle quitte son poste maintenant, alors qu’ils étaient sur le point de s’envoyer de précieux documents.
De l’autre côté de l’écran, Jacques se délectait de cet échange passionné. Allongé sur son canapé de velours, il écrivait de sa main droite, tout en gobant d’énormes grains de muscat blanc de la gauche. Installé de la sorte, il avait tout l’air d’un Romain étendu au milieu de coussins, de plateaux de fruits et de coupes de vin. De temps à autre, il guettait la porte du salon, anxieux. Cette relation virtuelle qu’ils entretenaient depuis déjà des semaines stagnait de plus en plus, mais malgré sa vive curiosité et son désir grandissant, il n’avait encore osé fixer un rendez-vous, de peur de la brusquer. La femme avec qui il passait le plus clair de son temps, mais qu’il n’avait toujours pas rencontrée, lui semblait faire partie de cette catégorie de personnes réservées, prudentes, méfiantes, et résolument fermées à toutes sortes de relations extra-conjugales. Pourtant, c’était justement le détail qui l’excitait depuis ses fiançailles : tromper son épouse était l’une des prouesses qu’il réalisait le mieux et dans laquelle il prenait le plus de plaisir. C’était même le jour de son mariage qu’il avait débuté son existence de mari adultère en couchant avec la cousine de sa femme, et qu’il avait compris que son destin croiserait le chemin de bien d’autres maîtresses.
Les deux amants avaient découvert depuis peu les avantages qu’Internet pouvaient présenter, surtout lorsque l’on était célibataires, ou du moins à la recherche de nouvelles aventures. Chacun chez soi, ils avaient appris à se connaître, se livrant sans ambages, protégés par l’ordinateur qui dressait une barrière physique entre eux. Cette distance permettait à Jacques de mentir sur sa vie matrimoniale, et à Nicole de cacher sa longue abstinence sexuelle. Ils en étaient au moment d’échanger leurs photos respectives lorsqu’une coupure d’électricité frappa l’immeuble de la quadragénaire. Malheur ! Pas maintenant ! Pas à cet instant crucial ! Furieuse, elle se leva de son fauteuil, alla chercher une bougie à tâtons, trébucha à trois reprises contre la table basse, alluma la mèche et attendit, énervée, que la machine daigne se remettre en marche. Quant à Jacques, voyant sa dulcinée disparaître subitement, il crut y détecter un message clair et évident : cette femme était laide et n’avait pas eu le courage de le lui avouer. Il avait eu le temps, malgré tout, de lui transmettre son plus beau portrait, dont il était particulièrement fier : assis sur une balançoire, le magnifique siamois de la voisine – avec laquelle il avait aussi forniqué – sur les genoux, il esquissait son fameux sourire de star de cinéma.
La panne dura dix longues minutes, période dont tira profit Nicole pour émettre des hypothèses sur l’apparence de son interlocuteur. Elle avait évidemment imaginé maintes et maintes fois à quoi pouvait bien ressembler cet homme qui hantait ses nuits, mais elle était désormais si proche du but que l’image qu’elle s’en faisait à ce moment précis paraissait être la bonne. Elle le voyait grand, robuste, les épaules carrées, les traits fins, la barbe naissante, les yeux rieurs, les cheveux ondulés, d’un brun ténébreux, les lèvres parfaitement dessinées, douces, rebondies, le nez légèrement épaté et le teint halé. En définitive, l’homme parfait, selon ses propres critères.
Lorsque le courant fut enfin rétabli, elle appuya sur le bouton « power » et se reconnecta à son compte Meetic. Elle s’aperçut alors que Jacques était parvenu à lui envoyer son fichier. Elle l’ouvrit à la hâte et fut frappée d’horreur : la photographie qui apparaissait progressivement dévoilait le visage d’un homme hideux, accompagné d’un chat aussi immonde que lui. Jacques était petit, trapu, il avait un visage rond, juvénile, des yeux globuleux, une calvitie naissante, une bouche inexistante et un nez d’une longueur démesurée, en bref, tout l’opposé de son idéal. Déçue et outrée par tous les éloges dont ce menteur s’était couvert, elle ferma immédiatement la fenêtre, se déconnecta et désactiva son compte, afin de ne plus jamais avoir affaire avec ce bellâtre baratineur.
De l’autre côté de l’écran, Jacques se délectait de cet échange passionné. Allongé sur son canapé de velours, il écrivait de sa main droite, tout en gobant d’énormes grains de muscat blanc de la gauche. Installé de la sorte, il avait tout l’air d’un Romain étendu au milieu de coussins, de plateaux de fruits et de coupes de vin. De temps à autre, il guettait la porte du salon, anxieux. Cette relation virtuelle qu’ils entretenaient depuis déjà des semaines stagnait de plus en plus, mais malgré sa vive curiosité et son désir grandissant, il n’avait encore osé fixer un rendez-vous, de peur de la brusquer. La femme avec qui il passait le plus clair de son temps, mais qu’il n’avait toujours pas rencontrée, lui semblait faire partie de cette catégorie de personnes réservées, prudentes, méfiantes, et résolument fermées à toutes sortes de relations extra-conjugales. Pourtant, c’était justement le détail qui l’excitait depuis ses fiançailles : tromper son épouse était l’une des prouesses qu’il réalisait le mieux et dans laquelle il prenait le plus de plaisir. C’était même le jour de son mariage qu’il avait débuté son existence de mari adultère en couchant avec la cousine de sa femme, et qu’il avait compris que son destin croiserait le chemin de bien d’autres maîtresses.
Les deux amants avaient découvert depuis peu les avantages qu’Internet pouvaient présenter, surtout lorsque l’on était célibataires, ou du moins à la recherche de nouvelles aventures. Chacun chez soi, ils avaient appris à se connaître, se livrant sans ambages, protégés par l’ordinateur qui dressait une barrière physique entre eux. Cette distance permettait à Jacques de mentir sur sa vie matrimoniale, et à Nicole de cacher sa longue abstinence sexuelle. Ils en étaient au moment d’échanger leurs photos respectives lorsqu’une coupure d’électricité frappa l’immeuble de la quadragénaire. Malheur ! Pas maintenant ! Pas à cet instant crucial ! Furieuse, elle se leva de son fauteuil, alla chercher une bougie à tâtons, trébucha à trois reprises contre la table basse, alluma la mèche et attendit, énervée, que la machine daigne se remettre en marche. Quant à Jacques, voyant sa dulcinée disparaître subitement, il crut y détecter un message clair et évident : cette femme était laide et n’avait pas eu le courage de le lui avouer. Il avait eu le temps, malgré tout, de lui transmettre son plus beau portrait, dont il était particulièrement fier : assis sur une balançoire, le magnifique siamois de la voisine – avec laquelle il avait aussi forniqué – sur les genoux, il esquissait son fameux sourire de star de cinéma.
La panne dura dix longues minutes, période dont tira profit Nicole pour émettre des hypothèses sur l’apparence de son interlocuteur. Elle avait évidemment imaginé maintes et maintes fois à quoi pouvait bien ressembler cet homme qui hantait ses nuits, mais elle était désormais si proche du but que l’image qu’elle s’en faisait à ce moment précis paraissait être la bonne. Elle le voyait grand, robuste, les épaules carrées, les traits fins, la barbe naissante, les yeux rieurs, les cheveux ondulés, d’un brun ténébreux, les lèvres parfaitement dessinées, douces, rebondies, le nez légèrement épaté et le teint halé. En définitive, l’homme parfait, selon ses propres critères.
Lorsque le courant fut enfin rétabli, elle appuya sur le bouton « power » et se reconnecta à son compte Meetic. Elle s’aperçut alors que Jacques était parvenu à lui envoyer son fichier. Elle l’ouvrit à la hâte et fut frappée d’horreur : la photographie qui apparaissait progressivement dévoilait le visage d’un homme hideux, accompagné d’un chat aussi immonde que lui. Jacques était petit, trapu, il avait un visage rond, juvénile, des yeux globuleux, une calvitie naissante, une bouche inexistante et un nez d’une longueur démesurée, en bref, tout l’opposé de son idéal. Déçue et outrée par tous les éloges dont ce menteur s’était couvert, elle ferma immédiatement la fenêtre, se déconnecta et désactiva son compte, afin de ne plus jamais avoir affaire avec ce bellâtre baratineur.
3 commentaires:
@ Perrine : dis donc, ça t'a drôlement inspirée, comme sujet ;-)))) J'ai bien aimé… Des progrès !
J'ai beaucoup aimé aussi :)
Beau portrait! C'était très agréable à lire, merci!!
Je crois que l'atelier de Stéphanie Benson m'a servie, du moins pour la mise en place des personnages. En tout cas, merci pour le compliment ;)
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