par Olivier Bonnenfant
En allant chercher le courrier, Madame Bianco fut fort surprise lorsqu’elle trouva une enveloppe sur laquelle il n’y avait rien d’écrit. Elle hésita un long moment avant de l’ouvrir, car elle avait entendu en écoutant indiscrètement une conversation dans la rue qu’il y avait des personnes malintentionnées qui envoyaient des enveloppes anonymes avec de la poudre à l’intérieur, et qu’il ne fallait surtout pas les ouvrir, parce que cette poudre pouvait être mortelle. Bien évidemment, Madame Bianco était bien trop curieuse pour rester ignorante du mystérieux contenu. En dépliant la feuille qui était à l’intérieur, elle découvrit un texte écrit à la main, sans signature ni destinataire, qui disait ceci :
« Avec mes yeux de petite fille, je regardais ta frimousse et t’écoutais. Tu parlais beaucoup, mais surtout, tu m’entrainais avec toi. Tu étais le leader de la petite bande que nous formions à deux. Un jour, tu m’as conduite vers un bassin en pierre situé en face de chez toi, et tu m’as invitée à regarder avec de grands yeux émerveillés un microcosme divisé en une multitude de petits êtres noirs frétillants et dansants. Cette après-midi-là, je découvrais ce qu’était un têtard. Tout comme le fait le temps maintenant que nous sommes adultes et avons cessé tous ces jeux, ils nous filaient entre les doigts. Accompagnés par la fluide sonorité d’un jet d’eau fraîche, nos bras dessinaient dans l’air la trajectoire que nous leur imposions, du bassin à la bassine, et de la bassine à l’autre bassin, où une population tout à fait semblable s’agitait et tournait en rond. Quelques années plus tard, devant mon assiette de cuisses de grenouille, je me suis remémoré cet instant surprenant où, comme surgi de nulle part, l’un des parents de tous ces petits têtards que j’imaginais orphelins, était apparu devant mon nez. Un bond furtif, puis une pause sur la mousse verte du rebord. J’étais fascinée par cette rencontre inédite, par ce corps agile, cette peau verte, ces pieds palmés, ces pattes fines et musclées, ce ventre rebondi et ce regard périphérique qui semblait manifester de la méfiance à notre égard, une méfiance qu’aurait dû avoir envers toi ton employeur il y a quelques années, quand tu as fait sauter la grenouille. Ça a été le commencement de ta carrière d’escroc. Au fur et à mesure que le temps passait, tu t’es mis à grenouiller de plus en plus. Ce que tu es devenu m’attriste. J’aimerais tellement te faire sortir des eaux troubles dans lesquelles tu nages ! Si seulement ce que racontent les contes était vrai ! Si seulement il suffisait d’un baiser pour que tu redeviennes celui que j’ai toujours aimé en secret ! »
Lorsque Monsieur Bianco rentra, il fut accueilli par une femme en furie qui le soumit à un interrogatoire surprenant et effrayant. Il ne comprit rien à cette histoire de grenouille, raison pour laquelle il traita sa femme de folle, et raison pour laquelle l’orage éclata entre eux deux. Voilà qui est bien malheureux, tout de même ! À cause d’une petite erreur, d’une lettre glissée dans la mauvaise fente – erreur qui a sûrement son origine dans la peur de se faire surprendre –, un couple de plus s’est déchiré dans la soi-disant paisible résidence des Tilleuls. Eh oui ! Il faut se méfier des lettres anonymes ! Certaines ne sont peut-être pas mortelles, mais elles peuvent être la cause de bien des dégâts !
« Avec mes yeux de petite fille, je regardais ta frimousse et t’écoutais. Tu parlais beaucoup, mais surtout, tu m’entrainais avec toi. Tu étais le leader de la petite bande que nous formions à deux. Un jour, tu m’as conduite vers un bassin en pierre situé en face de chez toi, et tu m’as invitée à regarder avec de grands yeux émerveillés un microcosme divisé en une multitude de petits êtres noirs frétillants et dansants. Cette après-midi-là, je découvrais ce qu’était un têtard. Tout comme le fait le temps maintenant que nous sommes adultes et avons cessé tous ces jeux, ils nous filaient entre les doigts. Accompagnés par la fluide sonorité d’un jet d’eau fraîche, nos bras dessinaient dans l’air la trajectoire que nous leur imposions, du bassin à la bassine, et de la bassine à l’autre bassin, où une population tout à fait semblable s’agitait et tournait en rond. Quelques années plus tard, devant mon assiette de cuisses de grenouille, je me suis remémoré cet instant surprenant où, comme surgi de nulle part, l’un des parents de tous ces petits têtards que j’imaginais orphelins, était apparu devant mon nez. Un bond furtif, puis une pause sur la mousse verte du rebord. J’étais fascinée par cette rencontre inédite, par ce corps agile, cette peau verte, ces pieds palmés, ces pattes fines et musclées, ce ventre rebondi et ce regard périphérique qui semblait manifester de la méfiance à notre égard, une méfiance qu’aurait dû avoir envers toi ton employeur il y a quelques années, quand tu as fait sauter la grenouille. Ça a été le commencement de ta carrière d’escroc. Au fur et à mesure que le temps passait, tu t’es mis à grenouiller de plus en plus. Ce que tu es devenu m’attriste. J’aimerais tellement te faire sortir des eaux troubles dans lesquelles tu nages ! Si seulement ce que racontent les contes était vrai ! Si seulement il suffisait d’un baiser pour que tu redeviennes celui que j’ai toujours aimé en secret ! »
Lorsque Monsieur Bianco rentra, il fut accueilli par une femme en furie qui le soumit à un interrogatoire surprenant et effrayant. Il ne comprit rien à cette histoire de grenouille, raison pour laquelle il traita sa femme de folle, et raison pour laquelle l’orage éclata entre eux deux. Voilà qui est bien malheureux, tout de même ! À cause d’une petite erreur, d’une lettre glissée dans la mauvaise fente – erreur qui a sûrement son origine dans la peur de se faire surprendre –, un couple de plus s’est déchiré dans la soi-disant paisible résidence des Tilleuls. Eh oui ! Il faut se méfier des lettres anonymes ! Certaines ne sont peut-être pas mortelles, mais elles peuvent être la cause de bien des dégâts !
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