« Description d’un nuage »
Au début, ça s’annonce mal, il parait que c’est pareil pour tout le monde. J’arbore un sourire mensonger et un air faussement détendu, c’est qu’une question de volonté, et quand on veut on peut, bla bla bla… Puis viennent les tremblements incontrôlés, les gouttes de sueur froide, la nervosité, et, pire que tout, la lutte acharnée contre les habitudes, habitudes que je traîne depuis plus de huit ans. Filtre, feuille, tabac, je pose le filtre au coin de ma bouche, glisse la feuille entre mes doigts, dépose une boule tabac et effectue cet admirable exercice d’adresse pour le répartir parfaitement et former ce délicieux tube de nicotine, j’attrape le filtre, le cale au bord de la feuille, un coup de langue et j’ai atteint le but ultime. S’ensuit donc la période où je suis obligée de rouler les clopes des copains pour combattre la frustration. Après deux semaines, les symptômes physiques s’atténuent, ou plutôt se transforment et se greffent sur mon état psychologique. Énervement, insultes volantes et reproches gratuits, je suis imbuvable. Venons-en aux boissons, tiens, le test le plus sournois que subit le pauvre fumeur en tentative de rupture avec sa tige adorée. Je finis par esquiver quelques soirées, refuser d’aller prendre un café, par simple peur de ne pas pouvoir discuter avec un fumeur à cause de ma fixation obsessionnelle sur l’objet du désir qu’il sera susceptible de tenir entre ses deux doigts… Avec la troisième semaine, je suis accompagnée d’une nouvelle amie : la quinte de toux. Elle s’invite volontiers à tous mes entraînements et ne me quitte plus. Moi, je me dis que mes poumons ont une drôle de façon de me remercier. Puis ce lot de tracasseries et de sautes d’humeur me poursuit et devient familier alors que les jours passent, interminables.
Ce n’est qu’à partir de trois mois de résignation, de privation et de courage – parce qu’il en faut – que le plaisir de l’aboutissement daigne pointer le bout de son nez. Je redécouvre une multitude de saveurs, j’améliore mes performances sportives, mon porte-monnaie me lance des clins d’œil complices puisque, quand même, le prix de ce savoureux vice a plus que doublé en une dizaine d’années, et, comble de l’ironie, je réponds avec une arrogance méritée que « non, je ne fume pas » à tous ceux qui me demandent une cigarette dans la rue.
Le duel aura duré bien trop longtemps et sollicité des moyens inconcevables pour triompher de cet ennemi impalpable. Je n’aurais jamais imaginé que le combat contre un simple nuage de fumée pouvait être aussi éreintant…
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