jeudi 16 mai 2013

Entretien avec un auteur traduit (Luisa Etxenike)


Entretien avec la romancière Luisa Etxenike lors de l’escale du livre à Bordeaux, le 7 avril 2013.
Réalisé par Nadia Salif

1- Nadia Salif. Comment êtes-vous devenue écrivain ?
Luisa Etxenike. Depuis toute petite, je voulais être écrivain ; ce que j’aimais, c’était l’acte d’écrire au point que je recopiais les livres de la bibliothèque de mes parents sur des cahiers. Mais avoir envie d’écrire ne signifie pas devenir écrivain. J’ai fait une maîtrise en droit car j’avais peur que des études en Lettres soient trop académiques par rapport à une approche artistique et me fassent perdre, en quelque sorte, ma vocation. J’avais des histoires dans ma tête mais pas encore la voix. J’ai habité en Amérique Centrale, l’espagnol y était différent de par l’accent et le rythme, ce constat a donné lieu à une réflexion et je me suis rendu compte que même si on écrit dans sa langue maternelle, la langue littéraire est une autre langue en soi. J’ai alors osé travailler ma langue maternelle comme de la pâte à modeler, ce qui m’a permis de trouver ma voix, une forme de registre. C’était un premier pas vers la découverte du style. J’ai écrit mon premier roman en 1986 et depuis j’ai publié dix livres : huit romans et deux recueils de nouvelles.

2- N. S. Après avoir écrit autant de romans, comment trouvez-vous encore l’inspiration ?
L. E. L’idée de l’inspiration me semble un peu étrangère. J’ai encore envie de dire des choses. J’ai une énorme curiosité ; pour moi, le bonheur de la vie, c’est la curiosité. Regarder ce qui se passe, les mots qui arrivent, les mots que l’on peut placer à côté d’une image. J’ai des idées de livres à écrire, concrètement quatre ou cinq.

3- N. S. Quels sont les étapes dans la production d’un roman ? Certains romanciers ont besoin d’un mot, d’une phrase, d’une scène pour commencer à écrire et vous ?
L. E. J’ai facilement des histoires dans la tête, je vois assez vite des personnages mais je ne peux commencer que lorsque j’ai la structure, il faut que la forme soit bien délimitée. Ce qui me passionne, c’est la construction de mon récit. J’ai besoin de visualiser son architecture. Cela ne signifie pas que je ne vais pas l’abandonner par la suite mais pour moi le fond de cette histoire doit toujours être accompagné de la forme pour pouvoir passer à l’écriture. Souvent, j’ai déjà la première et la dernière phrase de mon roman avant d’en commencer l’écriture. La route est là et c’est à moi de décider ce que je prends comme bagages, qui je vais rencontrer etc.

4- N. S. Vous êtes également journaliste et professeur. Comment organisez-vous votre temps pour écrire un roman ?
L. E. J’ai été chroniqueuse pour le journal el Pais, il s’agissait d’une collaboration hebdomadaire. Je suis professeur de narratologie et je fais des ateliers d’écriture. Ces activités ainsi que les voyages et les rencontres ne sont pas des obstacles parce qu’en réalité, je suis tout le temps écrivain. Ce n’est pas tellement une question de temps mais de consacrer du temps au processus de maturation qui se déroule dans ma tête.

5- N. S. Dans votre roman « le Ravissement de l’été », il y a trois narrateurs, comment arrivez-vous à reproduire le ton des personnages qui sont si différents (âge, sexe, milieu social) ?
L. E. Oui, Firmin est de la campagne, plus prêt de la nature, plus concret. Isabel est une femme mûre,  sophistiquée, ce qui se reflète dans son langage qui est plus abstrait. Son fils, lui, est prisonnier de ses émotions, il a donc une intimité plus complexe. Il faut donc trouver ces différentes voix et les respecter jusqu’au bout. Enfant, j’écoutais des histoires racontées par ma mère, mon père ou la nounou. Je suis donc entrée dans la littérature par l’ouïe. J’arrivais à capter les différences entre les voix, les gestes, les traits des personnages. Cette dimension acoustique m’aide à trouver le ton de mes personnages aujourd’hui.

6- N. S. Lors de votre prise de paroles, hier au salon littéraire, vous avez repris l’image qu’utilise une amie « un auteur est soit un ornithologue, soit un oiseau ». Pouvez-vous expliciter cette image.
L. E. Je trouve que c’est une belle image, il y a des écrivains qui sont des oiseaux, qui commencent à voler et puis voilà. Moi, je pense que je suis plutôt du genre ornithologue, ce qui ne m’empêche pas de voler spontanément. Je veux savoir comment on fait pour voler, connaître le mécanisme de ce vol, les plumes à utiliser, savoir où je veux aller, comment y aller, etc. Cette image reflète l’idée d’un style qui se sent mais aussi qui se pense. L’écrivain portugais, Fernando Pessoa disait : « Il suffit de mettre le sentiment à l’intérieur de la pensée pour mettre la pensée à l’intérieur du sentiment », c’est une traduction très libre que je fais là mais je rejoins cette idée. Moi, j’aime mettre la pensée très vite dans cette écriture qui vole, et j’aime aussi mettre le vol dans la pensée de l’écriture. Je suis ornithologue.

7- N. S. Vous parlez très bien français. Votre livre Le ravissement de l’été a été publié en français presque dix ans après la version originale Vino. Quel regard portez-vous sur cette traduction ? Etes-vous satisfaite ?
L. E. Je suis très satisfaite. La traductrice Carole Hanna a fait un travail remarquable, très soigné. J’ai eu l’avantage d’être près de cette traduction, j’ai lu la traduction en temps réel et donc j’ai apporté mon point de vue. En lisant le résultat, je reconnais non seulement le fond mais aussi le style,  puisque c’est un texte travaillé au niveau du style. Je ne suis pas obsédée par la traduction, je sais que si j’avais moi-même traduit mon livre, la traduction aurait été différente. Une traduction est une nouvelle vie pour un livre. Il faut laisser le livre voler tout seul. C’est une expérience intéressante, c’est mon roman mais avec une nouvelle personnalité.

8- N. S. Vous avez traduit des œuvres françaises : Quelque chose noir de Jacques Roubaud, la Tête de Paul Verlaine de Jean-Michel Maulpoix et le scénario de Un vivant qui passe de Claude Lanzmann. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
L. E. J’ai beaucoup de respect pour la traduction littéraire pour une raison très simple, voire égoïste. Quand je dis que j’ai lu Dostoïevski, ce n’est pas vrai, en réalité c’est la traduction en espagnol ou en français que j’ai lue. J’ai connu les grandes littératures à travers les traductions. Cela dit, la traduction doit être bien faite et le traducteur doit être conscient de cette responsabilité. Quand c’est le cas, c’est un gain absolu. Parmi les traductions que j’ai faites, il y a de la poésie. Je lis beaucoup de poésie. C’est un genre où il n’y a pas de mouvement de narration, mais je m’en sens proche par certains aspects : le choix des mots, du rythme et de la musicalité. Je n’écris pas de poésie mais actuellement, je travaille sur des textes qui ressemblent à des poèmes tout en incluant l’élément narratif : Birdwatching. En fait, ce sont des micro-récits écrits avec une forme ambitieuse qui colle plus à la poésie. C’est la forme la plus proche de la poésie que j’aie tenté dans ma carrière.

9- N. S. Pour vous le traducteur est-il un auteur ou un passeur ?
L. E. Je crois qu’il ne peut pas être passeur et qu’il ne peut pas non plus remplacer l’auteur. C’est une position difficile à définir. Le traducteur ne doit pas se substituer à l’auteur mais il doit oser avec humilité et respect. Le traducteur doit être un lecteur singulier, dans son interprétation du livre. Il doit être courageux voire effronté dans ses traductions quand ils rencontrent des décalages dus à la langue et seulement à la langue (l’utilisation de la voix passive est beaucoup plus fréquente en français qu’en espagnol par exemple) mais il ne doit pas modifier le style du texte qu’il traduit, pour ne pas trahir le texte. C’est un travail merveilleux, passionnant. Le traducteur doit être cultivé,  connaître le contexte dans lequel a été écrit le livre, être curieux, se mettre à jour continuellement. Si on sent ce sérieux chez le traducteur, l’auteur le reconnaît. D’ailleurs, l’auteur est déjà un traducteur, d’une certaine façon, puisque l’écriture est une traduction vers la langue littéraire.

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