mardi 9 février 2010

Exercice de version, 81

Era inevitable, e inevitado por buena parte de los asistentes, pasar el filtro de periodistas más o menos especializados en premios literarios, merodeantes en torno a críticos y subcríticos establecidos que habían acudido al reclamo para gozar la sensación de que no eran como los demás y podían asistir a la concesión del Premio Venice-Fundación Lázaro Conesal, cien millones de pesetas, el más rico de la literatura europea, a pesar del desdén que siempre les había merecido la relación entre el mucho dinero y la literatura, obviando a un sesenta por ciento de los mejores escritores de la Historia, pertenecientes a familias potentadas, cuando no oligárquicas. Las cámaras de todas las televisiones habían seguido la entrada de los personajes más conocidos, bien porque las caras les fueran familiares, bien bajo las órdenes del jefe de expedición experto en el quién era quién. Pero luego se habían aplicado a describir el marco, ávidas de reflejar la exhibición de «... un diseño lúdico que expresa la imposible relación metafísica entre el objeto y su función», según explicaban los folletos propagandísticos del hotel. El comedor de gala del hotel Venice reunía todo el muestrario del diseño de vanguardia que había conseguido dar a las mesas un aspecto de huevo frito con poco aceite y a los asientos el de sillas eléctricas accionadas por energía solar como una concesión a la irreversible sensibilidad ecologista. La luminosidad emergía de la yema del supuesto huevo frito, acompañado de la guarnición de alcachofas, zanahorias, puerros, cebollas, vegetales silueteados que colgaban de techos y paredes según el diseño de un niño poco amante de las hortalizas. Lázaro Conesal, propietario del hotel y de buena parte de los allí congregados, había encargado el diseño del Venice al ala dura de los discípulos de Mariscal, capaces de superponer a la poética de los sueños peterpanescos de Mariscal el desafío sistemático a la grosería funcional del objeto. Bastante libertad de iniciativa se había dado a la naturaleza antes de que naciera el diseño, y así eran como eran las manzanas y los escarabajos, subdiseños creados por una nefasta evolución de las especies en la que no había podido intervenir ningún diseñador. A Lázaro Conesal le habían hecho mucha gracia estas teorías, desde la creencia firme de que la teoría no suele hacer daño a casi nadie, otra cosa son los teóricos, pero los teóricos de los objetos no suelen ser peligrosos.

Manuel Vázquez Montalbán, El premio

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Laëtitia Sw. nous propose sa traduction :

Il était inévitable pour la plupart des participants – et ils n’y coupaient pas – de passer par le filtre des journalistes plus ou moins spécialistes des prix littéraires, qui maraudaient autour des critiques et des sous critiques ayant pignon sur rue ; eux-mêmes avaient répondu à l’appel pour jouir de la sensation de ne pas être comme les autres et de pouvoir assister à la remise du Prix Venice - Fondation Lázaro Conesal, qui pesait cent millions de pesetas – le plus riche de la littérature européenne –, malgré le dédain que leur avaient toujours inspiré les relations entre gros sous et littérature ; le résultat était qu’ils barraient le passage à soixante pour cent des meilleurs écrivains de l’Histoire, appartenant à des familles puissantes, pour ne pas dire oligarchiques. Les caméras de toutes les télévisions avaient couvert l’entrée des personnalités les plus célèbres, soit parce que leurs visages leur étaient familiers, soit parce qu’elles étaient sous les ordres du chef d’expédition expert en who’s who. Néanmoins, elles s’étaient ensuite appliquées à détailler le cadre, avides de refléter l’exhibition d’« [...] un design ludique exprimant l’impossible relation métaphysique entre l’objet et sa fonction », comme l’expliquaient les brochures de pure propagande de l’hôtel. La salle à manger de gala de l’hôtel Venice réunissait tout le gratin du design avant-gardiste qui avait réussi à donner aux tables un aspect d’œuf frit dans un peu d’huile et aux sièges celui de chaises électriques actionnées à l’énergie solaire, comme une concession faite à l’irréversible sensibilité écologiste. Une certaine luminosité émanait du blanc du supposé œuf frit, accompagné d’une garniture d’artichauts, de carottes, de poireaux, d’oignons, toute une jardinière profilée qui était accrochée aux plafonds et aux murs, selon ce qu’aurait pu dessiner un enfant peu amateur de légumes. Lázaro Conesal, le propriétaire de l’hôtel et de la plupart des convives ici présents, avait confié la décoration du Venice à l’aile dure des disciples de Mariscal, capables de superposer à la poésie des rêves à la Peter Pan de Mariscal le défi systématique lancé à la grossièreté fonctionnelle de l’objet. La nature bénéficiait d’une certaine liberté d’initiative avant la naissance du design : ainsi, les pommes et les scarabées étaient comme ils étaient, éléments au sous design créés par une évolution des espèces néfaste, sur laquelle aucun designer n’avait pu avoir de prise. Lázaro Conesal avait été fort enchanté par ces théories, lui qui avait la ferme conviction que la théorie ne fait généralement de mal à personne, ou presque ; il en va autrement des théoriciens, sauf que normalement les théoriciens des objets ne sont pas dangereux.

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Marie G. nous propose sa traduction :

Il était inévitable, et impossible pour une majorité des participants, de passer outre le filtre des journalistes plus ou moins spécialisés dans les récompenses littéraires, rôdant autour de critiques et sous-critiques reconnus. Ces derniers avaient répondu à l'appel pour jouir de la sensation qu'ils n'étaient pas comme les autres et qu'ils pouvaient assister à la remise du Prix Venice-Fondation Lazaro Conesal, d'une valeur de cent millions de pesetas, le plus riche de la littérature européenne, malgré le dédain qu'avait toujours mérité la relation entre une grosse somme d'argent et la littérature, évitant soixante pour cent des meilleurs écrivains de l'Histoire, originaires de puissantes familles, si ce n'est oligarchiques. Les caméras de toutes les chaînes de télévision avaient suivi l'entrée des personnages les plus connus, soit parce les visages leur étaient familiers, soit sous les ordres du chef d'expédition, expert dans le jeu du qui était qui. Mais ensuite, elles s'étaient efforcées de décrire le cadre, avides de refléter la présentation d' « ... un design ludique qui exprime l'impossible relation métaphysique entre l'objet et sa fonction », d'après ce qu'expliquaient les dépliants publicitaires de l'hôtel. La salle de réception de l'hôtel Venice réunissait tout l'échantillonnage du design d'avant-garde qui avait réussi à donner aux tables un aspect d'un oeuf au plat sans trop d'huile et aux sièges celui de chaises électriques activées par l'énergie solaire comme pour faire une concession à l'irréversible sensibilité écologiste.La luminosité émergeait du jaune du dit oeuf au plat, qui était accompagné de sa garniture en artichauts, carottes, poireaux, oignons, des légumes esquissés qui pendaient du plafond et des murs, conformément à la conception d'un enfant peu amateur de légumes. Lazaro Conesal, propriétaire de l'hôtel et d'une bonne partie des gens ici réunis, avait commandé le design du Venice à l'aile dure des disciples de Mariscal, capables de superposer à la poétique des rêves du pays imaginaire de Mariscal le défi systématique de la grossièreté fonctionnelle de l'objet. On avait donné assez de liberté d'initiative à la nature avant que ne naisse le design, et c'est ainsi qu'étaient les pommes et les scarabées, des sous-dessins créés par une évolution néfaste des espèces à laquelle aucun designer n'avait pu intervenir. Ces théories avaient beaucoup amusé Lazaro Conesal, à partir de la croyance ferme selon laquelle la théorie ne blesse en général personne. Contrairement aux théoriciens, seuls ceux des objets n'ont pas l'habitude d'être dangereux.

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Morgane nous propose sa traduction :

Il était inévitable, et n’a pu être évité par une bonne partie des assistants, de passer le filtre des journalistes plus ou moins spécialisés en prix littéraires, rodant autour des critiques et des critiques débutants professionnels qui s’étaient rendus à l’annonce pour jouir de la sensation qu’ils n’étaient pas comme les autres et qu’ils pouvaient assister à la remise du Prix Venise-Fondation Lazare Conesal, cent mille pésètes, le plus riche de la littérature européenne, malgré le dédain dont ils avaient toujours fait preuve dans la relation entre la richesse et la littérature, contournant soixante pour cents les meilleurs écrivains de l’Histoire, appartenant à des familles puissantes, et même oligarchiques. Les chaines de toutes les télévisions avaient suivi l’entrée des personnages les plus connus, bien parce que les visages leur étaient familiers, bien sous les ordres du chef de l’expédition expert pour deviner qui était qui. Mais ensuite ils s’étaient appliqués à décrire le cadre, avides de refléter la démonstration de « … un dessin ludique qui exprime l’impossible relation métaphysique entre l’objet et sa fonction », selon les explications des brochures publicitaires de l’hôtel. La salle à manger de gala de l’hôtel Venice réunit tout l’échantillonnage du dessin d’avant-garde qui était parvenu à donner aux tables un aspect d’œuf frit avec peu d’huile et les fauteuils, les chaises électriques actionnées par l’énergie solaire comme une concession à l’irréversible sensibilité environnementale. La luminosité émergeait du jaune du dit œuf frit, accompagné de la garniture des artichauts, des carottes, des poireaux, des oignons, des minces légumes qu’on suspendait aux plafonds et aux murs selon le dessin d’un enfant aimant les légumes. Lazare Conesal, propriétaire de l’hôtel et d’une bonne partie des salles de congrès, avait commandé le dessin du Venice auprès de l’aile dure des disciples de Mariscal, capables de superposer la poésie des rêves (peterpanescos ?) de Mariscal le défie systématique à la grossièreté fonctionnelle de l’objet. On avait donné suffisamment d’esprit d’initiative à la nature avant que ne naisse le dessin, et ils étaient comme les pommes et les scarabées, de mauvais dessins crées par une évolution néfaste des espèces dans laquelle n’avait pu intervenir aucun dessinateur. Ces théories avaient amusé Lazare Conesal, depuis la ferme croyance que la théorie n’a l’habitude de faire du mal à presque personne, autre chose sont les théoriciens, mais les théoriciens des objets n’ont pas l’habitude d’être dangereux.

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