lundi 8 avril 2013

Exercice d'écriture – par Sonia Ferreira

« Sans lendemain »

— Autant te le dire tout de suite, tu ferais mieux d'éviter ce sujet-là ! – dit-il sur un ton faussement amical.
— Eh bien, pourquoi ? Pourquoi devrais-je me taire quand tout le monde ne fait que le penser tout bas ? Moi, j'en ai ras le bol ! – répliqua-t-il, franchement piqué au vif et bien décidé à ne pas se laisser faire par le petit manège de Lucas.
Dehors, il neigeait doucement. Les flocons flottaient autour des arbres nus du jardin, s'accrochaient aux branches comme dans un ultime espoir d'éviter leur inévitable chute où ils s'évanouiraient sur le sol noir et brillant.
Quelques oiseaux bravaient le froid matinal piaillant de leur voix joyeuse et grelottante.
Il monta à l'étage et regagna sa chambre à pas feutrés. Cela ne pouvait plus continuer ainsi. Tous les ans, à cette même époque, la maison se marbrait douloureusement de ce sentiment d'immense tristesse, empreint d'impuissance et d'une connivence tacite qui ne laissait personne indifférent, pourtant.
La toile vierge, d'un blanc immaculé,  posée sur son chevalet l'appelait à y apposer sa colère, sa frustration. Nahel saisit son fusain et esquissa quelques traits, d'abord lentement, doucement, presque au ralenti comme s'il berçait sa douleur,  trop longtemps retenue. Puis, son geste se fit plus rapide,  plus violent ; il maniait son fusain comme un escrimeur manie son fleuret dans un moment de furie et de désespoir. Il croquait une silhouette dont le visage n'était qu'un cercle noir, sans expression, sans vie, aveugle, muet, somme toute, sans émotions. Un croquis condamné au silence, comme lui.
Voilà trois ans maintenant que le père de Lucas était mort d'une crise cardiaque. Son coeur n'avait pas supporté le choc de la nouvelle que son fils venait de lui apprendre. Il était homosexuel et Nahel était son compagnon depuis un an déjà. À l'annonce de cet aveu, dodelinant de la tête, le père de Lucas porta sa main à son coeur et, en quelques secondes, il fut saisi d'une immense hébétude et s'effondra tel un pantin désarticulé sur le sol froid du salon que le feu de cheminée ne parvenait pourtant pas à chauffer.
Depuis ce malheureux épisode, Lucas ne fut plus jamais capable de reprendre sa relation avec Nahel. C'était sans lendemain, martelait-il à chaque fois que Nahel essayait de lui faire entendre raison, sabrant ainsi tous ses espoirs de vivre leur amour.

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