Amélie :
Un soir d’hiver, pluvieux et venté comme d’habitude, nous sortions tout juste de la garderie quand Arthur me demanda :
— Dis maman, c’est quoi le sang ?
Interloquée, je restai un moment silencieuse.
— Le sang ? Mais enfin Arthur, pourquoi tu me poses cette question ?
— Pour rien, pour savoir… Alors, c’est quoi ?
— Mets ta capuche, tu vas être trempé ! On verra ça dans la voiture. —lui répondis-je, ne comprenant vraiment pas où il voulait en venir.
À peine attaché, il revint à la charge :
— Bon, alors ! Tu me dis ?
— Le sang, tu sais ce que c’est voyons, tu n’es plus un bébé ! C’est le liquide rouge qui coule à l’intérieur de ton corps, qui te permet de respirer et de bouger en apportant à tes muscles les choses dont ils ont besoin. Le sang te permet de vivre, Arthur, tout le monde en a, et pour ceux qui n’en ont pas assez, on peut en donner. Tu te rappelles, tu étais venu avec moi une fois, j’étais restée sur un lit avec une infirmière pendant quelques temps, et après on avait mangé du pain et du jambon…
— Oui, oui, je me rappelle, même que je croyais que c’était mamie qui servait le café. Mais alors, le sang, c’est rouge ?
— Bien sûr, mon chéri... Que s’est-il passé à l’école pour que tu me parles de ça ?
— Ben c’est Théo, à la récré, il nous a dit que hier soir, son frère apprenait une leçon d’histoire, parce que c’est un grand son frère, il est en CM2, et même qu’il fait du judo et aussi du foot et que quand il sera grand, il veut être cosmonaute, et ben dans la leçon de son frère, hier soir, Théo a entendu que les rois, il avait du sang bleu. Mais alors, pourquoi moi, quand je tombe et que je saigne, mon sang, il est rouge ? C’est pas le même ? Comment on fait pour qu’il soit bleu, je trouve ça rigolo, moi ! On peut le peindre ?
— Ah, ce n’est que ça ! lui répondis-je en riant sous cape –il faut faire attention, ça se vexe vite ces petits bonhommes !–. Je vais t’expliquer : en fait, on dit ça parce que les rois ne voulaient avoir que des rois dans leur famille. Ils voulaient que leur père soit roi, leur grand-père soit roi, leur arrière grand-père soit roi, et ainsi de suite. On appelle ça, être noble. Enfin, ce n’est pas tout à fait ça, mais pour ton âge, c’est largement suffisant. Et du coup, on disait que les gens qui était dans une famille où il n’y avait que des rois, ils avaient la peau plus blanche que les autres, donc on voyait mieux leurs veines bleues. Tu sais, les petits traits bleu-verts que tu as partout, regarde sur ta main par exemple…
— Oui, j’en vois une…ah non deux en fait ! Trois, quatre ! Eh, mais j’en ai plein !!
— Évidemment ! C’est par là que ton sang circule. Et donc, pour en finir avec les rois, comme on voyait mieux leurs veines bleues, à une époque, on a cru que leur sang était bleu. Alors qu’en fait, leur sang était rouge, comme le tien ou le mien, c’était une erreur. Pas de question de peinture ou quoi que ce soit… Ne va pas t’amuser à avaler de l’encre par exemple ! Sinon, direction hôpital !
— Ok maman, merci ! Tu pourras m’écrire l’histoire sur un papier, comme ça demain, je montrerai à mes copains, sinon je me rappellerai jamais ! Et aussi, je voulais savoir, pourquoi papa a dit l’autre jour que le film qu’il avait été voir lui avait glacé le sang ? Il faisait froid dans le cinéma ?
— Écoute Arthur, si c’est ton père qui l’a dit, c’est à lui que tu dois poser la question. Ça tombe bien, on est arrivés. Tu attends que le moteur soit éteint pour te détacher, c’est pas possible, combien de fois je devrais te le répéter ?
— Oups, pardon maman… Je vais voir papa !
— Oui ,oui, vas-y ! Tiens, demande-lui de lui faire ton bain, comme ça il aura bien le temps de t’expliquer que le cinéma n’est pas un congélateur !
***
Coralie :
La salle grouille de monde, des milliers de personnes se sont déplacés pour assister à la rencontre de la saison, le choc : Imed Mathlouthi contre Samir Mohamed. Le public est en ébullition, la tension à son comble. Qui de ces deux boxeurs décrochera le titre si convoité ? Qui s'envolera pour le championnat du monde ? La cloche retentit. Le dernier round commence. Les fulleurs vont au contact. Crochet gauche de Mohamed, belle esquive de Mathlouthi qui riposte avec un superbe retourné sauté, Mohamed encaisse et répond, direct du gauche, direct du droit, circulaire à la tête, croissant... Le protège-dents de Mathlouthi vole. Le boxeur tombe dans les cordes et s'effondre, inerte, sur le ring. Des perles de sueur recouvrent son visage. Un filet de salive s'échappe de sa bouche. Un ruisseau rouge coule de son arcade, passe sur son œil clos, se grossit sous son nez et une flaque baigne sa figure tuméfiée. L'arbitre compte, un, deux, trois, quatre, cinq... Imed ne bouge pas. Six, sept, huit, neuf, dix...la flaque devient mare. Une mare de sang dans laquelle se noie l'espoir du full-contact français.