« Réincarnation »
Tous les soirs, c’est le même scénario : peu de temps après ma promenade, alors que je suis étalé de tout mon long devant la télévision, j’entends crier « à table ! ». Je me lève d’un bond, et me précipite, la truffe frétillante, vers la pièce odorante, où j’arrive généralement le premier. Je suis peu à peu rejoint par les autres qui, toujours dans le même ordre, viennent s’asseoir toujours à la même place. Inlassablement, je déploie alors mes différents stratagèmes : je me couche innocemment sous les pieds de la petite dernière, particulièrement encline à trier ses bouts de viande ; j’essaie discrètement d’amadouer ma maîtresse avec mes oreilles tombantes, mes petits cris plaintifs et mon regard suppliant ; j’agis en toutou bien élevé qui, feignant l’indifférence, va se coucher à une distance respectable de la table, ou bien je tente le tout pour le tout en donnant ma patte avec insistance, de préférence à mon maître, qui ne sera pas peu fier de constater que son élève a bien retenu sa leçon. Mais quelle que soit l’attitude adoptée, on m’ignore royalement et, invariablement, la même scène se joue sous mes yeux médusés : quand les fourchettes commencent à racler les assiettes, je me dirige, sans parvenir à réprimer un léger balancement de queue, vers ma gamelle. L’un après l’autre, les membres de ma famille s’approchent de moi, et, au dernier moment, actionnent la pédale pour donner à manger à ma voisine, cette traîtresse malodorante. Alors, comme tous les soirs, je pousse un énorme soupir de frustration et je réitère mon souhait le plus cher, celui d’avoir le privilège de me réincarner en poubelle.
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