vendredi 17 janvier 2014

Exercice d'écriture 13 – par Marie

« Quatrième de couverture »

« Comment j’étais arrivée là ? Plus la peine de penser au passé ! Le futur, j’en n’avais plus. Il m’restait qu’le présent. J’allais enfin savoir c’que c’était que d’vivre au présent. Et, si on en croyait tous les bouquins d’épanouissement personnel, ça avait l’air super, le meilleur moyen d’être heureux ! Bon, et ben voilà… y avait plus qu’à… Seulement, le présent, derrière les barreaux, j’suis pas sûre qu’ça compte. J’étais pas préparée pour cette vie là, mais j’ai réussi à m’adapter parce que j’suis une nana intelligente. J’ai toujours réussi à m’adapter, mon frère m’appelait « le caméléon ». J’dis pas qu’ça a été facile,hein, j’dis juste que l’air est à peu près respirable ici maintenant, même si j’ai plus aucune visite. Au début, tout le monde venait ; mes parents, mon homme, mon frère, une tante et même quelques amis. Aujourd’hui, plus personne. Si mes parents étaient encore là, ils viendraient encore tous les dimanches ; le droit de visite était qu’d’une demi-heure par semaine et ils devaient faire huit heures de route pour m’faire c’te p’tite visite, mais ils avaient jamais manqué un rendez-vous et ils m’apportaient toujours un p’tit cadeau. C’est beau des parents qui aiment leurs gosses comme ça ! Moi, j’saurai jamais c’que c’est. J’aurai jamais d’gosses. C’est possible pourtant, une des filles de ma cellule a passé toute sa grossesse ici et a pu aller accoucher à l’hôpital public de la ville. Elle dit toujours qu’c’est son meilleur souvenir de ses dix dernières années. Pas l’accouchement en lui même, hein, ça, ça avait pas l’air d’être super agréable, mais plutôt l’fait d’être à l’hôpital pendant une semaine. Elle avait eu l’impression d’être dans un hôtel quatre étoiles, elle avait même eu l’impression qu’elle aurait pu s’échapper si elle l’avait vraiment voulu. Bon, y avait deux gardes qui se relayaient jours et nuits pour la surveiller, une grille en fer derrière la fenêtre de sa chambre, et son bracelet électronique, mais bon, elle y avait cru, c’est le plus important. Moi, aujourd’hui, j’crois plus à rien. Si j’écris c’bouquin, c’est juste pour laisser une trace de moi quelque part sur cette putain de planète et pour qu’ les gens sachent que la vie, ça peut changer d’un seul coup ! Y faut qu’les gens sachent, y faut qu’les gens sachent ! Y s’rendent pas compte, jme rendais pas compte avant non plus. On est trop nazes. On sait jamais reconnaître le bonheur quand il est là, il passe trop inaperçu, il est trop discret, trop calme, trop quotidien, trop banal… Et pis, un jour, il en a marre d’être là comme un con à nous r’garder nous plaindre alors il s’casse et, là, c’est trop tard ».

Anne n’avait pas réussi à trouver les mots pour faire la quatrième de couverture de ce livre. Elle avait donc décidé d’en sélectionner un extrait, se disant que l’auteure, qui était aussi la narratrice le ferait mieux qu’elle. Parfois, les mots les plus simples sont les plus justes, les plus vrais. Jamais elle n’aurait imaginé qu’une détenue, du fond de sa cellule, puisse venir bouleverser autant sa vie.

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