Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
lundi 30 novembre 2009
Résultats du sondage : « Vous lisez le plus souvent des romans… Mais avez-vous une préférence pour… »
Sur 25 votants, nous obtenons les résultats suivants :
Les classiques = 4 voix (16%)
Le XXe siècle = 8 voix (32%)
Les dernières parutions = 13 voix (62%)
Il faut continuer notre enquête… toujours dans le but de mieux vous renseigner sur les habitudes de lectures des traducteurs et de leurs amis. Nous l'avons dit : pas sûr que nous soyons représentatifs, mais cela peut tout de même nous guider pour affiner nos choix de traductions longues.
Les classiques = 4 voix (16%)
Le XXe siècle = 8 voix (32%)
Les dernières parutions = 13 voix (62%)
Il faut continuer notre enquête… toujours dans le but de mieux vous renseigner sur les habitudes de lectures des traducteurs et de leurs amis. Nous l'avons dit : pas sûr que nous soyons représentatifs, mais cela peut tout de même nous guider pour affiner nos choix de traductions longues.
Une demande d'aide d'une Tradabordienne
Je reçois cette demande de Louise, que je vous soumets :
« J'ai été chargée de la traduction d'un article sur Roberto Bolaño, et je bloque sur une des phrases, que je ne sais pas comment tourner car je ne suis pas sûre de bien l'interpréter... La voici (j'écris en gras la partie qui m'arrête):
"Aqui sigue brillando Bolaño después de muerto, aunque en el fondo, nada mas ajeno al estrellato que el chileno."
C'est surtout l'article "el" qui me dérange... Dois-je traduire avec l'indéfini ? ou par une interprétation française du neutre espagnol "lo"? »
Envoyez vos réponses par le biais des commentaires, comme d'habitude. Merci !
« J'ai été chargée de la traduction d'un article sur Roberto Bolaño, et je bloque sur une des phrases, que je ne sais pas comment tourner car je ne suis pas sûre de bien l'interpréter... La voici (j'écris en gras la partie qui m'arrête):
"Aqui sigue brillando Bolaño después de muerto, aunque en el fondo, nada mas ajeno al estrellato que el chileno."
C'est surtout l'article "el" qui me dérange... Dois-je traduire avec l'indéfini ? ou par une interprétation française du neutre espagnol "lo"? »
Envoyez vos réponses par le biais des commentaires, comme d'habitude. Merci !
Exercice de version, 13
María del Rosario Galván a Nicolás Valdivia
Vas a pensar mal de mí. Dirás que soy una mujer caprichosa. Y tendrás razón. Pero, ¿quién iba a imaginar que de la noche a la mañana las cosas cambiarían tan radicalmente? Ayer, al conocerte, te dije que en política no hay que dejar nada por escrito. Hoy, no tengo otra manera de comunicarme contigo. Eso te dará una idea de la urgencia de la situación...
Me dirás que tu interés en mí -el interés que me mostraste tan pronto nos miramos en la antesala del secretario de Gobernación- no es político. Es amoroso, es atracción física, incluso es simpatía humana pura y simple. Debes saber cuanto antes, Nicolás querido, que para mí todo es política, incluso el sexo. Puede chocarte esta voracidad profesional. No hay remedio. Tengo cuarenta y cinco años y desde los veintidós he organizado mi vida con un solo propósito: ser política, hacer política, comer política, soñar política, gozar y sufrir política. Es mi naturaleza. Es mi vocación. No creas que por eso dejo de lado mi gusto femenino, mi placer sexual, mi deseo de acostarme con un hombre joven y bello -como tú...
Simplemente, considero que la política es la actuación pública de pasiones privadas. Incluyendo, sobre todo, acaso, la pasión amorosa. Pero las pasiones son formas arbitrarias de la conducta y la política es una disciplina. Amamos con la máxima libertad que nos es concedida por un universo multitudinario, incierto, azaroso y necesario a la vez, a la caza del poder, compitiendo por una parcela de autoridad.
¿Crees que es igual en amor? Te equivocas. El amor posee una fuerza sin límites que se llama la imaginación. Encarcelado en el castillo de Ulúa, sigues teniendo la libertad del deseo, eres dueño de tu imaginación erótica. En cambio, ¡qué poco te sirve en
política desear e imaginar sin poder!
Vas a pensar mal de mí. Dirás que soy una mujer caprichosa. Y tendrás razón. Pero, ¿quién iba a imaginar que de la noche a la mañana las cosas cambiarían tan radicalmente? Ayer, al conocerte, te dije que en política no hay que dejar nada por escrito. Hoy, no tengo otra manera de comunicarme contigo. Eso te dará una idea de la urgencia de la situación...
Me dirás que tu interés en mí -el interés que me mostraste tan pronto nos miramos en la antesala del secretario de Gobernación- no es político. Es amoroso, es atracción física, incluso es simpatía humana pura y simple. Debes saber cuanto antes, Nicolás querido, que para mí todo es política, incluso el sexo. Puede chocarte esta voracidad profesional. No hay remedio. Tengo cuarenta y cinco años y desde los veintidós he organizado mi vida con un solo propósito: ser política, hacer política, comer política, soñar política, gozar y sufrir política. Es mi naturaleza. Es mi vocación. No creas que por eso dejo de lado mi gusto femenino, mi placer sexual, mi deseo de acostarme con un hombre joven y bello -como tú...
Simplemente, considero que la política es la actuación pública de pasiones privadas. Incluyendo, sobre todo, acaso, la pasión amorosa. Pero las pasiones son formas arbitrarias de la conducta y la política es una disciplina. Amamos con la máxima libertad que nos es concedida por un universo multitudinario, incierto, azaroso y necesario a la vez, a la caza del poder, compitiendo por una parcela de autoridad.
¿Crees que es igual en amor? Te equivocas. El amor posee una fuerza sin límites que se llama la imaginación. Encarcelado en el castillo de Ulúa, sigues teniendo la libertad del deseo, eres dueño de tu imaginación erótica. En cambio, ¡qué poco te sirve en
política desear e imaginar sin poder!
Carlos Fuentes, La silla del águila
***
Auréba nous propose sa traduction :
Tu vas penser du mal de moi. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais, qui allait imaginer que du jour au lendemain tout changerait de façon si radicale? Hier, te connaissant, je t´ai dit qu’en politique, il ne faut rien laisser par écrit. Aujourd´hui, je n’ai pas d´autre façon de communiquer avec toi. Ça te donnera une idée de l´urgence de la situation.
Tu me diras que ton intérêt pour moi_ l’intérêt que tu m’as montré dès que nous nous sommes regardés dans la salle d´attente du secrétaire au Gouvernement _n’est pas politique. Il est amoureux, c’est de l´attirance physique, c’est même de la sympathie humaine pure et simple. Tu dois savoir le plus tôt possible, cher Nicolas, que pour moi tout est politique, même le sexe. Il se peut que cette voracité professionnelle te choque. On ne peut rien y faire. J´ai quarante-cinq ans et depuis mes vingt ans j’ai organisé ma vie dans un seul dessein: être politique, faire de la politique, manger politique, rêver politique, jouir et souffrir politique. C’est ma nature. C’est ma vocation. Ne crois pas que pour cela je laisse de côté mon plaisir féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un homme jeune et beau- comme toi…
Simplement, je considère que la politique est le comportement public de passions privées. En n’oubliant pas, surtout, d’aventure, la passion amoureuse. Mais les passions amoureuses sont des formes arbitraires du comportement et la politique est une discipline. Nous aimons avec la plus grande liberté qui nous soit accordée par un univers qui rassemble les foules, incertain, hasardeux et à la fois nécessaire, à la chasse au pouvoir, en rivalisant pour une parcelle d’autorité.
Tu crois que c’est pareil en amour? Tu te trompes. L’amour possède une force sans limites qui s’appelle l’imagination. Emprisonné dans le château de Ulúa, tu gardes la liberté du désir, tu es maître de ton imagination érotique. Par contre, ça te sert si peu en politique de désirer et d´imaginer sans pouvoir!
Tu vas penser du mal de moi. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais, qui allait imaginer que du jour au lendemain tout changerait de façon si radicale? Hier, te connaissant, je t´ai dit qu’en politique, il ne faut rien laisser par écrit. Aujourd´hui, je n’ai pas d´autre façon de communiquer avec toi. Ça te donnera une idée de l´urgence de la situation.
Tu me diras que ton intérêt pour moi_ l’intérêt que tu m’as montré dès que nous nous sommes regardés dans la salle d´attente du secrétaire au Gouvernement _n’est pas politique. Il est amoureux, c’est de l´attirance physique, c’est même de la sympathie humaine pure et simple. Tu dois savoir le plus tôt possible, cher Nicolas, que pour moi tout est politique, même le sexe. Il se peut que cette voracité professionnelle te choque. On ne peut rien y faire. J´ai quarante-cinq ans et depuis mes vingt ans j’ai organisé ma vie dans un seul dessein: être politique, faire de la politique, manger politique, rêver politique, jouir et souffrir politique. C’est ma nature. C’est ma vocation. Ne crois pas que pour cela je laisse de côté mon plaisir féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un homme jeune et beau- comme toi…
Simplement, je considère que la politique est le comportement public de passions privées. En n’oubliant pas, surtout, d’aventure, la passion amoureuse. Mais les passions amoureuses sont des formes arbitraires du comportement et la politique est une discipline. Nous aimons avec la plus grande liberté qui nous soit accordée par un univers qui rassemble les foules, incertain, hasardeux et à la fois nécessaire, à la chasse au pouvoir, en rivalisant pour une parcelle d’autorité.
Tu crois que c’est pareil en amour? Tu te trompes. L’amour possède une force sans limites qui s’appelle l’imagination. Emprisonné dans le château de Ulúa, tu gardes la liberté du désir, tu es maître de ton imagination érotique. Par contre, ça te sert si peu en politique de désirer et d´imaginer sans pouvoir!
***
Odile nous propose sa traduction :
María del Rosario Galván à Nicolás Valdivia
Tu ne vas pas me comprendre. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais qui pouvait imaginer que du soir au lendemain les choses changeraient aussi radicalement ? Hier, quand je t'ai rencontré, je t'ai dit qu'en politique il ne faut rien laisser par écrit. Aujourd'hui, je n'ai pas d'autre moyen pour communiquer avec toi. Cela te donnera une idée de l'urgence de la situation....
Tu diras que ton intérêt pour moi – l'intérêt que tu m'as manifesté dès que nous regards se sont croisés dans l'antichambre du secrétaire d'État – n'est pas politique. C'est un intérêt amoureux, de l'attirance physique, c'est même de la sympathie humaine, pure et simple. Avant tout, tu dois savoir Nicolas chéri, que pour moi, tout est politique, même le sexe. Cette voracité professionnelle peut te choquer. Mais il n'y a rien à faire. J'ai quarante-cinq ans et depuis l'âge de vingt-deux ans, j'ai organisé ma vie dans un seul but : être politique, faire de la politique, manger politique, rêver politique, jouir et souffrir politique. C'est ma nature. C'est ma vocation. Ne penses pas que pour autant je laisse de côté mon goût féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un homme jeune et beau – comme toi...
Simplement, je considère que la polique est l'interprétation publique de passions privées. Y compris, et peut-être surtout, la passion amoureuse. Mais les passions sont des formes arbitraires du comportement et la politique est une discipline. Nous aimons avec la très grande liberté que nous concède un univers innombrable, incertain, hasardeux et nécessaire à la fois, à la recherche du pouvoir, en rivalisant pour une parcelle d'autorité.
Tu crois que c'est pareil en amour ? Tu te trompes. L'amour possède une force sans limites qui s'appelle l'imagination. Emprisonné dans le château d'Ulúa, tu as encore la liberté d'avoir du désir, tu es maître de ton imagination érotique. En revanche, qu'il te sert bien peu en politique, sans le pouvoir, de désirer et d'imaginer !
María del Rosario Galván à Nicolás Valdivia
Tu ne vas pas me comprendre. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais qui pouvait imaginer que du soir au lendemain les choses changeraient aussi radicalement ? Hier, quand je t'ai rencontré, je t'ai dit qu'en politique il ne faut rien laisser par écrit. Aujourd'hui, je n'ai pas d'autre moyen pour communiquer avec toi. Cela te donnera une idée de l'urgence de la situation....
Tu diras que ton intérêt pour moi – l'intérêt que tu m'as manifesté dès que nous regards se sont croisés dans l'antichambre du secrétaire d'État – n'est pas politique. C'est un intérêt amoureux, de l'attirance physique, c'est même de la sympathie humaine, pure et simple. Avant tout, tu dois savoir Nicolas chéri, que pour moi, tout est politique, même le sexe. Cette voracité professionnelle peut te choquer. Mais il n'y a rien à faire. J'ai quarante-cinq ans et depuis l'âge de vingt-deux ans, j'ai organisé ma vie dans un seul but : être politique, faire de la politique, manger politique, rêver politique, jouir et souffrir politique. C'est ma nature. C'est ma vocation. Ne penses pas que pour autant je laisse de côté mon goût féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un homme jeune et beau – comme toi...
Simplement, je considère que la polique est l'interprétation publique de passions privées. Y compris, et peut-être surtout, la passion amoureuse. Mais les passions sont des formes arbitraires du comportement et la politique est une discipline. Nous aimons avec la très grande liberté que nous concède un univers innombrable, incertain, hasardeux et nécessaire à la fois, à la recherche du pouvoir, en rivalisant pour une parcelle d'autorité.
Tu crois que c'est pareil en amour ? Tu te trompes. L'amour possède une force sans limites qui s'appelle l'imagination. Emprisonné dans le château d'Ulúa, tu as encore la liberté d'avoir du désir, tu es maître de ton imagination érotique. En revanche, qu'il te sert bien peu en politique, sans le pouvoir, de désirer et d'imaginer !
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Sonita nous propose sa traduction :
De Maria del Rosario Galván pour Nicolás Valdivia.
Tu vas penser du mal de moi. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais, qui allait imaginer que les choses changeraient du jour au lendemain si radicalement? Hier, quand j’ai fait ta connaissance, je t’ai dit qu’en politique il ne fallait rien laisser par écrit. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre manière de me mettre en contact avec toi. Cela te donnera une idée de l’urgence de la situation…
Tu me diras que ton intérêt envers moi – l’intérêt que tu m’as montré si tôt nous nous sommes regardés dans l’antichambre du secrétaire du Gouvernement – n’est pas politique. Il est d’ordre amoureux, c’est de l’attraction physique, c’est même de la sympathie humaine pure et simplement. Tu dois savoir au plus tôt, mon cher Nicolás, que pour moi tout est politique, même le sexe. Cette voracité professionnelle peut te choquer. Je n’en ai cure. J’ai quarante-cinq ans et depuis mes vingt-deux ans j’ai organisé ma vie dans un seul but : être politicienne, faire de la politique, manger de la politique, rêver de politique, jouir et souffrir de la politique. C’est ma nature. C’est ma vocation. Ne crois pas qu’en raison de cela je mets de côté mon goût féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un beau jeune homme – comme toi… – Simplement, je considère que la politique c’est la mise en scène publique des passions privées. Incluant surtout, peut-être, la passion amoureuse. Mais les passions ce sont des formes arbitraires de la conduite et la politique est une discipline. Nous aimons avec la liberté maximale que nous est accordée par un univers en masse, incertain, hasardeux, et à la fois nécessaire, à la chasse du pouvoir, en compétition pour une parcelle d’autorité.
Tu crois qu’il en est de même en amour ? Tu te trompes. L’amour possède une force sans limites qui s’appelle l’imagination. Emprisonné dans le château d’Ulúa, tu continues d’avoir la liberté du désir, tu es le maître de ton imagination érotique. En revanche, cela te sert bien peu en politique de désirer et imaginer sans avoir le pouvoir !
De Maria del Rosario Galván pour Nicolás Valdivia.
Tu vas penser du mal de moi. Tu diras que je suis une femme capricieuse. Et tu auras raison. Mais, qui allait imaginer que les choses changeraient du jour au lendemain si radicalement? Hier, quand j’ai fait ta connaissance, je t’ai dit qu’en politique il ne fallait rien laisser par écrit. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre manière de me mettre en contact avec toi. Cela te donnera une idée de l’urgence de la situation…
Tu me diras que ton intérêt envers moi – l’intérêt que tu m’as montré si tôt nous nous sommes regardés dans l’antichambre du secrétaire du Gouvernement – n’est pas politique. Il est d’ordre amoureux, c’est de l’attraction physique, c’est même de la sympathie humaine pure et simplement. Tu dois savoir au plus tôt, mon cher Nicolás, que pour moi tout est politique, même le sexe. Cette voracité professionnelle peut te choquer. Je n’en ai cure. J’ai quarante-cinq ans et depuis mes vingt-deux ans j’ai organisé ma vie dans un seul but : être politicienne, faire de la politique, manger de la politique, rêver de politique, jouir et souffrir de la politique. C’est ma nature. C’est ma vocation. Ne crois pas qu’en raison de cela je mets de côté mon goût féminin, mon plaisir sexuel, mon désir de coucher avec un beau jeune homme – comme toi… – Simplement, je considère que la politique c’est la mise en scène publique des passions privées. Incluant surtout, peut-être, la passion amoureuse. Mais les passions ce sont des formes arbitraires de la conduite et la politique est une discipline. Nous aimons avec la liberté maximale que nous est accordée par un univers en masse, incertain, hasardeux, et à la fois nécessaire, à la chasse du pouvoir, en compétition pour une parcelle d’autorité.
Tu crois qu’il en est de même en amour ? Tu te trompes. L’amour possède une force sans limites qui s’appelle l’imagination. Emprisonné dans le château d’Ulúa, tu continues d’avoir la liberté du désir, tu es le maître de ton imagination érotique. En revanche, cela te sert bien peu en politique de désirer et imaginer sans avoir le pouvoir !
Références culturelles, 295 : Paco de Lucia
Paco de Lucia
Une idée d'Odile
Une idée d'Odile
http://fr.wikipedia.org/wiki/Paco_de_Luc%C3%ADa
le site officiel : http://www.pacodelucia.org/
quelques morceaux :
en trio, mémorable ! :
dimanche 29 novembre 2009
Exercice de version, 12
De pronto, como si un remolino hubiera echado raíces en el centro del pueblo, llegó la compañía bananera perseguida por la hojarasca. Era una hojarasca revuelta, alborotada, formada por los desperdicios humanos y materiales de los otros pueblos; rastrojos de una guerra civil que cada vez parecía más remota e inverosímil. La hojarasca era implacable. Todo lo contaminaba de su revuelto olor multitudinario, olor de secreción a flor de piel y de recóndita muerte. En menos de un año arrojó sobre el pueblo los escombros de numerosas catástrofes anteriores a ella misma, esparció en las calles su confusa carga de desperdicios. Y esos desperdicios, precipitadamente, al compás atolondrado e imprevisto de la tormenta, se iban seleccionando, individualizándose, hasta convertir lo que fue un callejón con un río en un extremo un corral para los muertos en el otro, en un pueblo diferente y complicado, hecho con los desperdicios de los otros pueblos. Allí vinieron, confundidos con la hojarasca humana, arrastrados por su impetuosa fuerza, los desperdicios de los almacenes, de los hospitales, de los salones de diversión, de las plantas eléctricas; desperdicios de mujeres solas y de hombres que amarraban la mula en un horcón del hotel, trayendo como un único equipaje un baúl de madera o un atadillo de ropa, y a los pocos meses tenían casa propia, dos concubinas y el título militar que les quedaron debiendo por haber llegado tarde a la guerra.
Gabriel García Márquez, La hojarasca
***
La traduction « officielle », Des feuilles dans la bourrasque, par Claude Couffon, pour les éditions Grasset et Fasquelle, 1983 :
[Merci à Aureba d'avoir pris le temps de nous m'envoyer]
Brusquement, comme si un tourbillon s’était enraciné au centre du village, la compagnie bananière arriva, poursuivie par une nuée d’individus roulant comme feuilles mortes par grand vent. C’était un tournoiement désordonné et tumultueux, formé par les déchets humains et matériels des autres villages ; les fanes d’une guerre civile qui paraissait de plus en plus invraisemblable et perdue dans le temps ; les fanes d’une guerre civile qui paraissait de plus en plus invraisemblable et perdue dans le temps. Ces fanes, ou comme on dit chez nous cette hojarsaca était implacable. Elle contaminait tout de son remugle de multitude, de son odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort sous cape. En moins d’un an elle déversa sur le village les décombres des catastrophes nombreuses qui l’avaient précédée et dispersa dans les rues son chaos d’immondices. Et ces déchets, à la hâte, au rythme imprévu et fantasque de la tempête, se différencièrent, ils s’individualisèrent, au point de transformer ce qui avait été jusqu’alors une rue de rien avec une rivière à un bout et un enclos pour les morts à l’autre bout en un village méconnaissable et compliqué, constitué par les déchets des autres villages.
On vit arriver, confondu avec cette lie humaine, entraîné par son élan irrésistible, le rebut des boutiques, des hôpitaux, des dancings, des centrales électriques ; des épaves, des femmes sans hommes, et des hommes qui attachaient leur mule à un des piliers de l’hôtel, en apportant pour tout bagage une cantine en bois ou un balluchon de linge et qui, à peine quelques mois plus tard, avaient leur chez-eux, deux concubines et le grade qu’aurait dû leur valoir leur participation tardive à la guerre.
***[Merci à Aureba d'avoir pris le temps de nous m'envoyer]
Brusquement, comme si un tourbillon s’était enraciné au centre du village, la compagnie bananière arriva, poursuivie par une nuée d’individus roulant comme feuilles mortes par grand vent. C’était un tournoiement désordonné et tumultueux, formé par les déchets humains et matériels des autres villages ; les fanes d’une guerre civile qui paraissait de plus en plus invraisemblable et perdue dans le temps ; les fanes d’une guerre civile qui paraissait de plus en plus invraisemblable et perdue dans le temps. Ces fanes, ou comme on dit chez nous cette hojarsaca était implacable. Elle contaminait tout de son remugle de multitude, de son odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort sous cape. En moins d’un an elle déversa sur le village les décombres des catastrophes nombreuses qui l’avaient précédée et dispersa dans les rues son chaos d’immondices. Et ces déchets, à la hâte, au rythme imprévu et fantasque de la tempête, se différencièrent, ils s’individualisèrent, au point de transformer ce qui avait été jusqu’alors une rue de rien avec une rivière à un bout et un enclos pour les morts à l’autre bout en un village méconnaissable et compliqué, constitué par les déchets des autres villages.
On vit arriver, confondu avec cette lie humaine, entraîné par son élan irrésistible, le rebut des boutiques, des hôpitaux, des dancings, des centrales électriques ; des épaves, des femmes sans hommes, et des hommes qui attachaient leur mule à un des piliers de l’hôtel, en apportant pour tout bagage une cantine en bois ou un balluchon de linge et qui, à peine quelques mois plus tard, avaient leur chez-eux, deux concubines et le grade qu’aurait dû leur valoir leur participation tardive à la guerre.
Auréba nous propose sa traduction :
Brusquement, comme si un tourbillon avait pris racine au centre du village, la compagnie bananière arriva poursuivie par le vent d’ordures. C’était un vent turbulent, mouvementé, formé par les déchets humains et matériels des autres villages ; des éteules d’une guerre-civile qui semblait de plus en plus lointaine et invraisemblable. Le vent d’ordures était implacable. Il contaminait tout de son odeur de mélasse populaire, odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort secrète. En moins d’un an il jeta sur le village les décombres de nombreuses catastrophes antérieures à la sienne, répandit dans les rues sa charge confuse de déchets. Et ces déchets, précipitamment, au rythme étourdi et imprévu de la tourmente, se sélectionnaient peu à peu, en s’individualisant, jusqu’à transformer ce qui fut une petite rue avec une rivière d’un côté et un enclos pour les morts de l’autre, en un village différent et compliqué, fait avec les déchets des autres villages.
Vinrent alors, confondus avec le vent d’ordures humaines, trainés par sa force impétueuse, les déchets des magasins, des hôpitaux, des salons de diversion, des centrales électriques, des déchets de femmes seules et d’hommes qui attachaient leur mule à un poteau en bois de l’hôtel, amenant comme simple bagage une malle en bois ou un petit paquet de linge, et en l’espace de quelques mois ils avaient déjà une maison à eux, deux concubines et le titre militaire qu’on leur devait encore du fait qu’ils étaient arrivés en retard à la guerre.
Brusquement, comme si un tourbillon avait pris racine au centre du village, la compagnie bananière arriva poursuivie par le vent d’ordures. C’était un vent turbulent, mouvementé, formé par les déchets humains et matériels des autres villages ; des éteules d’une guerre-civile qui semblait de plus en plus lointaine et invraisemblable. Le vent d’ordures était implacable. Il contaminait tout de son odeur de mélasse populaire, odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort secrète. En moins d’un an il jeta sur le village les décombres de nombreuses catastrophes antérieures à la sienne, répandit dans les rues sa charge confuse de déchets. Et ces déchets, précipitamment, au rythme étourdi et imprévu de la tourmente, se sélectionnaient peu à peu, en s’individualisant, jusqu’à transformer ce qui fut une petite rue avec une rivière d’un côté et un enclos pour les morts de l’autre, en un village différent et compliqué, fait avec les déchets des autres villages.
Vinrent alors, confondus avec le vent d’ordures humaines, trainés par sa force impétueuse, les déchets des magasins, des hôpitaux, des salons de diversion, des centrales électriques, des déchets de femmes seules et d’hommes qui attachaient leur mule à un poteau en bois de l’hôtel, amenant comme simple bagage une malle en bois ou un petit paquet de linge, et en l’espace de quelques mois ils avaient déjà une maison à eux, deux concubines et le titre militaire qu’on leur devait encore du fait qu’ils étaient arrivés en retard à la guerre.
***
Sonita nous propose sa traduction :
Soudain, comme si un tourbillon avait jeté l’ancre dans le centre du village, arriva la compagnie bananière poursuivie para les feuilles mortes. C’était un feuillage sens dessous dessus, emmêlé, formé des déchets humains et matériels des autres villages ; chaumes d’une guerre civile que paraissait chaque fois plus lointaine et invraisemblable. Le feuillage épais était implacable. Il contaminait tout avec son odeur emmêlée en masse, odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort cachée. En moins d’un an il jeta sur le village les décombres de nombreuses catastrophes antérieures à lui-même, répandit dans les rues sa charge confuse de déchets. Et ces déchets, hâtivement, suivant le rythme étourdi de l’orage, faisaient le tri, s’individualisaient, au point de convertir ce qui avait été une ruelle avec une rivière à l’une des extrémités et une cour pour les morts à l’autre bout, en un village différent et compliqué, fait avec les déchets des autres villages. C’est là qui sont arrivés confondus avec la bourrasque humaine, traînés par sa force impétueuse, les déchets des magasins, des hôpitaux, des salles de divertissement, des plantes électriques ; des déchets de femmes seules et d’hommes qui attachaient la mule à un poteau de l’hôtel, apportant comme seul bagage une malle en bois ou une poignée de vêtements, et quelques mois après ils avaient leur propre maison, deux concubines et le titre militaire qu’on leur devait parce qu’ils étaient arrivés en retard à la guerre.
Soudain, comme si un tourbillon avait jeté l’ancre dans le centre du village, arriva la compagnie bananière poursuivie para les feuilles mortes. C’était un feuillage sens dessous dessus, emmêlé, formé des déchets humains et matériels des autres villages ; chaumes d’une guerre civile que paraissait chaque fois plus lointaine et invraisemblable. Le feuillage épais était implacable. Il contaminait tout avec son odeur emmêlée en masse, odeur de sécrétion à fleur de peau et de mort cachée. En moins d’un an il jeta sur le village les décombres de nombreuses catastrophes antérieures à lui-même, répandit dans les rues sa charge confuse de déchets. Et ces déchets, hâtivement, suivant le rythme étourdi de l’orage, faisaient le tri, s’individualisaient, au point de convertir ce qui avait été une ruelle avec une rivière à l’une des extrémités et une cour pour les morts à l’autre bout, en un village différent et compliqué, fait avec les déchets des autres villages. C’est là qui sont arrivés confondus avec la bourrasque humaine, traînés par sa force impétueuse, les déchets des magasins, des hôpitaux, des salles de divertissement, des plantes électriques ; des déchets de femmes seules et d’hommes qui attachaient la mule à un poteau de l’hôtel, apportant comme seul bagage une malle en bois ou une poignée de vêtements, et quelques mois après ils avaient leur propre maison, deux concubines et le titre militaire qu’on leur devait parce qu’ils étaient arrivés en retard à la guerre.
samedi 28 novembre 2009
Résultats du sondage 2008-2009, version 2 : "Faut-il traduire les références culturelles (piñata, Guía del ocio, RENFE, etc.)"
Sur 19 votants, nous obtenons les résultats suivants :
Oui = 1 voix (5%)
Oui avec une note = 9 voix (47%)
Non = 9 voix (47%)
Sachant que la décision finale de mettre ou ne pas mettre des notes dépend la plupart du temps des éditeurs, qui n'ont pas tous le même avis sur le sujet… loin de là.
Pour comparaison, voici les résultats obtenus l'année dernière :
Sur 11 votants :
Oui = 0 voix
Non = 7 voix
Non (avec une note) = 4 voix
Oui = 1 voix (5%)
Oui avec une note = 9 voix (47%)
Non = 9 voix (47%)
Sachant que la décision finale de mettre ou ne pas mettre des notes dépend la plupart du temps des éditeurs, qui n'ont pas tous le même avis sur le sujet… loin de là.
Pour comparaison, voici les résultats obtenus l'année dernière :
Sur 11 votants :
Oui = 0 voix
Non = 7 voix
Non (avec une note) = 4 voix
Le texte donné en devoir sur table aux étudiants de CAPES (et aux apprenties traductrices du M2) vendredi 27 novembre
La noche acompaña los pasos de dos hombres y dos mujeres que se dirigen en silencio hacia la casa donde Amalia espera a su madre. Caminan los cuatro buscando el abrigo de los matorrales, ocultándose del resplandor de la luna. El Chaqueta Negra encabeza la marcha, seguido de Sole y de Elvira, y la cierra Mateo. Esparcidas por el suelo y colgando de algunas ramas de los escasos árboles, numerosas cuartillas destacan su color blanco.
—Mira.
Mateo apremia a la comadrona de Peñaranda de Bracamonte, le ordena que continúe andando y que guarde silencio. En el tono de su voz se adivina un reproche. En las marchas está prohibido hablar, terminantemente prohibido. Jaime gira la cabeza hacia ellos y se lleva el índice a los labios. Se encuentran ya a las afueras de Galapagar. El Chaqueta Negra descuelga de su hombro el fusil y observa a lo lejos la primera casa de la derecha, a unos diez metros de un pajar. Busca la señal luminosa que les indica que pueden acercarse. Sí, la luz parpadea dos veces. Permanece encendida y vuelve a parpadear. Corren los cuatro con sigilo, uno detrás de otro, y se esconden bajo el techado del pajar. Desde allí, Jaime emite el sonido de un búho. Al cabo de unos instantes le responde una abubilla.
Sólo cuando entren a la casa, Sole mostrará un papel que ha recogido de un árbol y volverá a decir:
—Mira.
Será después de que haya abrazado a su hija y haya comprobado que la lesión de su pierna ya no la obliga a cojear, y después de que Elvira haya preguntado por su abuelo y Amalia le informe de que se encuentra bien.
[…]
Entonces Jaime leerá el papel que Sole le ruega que mire, una de las miles de octavillas que el ejército ha arrojado en los montes, donde se asegura el perdón a los huidos que se entreguen y no tengan manchadas las manos de sangre y un entierro en suelo sagrado con rito cristiano a los demás.
[…]
Colgado sobre el fuego, un caldero humea. Elvira se acerca al hogar y aspira el aroma de las judías con chorizo mientras se calienta las manos en las llamas. Mateo la sigue como si el olor fuera una cuerda que tirara de él y le arrastrara hacia el guiso.
[…]
En la mesa, una hermosa hogaza de pan espera a los que acaban de llegar. Mateo se sienta el primero. Se anuda una servilleta al cuello dispuesto a saborear las judías sin esperar a que los demás tomen asiento. Amalia le llena el plato hasta el borde y él moja trozos de pan. Suspira, y se chupa los dedos.
Durante la cena, los dos camaradas que habían llegado por la mañana para acompañar a Sole y a Amalia hasta Francia pondrán al corriente a sus compañeros del optimismo que respira la izquierda española en el exilio. La Unión Nacional Española contempla la posibilidad de una invasión a través de los Pirineos.
[…]
Con el ánimo dispuesto a creer en la recuperación de la República, Jaime, Mateo y Elvira llenarán sus macutos de provisiones. El de Elvira irá repleto de mantas, confeccionadas en la prisión de Ventas, y los de Mateo y Jaime llevarán la comida que han abonado generosamente a su enlace. Esa misma noche, cargarán con ellos hasta el campamento.
—Mira.
Mateo apremia a la comadrona de Peñaranda de Bracamonte, le ordena que continúe andando y que guarde silencio. En el tono de su voz se adivina un reproche. En las marchas está prohibido hablar, terminantemente prohibido. Jaime gira la cabeza hacia ellos y se lleva el índice a los labios. Se encuentran ya a las afueras de Galapagar. El Chaqueta Negra descuelga de su hombro el fusil y observa a lo lejos la primera casa de la derecha, a unos diez metros de un pajar. Busca la señal luminosa que les indica que pueden acercarse. Sí, la luz parpadea dos veces. Permanece encendida y vuelve a parpadear. Corren los cuatro con sigilo, uno detrás de otro, y se esconden bajo el techado del pajar. Desde allí, Jaime emite el sonido de un búho. Al cabo de unos instantes le responde una abubilla.
Sólo cuando entren a la casa, Sole mostrará un papel que ha recogido de un árbol y volverá a decir:
—Mira.
Será después de que haya abrazado a su hija y haya comprobado que la lesión de su pierna ya no la obliga a cojear, y después de que Elvira haya preguntado por su abuelo y Amalia le informe de que se encuentra bien.
[…]
Entonces Jaime leerá el papel que Sole le ruega que mire, una de las miles de octavillas que el ejército ha arrojado en los montes, donde se asegura el perdón a los huidos que se entreguen y no tengan manchadas las manos de sangre y un entierro en suelo sagrado con rito cristiano a los demás.
[…]
Colgado sobre el fuego, un caldero humea. Elvira se acerca al hogar y aspira el aroma de las judías con chorizo mientras se calienta las manos en las llamas. Mateo la sigue como si el olor fuera una cuerda que tirara de él y le arrastrara hacia el guiso.
[…]
En la mesa, una hermosa hogaza de pan espera a los que acaban de llegar. Mateo se sienta el primero. Se anuda una servilleta al cuello dispuesto a saborear las judías sin esperar a que los demás tomen asiento. Amalia le llena el plato hasta el borde y él moja trozos de pan. Suspira, y se chupa los dedos.
Durante la cena, los dos camaradas que habían llegado por la mañana para acompañar a Sole y a Amalia hasta Francia pondrán al corriente a sus compañeros del optimismo que respira la izquierda española en el exilio. La Unión Nacional Española contempla la posibilidad de una invasión a través de los Pirineos.
[…]
Con el ánimo dispuesto a creer en la recuperación de la República, Jaime, Mateo y Elvira llenarán sus macutos de provisiones. El de Elvira irá repleto de mantas, confeccionadas en la prisión de Ventas, y los de Mateo y Jaime llevarán la comida que han abonado generosamente a su enlace. Esa misma noche, cargarán con ellos hasta el campamento.
Dulce Chacón, La voz dormida
***
La traduction que je vous propose :
La nuit accompagne les pas de deux hommes et de deux femmes qui se dirigent en silence vers la maison où Amalia attend sa mère. Tous les quatre avancent en recherchant l’abri des buissons ; ils se cachent de l’intense luminosité de la lune. Veste Noire est en tête de cortège, suivi de Sole et Elvira, tandis que Mateo ferme la marche. Éparpillés par terre et accrochés ici ou là à la branche d’un des rares arbres, des feuilles de papier, en grande quantité, émergent du noir par leur couleur blanche.
— Regarde.
Mateo presse la sage-femme de Peñaranda de Bracamonte, lui ordonne de se remettre en marche et de garder le silence. Le ton de sa voix est clairement teinté de reproche. Au cours des marches, il est interdit de parler – formellement interdit. Jaime tourne la tête dans leur direction et porte son index à ses lèvres. Ils sont à présent dans les environs de Galapagar. Veste Noire ôte son fusil de son épaule, observe, au loin, la première maison sur la droite, à quelque dix mètres d’une grange à foin. Il guette le signal lumineux leur indiquant qu’ils peuvent approcher. Oui, la lumière clignote deux fois. Il reste allumée un moment puis clignote de nouveau. Nos quatre personnages se mettent alors courir, en file indienne, et viennent se cacher sous le toit de la grange à foin. De là, Jaime reproduit le cri du hibou. Quelques instants plus tard, il reçoit la réponse d’une huppe.
Sole montrera un papier qu’elle a ramassé sur un arbre uniquement quand ils seront entrés dans la maison, et elle répétera :
— Regarde !
Cela, elle le fera après avoir pris sa fille dans ses bras et après s’être assurée que la lésion à sa jambe ne l’oblige plus à boiter, et après qu’Elvira aura demandé des nouvelles de son grand-père et qu’Amalia l’aura rassurée en lui affirmant qu’il va bien.
[…]
Alors, oui, Jaime lira le papier que Sole le prie de regarder, l’un des milliers de tracts que l’armée a semés dans les montagnes pour faire passer le message que le pardon est garanti aux fugitifs qui se livreront et qui n’auront pas de sang sur les mains, alors que pour les autres, ce sera un enterrement en terre consacrée, avec une bénédiction chrétienne.
[…]
Suspendu au-dessus du feu, un chaudron fume. Elvire s’approche du foyer et hume l’arôme des haricots au chorizo tout en réchauffant ses mains devant les flammes. Mateo la suit, comme si l’odeur était une corde qui le tirait pour le traîner vers le ragoût.
[…]
Sur la table, une jolie miche de pain attend les nouveaux arrivants. Mateo s’assied en premier. Il noue une serviette autour de son cou, manifestement tout disposé à déguster ses haricots sans patienter jusqu'à ce que les autres prennent place à leur tour. Amalia lui emplit son assiette jusqu’à ras bord ; il trempe des morceaux de pain dedans. Il soupire et se lèche les doigts.
Au cours du dîner, les deux camarades arrivés le matin pour accompagner Sole et Amalia jusqu’en France mettront leur compagnons au courant de l’optimisme qui souffle sur la gauche espagnole en exil.
Tout disposés à croire que relèvement de la République est là, Jaime, Mateo et Elvira empliront leurs sacs à dos de provisions. Celui d’Elvira sera plein de couvertures, confectionnées à la prison de Ventas, tandis que ceux de Mateo et Jaime contiendront les victuailles qu’ils auront généreusement payées à leur contact. Le soir même, ils porteront le tout au campement.
***
La traduction que je vous propose :
La nuit accompagne les pas de deux hommes et de deux femmes qui se dirigent en silence vers la maison où Amalia attend sa mère. Tous les quatre avancent en recherchant l’abri des buissons ; ils se cachent de l’intense luminosité de la lune. Veste Noire est en tête de cortège, suivi de Sole et Elvira, tandis que Mateo ferme la marche. Éparpillés par terre et accrochés ici ou là à la branche d’un des rares arbres, des feuilles de papier, en grande quantité, émergent du noir par leur couleur blanche.
— Regarde.
Mateo presse la sage-femme de Peñaranda de Bracamonte, lui ordonne de se remettre en marche et de garder le silence. Le ton de sa voix est clairement teinté de reproche. Au cours des marches, il est interdit de parler – formellement interdit. Jaime tourne la tête dans leur direction et porte son index à ses lèvres. Ils sont à présent dans les environs de Galapagar. Veste Noire ôte son fusil de son épaule, observe, au loin, la première maison sur la droite, à quelque dix mètres d’une grange à foin. Il guette le signal lumineux leur indiquant qu’ils peuvent approcher. Oui, la lumière clignote deux fois. Il reste allumée un moment puis clignote de nouveau. Nos quatre personnages se mettent alors courir, en file indienne, et viennent se cacher sous le toit de la grange à foin. De là, Jaime reproduit le cri du hibou. Quelques instants plus tard, il reçoit la réponse d’une huppe.
Sole montrera un papier qu’elle a ramassé sur un arbre uniquement quand ils seront entrés dans la maison, et elle répétera :
— Regarde !
Cela, elle le fera après avoir pris sa fille dans ses bras et après s’être assurée que la lésion à sa jambe ne l’oblige plus à boiter, et après qu’Elvira aura demandé des nouvelles de son grand-père et qu’Amalia l’aura rassurée en lui affirmant qu’il va bien.
[…]
Alors, oui, Jaime lira le papier que Sole le prie de regarder, l’un des milliers de tracts que l’armée a semés dans les montagnes pour faire passer le message que le pardon est garanti aux fugitifs qui se livreront et qui n’auront pas de sang sur les mains, alors que pour les autres, ce sera un enterrement en terre consacrée, avec une bénédiction chrétienne.
[…]
Suspendu au-dessus du feu, un chaudron fume. Elvire s’approche du foyer et hume l’arôme des haricots au chorizo tout en réchauffant ses mains devant les flammes. Mateo la suit, comme si l’odeur était une corde qui le tirait pour le traîner vers le ragoût.
[…]
Sur la table, une jolie miche de pain attend les nouveaux arrivants. Mateo s’assied en premier. Il noue une serviette autour de son cou, manifestement tout disposé à déguster ses haricots sans patienter jusqu'à ce que les autres prennent place à leur tour. Amalia lui emplit son assiette jusqu’à ras bord ; il trempe des morceaux de pain dedans. Il soupire et se lèche les doigts.
Au cours du dîner, les deux camarades arrivés le matin pour accompagner Sole et Amalia jusqu’en France mettront leur compagnons au courant de l’optimisme qui souffle sur la gauche espagnole en exil.
Tout disposés à croire que relèvement de la République est là, Jaime, Mateo et Elvira empliront leurs sacs à dos de provisions. Celui d’Elvira sera plein de couvertures, confectionnées à la prison de Ventas, tandis que ceux de Mateo et Jaime contiendront les victuailles qu’ils auront généreusement payées à leur contact. Le soir même, ils porteront le tout au campement.
***
Sonita nous propose sa traduction :
La nuit accompagne les pas de deux hommes et deux femmes qui se dirigent en silence vers la maison où Amalia attend sa mère. Ils marchent les quatre en quête de l’abri des fourrés, se cachant de l’éclat de la lune. Chaqueta Negra est en tête de la marche suivi de Sole et d’Elvira, et Mateo la clôt. Éparpillées par terre et suspendues aux branches des quelques rares arbres, de nombreuses feuilles de papier se font remarquer par leur couleur blanche.
— Regarde.
Mateo presse la sage-femme de Peñaranda de Bracamonte, lui ordonne de continuer à marcher et de garder le silence. Dans le ton de sa voix on devine un reproche. Pendant les marches, il est interdit de parler, catégoriquement interdit. Jaime tourne la tête vers eux et porte l’index aux lèvres. Ils se trouvent déjà dans les environs de Galapagar. Chaqueta Negra décroche son fusil de l’épaule et observe au loin la première maison qui est à droite, à environ dix mètres d’un grenier à paille. Il cherche le signe lumineux qui leur indique qu’ils peuvent s’en approcher. Oui, la lumière cligne deux fois. Demeure allumée et cligne à nouveau. Les quatre courent discrètement, l’un derrière l’autre, et ils se cachent sous la toiture du grenier de paille. Depuis le grenier Jaime émet le son d’un hibou. Au bout de quelques instants une huppe lui répond.
Ce n’est que quand ils seront entrés dans la maison que Sole leur montrera un papier qu’elle a ramassé dans un arbre et redira :
— Regarde.
Ce sera après qu’elle ait embrassé sa fille et ait vérifié que la lésion dans sa jambe ne l’oblige plus à boiter, et après qu’Elvira ait demandé des nouvelles de son grand-père et qu’Amalia lui ait dit qu’il allait bien.
[…]
Alors Jaime lira le papier que Sole lui prie de lire. L’un des milliers de tracts que l’armée a jetés dans les monts, sur lesquels on assure le pardon de ceux qui se rendent et n’aient pas les mains tachées de sang et un enterrement dans la terre sacrée avec le rite chrétien à tous les autres.
[…]
Suspendu au-dessus du feu, un chaudron fume. Elvira se rapproche du foyer et aspire l’arome des haricots avec le chorizo pendant qu’elle se chauffe les mains avec les flammes. Mateo la suit comme si l’odeur était une corde qui le tirait et le traînait jusqu’au ragoût.
[…]
Sur la table, une belle miche de pain attendait ceux qui venaient d’arriver. Mateo s’assoie en premier. Il se noue une serviette au cou décidé à savourer les haricots sans attendre que les autres prennent place. Amalia lui remplit le plat à ras bord et il y trempe des morceaux de pain. Il soupire et se lèche les doigts.
Pendant le dîner, les deux camarades qui étaient arrivés le matin pour accompagner Sole et Amalia jusqu’en France mettront leurs compagnons au courant de l’optimisme qui respire la gauche espagnole exilée. L’Union Nationale Espagnole contemple la possibilité d’une invasion à travers les Pyrénées.
[…]
D’humeur décidée à croire à la récupération de la République, Jaime, Mateo et Elvira rempliront leurs sacs à dos de provisions. Celui d’Elvira ira plein de couvertures, confectionnées dans la prison de Ventas, et ceux de Mateo et Jaime chargeront de la nourriture qu’ils ont généreusement reçu pour leur cause. Cette même nuit ils les porteront jusqu’au campement.
La nuit accompagne les pas de deux hommes et deux femmes qui se dirigent en silence vers la maison où Amalia attend sa mère. Ils marchent les quatre en quête de l’abri des fourrés, se cachant de l’éclat de la lune. Chaqueta Negra est en tête de la marche suivi de Sole et d’Elvira, et Mateo la clôt. Éparpillées par terre et suspendues aux branches des quelques rares arbres, de nombreuses feuilles de papier se font remarquer par leur couleur blanche.
— Regarde.
Mateo presse la sage-femme de Peñaranda de Bracamonte, lui ordonne de continuer à marcher et de garder le silence. Dans le ton de sa voix on devine un reproche. Pendant les marches, il est interdit de parler, catégoriquement interdit. Jaime tourne la tête vers eux et porte l’index aux lèvres. Ils se trouvent déjà dans les environs de Galapagar. Chaqueta Negra décroche son fusil de l’épaule et observe au loin la première maison qui est à droite, à environ dix mètres d’un grenier à paille. Il cherche le signe lumineux qui leur indique qu’ils peuvent s’en approcher. Oui, la lumière cligne deux fois. Demeure allumée et cligne à nouveau. Les quatre courent discrètement, l’un derrière l’autre, et ils se cachent sous la toiture du grenier de paille. Depuis le grenier Jaime émet le son d’un hibou. Au bout de quelques instants une huppe lui répond.
Ce n’est que quand ils seront entrés dans la maison que Sole leur montrera un papier qu’elle a ramassé dans un arbre et redira :
— Regarde.
Ce sera après qu’elle ait embrassé sa fille et ait vérifié que la lésion dans sa jambe ne l’oblige plus à boiter, et après qu’Elvira ait demandé des nouvelles de son grand-père et qu’Amalia lui ait dit qu’il allait bien.
[…]
Alors Jaime lira le papier que Sole lui prie de lire. L’un des milliers de tracts que l’armée a jetés dans les monts, sur lesquels on assure le pardon de ceux qui se rendent et n’aient pas les mains tachées de sang et un enterrement dans la terre sacrée avec le rite chrétien à tous les autres.
[…]
Suspendu au-dessus du feu, un chaudron fume. Elvira se rapproche du foyer et aspire l’arome des haricots avec le chorizo pendant qu’elle se chauffe les mains avec les flammes. Mateo la suit comme si l’odeur était une corde qui le tirait et le traînait jusqu’au ragoût.
[…]
Sur la table, une belle miche de pain attendait ceux qui venaient d’arriver. Mateo s’assoie en premier. Il se noue une serviette au cou décidé à savourer les haricots sans attendre que les autres prennent place. Amalia lui remplit le plat à ras bord et il y trempe des morceaux de pain. Il soupire et se lèche les doigts.
Pendant le dîner, les deux camarades qui étaient arrivés le matin pour accompagner Sole et Amalia jusqu’en France mettront leurs compagnons au courant de l’optimisme qui respire la gauche espagnole exilée. L’Union Nationale Espagnole contemple la possibilité d’une invasion à travers les Pyrénées.
[…]
D’humeur décidée à croire à la récupération de la République, Jaime, Mateo et Elvira rempliront leurs sacs à dos de provisions. Celui d’Elvira ira plein de couvertures, confectionnées dans la prison de Ventas, et ceux de Mateo et Jaime chargeront de la nourriture qu’ils ont généreusement reçu pour leur cause. Cette même nuit ils les porteront jusqu’au campement.
Petite revue de presse
« L'inefficacité des politiques publiques maintient le Mexique dans la crise », Le Monde
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/11/27/l-inefficacite-des-politiques-publiques-maintient-le-mexique-dans-la-crise_1272979_1101386.html#ens_id=1273079
« La Catalogne, sabre au clair pour ses privilèges », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605315-la-catalogne-sabre-au-clair-pour-ses-privileges
« Chavez et Ahmadinejad posent en couple anti-impérialiste », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605191-chavez-et-ahmadinejad-posent-en-couple-anti-imperialiste
« L’herbe affole l’Amérique », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605105-l-herbe-affole-l-amerique
« Ahmadinejad vient compter ses soutiens en Amérique du Sud », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605047-ahmadinejad-vient-compter-ses-soutiens-en-amerique-du-sud
« La Catalogne se mobilise pour son autonomie », Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/international/2009/11/28/01003-20091128ARTFIG00207-la-catalogne-se-mobilise-pour-son-autonomie-.php
« Chavez veut faire avorter les nuages, un vieux fantasme », Rue 89
http://www.rue89.com/2009/11/25/chavez-veut-faire-avorter-les-nuages-vieux-fantasme-de-lhomme-127380
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/11/27/l-inefficacite-des-politiques-publiques-maintient-le-mexique-dans-la-crise_1272979_1101386.html#ens_id=1273079
« La Catalogne, sabre au clair pour ses privilèges », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605315-la-catalogne-sabre-au-clair-pour-ses-privileges
« Chavez et Ahmadinejad posent en couple anti-impérialiste », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605191-chavez-et-ahmadinejad-posent-en-couple-anti-imperialiste
« L’herbe affole l’Amérique », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605105-l-herbe-affole-l-amerique
« Ahmadinejad vient compter ses soutiens en Amérique du Sud », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101605047-ahmadinejad-vient-compter-ses-soutiens-en-amerique-du-sud
« La Catalogne se mobilise pour son autonomie », Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/international/2009/11/28/01003-20091128ARTFIG00207-la-catalogne-se-mobilise-pour-son-autonomie-.php
« Chavez veut faire avorter les nuages, un vieux fantasme », Rue 89
http://www.rue89.com/2009/11/25/chavez-veut-faire-avorter-les-nuages-vieux-fantasme-de-lhomme-127380
Atelier de traduction tutoré du mercredi 2 décembre
Ayant une réunion importante à 15h30, je vous verrai 2 heures seulement… Rassurez-vous, nous nous rattraperons une prochaine fois.
Exercice de version, 11
Este relato comienza un día de noviembre de 1938. Marta Camino llegó hasta el borde del agua, en el muelle en que debía atracar el correo de la Península. Su figurilla de adolescente se recortó un momento a contraluz, con la falda oscura y el jersey claro, de mangas cortas. El aliento del mar, muy ligero aquel día, le empujó los cabellos, que brillaban cortos, pajizos. Se puso la mano sobre los ojos, y toda su cara parecía anhelante y emocionada. El barco, en aquel momento, estaba dando la vuelta al espigón grande y entraba en el Puerto de la Luz.
La bahía espejeaba. Una niebla de luz difuminaba los contornos de los buques anclados y de algunos veleros con las inútiles velas lacias. La ciudad de Las Palmas, tendida al lado del mar, aparecía temblorosa, blanca, con sus jardines y sus palmeras.
El gran puerto había conocido días de más movimiento que aquellos de la guerra civil. De todas maneras, cajas de plátanos y tomates se apilaban en los muelles dispuestas al embarque. Olía a paja, a brea, a polvo y yodo marino.
Las sirenas del barco empezaron a oírse cortando aquel aire luminoso, asustando a las gaviotas. El buque se acercó lentamente en el mediodía. Venía, entre la Ciudad Jardín y el espigón grande, hacia la muchacha. Ella sintió que le latía con fuerza el corazón. El mar estaba tan calmado que, en algunos trozos, parecía sonrosarse como si allí abajo se desangrase alguien. Una barca de motor cruzó a lo lejos y su estela formaba una espuma lívida, una raya blanca en aquella calma.
El gran puerto había conocido días de más movimiento que aquellos de la guerra civil. De todas maneras, cajas de plátanos y tomates se apilaban en los muelles dispuestas al embarque. Olía a paja, a brea, a polvo y yodo marino.
Las sirenas del barco empezaron a oírse cortando aquel aire luminoso, asustando a las gaviotas. El buque se acercó lentamente en el mediodía. Venía, entre la Ciudad Jardín y el espigón grande, hacia la muchacha. Ella sintió que le latía con fuerza el corazón. El mar estaba tan calmado que, en algunos trozos, parecía sonrosarse como si allí abajo se desangrase alguien. Una barca de motor cruzó a lo lejos y su estela formaba una espuma lívida, una raya blanca en aquella calma.
Carmen Laforet, La isla y los demonios
***
Ce récit commence un jour de novembre 1938. Marta Camino arriva jusqu’au bord de l’eau, sur le quai où devait amarrer le courrier de la Péninsule. Sa petite silhouette d’adolescente se profilait un moment à contre-jour, avec la jupe foncée et le pull-over clair, à manches courtes. Le souffle de la mer, très léger ce jour là, décoiffa ses cheveux, qui brillaient courts, jaunes paille. Elle mit sa main sur ses yeux, et tout son visage semblait désireux et ému. Le bateau, à ce moment là, faisait le tour de la grande jetée et entrait dans le Port de la Lumière.
La baie miroitait. Un brouillard de lumière estompait les contours des navires ancrés et de quelques voiliers avec leurs inutiles voiles flétries. La ville Aux Palmiers, étendue à côté de la mer, apparaissait tremblante, blanche, avec ses jardins et ses palmiers.
Le grand port avait connu des journées plus mouvementées que celles de la guerre civile. De toute manière, des caisses de bananes et de tomates s’empilaient sur les quais, prêtes à l´embarquement. Ça sentait la paille, le brai, la poussière et l’iode marin.
Les sirènes du bateau commencèrent à se faire entendre en fendant cet air lumineux, faisant peur aux mouettes. Le navire s’approcha lentement dans le midi. Il venait, entre la Ville Jardin et la grande jetée, en direction de la jeune fille. Celle-ci sentit que son cœur battait très fort. La mer était devenue si calme que, en quelques morceaux, on aurait dit qu’elle rougissait comme si là-bas quelqu’un perdait tout son sang. Une barque à moteur croisa au loin et son sillage formait une écume livide, une ligne blanche dans ce calme.
La baie miroitait. Un brouillard de lumière estompait les contours des navires ancrés et de quelques voiliers avec leurs inutiles voiles flétries. La ville Aux Palmiers, étendue à côté de la mer, apparaissait tremblante, blanche, avec ses jardins et ses palmiers.
Le grand port avait connu des journées plus mouvementées que celles de la guerre civile. De toute manière, des caisses de bananes et de tomates s’empilaient sur les quais, prêtes à l´embarquement. Ça sentait la paille, le brai, la poussière et l’iode marin.
Les sirènes du bateau commencèrent à se faire entendre en fendant cet air lumineux, faisant peur aux mouettes. Le navire s’approcha lentement dans le midi. Il venait, entre la Ville Jardin et la grande jetée, en direction de la jeune fille. Celle-ci sentit que son cœur battait très fort. La mer était devenue si calme que, en quelques morceaux, on aurait dit qu’elle rougissait comme si là-bas quelqu’un perdait tout son sang. Une barque à moteur croisa au loin et son sillage formait une écume livide, une ligne blanche dans ce calme.
***
Ce récit commence un jour de novembre de 1938. Marta Camino arriva jusqu’au bord de l’eau, sur le quai où le courrier de la Péninsule devait accoster. Sa frimousse d’adolescente fut prise pendant un moment à contre-jour, avec la jupe foncée et le pull-over clair, à manches courtes. Le souffle de la mer, très léger ce jour-là, fit bouger ses cheveux courts et paillés, qui brillaient. Elle se mit la main sur les yeux, et tout son visage semblait désireux et enflammé. À cet instant-là, le bateau était en train de faire le tour de la jetée et entrait dans le Port de la Luz.
La baie miroitait. Un brouillard de lumière estompait les contours des bateaux ancrés et de quelques voiliers avec leurs inutiles voiles flétris. La ville de Las Palmas, étendue au bord de la mer, remerciait tremblante, blanche, avec ses jardins et ses palmiers.
Le grand port avait connu des jours de plus d’allées et venues que ceux pendant la guerre civile. De toute façon, des caisses de bananes et de tomates s’empilaient sur le quai disposées à l’embarquement. Ça sentait la paille, le brai, la poussière et l’iode marin. Les sirènes du bateau commencèrent à se faire entendre coupant ainsi cet air lumineux, effrayant les mouettes. Le navire se rapprocha lentement à midi. Il venait, entre la Ville Jardin et la grande jetée, vers la jeune fille. Elle sentit son cœur battre à toute vitesse. La mer était si calme que, à certains endroits, elle paraissait rougir comme si là-dessous quelqu’un se vidait de son sang. Une barque à moteur passa au loin et elle laissa dans son sillage une écume livide, une raie blanche dans ce calme.
Sonita nous propose sa traduction :
Ce récit commence un jour de novembre de 1938. Marta Camino arriva jusqu’au bord de l’eau, sur le quai où le courrier de la Péninsule devait accoster. Sa frimousse d’adolescente fut prise pendant un moment à contre-jour, avec la jupe foncée et le pull-over clair, à manches courtes. Le souffle de la mer, très léger ce jour-là, fit bouger ses cheveux courts et paillés, qui brillaient. Elle se mit la main sur les yeux, et tout son visage semblait désireux et enflammé. À cet instant-là, le bateau était en train de faire le tour de la jetée et entrait dans le Port de la Luz.
La baie miroitait. Un brouillard de lumière estompait les contours des bateaux ancrés et de quelques voiliers avec leurs inutiles voiles flétris. La ville de Las Palmas, étendue au bord de la mer, remerciait tremblante, blanche, avec ses jardins et ses palmiers.
Le grand port avait connu des jours de plus d’allées et venues que ceux pendant la guerre civile. De toute façon, des caisses de bananes et de tomates s’empilaient sur le quai disposées à l’embarquement. Ça sentait la paille, le brai, la poussière et l’iode marin. Les sirènes du bateau commencèrent à se faire entendre coupant ainsi cet air lumineux, effrayant les mouettes. Le navire se rapprocha lentement à midi. Il venait, entre la Ville Jardin et la grande jetée, vers la jeune fille. Elle sentit son cœur battre à toute vitesse. La mer était si calme que, à certains endroits, elle paraissait rougir comme si là-dessous quelqu’un se vidait de son sang. Une barque à moteur passa au loin et elle laissa dans son sillage une écume livide, une raie blanche dans ce calme.
vendredi 27 novembre 2009
Exercice d'écriture
Pour aujourd'hui, les apprenties traductrices devaient travailler sur le sujet suivant : « Prisonnière »
Laëtitia sw :
L’aube est rouge. Une tension palpable électrise la campagne. Il règne un silence anormal et pesant. Le temps semble comme suspendu. Des filets de lumière incandescente s’infiltrent par les fissures moisies et la frappent. Elle se réveille, le corps lourd et douloureux. Elle peine à se mouvoir. Sa tête est prête à exploser. Elle a l’impression qu’un étau lui comprime affreusement le crâne. Elle se débat pour faire émerger sa conscience. Soudain, les pensées de la veille l’assaillent ; la réalité, brutale, s’impose. Elle se souvient d’un terrible choc, puis, plus rien, le vide, d’un froid immense qui la tire, malgré elle, de son sommeil comateux, du coffre béant d’une voiture. Dans un sursaut, elle éprouve à nouveau le noir, l’exiguïté, l’asphyxie ; un cauchemar qu’elle a cru sans fin. Mais, au bout du tunnel, après une longue absence, l’attend une renaissance. Le tendre parfum de la paille fraîche et de la terre battue l’avait ramenée à la vie ; une vie précaire. Sa tête de plomb la faisait atrocement souffrir. Son corps ne lui obéissait plus. Alors, elle s’était traînée sur le sol, rampant telle une misérable créature, jusqu’à buter, au bout d’un temps infini, contre une paroi tiède, douce et odorante. Elle l’avait tâtée de ses mains écorchées, elle y avait promené son nez et sa bouche desséchée et elle avait reconnu le contact réconfortant du bois, de grosses planches vermoulues. Le dessin d’une grange avait émergé dans les vapeurs de son cerveau ; il l’avait emplie d’un grand soulagement et d’une lueur d’espoir. Elle avait rassemblé le peu d’énergie qui lui restait pour faire le tour de l’endroit, chercher une issue. Mais en vain. Cet exercice, à tâtons, dans l’obscurité la plus totale, lui avait paru interminable. Quand elle avait enfin rejoint le chandail qu’elle avait coincé dans une rainure, en signe de reconnaissance, il lui avait semblé qu’une éternité s’était écoulée. Elle avait senti un profond découragement l’envahir et ses dernières forces l’abandonner. Cet ultime effort l’avait épuisée. Elle n’avait pas pu résister aux flots de la torpeur qui la submergeaient. Ne pas sombrer, ne pas...
Désormais, malgré sa faiblesse, elle perçoit avec acuité les images de la veille, tels des flashes qui se succèdent à toute vitesse, fulgurants et précis. Elle sent une effroyable angoisse lui monter dans la poitrine. Comment arrêter la folle fuite de son esprit ? Tout à coup, une rumeur lointaine déchire le calme des lieux. Elle se rapproche, se précise, enfle jusqu’à devenir un bourdonnement mêlé de moteurs et de voix. Fatalement, elle se résigne. Les secondes tragiques s’accélèrent. Plus d’espoir. Seule une fatigue écrasante, un mauvais rêve. Une forte odeur d’essence la saisit ; elle lui arrache le cœur. Déjà, le bois crépite.
Laëtitia sw :
L’aube est rouge. Une tension palpable électrise la campagne. Il règne un silence anormal et pesant. Le temps semble comme suspendu. Des filets de lumière incandescente s’infiltrent par les fissures moisies et la frappent. Elle se réveille, le corps lourd et douloureux. Elle peine à se mouvoir. Sa tête est prête à exploser. Elle a l’impression qu’un étau lui comprime affreusement le crâne. Elle se débat pour faire émerger sa conscience. Soudain, les pensées de la veille l’assaillent ; la réalité, brutale, s’impose. Elle se souvient d’un terrible choc, puis, plus rien, le vide, d’un froid immense qui la tire, malgré elle, de son sommeil comateux, du coffre béant d’une voiture. Dans un sursaut, elle éprouve à nouveau le noir, l’exiguïté, l’asphyxie ; un cauchemar qu’elle a cru sans fin. Mais, au bout du tunnel, après une longue absence, l’attend une renaissance. Le tendre parfum de la paille fraîche et de la terre battue l’avait ramenée à la vie ; une vie précaire. Sa tête de plomb la faisait atrocement souffrir. Son corps ne lui obéissait plus. Alors, elle s’était traînée sur le sol, rampant telle une misérable créature, jusqu’à buter, au bout d’un temps infini, contre une paroi tiède, douce et odorante. Elle l’avait tâtée de ses mains écorchées, elle y avait promené son nez et sa bouche desséchée et elle avait reconnu le contact réconfortant du bois, de grosses planches vermoulues. Le dessin d’une grange avait émergé dans les vapeurs de son cerveau ; il l’avait emplie d’un grand soulagement et d’une lueur d’espoir. Elle avait rassemblé le peu d’énergie qui lui restait pour faire le tour de l’endroit, chercher une issue. Mais en vain. Cet exercice, à tâtons, dans l’obscurité la plus totale, lui avait paru interminable. Quand elle avait enfin rejoint le chandail qu’elle avait coincé dans une rainure, en signe de reconnaissance, il lui avait semblé qu’une éternité s’était écoulée. Elle avait senti un profond découragement l’envahir et ses dernières forces l’abandonner. Cet ultime effort l’avait épuisée. Elle n’avait pas pu résister aux flots de la torpeur qui la submergeaient. Ne pas sombrer, ne pas...
Désormais, malgré sa faiblesse, elle perçoit avec acuité les images de la veille, tels des flashes qui se succèdent à toute vitesse, fulgurants et précis. Elle sent une effroyable angoisse lui monter dans la poitrine. Comment arrêter la folle fuite de son esprit ? Tout à coup, une rumeur lointaine déchire le calme des lieux. Elle se rapproche, se précise, enfle jusqu’à devenir un bourdonnement mêlé de moteurs et de voix. Fatalement, elle se résigne. Les secondes tragiques s’accélèrent. Plus d’espoir. Seule une fatigue écrasante, un mauvais rêve. Une forte odeur d’essence la saisit ; elle lui arrache le cœur. Déjà, le bois crépite.
***
Amélie, 1 :
« Prisonnière ». Dès que j’ai parlé à ma mère du sujet d’écriture de la semaine, elle s’est souvenue d’une anecdote.
Quand j’étais petite, ma mamie avait la fâcheuse manie de retirer le siège en paille des chaises de la cuisine pour aller les battre dehors, afin de retirer les miettes restées coincées entre les brins. Un jour où j’étais en vacances chez mes grands-parents, et tandis que mon papy faisait la vaisselle, je suis montée dans ma chambre chercher un coloriage, puis je suis retournée dans la cuisine : je ne voulais pas dessiner seule dans mon coin. J’imagine que je devais discuter avec mon papy en m’attablant, ce qui expliquerait que, distraite, j’ai voulu m’asseoir, sans penser que ma mamie était sortie de la pièce, emportant avec elle l’objet de mon désir : l’assise. Ce qui devait arriver arriva, je me suis rendue compte trop tard qu’il y avait un problème, et je suis tombée au travers de la chaise, les fesses les premières. Quand ma mamie est revenue, elle a poussé un cri : la seule chose qu’elle voyait au-dessus de la table, c’était mes jambes et mes bras qui gigotaient. La stupeur passée, nous sommes tous les trois partis d’un fou rire, qui ne m’a pas aidée à m’extirper de cette situation : j’étais bel et bien prisonnière de la chaise !
Amélie, 2 :
La lueur du jour pointe à travers les volets. J’ouvre un œil, je m’étire, et tâte le bord de mon lit pour trouver l’interrupteur de ma lampe de chevet. Aujourd’hui est un grand jour, je vais me marier. J’espère que la nuit n’aura pas fait trop de ravages dans mes cheveux, j’entends d’ici les railleries de ceux qui m’avaient déconseillé d’aller chez le coiffeur la veille du jour J. Je ne sais pas où est passé ce fichu bouton, tant pis, je me lève. Après tout, je dors dans cette chambre depuis ma naissance, je dois être capable de trouver la porte, même dans la pénombre… Le sol est froid sous mes pieds, comme s’il était mouillé : sûrement un genre de bizutage, c’est signé ! Dans tout ça, je n’ai toujours pas vérifié si ma coiffure était intacte : je passe ma main sur ma tête, oh non, une pince est sortie de sa place… attends voir, mais c’est quoi ce truc ? C’est pas une pince… c’est… c’est… des OREILLES !
Je sors en criant de ma chambre qui, vous l’aurez compris, n’est rien d’autre qu’une grotte infâme aux parois suintantes. En fait de cri humain, c’est un grognement qui sort de ma bouche –devrais-je dire, ma gueule–, dont les montagnes environnantes se font l’écho quelques secondes plus tard. Je nage en plein délire, un délire digne des plus grands cinéastes, je suis prisonnière dans la peau d’un ours, le jour de mon mariage ! Ça vous fait rire ? Eh bien, pas moi, je peux vous assurer, parce qu’à mon avis, la robe que j’ai choisi sera un poil trop petite, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots ! Bon sang, me voilà bien maintenant… Je sors de la grotte, pour tenter de retrouver un semblant de civilisation : j’aurais préféré m’abstenir. A l’extérieur règne le chaos le plus total, je me retrouve dans une sorte de forêt vierge peuplée d’animaux sauvages –ce qui, effectivement, est souvent le cas dans les forêts vierges–, il pleut des trombes d’eau et des éclairs déchirent le ciel. C’est pas ça qui va arranger ma coiffure ! Ah mais non, c’est vrai qu’elle s’est transformée en deux charmantes petites oreilles recouvertes d’un duvet marron qui, il faut bien l’avouer, me va très bien au teint. Je ne comprends pas ce qui se passe, et ne me rends pas encore compte que je vais devoir passer les prochaines années de ma vie dans cette peau… nauséabonde. Mes ongles manucurés ont tellement poussés qu’ils se sont faits griffes, pour l’épilation, j’ai dû rater un épisode, quant à mon régime : sans commentaire !
Je me redresse pour essayer d’y voir plus clair ! Avez-vous déjà remarqué comme un ours est ridicule quand il se met debout ? Si si, faites un effort d’imagination… Là, ça y est, vous y êtes ? Donc je suis là, sur mes pattes arrières, à essayer de garder l’équilibre quand…
— Non, non, mais ça ne va pas du tout là. Le concept Fiona qui se transforme en monstre à la pleine lune, c’est dépassé ! Nous on veut du neuf, de l’original, de l’inédit. Au suivant !
« Prisonnière ». Dès que j’ai parlé à ma mère du sujet d’écriture de la semaine, elle s’est souvenue d’une anecdote.
Quand j’étais petite, ma mamie avait la fâcheuse manie de retirer le siège en paille des chaises de la cuisine pour aller les battre dehors, afin de retirer les miettes restées coincées entre les brins. Un jour où j’étais en vacances chez mes grands-parents, et tandis que mon papy faisait la vaisselle, je suis montée dans ma chambre chercher un coloriage, puis je suis retournée dans la cuisine : je ne voulais pas dessiner seule dans mon coin. J’imagine que je devais discuter avec mon papy en m’attablant, ce qui expliquerait que, distraite, j’ai voulu m’asseoir, sans penser que ma mamie était sortie de la pièce, emportant avec elle l’objet de mon désir : l’assise. Ce qui devait arriver arriva, je me suis rendue compte trop tard qu’il y avait un problème, et je suis tombée au travers de la chaise, les fesses les premières. Quand ma mamie est revenue, elle a poussé un cri : la seule chose qu’elle voyait au-dessus de la table, c’était mes jambes et mes bras qui gigotaient. La stupeur passée, nous sommes tous les trois partis d’un fou rire, qui ne m’a pas aidée à m’extirper de cette situation : j’étais bel et bien prisonnière de la chaise !
Amélie, 2 :
La lueur du jour pointe à travers les volets. J’ouvre un œil, je m’étire, et tâte le bord de mon lit pour trouver l’interrupteur de ma lampe de chevet. Aujourd’hui est un grand jour, je vais me marier. J’espère que la nuit n’aura pas fait trop de ravages dans mes cheveux, j’entends d’ici les railleries de ceux qui m’avaient déconseillé d’aller chez le coiffeur la veille du jour J. Je ne sais pas où est passé ce fichu bouton, tant pis, je me lève. Après tout, je dors dans cette chambre depuis ma naissance, je dois être capable de trouver la porte, même dans la pénombre… Le sol est froid sous mes pieds, comme s’il était mouillé : sûrement un genre de bizutage, c’est signé ! Dans tout ça, je n’ai toujours pas vérifié si ma coiffure était intacte : je passe ma main sur ma tête, oh non, une pince est sortie de sa place… attends voir, mais c’est quoi ce truc ? C’est pas une pince… c’est… c’est… des OREILLES !
Je sors en criant de ma chambre qui, vous l’aurez compris, n’est rien d’autre qu’une grotte infâme aux parois suintantes. En fait de cri humain, c’est un grognement qui sort de ma bouche –devrais-je dire, ma gueule–, dont les montagnes environnantes se font l’écho quelques secondes plus tard. Je nage en plein délire, un délire digne des plus grands cinéastes, je suis prisonnière dans la peau d’un ours, le jour de mon mariage ! Ça vous fait rire ? Eh bien, pas moi, je peux vous assurer, parce qu’à mon avis, la robe que j’ai choisi sera un poil trop petite, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots ! Bon sang, me voilà bien maintenant… Je sors de la grotte, pour tenter de retrouver un semblant de civilisation : j’aurais préféré m’abstenir. A l’extérieur règne le chaos le plus total, je me retrouve dans une sorte de forêt vierge peuplée d’animaux sauvages –ce qui, effectivement, est souvent le cas dans les forêts vierges–, il pleut des trombes d’eau et des éclairs déchirent le ciel. C’est pas ça qui va arranger ma coiffure ! Ah mais non, c’est vrai qu’elle s’est transformée en deux charmantes petites oreilles recouvertes d’un duvet marron qui, il faut bien l’avouer, me va très bien au teint. Je ne comprends pas ce qui se passe, et ne me rends pas encore compte que je vais devoir passer les prochaines années de ma vie dans cette peau… nauséabonde. Mes ongles manucurés ont tellement poussés qu’ils se sont faits griffes, pour l’épilation, j’ai dû rater un épisode, quant à mon régime : sans commentaire !
Je me redresse pour essayer d’y voir plus clair ! Avez-vous déjà remarqué comme un ours est ridicule quand il se met debout ? Si si, faites un effort d’imagination… Là, ça y est, vous y êtes ? Donc je suis là, sur mes pattes arrières, à essayer de garder l’équilibre quand…
— Non, non, mais ça ne va pas du tout là. Le concept Fiona qui se transforme en monstre à la pleine lune, c’est dépassé ! Nous on veut du neuf, de l’original, de l’inédit. Au suivant !
***
Coralie :
Prisonnière. Du destin. Cela commence avant la naissance, personne ne nous donne à choisir entre être un homme ou une femme. C’est à partir de ce détail que toute notre vie sera conditionnée. Le garçon jouera aux petites voitures et à la guerre, et nous, les filles, à la poupée, à la dinette, à la petite ménagère. Qui n’a pas reçu pour Noël une cuisinière, ou l’étal de la marchande, ou encore un adorable poupon dont il faut s’occuper comme d’un vrai nourrisson ? Dès notre plus tendre enfance, on nous apprend à devenir de parfaites maîtresses de maison, des femmes exemplaires, capables de satisfaire les moindres désirs d’un gentil mari. Dès le plus jeune âge, nous nous retrouvons prisonnières de tous les principes incombant à la gent féminine. Une jeune fille doit être polie, sage, coquette (mais pas trop), elle doit rester présentable dans toutes les situations, elle ne doit en aucun cas dire de grossièretés, ni même se faire remarquer. Pourquoi les fillettes veulent-elles toutes, ou presque (quelques insoumises résistent), faire de la danse ou de la gymnastique ? Et porter un tutu rose ? Ce n’est pas une raison génétique mais plutôt historique : la femme, symbole de la grâce, doit savoir danser. Il va alors de soi que si l’une d’entre nous sort du droit chemin, si elle ose, ne serait-ce que, pratiquer un sport dit masculin, les plus tolérants s’étonneront, ne comprenant pas comment un si petit bout de femme peut s’adonner à un loisir si violent, et les plus sectaires s’indigneront, crieront au scandale : « une fille n’a pas sa place sur un ring et encore moins sur une moto ! ». Oui ! Nous sommes bien au vingt-et-unième siècle ! Et au-delà des loisirs, les femmes qui choisissent d’exercer un métier d’homme ne cessent de surprendre et de choquer. Une femme chauffeur-routier n’est pas vraiment une femme, une femme maçon ne peut pas correctement faire son travail, elle n’en a pas les capacités physiques… Et sait-elle, au moins, monter un mur ? Une femme à la tête d’une équipe, même mixte, aura toujours des difficultés à asseoir son autorité. Pourtant, les mentalités évoluent. On le sait, de plus en plus de pères prennent un congé paternité, de plus en plus de femmes préfèrent faire carrière avant de devenir mère, mais on ne refond pas les moules.
Il faut tout de même avouer que nous sommes enfermées dans une belle prison dorée et que d’autres femmes dans le monde, dans d’autres sociétés, rêveraient de notre cellule et de toutes les libertés qu’elle offre. Nous, européennes, avons trouvé les clés de notre vieux cachot sombre, il ne nous reste, maintenant, qu’à les tendre à toutes ces prisonnières, les vraies.
Prisonnière. Du destin. Cela commence avant la naissance, personne ne nous donne à choisir entre être un homme ou une femme. C’est à partir de ce détail que toute notre vie sera conditionnée. Le garçon jouera aux petites voitures et à la guerre, et nous, les filles, à la poupée, à la dinette, à la petite ménagère. Qui n’a pas reçu pour Noël une cuisinière, ou l’étal de la marchande, ou encore un adorable poupon dont il faut s’occuper comme d’un vrai nourrisson ? Dès notre plus tendre enfance, on nous apprend à devenir de parfaites maîtresses de maison, des femmes exemplaires, capables de satisfaire les moindres désirs d’un gentil mari. Dès le plus jeune âge, nous nous retrouvons prisonnières de tous les principes incombant à la gent féminine. Une jeune fille doit être polie, sage, coquette (mais pas trop), elle doit rester présentable dans toutes les situations, elle ne doit en aucun cas dire de grossièretés, ni même se faire remarquer. Pourquoi les fillettes veulent-elles toutes, ou presque (quelques insoumises résistent), faire de la danse ou de la gymnastique ? Et porter un tutu rose ? Ce n’est pas une raison génétique mais plutôt historique : la femme, symbole de la grâce, doit savoir danser. Il va alors de soi que si l’une d’entre nous sort du droit chemin, si elle ose, ne serait-ce que, pratiquer un sport dit masculin, les plus tolérants s’étonneront, ne comprenant pas comment un si petit bout de femme peut s’adonner à un loisir si violent, et les plus sectaires s’indigneront, crieront au scandale : « une fille n’a pas sa place sur un ring et encore moins sur une moto ! ». Oui ! Nous sommes bien au vingt-et-unième siècle ! Et au-delà des loisirs, les femmes qui choisissent d’exercer un métier d’homme ne cessent de surprendre et de choquer. Une femme chauffeur-routier n’est pas vraiment une femme, une femme maçon ne peut pas correctement faire son travail, elle n’en a pas les capacités physiques… Et sait-elle, au moins, monter un mur ? Une femme à la tête d’une équipe, même mixte, aura toujours des difficultés à asseoir son autorité. Pourtant, les mentalités évoluent. On le sait, de plus en plus de pères prennent un congé paternité, de plus en plus de femmes préfèrent faire carrière avant de devenir mère, mais on ne refond pas les moules.
Il faut tout de même avouer que nous sommes enfermées dans une belle prison dorée et que d’autres femmes dans le monde, dans d’autres sociétés, rêveraient de notre cellule et de toutes les libertés qu’elle offre. Nous, européennes, avons trouvé les clés de notre vieux cachot sombre, il ne nous reste, maintenant, qu’à les tendre à toutes ces prisonnières, les vraies.
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Émeline :
Prisonnière.
Quand je suis arrivée, j’avais demandé du papier et un crayon. Ce qu’on ne m’a pas donné. Je me suis donc retrouvée seule face à ces murs blancs, ce lit fait au carré avec ses draps blancs et sa couverture marron, cette table et cette chaise en métal, ce lavabo blanc et cette cuvette blanche elle aussi. Dans mon uniforme blanc, je me suis retrouvée seule face à moi-même. Le premier jour, on m’a donné une brosse et un élastique pour mes cheveux. « Non, pas de miroir, tu pourrais te trancher les veines » m’avait-on dit. « Quand t’auras tes règles tu nous préviendras, on te donnera ce qu’il faut ». Je m’étais assise sur le lit avec ma brosse dans la main et l’élastique autour du poignet, à regarder le mur en face de moi. Je ne supporte pas le blanc. Une semaine après, face à ma sérénité affichée et mon calme flagrant, on m’avait accordé pendant une heure de quoi dessiner, et un bout de scotch. J’avais fait le portrait de ma mère. Je l’avais accroché au dessus du lavabo. La semaine suivante, j’avais voulu crayonner mon père. Mais l’image dans ma tête était trop floue. Rien de plus sur les murs cette semaine là. Puis petit à petit, lasse de tirer des portraits, je suis passée aux paysages. Un peu de vie sur mes murs, un endroit dans lequel me promener. Je me sentais moins seule. A mesure que les semaines passaient, on m’accordait plus de temps pour mes rêveries picturales. Puis un jour, une autre fille est venue me voir pour que je lui dessine un tatouage, avec des fleurs, des courbes et un oiseau. J’ai mis plusieurs semaines à le dessiner. Plusieurs semaines durant lesquelles plus rien ne venait tapisser mon mur. Elle en a été contente. Je me dis que mon dessin est maintenant sur quelqu’un, je suis gravée dans sa peau. Elle se souviendra de moi. Elle est sortie quelques jours après que je lui ai remis le dessin. Elle m’a dit merci, m’a fait la bise et est sortie. La gardienne a souri. Je suis retournée dans mon carré qui n’était presque plus blanc. Je me suis allongée sur le lit et je me suis dit que mon seul moyen d’évasion était de dessiner pour les autres, pour qu’elles sortent mes dessins de ces murs, pour que je vive à l’extérieur. J’ai demandé à téléphoner à ma mère. Je lui ai dit que j’allais bien, qu’elle pouvait venir me voir si elle voulait. Elle est venue. Je lui ai donné son portrait et je lui ai montré quelques paysages. Elle a pleuré. En partant elle s’est retournée et m’a souri.
Prisonnière.
Quand je suis arrivée, j’avais demandé du papier et un crayon. Ce qu’on ne m’a pas donné. Je me suis donc retrouvée seule face à ces murs blancs, ce lit fait au carré avec ses draps blancs et sa couverture marron, cette table et cette chaise en métal, ce lavabo blanc et cette cuvette blanche elle aussi. Dans mon uniforme blanc, je me suis retrouvée seule face à moi-même. Le premier jour, on m’a donné une brosse et un élastique pour mes cheveux. « Non, pas de miroir, tu pourrais te trancher les veines » m’avait-on dit. « Quand t’auras tes règles tu nous préviendras, on te donnera ce qu’il faut ». Je m’étais assise sur le lit avec ma brosse dans la main et l’élastique autour du poignet, à regarder le mur en face de moi. Je ne supporte pas le blanc. Une semaine après, face à ma sérénité affichée et mon calme flagrant, on m’avait accordé pendant une heure de quoi dessiner, et un bout de scotch. J’avais fait le portrait de ma mère. Je l’avais accroché au dessus du lavabo. La semaine suivante, j’avais voulu crayonner mon père. Mais l’image dans ma tête était trop floue. Rien de plus sur les murs cette semaine là. Puis petit à petit, lasse de tirer des portraits, je suis passée aux paysages. Un peu de vie sur mes murs, un endroit dans lequel me promener. Je me sentais moins seule. A mesure que les semaines passaient, on m’accordait plus de temps pour mes rêveries picturales. Puis un jour, une autre fille est venue me voir pour que je lui dessine un tatouage, avec des fleurs, des courbes et un oiseau. J’ai mis plusieurs semaines à le dessiner. Plusieurs semaines durant lesquelles plus rien ne venait tapisser mon mur. Elle en a été contente. Je me dis que mon dessin est maintenant sur quelqu’un, je suis gravée dans sa peau. Elle se souviendra de moi. Elle est sortie quelques jours après que je lui ai remis le dessin. Elle m’a dit merci, m’a fait la bise et est sortie. La gardienne a souri. Je suis retournée dans mon carré qui n’était presque plus blanc. Je me suis allongée sur le lit et je me suis dit que mon seul moyen d’évasion était de dessiner pour les autres, pour qu’elles sortent mes dessins de ces murs, pour que je vive à l’extérieur. J’ai demandé à téléphoner à ma mère. Je lui ai dit que j’allais bien, qu’elle pouvait venir me voir si elle voulait. Elle est venue. Je lui ai donné son portrait et je lui ai montré quelques paysages. Elle a pleuré. En partant elle s’est retournée et m’a souri.
***
Chloé :
Au fait, je t’ai pas dit, mais la semaine dernière, j’ai obtenu un entretien au Milo’s café. Le patron m’a rappelé aujourd’hui, et c’est bon, ils me prennent pour la saison ! C’est super, non ? Je vais pouvoir me faire un peu de fric et économiser pour t’offrir le voyage de tes rêves !
Super. Vraiment super. Et tu comptes me transporter comment ?
Qu’est-ce que tu penses de la Thaïlande ? Du soleil, des îles paradisiaques…
Vas-y, vas-y, continues. Si tu viens ici pour me foutre le moral à zéro, t’as tout gagné !
Ma chérie, si tu savais comme il me tarde que tu te réveilles. C’est dur sans toi. Chaque jour j’espère que l’hosto va m’appeler pour me dire que t’as ouvert les yeux, qu’on va pouvoir reprendre une vie normale, tout les deux…
Et allez, encore à chouiner. Tu crois que je n’ai pas assez de peine peut-être ? Tu crois que je ne souffre pas assez d’être prisonnière de ce corps ? De t’écouter tous les jours, pleurer à mon chevet, sans pouvoir bouger, ni émettre le moindre son ? Tu penses sans doute que c’est plus difficile pour toi ?
Bon, il faut que j’y aille, je peux plus me permettre de manquer un seul cours. Je reviens demain, comme d’habitude. Je t’aime ma chérie.
Toujours à fuir les moments douloureux, hein ? Vas-y, abandonne-moi espèce de lâche. Même pas capable d’être courageux pour sa petite copine comateuse !
Arrgh ! J’en peux plus de cet état ! Et cette obscurité ! Toujours ce noir impénétrable ! Ça doit faire des mois que j’ai pas vu la lumière du jour, que j’ai pas posé un pied sur le sol. Qu’est-ce j’aimerai pouvoir me promener, sentir les rayons du soleil sur ma peau, les pavés du vieux Bordeaux sous mes semelles, pouvoir observer les passants et les différentes nuances de couleurs de cette masse déambulant dans la Rue Sainte Catherine, sentir l’odeur du thé à la menthe de la Place Saint Michel et retrouver le goût de ces délicieuses pâtisseries sous ma langue. Et au lieu de ça, je suis coincée là, prisonnière de ce corps inerte, ne pouvant rien faire d’autre qu’écouter ces conversations à sens unique de gens qui viennent me voir seulement pour se donner bonne conscience. Et toi, tu restes fidèle à ce rendez-vous quotidien, tu me tortures un peu plus chaque jour. Car oui, c’est un supplice pour moi, de t’entendre, de te savoir si près de moi, sans pouvoir te toucher, t’embrasser, te voir sourire, ni même te parler. Petit à petit, je suis rongée par la colère, envahie par ce sentiment d’injustice : je n’ai même pas eu droit à la mort ! Je suis condamnée à attendre en silence alors que l’envie de hurler me brûle. Et tu me parles de Thaïlande, quand je n’ai que ma pensée pour voyager et pour être libre.
Tu t’imagines certainement que je ne ressens plus rien… Mais si tu savais, le coma c’est la pire des prisons.
Au fait, je t’ai pas dit, mais la semaine dernière, j’ai obtenu un entretien au Milo’s café. Le patron m’a rappelé aujourd’hui, et c’est bon, ils me prennent pour la saison ! C’est super, non ? Je vais pouvoir me faire un peu de fric et économiser pour t’offrir le voyage de tes rêves !
Super. Vraiment super. Et tu comptes me transporter comment ?
Qu’est-ce que tu penses de la Thaïlande ? Du soleil, des îles paradisiaques…
Vas-y, vas-y, continues. Si tu viens ici pour me foutre le moral à zéro, t’as tout gagné !
Ma chérie, si tu savais comme il me tarde que tu te réveilles. C’est dur sans toi. Chaque jour j’espère que l’hosto va m’appeler pour me dire que t’as ouvert les yeux, qu’on va pouvoir reprendre une vie normale, tout les deux…
Et allez, encore à chouiner. Tu crois que je n’ai pas assez de peine peut-être ? Tu crois que je ne souffre pas assez d’être prisonnière de ce corps ? De t’écouter tous les jours, pleurer à mon chevet, sans pouvoir bouger, ni émettre le moindre son ? Tu penses sans doute que c’est plus difficile pour toi ?
Bon, il faut que j’y aille, je peux plus me permettre de manquer un seul cours. Je reviens demain, comme d’habitude. Je t’aime ma chérie.
Toujours à fuir les moments douloureux, hein ? Vas-y, abandonne-moi espèce de lâche. Même pas capable d’être courageux pour sa petite copine comateuse !
Arrgh ! J’en peux plus de cet état ! Et cette obscurité ! Toujours ce noir impénétrable ! Ça doit faire des mois que j’ai pas vu la lumière du jour, que j’ai pas posé un pied sur le sol. Qu’est-ce j’aimerai pouvoir me promener, sentir les rayons du soleil sur ma peau, les pavés du vieux Bordeaux sous mes semelles, pouvoir observer les passants et les différentes nuances de couleurs de cette masse déambulant dans la Rue Sainte Catherine, sentir l’odeur du thé à la menthe de la Place Saint Michel et retrouver le goût de ces délicieuses pâtisseries sous ma langue. Et au lieu de ça, je suis coincée là, prisonnière de ce corps inerte, ne pouvant rien faire d’autre qu’écouter ces conversations à sens unique de gens qui viennent me voir seulement pour se donner bonne conscience. Et toi, tu restes fidèle à ce rendez-vous quotidien, tu me tortures un peu plus chaque jour. Car oui, c’est un supplice pour moi, de t’entendre, de te savoir si près de moi, sans pouvoir te toucher, t’embrasser, te voir sourire, ni même te parler. Petit à petit, je suis rongée par la colère, envahie par ce sentiment d’injustice : je n’ai même pas eu droit à la mort ! Je suis condamnée à attendre en silence alors que l’envie de hurler me brûle. Et tu me parles de Thaïlande, quand je n’ai que ma pensée pour voyager et pour être libre.
Tu t’imagines certainement que je ne ressens plus rien… Mais si tu savais, le coma c’est la pire des prisons.
***
Auréba :
Aroa n´arrivait plus à bouger. Elle sentait sa poitrine se comprimer tout en la secouant, comme si à l´intérieur d´elle, des milliers d´oiseaux cherchaient à s´échapper, mais n´y parvenaient pas, la faisant souffrir énormément.
C´était la façon qu´avait son corps de lui exprimer toute la douleur enfermée au fond de son cœur. Elle avait mal, elle souffrait, et n´attendait qu´une seule chose…pouvoir s´échapper de ce cauchemar dont elle demeurait prisonnière. Elle voulait se réveiller, elle voulait se lever, sentir ses jambes, sentir la liberté s´exprimer dans les mouvements de son corps… Mais rien.
Alors un sentiment de révolte vint l´assaillir. Pourquoi est-ce tombé sur moi? Pourquoi suis-je là, sous cet amas de pierres? Qu´en pensera ma mère, quand elle viendra me trouver ainsi, dans cet état là? Et mes frères, hein? Comment vont-ils réagir? Vont-ils me retrouver?
Cette prison minérale, faite de glace, de neige et de pierres l´éloignait de sa famille qui allait avoir bien du mal à la retrouver. Elle désirait crier de toutes ses forces. À la montagne, la voix se fait entendre au loin. Cependant, c´était impossible pour le moment. Aucun son ne pouvait sortir par sa bouche. Elle sentait sa bouche remplie de neige. Elle voulait pourtant expulser par les cris toutes les douleurs physiques et morales qui la tourmentaient. Comment s´en sortir, dans ces cas là? Allait-elle s´en sortir?
En ce jour radieux, une nuit noire s´est abattue sur Aroa. Il y a peu de cela, Aroa a réussi à s´échapper de cette prison végétale. Elle n´a plus mal. Elle ne sent plus son corps car celui-ci est resté enfoui sous la neige et les pierres. Elle veut rassurer sa mère et ses frères qui sont morts d´inquiétude, mais il lui est impossible de les rejoindre car la mort l´emprisonne dans un monde parallèle. Elle voudrait creuser un tunnel pour que sa voix s´y faufile emportant avec elle tous les mots d´amour qu´elle n´a jamais su exprimer pour les déposer dans les oreilles de sa mère et de ses frères qui sont restés à l´extérieur de cette drôle de prison qui la retient… jusqu´à quand ?
Aroa n´arrivait plus à bouger. Elle sentait sa poitrine se comprimer tout en la secouant, comme si à l´intérieur d´elle, des milliers d´oiseaux cherchaient à s´échapper, mais n´y parvenaient pas, la faisant souffrir énormément.
C´était la façon qu´avait son corps de lui exprimer toute la douleur enfermée au fond de son cœur. Elle avait mal, elle souffrait, et n´attendait qu´une seule chose…pouvoir s´échapper de ce cauchemar dont elle demeurait prisonnière. Elle voulait se réveiller, elle voulait se lever, sentir ses jambes, sentir la liberté s´exprimer dans les mouvements de son corps… Mais rien.
Alors un sentiment de révolte vint l´assaillir. Pourquoi est-ce tombé sur moi? Pourquoi suis-je là, sous cet amas de pierres? Qu´en pensera ma mère, quand elle viendra me trouver ainsi, dans cet état là? Et mes frères, hein? Comment vont-ils réagir? Vont-ils me retrouver?
Cette prison minérale, faite de glace, de neige et de pierres l´éloignait de sa famille qui allait avoir bien du mal à la retrouver. Elle désirait crier de toutes ses forces. À la montagne, la voix se fait entendre au loin. Cependant, c´était impossible pour le moment. Aucun son ne pouvait sortir par sa bouche. Elle sentait sa bouche remplie de neige. Elle voulait pourtant expulser par les cris toutes les douleurs physiques et morales qui la tourmentaient. Comment s´en sortir, dans ces cas là? Allait-elle s´en sortir?
En ce jour radieux, une nuit noire s´est abattue sur Aroa. Il y a peu de cela, Aroa a réussi à s´échapper de cette prison végétale. Elle n´a plus mal. Elle ne sent plus son corps car celui-ci est resté enfoui sous la neige et les pierres. Elle veut rassurer sa mère et ses frères qui sont morts d´inquiétude, mais il lui est impossible de les rejoindre car la mort l´emprisonne dans un monde parallèle. Elle voudrait creuser un tunnel pour que sa voix s´y faufile emportant avec elle tous les mots d´amour qu´elle n´a jamais su exprimer pour les déposer dans les oreilles de sa mère et de ses frères qui sont restés à l´extérieur de cette drôle de prison qui la retient… jusqu´à quand ?
Libellés :
Billets des apprentis,
promo Aline Schulman
Votre version de la semaine, Valle Inclán
En photo : Valle Inclán, par Alexander Potiomkin
Una mulata entrecana, descalza, temblona de pechos, aportó con el refresco de limonada y chocolate, dilecto de frailes y corregidores, cuando el virreinato. Con tintín de plata y cristales en las manos prietas, miró la mucama al patroncito, dudosa, interrogante. Niño Santos, con una mueca de la calavera, le indicó la mesilla de campamento que, en el vano de un arco, abría sus compases de araña. La mulata obedeció haldeando. Sumisa, húmeda, lúbrica, se encogía y deslizaba. Mojó los labios en la limonada Niño Santos:
—Consecutivamente, desde hace cincuenta años, tomo este refresco, y me prueba muy medicinal... Se lo recomiendo, Don Celes.
Don Celes infló la botarga:
—¡Cabal, es mi propio refresco! Tenemos los gustos parejos, y me siento orgulloso. ¡Cómo no!
Tirano Banderas, con gesto huraño, esquivó el humo de la adulación, las volutas enfáticas. Manchados de verde los cantos de la boca, se encogía en su gesto soturno:
—Amigo Don Celes, las revoluciones, para acabarlas de raíz, precisan balas de plata.
Reforzó campanudo el gachupín:
—¡Balas que no llevan pólvora ni hacen estruendo!
—La momia acogió con una mueca enigmática:
—Ésas, amigo, que van calladas, son las mejores. En toda revolución hay siempre dos momentos críticos: El de las ejecuciones fulminantes, y el segundo momento, cuando convienen las balas de plata. Amigo Don Celes, recién esas balas, nos ganarían las mejores batallas. Ahora la política es atraerse a los revolucionarios. Yo hago honor a mis enemigos, y no se me oculta que cuentan con muchos elementos simpatizantes en las vecinas Repúblicas. Entre los revolucionarios, hay científicos que pueden con sus luces laborar en provecho de la Patria. La inteligencia merece respeto. ¿No le parece, Don Celes?
Don Celes asentía con el grasiento arrebol de una sonrisa:
—Es un todo de acuerdo. ¡Cómo no!
—Pues para esos científicos quiero yo las balas de plata: Hay entre ellos muy buenas cabezas que lucirían en cotejo con las eminencias del Extranjero. En Europa, esos hombres pueden hacer estudios que aquí nos orienten. Su puesto está en la Diplomacia... En los Congresos Científicos... En las Comisiones que se crean para el Extranjero.
Ponderó el ricacho:
—¡Eso es hacer política sabia!
Y susurró confidencial Generalito Banderas:
—Don Celes, para esa política preciso un gordo amunicionamiento de plata. ¿Qué dice el amigo? Séame leal, y que no salga de los dos ninguna cosa de lo hablado. Le tomo por consejero, reconociendo lo mucho que vale.
Don Celes soplábase los bigotes escarchados de brillantina y aspiraba, deleite de sibarita, las auras barberiles que derramaba en su ámbito. Resplandecía, como búdico vientre, el cebollón de su calva, y esfumaba su pensamiento un sueño de orientales mirajes: La contrata de vituallas para el Ejército Libertador. Cortó el encanto Tirano Banderas:
—Mucho lo medita, y hace bien, que el asunto tiene coda la importancia.
Declamó el gachupín, con la mano sobre la botarga:
—Mi fortuna, muy escasa siempre, y estos tiempos harto quebrantada, en su corta medida está al servicio del Gobierno. Pobre es mi ayuda, pero ella representa el fruto del trabajo honrado en esta tierra generosa, a la cual amo como a una patria de elección.
Generalito Banderas interrumpió con el ademán impaciente de apartarse un tábano:
—¿La Colonia Española no cubriría un empréstito?
—La Colonia ha sufrido mucho estos tiempos. Sin embargo, teniendo en cuenta sus vinculaciones con la República...
El Generalito plegó la boca, reconcentrado en un pensamiento:
—¿La Colonia Española comprende hasta dónde peligran sus intereses con el ideario de la Revolución? Si lo comprende, trabájela usted en el sentido indicado. El Gobierno sólo cuenta con ella para el triunfo del orden: El país está anarquizado por las malas propagandas.
Inflóse Don Celes:
—El indio dueño de la tierra es una utopía de universitarios.
—Conformes. Por eso le decía que a los científicos hay que darles puestos fuera del país, adonde su talento no sea perjudicial para la República. Don Celestino, es indispensable un amunicionamiento de plata, y usted queda comisionado para todo lo referente. Véase con el Secretario de Finanzas. No lo dilate. El Licenciadito tiene estudiado el asunto y le pondrá al corriente: Discutan las garantías y resuelvan violento, pues es de la mayor urgencia balear con plata a los revolucionarios. ¡El extranjero acoge las calumnias que propalan las Agencias! Hemos protestado por la vía diplomática para que sea coaccionada la campaña de difamación, pero no basta. Amigo Don Celes, a su bien tajada péñola le corresponde redactar un documento que, con las firmas de los españoles preeminentes, sirva para ilustrar al Gobierno de la Madre Patria. La Colonia debe señalar una orientación, hacerles saber a los estadistas distraídos que el ideario revolucionario es el peligro amarillo en América. La Revolución representa la ruina de los estancieros españoles. Que lo sepan allá, que se capaciten. ¡Es muy grave el momento, Don Celestino! Por rumores que me llegaron, tengo noticia de cierta actuación que proyecta el Cuerpo Diplomático. Los rumores son de una protesta por las ejecuciones de Zamalpoa. ¿Sabe usted si esa protesta piensa suscribirla el Ministro de España?
Al rico gachupín se le enrojeció la calva:
—¡Sería una bofetada a la Colonia!
—¿Y el Ministro de España, considera usted que sea sujeto para esas bofetadas?
—Es hombre apático... Hace lo que le cuesta menos trabajo. Hombre poco claro.
—¿No hace negocios?
—Hace deudas, que no paga. ¿Quiere usted mayor negocio? Mira como un destierro su radicación en la República.
—Qué se teme usted ¿una pendejada?
—Me la temo.
—Pues hay que evitarla.
El gachupín simuló una inspiración repentina, con palmada en la frente panzona:
—La Colonia puede actuar sobre el Ministro.
Dos Santos rasgó con una sonrisa su verde máscara indiana:
—Eso se llama meter el tejo por la boca de la ranita. Conviene actuar violento. Los españoles aquí radicados tienen intereses contrarios a las utopías de la Diplomacia. Todas esas lucubraciones del protocolo suponen un desconocimiento de las realidades americanas. La Humanidad, para la política de estos países, es una entelequia con tres cabezas: El criollo, el indio y el negro. Tres Humanidades. Otra política para estos climas es pura macana.
El gachupín, barroco y pomposo, le tendió la mano:
—¡Mi admiración crece escuchándole!
—No se dilate, Don Celes. Quiere decirse que se remite para mañana la invitación que le hice. ¿A usted no le complace el juego de la ranita? Es mi medicina para esparcir el ánimo, mi juego desde chamaco, y lo practico todas las tardes. Muy saludable, no arruina como otros juegos.
El ricacho se arrebolada:
—¡Asombroso cómo somos de gustos parejos!
—Don Celes, hasta lueguito.
Interrogó el gachupín:
—¿Lueguito será mañana?
Movió la cabeza Don Santos:
—Si antes puede ser, antes. Yo no duermo.
Encomió Don Celes:
—¡Profesor de energía, como dicen en nuestro Diario!
El Tirano le despidió, ceremonioso, desbaratada la voz en una cucaña de gallos.
—Consecutivamente, desde hace cincuenta años, tomo este refresco, y me prueba muy medicinal... Se lo recomiendo, Don Celes.
Don Celes infló la botarga:
—¡Cabal, es mi propio refresco! Tenemos los gustos parejos, y me siento orgulloso. ¡Cómo no!
Tirano Banderas, con gesto huraño, esquivó el humo de la adulación, las volutas enfáticas. Manchados de verde los cantos de la boca, se encogía en su gesto soturno:
—Amigo Don Celes, las revoluciones, para acabarlas de raíz, precisan balas de plata.
Reforzó campanudo el gachupín:
—¡Balas que no llevan pólvora ni hacen estruendo!
—La momia acogió con una mueca enigmática:
—Ésas, amigo, que van calladas, son las mejores. En toda revolución hay siempre dos momentos críticos: El de las ejecuciones fulminantes, y el segundo momento, cuando convienen las balas de plata. Amigo Don Celes, recién esas balas, nos ganarían las mejores batallas. Ahora la política es atraerse a los revolucionarios. Yo hago honor a mis enemigos, y no se me oculta que cuentan con muchos elementos simpatizantes en las vecinas Repúblicas. Entre los revolucionarios, hay científicos que pueden con sus luces laborar en provecho de la Patria. La inteligencia merece respeto. ¿No le parece, Don Celes?
Don Celes asentía con el grasiento arrebol de una sonrisa:
—Es un todo de acuerdo. ¡Cómo no!
—Pues para esos científicos quiero yo las balas de plata: Hay entre ellos muy buenas cabezas que lucirían en cotejo con las eminencias del Extranjero. En Europa, esos hombres pueden hacer estudios que aquí nos orienten. Su puesto está en la Diplomacia... En los Congresos Científicos... En las Comisiones que se crean para el Extranjero.
Ponderó el ricacho:
—¡Eso es hacer política sabia!
Y susurró confidencial Generalito Banderas:
—Don Celes, para esa política preciso un gordo amunicionamiento de plata. ¿Qué dice el amigo? Séame leal, y que no salga de los dos ninguna cosa de lo hablado. Le tomo por consejero, reconociendo lo mucho que vale.
Don Celes soplábase los bigotes escarchados de brillantina y aspiraba, deleite de sibarita, las auras barberiles que derramaba en su ámbito. Resplandecía, como búdico vientre, el cebollón de su calva, y esfumaba su pensamiento un sueño de orientales mirajes: La contrata de vituallas para el Ejército Libertador. Cortó el encanto Tirano Banderas:
—Mucho lo medita, y hace bien, que el asunto tiene coda la importancia.
Declamó el gachupín, con la mano sobre la botarga:
—Mi fortuna, muy escasa siempre, y estos tiempos harto quebrantada, en su corta medida está al servicio del Gobierno. Pobre es mi ayuda, pero ella representa el fruto del trabajo honrado en esta tierra generosa, a la cual amo como a una patria de elección.
Generalito Banderas interrumpió con el ademán impaciente de apartarse un tábano:
—¿La Colonia Española no cubriría un empréstito?
—La Colonia ha sufrido mucho estos tiempos. Sin embargo, teniendo en cuenta sus vinculaciones con la República...
El Generalito plegó la boca, reconcentrado en un pensamiento:
—¿La Colonia Española comprende hasta dónde peligran sus intereses con el ideario de la Revolución? Si lo comprende, trabájela usted en el sentido indicado. El Gobierno sólo cuenta con ella para el triunfo del orden: El país está anarquizado por las malas propagandas.
Inflóse Don Celes:
—El indio dueño de la tierra es una utopía de universitarios.
—Conformes. Por eso le decía que a los científicos hay que darles puestos fuera del país, adonde su talento no sea perjudicial para la República. Don Celestino, es indispensable un amunicionamiento de plata, y usted queda comisionado para todo lo referente. Véase con el Secretario de Finanzas. No lo dilate. El Licenciadito tiene estudiado el asunto y le pondrá al corriente: Discutan las garantías y resuelvan violento, pues es de la mayor urgencia balear con plata a los revolucionarios. ¡El extranjero acoge las calumnias que propalan las Agencias! Hemos protestado por la vía diplomática para que sea coaccionada la campaña de difamación, pero no basta. Amigo Don Celes, a su bien tajada péñola le corresponde redactar un documento que, con las firmas de los españoles preeminentes, sirva para ilustrar al Gobierno de la Madre Patria. La Colonia debe señalar una orientación, hacerles saber a los estadistas distraídos que el ideario revolucionario es el peligro amarillo en América. La Revolución representa la ruina de los estancieros españoles. Que lo sepan allá, que se capaciten. ¡Es muy grave el momento, Don Celestino! Por rumores que me llegaron, tengo noticia de cierta actuación que proyecta el Cuerpo Diplomático. Los rumores son de una protesta por las ejecuciones de Zamalpoa. ¿Sabe usted si esa protesta piensa suscribirla el Ministro de España?
Al rico gachupín se le enrojeció la calva:
—¡Sería una bofetada a la Colonia!
—¿Y el Ministro de España, considera usted que sea sujeto para esas bofetadas?
—Es hombre apático... Hace lo que le cuesta menos trabajo. Hombre poco claro.
—¿No hace negocios?
—Hace deudas, que no paga. ¿Quiere usted mayor negocio? Mira como un destierro su radicación en la República.
—Qué se teme usted ¿una pendejada?
—Me la temo.
—Pues hay que evitarla.
El gachupín simuló una inspiración repentina, con palmada en la frente panzona:
—La Colonia puede actuar sobre el Ministro.
Dos Santos rasgó con una sonrisa su verde máscara indiana:
—Eso se llama meter el tejo por la boca de la ranita. Conviene actuar violento. Los españoles aquí radicados tienen intereses contrarios a las utopías de la Diplomacia. Todas esas lucubraciones del protocolo suponen un desconocimiento de las realidades americanas. La Humanidad, para la política de estos países, es una entelequia con tres cabezas: El criollo, el indio y el negro. Tres Humanidades. Otra política para estos climas es pura macana.
El gachupín, barroco y pomposo, le tendió la mano:
—¡Mi admiración crece escuchándole!
—No se dilate, Don Celes. Quiere decirse que se remite para mañana la invitación que le hice. ¿A usted no le complace el juego de la ranita? Es mi medicina para esparcir el ánimo, mi juego desde chamaco, y lo practico todas las tardes. Muy saludable, no arruina como otros juegos.
El ricacho se arrebolada:
—¡Asombroso cómo somos de gustos parejos!
—Don Celes, hasta lueguito.
Interrogó el gachupín:
—¿Lueguito será mañana?
Movió la cabeza Don Santos:
—Si antes puede ser, antes. Yo no duermo.
Encomió Don Celes:
—¡Profesor de energía, como dicen en nuestro Diario!
El Tirano le despidió, ceremonioso, desbaratada la voz en una cucaña de gallos.
Valle-Inclán, Tirano Banderas
***
Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
Une mulâtresse aux cheveux grisonnants, pieds nus, la poitrine tremblotante, apporta les rafraîchissements de limonade et de chocolat, boissons de prédilection des moines et des corregidores (1) au temps de la vice-royauté. Dans un tintement d’argenterie et de cristal, les mains crispées, la bonne regarda son patron, l’air hésitant, interrogateur. Niño Santos, le visage squelettique, lui indiqua en grimaçant la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse obéit dans un froissement de jupe. Soumise, humide, lubrique, elle était repliée sur elle-même et fuyante. Niño Santos trempa ses lèvres dans sa limonade :
— Régulièrement, depuis cinquante ans, je prends ce rafraîchissement ; c’est un remède qui me réussit très bien... Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla sa panse :
—Et comment ! C’est mon rafraîchissement préféré ! Nous avons les mêmes goûts. Vous m’en voyez fort honoré !
Tirano Banderas, d’un air agressif, esquiva les fumées flatteuses, les volutes emphatiques. Le bord des lèvres taché de vert, il se recroquevillait, la mine renfrognée :
— Don Celes, mon ami, pour extirper les révolutions à la racine, il faut des balles d’argent.
Le gachupín (2) ajouta, grandiloquent :
— Des balles qui n’occasionnent ni poussière ni fracas !
La momie accueillit ces propos avec une moue énigmatique :
— Celles, cher ami, qui avancent en silence, sont les meilleures. Dans toute révolution, il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, puis dans un second temps, celui où interviennent les balles d’argent. Don Celes, mon ami, seules ces balles nous permettraient de gagner les meilleures batailles. Aujourd’hui, la politique consiste à attirer les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et je ne suis pas sans savoir qu’ils comptent de nombreux sympathisants dans les Républiques voisines. Or, parmi ces révolutionnaires, il y a des scientifiques susceptibles d’œuvrer, grâce à leurs lumières, au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes, le visage rougeaud et gras, acquiesçait en souriant :
— Si, pour sûr !
— Eh bien, moi, je veux réserver à ces scientifiques les balles d’argent : il y a parmi eux de très fortes têtes qui pourraient rivaliser avec les élites étrangères. En Europe, ces hommes peuvent faire des études à même de nous orienter ici. Leur place se trouve dans la Diplomatie... Dans les Congrès Scientifiques... Dans les Commissions créées pour l’Étranger.
Le richard renchérit :
— C’est ça faire de la politique éclairée !
Le Général Banderas murmura sur un ton confidentiel :
— Don Celes, pour mener à bien cette politique, j’ai besoin d’un gros approvisionnement en munitions d’argent. Qu’en dites-vous, cher ami ? Soyez loyal envers moi, et que tout ce que nous avons dit reste entre nous. Je vous prends pour conseiller, car je reconnais votre grande valeur.
Don Celes soufflait sur ses moustaches glacées par la brillantine et humait - plaisir de sybarite - les effluves de barbier qu’il répandait autour de lui. Son crâne chauve, qui ressemblait à un gros oignon, luisait comme un ventre de bouddha, et son esprit s’évadait dans un rêve de mirages orientaux : l’acquisition de vivres pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit le charme :
— Prenez le temps de la réflexion, et agissez comme il se doit : c’est un sujet de la plus haute importance.
Le gachupín déclama, la main sur la panse :
— Ma fortune, bien que fort maigre et, par les temps qui courent, particulièrement à mal, est, dans la mesure de mes humbles moyens, au service du Gouvernement. Certes, mon aide est pauvre, mais elle est le fruit de mon honnête travail sur cette terre généreuse que j’aime comme ma patrie d’élection.
Le Général Banderas l’interrompit du geste impatient de celui qui chasse un taon :
— La Colonie Espagnole ne contracterait-elle pas un emprunt ?
— La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, compte tenu de vos liens avec la République...
Le Général pinça la bouche, absorbé dans ses pensées :
— La Colonie Espagnole mesure-t-elle combien ses intérêts sont menacés par l’idéal de la Révolution ? Si tel est le cas, caressez-la dans le sens du poil. Le Gouvernement ne compte plus que sur elle pour faire triompher l’ordre : les mauvaises propagandes acculent le pays à l’anarchie.
Don Celes se rengorgea :
— L’indien, propriétaire de sa terre, c’est une utopie d’universitaires.
— Tout à fait. C’est pourquoi je vous disais qu’il faut confier aux scientifiques des postes en dehors du pays, là où leur talent ne portera pas préjudice à la République. Don Celestino, il est indispensable de s’approvisionner en munitions d’argent : c’est vous que je mandate pour régler cette affaire. Voyez cela avec le Secrétaire aux Finances. Ne tardez pas. Le Licenciado a étudié la question, il vous mettra au courant. Discutez les garanties et employez les grands moyens, car il faut de toute urgence tirer sur les révolutionnaires avec des balles d’argent. L’Étranger est sensible aux calomnies que propagent les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour contrecarrer la campagne de diffamation, mais ce n’est pas suffisant. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume bien affûtée de rédiger un document qui, une fois signé par les espagnols prééminents, servira d’illustration au Gouvernement de notre Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’État distraits que l’idéal révolutionnaire est le péril jaune en Amérique. La Révolution signe la perte des fermiers espagnols. Qu’on le sache là-bas, qu’on se le dise ! L’heure est très grave, Don Celestino ! J’ai appris, par certaines rumeurs, que le Corps Diplomatique projette une action. J’ai eu vent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si cette protestation sera approuvée par le Premier Ministre espagnol ?
Le crâne chauve du riche gachupín s’empourpra :
— Ce serait un affront pour la Colonie !
— Considérez-vous que le Premier Ministre espagnol soit enclin à de tels affronts ?
— C’est un homme apathique... Il fait ce qui lui coûte le moins de travail. C’est un homme trouble.
— Il n’est pas dans les affaires ?
— Il contracte des dettes qu’il ne paie pas. Vous voulez un meilleur exemple en matière d’affaires ? Il voit comme un exil son rattachement à la République.
— Que craignez vous au juste, une mauvais coup de sa part ?
— Effectivement.
— Eh bien, vous devez l’éviter.
Le gachupín simula une inspiration soudaine, en se frappant le front qu’il avait bombé :
— La Colonie peut faire pression sur le Ministre.
Dos Santos fendit d’un sourire son masque vert d’indien :
— C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la bouche de la grenouille. Il faut agir violemment. Les Espagnols qui sont établis ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole (3), l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique sous ces climats n’est que pure sottise.
Le gachupín, baroque et pompeux, lui tendit la main :
— Mon admiration grandit à mesure que je vous écoute !
— Ne tardez pas, Don Celes. Ce qui signifie que je remets à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous aimez, vous aussi, le jeu de la grenouille ? C’est mon secret pour me distraire, mon jeu favori depuis l’enfance, je le pratique tous les après-midi. Très salutaire, pas ruineux comme d’autres jeux.
Le richard rougissait :
— C’est incroyable à quel point nous avons les mêmes goûts !
— À très bientôt, Don Celes.
Le gachupín demanda :
— À très bientôt, vous voulez dire demain ?
Don Santos secoua la tête :
— Si c’est possible avant, alors avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes renchérit :
— Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal !
Le Tyran prit congé de lui, cérémonieux, la voix brisée par une toux de coq.
Glossaire des hispanismes :
(1) Les corregidores étaient des représentants de la Couronne espagnole au niveau régional.
(2) On désignait par gachupínes les Espagnols au Mexique avant l’indépendance.
(3) Il faut entendre créole dans le sens d’Américain d’ascendance espagnole.
Une mulâtresse aux cheveux grisonnants, pieds nus, la poitrine tremblotante, apporta les rafraîchissements de limonade et de chocolat, boissons de prédilection des moines et des corregidores (1) au temps de la vice-royauté. Dans un tintement d’argenterie et de cristal, les mains crispées, la bonne regarda son patron, l’air hésitant, interrogateur. Niño Santos, le visage squelettique, lui indiqua en grimaçant la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse obéit dans un froissement de jupe. Soumise, humide, lubrique, elle était repliée sur elle-même et fuyante. Niño Santos trempa ses lèvres dans sa limonade :
— Régulièrement, depuis cinquante ans, je prends ce rafraîchissement ; c’est un remède qui me réussit très bien... Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla sa panse :
—Et comment ! C’est mon rafraîchissement préféré ! Nous avons les mêmes goûts. Vous m’en voyez fort honoré !
Tirano Banderas, d’un air agressif, esquiva les fumées flatteuses, les volutes emphatiques. Le bord des lèvres taché de vert, il se recroquevillait, la mine renfrognée :
— Don Celes, mon ami, pour extirper les révolutions à la racine, il faut des balles d’argent.
Le gachupín (2) ajouta, grandiloquent :
— Des balles qui n’occasionnent ni poussière ni fracas !
La momie accueillit ces propos avec une moue énigmatique :
— Celles, cher ami, qui avancent en silence, sont les meilleures. Dans toute révolution, il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, puis dans un second temps, celui où interviennent les balles d’argent. Don Celes, mon ami, seules ces balles nous permettraient de gagner les meilleures batailles. Aujourd’hui, la politique consiste à attirer les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et je ne suis pas sans savoir qu’ils comptent de nombreux sympathisants dans les Républiques voisines. Or, parmi ces révolutionnaires, il y a des scientifiques susceptibles d’œuvrer, grâce à leurs lumières, au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes, le visage rougeaud et gras, acquiesçait en souriant :
— Si, pour sûr !
— Eh bien, moi, je veux réserver à ces scientifiques les balles d’argent : il y a parmi eux de très fortes têtes qui pourraient rivaliser avec les élites étrangères. En Europe, ces hommes peuvent faire des études à même de nous orienter ici. Leur place se trouve dans la Diplomatie... Dans les Congrès Scientifiques... Dans les Commissions créées pour l’Étranger.
Le richard renchérit :
— C’est ça faire de la politique éclairée !
Le Général Banderas murmura sur un ton confidentiel :
— Don Celes, pour mener à bien cette politique, j’ai besoin d’un gros approvisionnement en munitions d’argent. Qu’en dites-vous, cher ami ? Soyez loyal envers moi, et que tout ce que nous avons dit reste entre nous. Je vous prends pour conseiller, car je reconnais votre grande valeur.
Don Celes soufflait sur ses moustaches glacées par la brillantine et humait - plaisir de sybarite - les effluves de barbier qu’il répandait autour de lui. Son crâne chauve, qui ressemblait à un gros oignon, luisait comme un ventre de bouddha, et son esprit s’évadait dans un rêve de mirages orientaux : l’acquisition de vivres pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit le charme :
— Prenez le temps de la réflexion, et agissez comme il se doit : c’est un sujet de la plus haute importance.
Le gachupín déclama, la main sur la panse :
— Ma fortune, bien que fort maigre et, par les temps qui courent, particulièrement à mal, est, dans la mesure de mes humbles moyens, au service du Gouvernement. Certes, mon aide est pauvre, mais elle est le fruit de mon honnête travail sur cette terre généreuse que j’aime comme ma patrie d’élection.
Le Général Banderas l’interrompit du geste impatient de celui qui chasse un taon :
— La Colonie Espagnole ne contracterait-elle pas un emprunt ?
— La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, compte tenu de vos liens avec la République...
Le Général pinça la bouche, absorbé dans ses pensées :
— La Colonie Espagnole mesure-t-elle combien ses intérêts sont menacés par l’idéal de la Révolution ? Si tel est le cas, caressez-la dans le sens du poil. Le Gouvernement ne compte plus que sur elle pour faire triompher l’ordre : les mauvaises propagandes acculent le pays à l’anarchie.
Don Celes se rengorgea :
— L’indien, propriétaire de sa terre, c’est une utopie d’universitaires.
— Tout à fait. C’est pourquoi je vous disais qu’il faut confier aux scientifiques des postes en dehors du pays, là où leur talent ne portera pas préjudice à la République. Don Celestino, il est indispensable de s’approvisionner en munitions d’argent : c’est vous que je mandate pour régler cette affaire. Voyez cela avec le Secrétaire aux Finances. Ne tardez pas. Le Licenciado a étudié la question, il vous mettra au courant. Discutez les garanties et employez les grands moyens, car il faut de toute urgence tirer sur les révolutionnaires avec des balles d’argent. L’Étranger est sensible aux calomnies que propagent les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour contrecarrer la campagne de diffamation, mais ce n’est pas suffisant. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume bien affûtée de rédiger un document qui, une fois signé par les espagnols prééminents, servira d’illustration au Gouvernement de notre Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’État distraits que l’idéal révolutionnaire est le péril jaune en Amérique. La Révolution signe la perte des fermiers espagnols. Qu’on le sache là-bas, qu’on se le dise ! L’heure est très grave, Don Celestino ! J’ai appris, par certaines rumeurs, que le Corps Diplomatique projette une action. J’ai eu vent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si cette protestation sera approuvée par le Premier Ministre espagnol ?
Le crâne chauve du riche gachupín s’empourpra :
— Ce serait un affront pour la Colonie !
— Considérez-vous que le Premier Ministre espagnol soit enclin à de tels affronts ?
— C’est un homme apathique... Il fait ce qui lui coûte le moins de travail. C’est un homme trouble.
— Il n’est pas dans les affaires ?
— Il contracte des dettes qu’il ne paie pas. Vous voulez un meilleur exemple en matière d’affaires ? Il voit comme un exil son rattachement à la République.
— Que craignez vous au juste, une mauvais coup de sa part ?
— Effectivement.
— Eh bien, vous devez l’éviter.
Le gachupín simula une inspiration soudaine, en se frappant le front qu’il avait bombé :
— La Colonie peut faire pression sur le Ministre.
Dos Santos fendit d’un sourire son masque vert d’indien :
— C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la bouche de la grenouille. Il faut agir violemment. Les Espagnols qui sont établis ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole (3), l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique sous ces climats n’est que pure sottise.
Le gachupín, baroque et pompeux, lui tendit la main :
— Mon admiration grandit à mesure que je vous écoute !
— Ne tardez pas, Don Celes. Ce qui signifie que je remets à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous aimez, vous aussi, le jeu de la grenouille ? C’est mon secret pour me distraire, mon jeu favori depuis l’enfance, je le pratique tous les après-midi. Très salutaire, pas ruineux comme d’autres jeux.
Le richard rougissait :
— C’est incroyable à quel point nous avons les mêmes goûts !
— À très bientôt, Don Celes.
Le gachupín demanda :
— À très bientôt, vous voulez dire demain ?
Don Santos secoua la tête :
— Si c’est possible avant, alors avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes renchérit :
— Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal !
Le Tyran prit congé de lui, cérémonieux, la voix brisée par une toux de coq.
Glossaire des hispanismes :
(1) Les corregidores étaient des représentants de la Couronne espagnole au niveau régional.
(2) On désignait par gachupínes les Espagnols au Mexique avant l’indépendance.
(3) Il faut entendre créole dans le sens d’Américain d’ascendance espagnole.
***
Amélie nous propose sa traduction :
Une mulâtresse à la chevelure grisonnante, aux pieds nus et aux seins tremblants, apporta les boissons, une limonade et un chocolat, dilection de moines et de corrégidors à l’époque de la vice-royauté. Dans un tintement d’argent et de verre entre ses mains brunes, la serveuse regarda le patron, hésitante, interrogative. Le petit Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de campement qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse lui obéit promptement, dans le froufrou de ses jupes. Soumise, humide, lubrique, elle tressaillit et se faufila. Le petit Santos trempa ses lèvres dans la limonade :
— Je prends cette boisson régulièrement depuis cinquante ans, et elle s’est avéré être un bon remède… Je vous le recommande, don Celes.
Don Celes gonfla sa bedaine :
— Parfait, c’est ma boisson ! Nous avons les mêmes goûts, et j’en suis fier. Et comment !
D’un geste farouche, Tirano Banderas esquiva le nuage de flatterie, les volutes emphatiques. Les coins de la bouche tâchés de vert, il se renferma dans son attitude taciturne :
— Don Celes, mon ami, les révolutions, pour les tuer à la racine, il faut des balles en argent.
Le cachupin renchérit avec grandiloquence :
— Des balles qui n’ont pas de poudre et ne font pas de bruit !
La momie accueillit ses propos d’une moue énigmatique :
—Mon ami, celles qui sont silencieuses, ce sont celles-là les meilleures. Toute révolution comporte toujours deux moments critiques : le premier, celui des exécutions foudroyantes, et le second, celui où ce sont les balles en argent qui conviennent. Don Celes, mon ami, avec ces balles entre nos mains, nous gagnerions les plus grandes batailles. À présent, la politique est de se rapprocher des révolutionnaires. Personnellement, je fais honneur à mes ennemis, mais on ne me cache pas qu’ils comptent de nombreux éléments sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent œuvrer en faveur de la Patrie grâce à leurs lumières. L’intelligence est digne de respect. Vous ne trouvez pas, don Celes ?
Don Celes acquiesça, un sourire rouge et huileux sur les lèvres :
— Je suis entièrement d’accord. Et comment !
— C’est donc pour ces scientifiques que je veux les balles en argent : on trouve parmi eux des têtes très bien faites, qui brilleraient comparé aux éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes-là peuvent faire les études qui nous intéresseraient ici. Leur place est à la Diplomatie…Dans les Congrès Scientifiques… Dans les Commissions créées pour l’Etranger.
Le richard ponctua :
— Cela revient à faire de la politique savante !
Et le petit général Banderas chuchota sur un ton confidentiel :
— Don Celes, pour ce genre de politique, j’ai besoin d’un gros approvisionnement de munitions en argent. Qu’en dites-vous, mon ami ? Soyez honnête, rien ne sortira d’ici. Je vous ai pris comme conseiller, conscient que vous valiez cher.
Don Celes soufflait sur ses moustaches givrées de brillantine et aspirait, plaisir de sybarite, les émanations de barbier qu’il répandait à ses côtés. Son bulbe dégarni resplendissait, tel un ventre bouddhique, et un rêve de mirages orientaux enfumait son esprit : la promesse de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit l’enchantement :
— Vous méditez beaucoup là-dessus, et vous faites bien, car le sujet est d’une grande importance.
Le cachupin déclama, la main sur sa bedaine :
— Ma fortune, toujours bien maigre, et assez entamée ces temps-ci, est au service du Gouvernement dans sa moindre mesure. Bien pauvre est mon aide, néanmoins, elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que je chéris comme une patrie de cœur.
Le petit général Banderas l’interrompit d’un geste impatient, comme pour éloigner un taon :
— La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
— La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, étant donné ses liens avec la République…
Le petit général pinça la bouche, concentré sur une pensée :
— La Colonie Espagnole comprend-elle bien à quel point ses intérêts sont mis en danger par l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, travaillez-là dans le bon sens. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour faire triompher l’ordre : le pays est investi d’anarchisme par les mauvaises propagandes.
Don Celes s’agaça :
— L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
— Exact. C’est pour cela que je vous disais qu’il fallait donner aux scientifiques des postes hors du pays, là où leur talent ne sera pas préjudiciable à la République. Don Celestino, un approvisionnement de munitions en argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y réfère. Voyez donc avec le Secrétaire des Finances. Ne le faites pas attendre. Le connaisseur a bien étudié le sujet et vous tiendra au courant : discutez les garanties et résolvez vite le problème, car il est très urgent de cribler d’argent les révolutionnaires. L’étranger reçoit les calomnies que les Agences divulguent ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit réprimée, sauf que cela n’a pas suffi. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume assassine de rédiger un document qui, accompagné de la signature des espagnols prééminents, servira pour représenter le gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit indiquer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le péril jaune de l’Amérique. La Révolution signifie la ruine des éleveurs espagnols. Il faut qu’ils le sachent là-bas, qu’ils s’y préparent. L’heure est vraiment grave, don Celestino ! Par le biais de rumeurs qui me sont parvenues, j’ai entendu parler de certains agissements prévus par le Corps Diplomatique. Les rumeurs proviennent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche cachupin s’empourpra :
— Ce serait porter une gifle à la Colonie !
— Et le Ministre de l’Espagne, le considérez-vous capable de ce genre de gifles ?
— C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui demande le moins de travail. Un homme peu clair.
— Il ne fait pas d’affaires?
— Il se constitue des dettes, et ne les paie pas. Vous voulez une affaire plus importante ? Il considère son enracinement dans la République comme un exil.
— Que craignez-vous, qu’il fasse une connerie ?
— Je le crains.
— Eh bien, il faut l’éviter.
Le cachupin simula une inspiration soudaine, en frappant son front ventripotent :
— La Colonie peut influencer le Ministre.
D’un rictus, don Santos fendit son masque vert d’indien :
— En plein dans le mille. Il convient d’agir vite. Les intérêts des Espagnols résidant ici sont contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. Pour la politique de ces pays, l’Humanité est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Sous ces latitudes, une autre politique n’est que pure plaisanterie.
Baroque et pompeux, le cachupin lui tendit la main :
— Mon admiration s’accroît à mesure que je vous écoute !
— Ne vous attardez pas, don Celes. Je veux dire par là que je remets à demain l’invitation que je vous ai faite. Le jeu des palets ne vous plaît pas ? C’est mon remède pour me divertir l’esprit, mon jeu depuis que je suis enfant, et j’y joue tous les soirs. C’est très sain, il ne vous ruine pas comme d’autres jeux.
Le richard rougit :
— C’est fou comme nous avons les mêmes goûts !
— Don Celes, à très bientôt.
Le cachupin demanda :
— Très bientôt, c’est demain ?
Don Santos hocha la tête :
— Si ça peut être avant, alors avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
— Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Diario !
Tirano, cérémonieux, le salua, sa voix se brisant en une espèce de cri de coq.
Une mulâtresse à la chevelure grisonnante, aux pieds nus et aux seins tremblants, apporta les boissons, une limonade et un chocolat, dilection de moines et de corrégidors à l’époque de la vice-royauté. Dans un tintement d’argent et de verre entre ses mains brunes, la serveuse regarda le patron, hésitante, interrogative. Le petit Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de campement qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse lui obéit promptement, dans le froufrou de ses jupes. Soumise, humide, lubrique, elle tressaillit et se faufila. Le petit Santos trempa ses lèvres dans la limonade :
— Je prends cette boisson régulièrement depuis cinquante ans, et elle s’est avéré être un bon remède… Je vous le recommande, don Celes.
Don Celes gonfla sa bedaine :
— Parfait, c’est ma boisson ! Nous avons les mêmes goûts, et j’en suis fier. Et comment !
D’un geste farouche, Tirano Banderas esquiva le nuage de flatterie, les volutes emphatiques. Les coins de la bouche tâchés de vert, il se renferma dans son attitude taciturne :
— Don Celes, mon ami, les révolutions, pour les tuer à la racine, il faut des balles en argent.
Le cachupin renchérit avec grandiloquence :
— Des balles qui n’ont pas de poudre et ne font pas de bruit !
La momie accueillit ses propos d’une moue énigmatique :
—Mon ami, celles qui sont silencieuses, ce sont celles-là les meilleures. Toute révolution comporte toujours deux moments critiques : le premier, celui des exécutions foudroyantes, et le second, celui où ce sont les balles en argent qui conviennent. Don Celes, mon ami, avec ces balles entre nos mains, nous gagnerions les plus grandes batailles. À présent, la politique est de se rapprocher des révolutionnaires. Personnellement, je fais honneur à mes ennemis, mais on ne me cache pas qu’ils comptent de nombreux éléments sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent œuvrer en faveur de la Patrie grâce à leurs lumières. L’intelligence est digne de respect. Vous ne trouvez pas, don Celes ?
Don Celes acquiesça, un sourire rouge et huileux sur les lèvres :
— Je suis entièrement d’accord. Et comment !
— C’est donc pour ces scientifiques que je veux les balles en argent : on trouve parmi eux des têtes très bien faites, qui brilleraient comparé aux éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes-là peuvent faire les études qui nous intéresseraient ici. Leur place est à la Diplomatie…Dans les Congrès Scientifiques… Dans les Commissions créées pour l’Etranger.
Le richard ponctua :
— Cela revient à faire de la politique savante !
Et le petit général Banderas chuchota sur un ton confidentiel :
— Don Celes, pour ce genre de politique, j’ai besoin d’un gros approvisionnement de munitions en argent. Qu’en dites-vous, mon ami ? Soyez honnête, rien ne sortira d’ici. Je vous ai pris comme conseiller, conscient que vous valiez cher.
Don Celes soufflait sur ses moustaches givrées de brillantine et aspirait, plaisir de sybarite, les émanations de barbier qu’il répandait à ses côtés. Son bulbe dégarni resplendissait, tel un ventre bouddhique, et un rêve de mirages orientaux enfumait son esprit : la promesse de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit l’enchantement :
— Vous méditez beaucoup là-dessus, et vous faites bien, car le sujet est d’une grande importance.
Le cachupin déclama, la main sur sa bedaine :
— Ma fortune, toujours bien maigre, et assez entamée ces temps-ci, est au service du Gouvernement dans sa moindre mesure. Bien pauvre est mon aide, néanmoins, elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que je chéris comme une patrie de cœur.
Le petit général Banderas l’interrompit d’un geste impatient, comme pour éloigner un taon :
— La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
— La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, étant donné ses liens avec la République…
Le petit général pinça la bouche, concentré sur une pensée :
— La Colonie Espagnole comprend-elle bien à quel point ses intérêts sont mis en danger par l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, travaillez-là dans le bon sens. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour faire triompher l’ordre : le pays est investi d’anarchisme par les mauvaises propagandes.
Don Celes s’agaça :
— L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
— Exact. C’est pour cela que je vous disais qu’il fallait donner aux scientifiques des postes hors du pays, là où leur talent ne sera pas préjudiciable à la République. Don Celestino, un approvisionnement de munitions en argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y réfère. Voyez donc avec le Secrétaire des Finances. Ne le faites pas attendre. Le connaisseur a bien étudié le sujet et vous tiendra au courant : discutez les garanties et résolvez vite le problème, car il est très urgent de cribler d’argent les révolutionnaires. L’étranger reçoit les calomnies que les Agences divulguent ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit réprimée, sauf que cela n’a pas suffi. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume assassine de rédiger un document qui, accompagné de la signature des espagnols prééminents, servira pour représenter le gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit indiquer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le péril jaune de l’Amérique. La Révolution signifie la ruine des éleveurs espagnols. Il faut qu’ils le sachent là-bas, qu’ils s’y préparent. L’heure est vraiment grave, don Celestino ! Par le biais de rumeurs qui me sont parvenues, j’ai entendu parler de certains agissements prévus par le Corps Diplomatique. Les rumeurs proviennent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche cachupin s’empourpra :
— Ce serait porter une gifle à la Colonie !
— Et le Ministre de l’Espagne, le considérez-vous capable de ce genre de gifles ?
— C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui demande le moins de travail. Un homme peu clair.
— Il ne fait pas d’affaires?
— Il se constitue des dettes, et ne les paie pas. Vous voulez une affaire plus importante ? Il considère son enracinement dans la République comme un exil.
— Que craignez-vous, qu’il fasse une connerie ?
— Je le crains.
— Eh bien, il faut l’éviter.
Le cachupin simula une inspiration soudaine, en frappant son front ventripotent :
— La Colonie peut influencer le Ministre.
D’un rictus, don Santos fendit son masque vert d’indien :
— En plein dans le mille. Il convient d’agir vite. Les intérêts des Espagnols résidant ici sont contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. Pour la politique de ces pays, l’Humanité est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Sous ces latitudes, une autre politique n’est que pure plaisanterie.
Baroque et pompeux, le cachupin lui tendit la main :
— Mon admiration s’accroît à mesure que je vous écoute !
— Ne vous attardez pas, don Celes. Je veux dire par là que je remets à demain l’invitation que je vous ai faite. Le jeu des palets ne vous plaît pas ? C’est mon remède pour me divertir l’esprit, mon jeu depuis que je suis enfant, et j’y joue tous les soirs. C’est très sain, il ne vous ruine pas comme d’autres jeux.
Le richard rougit :
— C’est fou comme nous avons les mêmes goûts !
— Don Celes, à très bientôt.
Le cachupin demanda :
— Très bientôt, c’est demain ?
Don Santos hocha la tête :
— Si ça peut être avant, alors avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
— Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Diario !
Tirano, cérémonieux, le salua, sa voix se brisant en une espèce de cri de coq.
***
Auréba nous propose sa traduction :
Une mulâtresse aux cheveux gris, pieds nus, aux seins tremblants, débarqua avec la limonade et du chocolat, très apprécié de moines et corrégidors, à l’époque de la vice-royauté. L’argenterie et le cristal tintant dans ses mains fermes, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogatrice. Niño Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’un arc, ouvrait ses mesures d’araignée. La mulâtresse obéit en pressant le pas. Soumise, moite, lubrique, elle se dégonflait et glissait. Niño Santos trempa ses lèvres dans la limonade:
-De façon consécutive, depuis cinquante ans, je prends cette boisson, et ça me réussit, je suis en pleine forme…Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes se gonfla d’orgueil :
-Justement, c’est la même boisson que je prends! Nous avons les mêmes goûts, et comment pourrais-je ne pas m’en sentir fier?!
Tyran Banderas, prenant un air bourru, esquiva la fumée d’adulation, les volutes emphatiques. Les extrémités de ses lèvres tâchées de vert, il se démonta dans son geste taciturne :
-Ami Don Celes, les révolutions, pour en finir une bonne fois pour toutes, il faut des balles en argent.
L’Espagnol rajouta sur un ton emphatique :
-Des balles dans lesquelles il n’y a pas de poudre et qui ne font pas de tumulte.
La momie accueillit ses mots avec une grimace énigmatique:
-Celles là, qui ne font pas de bruit, ce sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : Celui des exécutions fulminantes, et le second moment, quand il convient d’utiliser des balles en argent. Ami Don Celes, bientôt, avec ces balles, nous pourrons gagner les meilleures batailles. Maintenant, la politique, c’est d´attirer vers soi les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et je n’ignore pas qu’ils comptent sur de nombreux sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent avec leurs lumières travailler au profit de la Patrie. L’intelligence mérite du respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes?
Don Celes acquiesçait avec le rose graisseux d’un sourire :
-Tout à fait d’accord! Bien sûr!
-Eh bien pour ces scientifiques là, moi, je veux les balles en argent : Il y a parmi eux de très bonnes têtes qui brilleraient en comparaison avec les éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes là peuvent faire des études. Ils sont faits pour la Diplomatie…Dans les Congrès Scientifiques…Dans les Commissions que l’on crée pour l’Etranger.
Le rupin pondéra :
-Ça, c’est faire de la politique savante!
Et Petit Général Banderas, sur un ton de confidence, susurra:
-Don Celes, pour cette politique là, j’ai besoin d’un gros approvisionnement en argent. Qu’en dit l’ami? Soyez loyal envers moi, et que tout ce dont nous avons parlé reste entre vous et moi. Je vous prends comme conseiller, en reconnaissant tout ce que vous valez.
Don Celes soufflait sur ses moustaches couvertes de brillantine et aspirait, plaisir de sybarite, les brises de barbiers qu’il répandait autour de lui. Comme un ventre bouddhique, son crâne chauve resplendissait et sa pensée estompait un rêve de mirages orientaux : L’adjudication de vivres pour l´Armée Libératrice. Tyran Banderas interrompit l’enchantement :
-Vous méditez beaucoup là-dessus, et vous faites bien, car cette affaire est de la plus haute importance.
-Ma fortune, toujours très rare, et trop ébranlée ces temps ci, dans sa faible mesure, est au service du Gouvernement. Mon aide est pauvre, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie d’élection.
Petit Général interrompit avec le même geste impatient que quelqu´un qui éloigne un taon.
-La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un emprunt?
-La Colonie a beaucoup souffert, ces temps ci. Par contre, si l’on prend en compte ses relations avec la République…
Le Petit Général se pinça les lèvres, concentré dans sa pensée :
-La Colonie Espagnole comprend-elle jusqu’à quel point ses intérêts sont menacés avec l’idéologie de la Révolution? Si vous comprenez ceci, travaillez-la dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l´ordre : Le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se rengorgea :
-L’indien propriétaire de la terre, voilà une utopie d’universitaires.
-D’accord. C’est pour cela que je vous disais qu’aux scientifiques, il faut leur donner du travail en dehors du pays, là où leur talent n’est pas nuisible à la République. Don Celestino, un approvisionnement en argent est indispensable, et vous, vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y rapporte. Allez voir le Secrétaire des Finances. Ne faites pas trainer cette affaire. Le Petit Licencié a bien étudié l’affaire et vous mettra au courant : discutez les garanties et réglez ça violemment, car il est de la plus haute urgence de tuer avec des balles en argent les révolutionnaires. L’étranger reçoit les calomnies que propagent les Agences! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contrainte, mais ça ne suffit pas. Ami Don Celes, il correspond à votre plume bien taillée de rédiger un document qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à instruire le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit marquer une orientation, faire savoir aux hommes d’État distraits que l’idéologie révolutionnaire, c’est le danger jaune en Amérique. La révolution représente la ruine des fermiers espagnols. Qu´ils le sachent, là bas, qu´ils se préparent. Ce que nous vivons est très grave, Don Celestino! Par des rumeurs qui sont arrivées jusqu’à moi, j’ai entendu parler d’une certaine procédure qu’envisage le Corps Diplomatique. Les rumeurs portent sur une protestation vis-à-vis des exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense l’approuver, cette protestation?
Le crâne chauve du riche Espagnol s’empourpra:
-Ce serait un affront à la Colonie!
-Et le Ministre d’Espagne, considérez vous que ce soit un sujet pour de tels affront?
-C’est un homme apathique…Il fait ce qui lui est le moins difficile. Un homme pas très clair.
-Il ne fait pas des affaires?
-Il fait des dettes, qu’il ne paye pas. Voulez-vous de meilleures affaires? Il voit comme un bannissement sa radication à la République.
-Que craignez-vous? Une sottise?
-J’en ai bien peur.
Eh bien il faut l’éviter.
L’Espagnol simula une inspiration soudaine, en frappant son front charnu avec la paume de sa main.
-La Colonie peut agir sur le Ministre.
Dos Santos déchira avec un sourire son masque indien vert.
-Ça, ça s’appelle faire passer un lingot d’or par la bouche d’une petite grenouille. Il convient d’agir avec violence. Les espagnols se trouvant ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, c’est une entéléchie à trois têtes. Le fils d’espagnols, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats, mais quelle sottise!
L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
-Mon admiration ne fait que croître en vous écoutant!
- Ne perdez pas de temps, Don Celes. Ceci signifie que l’on remet à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous n’aimez pas le jeu de la petite grenouille? C´est mon médicament pour me distraire, mon jeu de garçon, et je le pratique tous les soirs. C’est très salutaire, ça ne ruine pas comme d’autres jeu.
Le rupin prit une teinte rouge.
-C’est étonnant, comme nous avons les mêmes goûts!
-Don Celes, à la prochaine!
L’espagnol interrogea :
-La prochaine, ce sera demain?
Dos Santos bougea la tête :
-Si ça peut être avant, que ce soit avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes lança des louanges :
-Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal!
Le Tyran le congédia, cérémonieux, sa voix trahissant son sentiment de victoire sur l´autre.
Une mulâtresse aux cheveux gris, pieds nus, aux seins tremblants, débarqua avec la limonade et du chocolat, très apprécié de moines et corrégidors, à l’époque de la vice-royauté. L’argenterie et le cristal tintant dans ses mains fermes, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogatrice. Niño Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’un arc, ouvrait ses mesures d’araignée. La mulâtresse obéit en pressant le pas. Soumise, moite, lubrique, elle se dégonflait et glissait. Niño Santos trempa ses lèvres dans la limonade:
-De façon consécutive, depuis cinquante ans, je prends cette boisson, et ça me réussit, je suis en pleine forme…Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes se gonfla d’orgueil :
-Justement, c’est la même boisson que je prends! Nous avons les mêmes goûts, et comment pourrais-je ne pas m’en sentir fier?!
Tyran Banderas, prenant un air bourru, esquiva la fumée d’adulation, les volutes emphatiques. Les extrémités de ses lèvres tâchées de vert, il se démonta dans son geste taciturne :
-Ami Don Celes, les révolutions, pour en finir une bonne fois pour toutes, il faut des balles en argent.
L’Espagnol rajouta sur un ton emphatique :
-Des balles dans lesquelles il n’y a pas de poudre et qui ne font pas de tumulte.
La momie accueillit ses mots avec une grimace énigmatique:
-Celles là, qui ne font pas de bruit, ce sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : Celui des exécutions fulminantes, et le second moment, quand il convient d’utiliser des balles en argent. Ami Don Celes, bientôt, avec ces balles, nous pourrons gagner les meilleures batailles. Maintenant, la politique, c’est d´attirer vers soi les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et je n’ignore pas qu’ils comptent sur de nombreux sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent avec leurs lumières travailler au profit de la Patrie. L’intelligence mérite du respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes?
Don Celes acquiesçait avec le rose graisseux d’un sourire :
-Tout à fait d’accord! Bien sûr!
-Eh bien pour ces scientifiques là, moi, je veux les balles en argent : Il y a parmi eux de très bonnes têtes qui brilleraient en comparaison avec les éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes là peuvent faire des études. Ils sont faits pour la Diplomatie…Dans les Congrès Scientifiques…Dans les Commissions que l’on crée pour l’Etranger.
Le rupin pondéra :
-Ça, c’est faire de la politique savante!
Et Petit Général Banderas, sur un ton de confidence, susurra:
-Don Celes, pour cette politique là, j’ai besoin d’un gros approvisionnement en argent. Qu’en dit l’ami? Soyez loyal envers moi, et que tout ce dont nous avons parlé reste entre vous et moi. Je vous prends comme conseiller, en reconnaissant tout ce que vous valez.
Don Celes soufflait sur ses moustaches couvertes de brillantine et aspirait, plaisir de sybarite, les brises de barbiers qu’il répandait autour de lui. Comme un ventre bouddhique, son crâne chauve resplendissait et sa pensée estompait un rêve de mirages orientaux : L’adjudication de vivres pour l´Armée Libératrice. Tyran Banderas interrompit l’enchantement :
-Vous méditez beaucoup là-dessus, et vous faites bien, car cette affaire est de la plus haute importance.
-Ma fortune, toujours très rare, et trop ébranlée ces temps ci, dans sa faible mesure, est au service du Gouvernement. Mon aide est pauvre, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie d’élection.
Petit Général interrompit avec le même geste impatient que quelqu´un qui éloigne un taon.
-La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un emprunt?
-La Colonie a beaucoup souffert, ces temps ci. Par contre, si l’on prend en compte ses relations avec la République…
Le Petit Général se pinça les lèvres, concentré dans sa pensée :
-La Colonie Espagnole comprend-elle jusqu’à quel point ses intérêts sont menacés avec l’idéologie de la Révolution? Si vous comprenez ceci, travaillez-la dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l´ordre : Le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se rengorgea :
-L’indien propriétaire de la terre, voilà une utopie d’universitaires.
-D’accord. C’est pour cela que je vous disais qu’aux scientifiques, il faut leur donner du travail en dehors du pays, là où leur talent n’est pas nuisible à la République. Don Celestino, un approvisionnement en argent est indispensable, et vous, vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y rapporte. Allez voir le Secrétaire des Finances. Ne faites pas trainer cette affaire. Le Petit Licencié a bien étudié l’affaire et vous mettra au courant : discutez les garanties et réglez ça violemment, car il est de la plus haute urgence de tuer avec des balles en argent les révolutionnaires. L’étranger reçoit les calomnies que propagent les Agences! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contrainte, mais ça ne suffit pas. Ami Don Celes, il correspond à votre plume bien taillée de rédiger un document qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à instruire le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit marquer une orientation, faire savoir aux hommes d’État distraits que l’idéologie révolutionnaire, c’est le danger jaune en Amérique. La révolution représente la ruine des fermiers espagnols. Qu´ils le sachent, là bas, qu´ils se préparent. Ce que nous vivons est très grave, Don Celestino! Par des rumeurs qui sont arrivées jusqu’à moi, j’ai entendu parler d’une certaine procédure qu’envisage le Corps Diplomatique. Les rumeurs portent sur une protestation vis-à-vis des exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense l’approuver, cette protestation?
Le crâne chauve du riche Espagnol s’empourpra:
-Ce serait un affront à la Colonie!
-Et le Ministre d’Espagne, considérez vous que ce soit un sujet pour de tels affront?
-C’est un homme apathique…Il fait ce qui lui est le moins difficile. Un homme pas très clair.
-Il ne fait pas des affaires?
-Il fait des dettes, qu’il ne paye pas. Voulez-vous de meilleures affaires? Il voit comme un bannissement sa radication à la République.
-Que craignez-vous? Une sottise?
-J’en ai bien peur.
Eh bien il faut l’éviter.
L’Espagnol simula une inspiration soudaine, en frappant son front charnu avec la paume de sa main.
-La Colonie peut agir sur le Ministre.
Dos Santos déchira avec un sourire son masque indien vert.
-Ça, ça s’appelle faire passer un lingot d’or par la bouche d’une petite grenouille. Il convient d’agir avec violence. Les espagnols se trouvant ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, c’est une entéléchie à trois têtes. Le fils d’espagnols, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats, mais quelle sottise!
L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
-Mon admiration ne fait que croître en vous écoutant!
- Ne perdez pas de temps, Don Celes. Ceci signifie que l’on remet à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous n’aimez pas le jeu de la petite grenouille? C´est mon médicament pour me distraire, mon jeu de garçon, et je le pratique tous les soirs. C’est très salutaire, ça ne ruine pas comme d’autres jeu.
Le rupin prit une teinte rouge.
-C’est étonnant, comme nous avons les mêmes goûts!
-Don Celes, à la prochaine!
L’espagnol interrogea :
-La prochaine, ce sera demain?
Dos Santos bougea la tête :
-Si ça peut être avant, que ce soit avant. Moi, je ne dors pas.
Don Celes lança des louanges :
-Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal!
Le Tyran le congédia, cérémonieux, sa voix trahissant son sentiment de victoire sur l´autre.
***
Laëtitia So nous propose sa traduction :
Une métisse aux cheveux poivre et sel, pieds nus, les seins pendants, apporta avec les boissons de limonade et de chocolat, le pêcher mignon des frères et des corregidors, au temps de la vice-royauté. Avec la vaisselle en argent et en crystal tenue fermement entre ses mains et son cliquetis, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogative. Niño Santos, avec une moue de tête de mort, lui montra la petite table de camping qui, dans le creux d’un arc, ouvrait ses pates d’araignée. La métisse obéit prestement. Soumise, humide, lubrique, elle se contractait et glissait. Niño Santos mouilla ses lèvres dans la limonade :
- Depuis cinquante ans sans interruption, je bois ce rafraîchissement, il a des vertus médicinales.... Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes bomba le torse :
-Très juste, c’est ma boisson préférée ! Nous avons des goûts semblables, j’en suis fier.
Tirano Banderas, d’un geste farouche, esquiva la fumée de l’adulation, les volutes emphatiques. Le bord des lèvres tâché de vert, son visage se contractait en un air lugubre :
-Mon ami Don Celes, pour en finir avec les révolutions dès la racine, il faut des balles en argent.
- Des balles qui n’ont pas de poudre et ne font pas de vacarme.
La momie accourut avec une mine énigmatique :
- Celles-là, mon ami, qui sont muettes, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions foudroyantes, et le second moment, lorsque les balles en argent arrivent. Mon ami Don Celes, à peine arrivées, ses balles nous gagneraient les meilleures batailles. Maintenant la politique est d’attirer les révolutionnaires. Je fais honneur à mes ennemis, et je ne cache pas qu’ils disposent de bien des éléments sympathisants dans les Républiques alentours. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent avec leurs lumières travailler en faveur de notre Patrie. L’intelligence mérite le respect ; Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes approuvait avec la rougeur graisseuse d’un sourire :
- Je suis tout à fait d’accord. Evidemment !
- Eh bien pour ses scientifiques je veux les balles en argent : parmi eux il y a de très bonnes têtes qui brilleront avec les éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des études qui nous guideront ici. Leur poste est dans la Diplomatie... Dans les Congrès Scientifiques... Dans les commissions qui se créent pour l’étranger.
Le rupin acquiesça :
- Ca c’est faire de la politique sage !
Et Generalito Banderas murmura sur le ton de la confidence :
- Don Celes, pour cette politique j’ai besoin de grosses munitions d’argent. Qu’en dit notre ami ? Soyez loyal envers moi, et que rien de ce qui a été dit ne sorte de nous deux. Je vous prends comme conseiller, je reconnais votre grande valeur.
Don Celes se lissait la moustache vernie de brillantine et il aspirait, délice de Sybarite, les émanations de sa barbe qu’il répandait dans son atmosphère. Sa tête d’œuf, luisait comme le ventre d’un buddha, et son esprit s’évaporait dans un rêve de mirages orientaux : le contrat de denrées pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas interrompit la rêverie :
-Beaucoup le méditent, et ils ont raison, l’affaire a son importance.
L’Espagnol déclama la main sur le torse :
-Ma fortune, qui a toujours été mince, et qui en ces temps se trouve constamment réduite, dans sa petite mesure je la mets au service du Gouvernement. Mon aide est maigre, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie d’adoption.
Generalito Banderas le coupa avec le geste impatient avec lequel on chasse un taon :
-La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un emprunt ?
-La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, si l’on tient compte de ses relations avec la République...
Le Generalito tordit la bouche, concentré sur sa pensée :
-La Colonie Espagnole comprend-elle jusqu’où vos intérêts courent un danger avec l’idéologie de la Révolution ? Oui elle le comprend, vous devez travailler dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se rengorgea :
-L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
-Bien sûr. C’est pourquoi je vous disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes en dehors du pays, là où leur talent ne sera pas préjudiciable pour la République. Don Celestino, un ravitaillement en argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y rattache. Voyez cela avec le Secrétaire des Finances. Ne perdez pas de temps. Le Licenciadito a étudié la question et vous mettra au courant : discutez des garantis et résolvez le problème violement, car il est de la plus grande urgence de tirer sur les révolutionnaires avec des balles en argent. L’étranger croit les calomnies que les Agences divulguent ! Nous avons protesté contre la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contenue, mais cela ne suffit pas. Mon ami Don Celes, il convient à votre plume aiguisée de rédiger un document qui, avec la signature des espagnols prééminents, servira à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La révolution représente la ruine des propriétaires terriens espagnols. Qu’ils le sachent là-bas, qu’ils se forment. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce à des rumeurs qui sont arrivées à mes oreilles, j’ai appris que le Corps diplomatique prépare une certaine intervention. Les rumeurs parlent d’une protestation à propos des exécutions de Zamalpoa. Vous savez si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche Espagnol rougit :
-Se serait une gifle pour la Colonie !
-Et le Ministre d’Espagne, vous considérez qu’il saura se défendre contre ces gifles ?
-C’est un homme apathique... Il fait ce qui demande le moins de travail. C’est un homme pas très clair.
-Il ne fait pas d’affaires ?
-Il génère des dettes, qu’il ne paie pas. Vous voulez une plus grande affaire ? Il voit son installation dans la République comme un exil.
-Vous craignez un mauvais tour ?
-Je le crains.
-Eh bien il faut l’éviter.
L’Espagnol simula une inspiration lente, avec la main sur son front graisseux :
-La Colonie peut agir sur le Ministre.
Don Santos fendit son masque vert d’indien avec un sourire :
-C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la gueule de grenouille. Il faut agir violemment. Les Espagnols qui vivent ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats est une belle bourde. L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
-Mon admiration grandit en vous écoutant !
-Ne perdez pas de temps, Don Celes. Cela implique que l’invitation que je vous ai faite pour demain est reportée. Vous n’aimez pas le jeu de la petite grenouille ? C’est mon remède pour me distraire l’esprit, mon jeu depuis tout gamin, et je le pratique tous les après-midis.
Le rupin s’empourpra :
-C’est surprenant comme nos goûts sont semblables !
-Don Celes, à plus.
L’Espagnol demanda :
-A plus, c’est demain ?
Don Santos remua la tête :
-Oui avant peut-être, avant. Je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
-Professeur d’énergie, comme il est dit dans notre Journal !
Le Tyran lui dit au revoir, cérémonieux, de sa voix qui dérailla en un festival de couacs.
Une métisse aux cheveux poivre et sel, pieds nus, les seins pendants, apporta avec les boissons de limonade et de chocolat, le pêcher mignon des frères et des corregidors, au temps de la vice-royauté. Avec la vaisselle en argent et en crystal tenue fermement entre ses mains et son cliquetis, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogative. Niño Santos, avec une moue de tête de mort, lui montra la petite table de camping qui, dans le creux d’un arc, ouvrait ses pates d’araignée. La métisse obéit prestement. Soumise, humide, lubrique, elle se contractait et glissait. Niño Santos mouilla ses lèvres dans la limonade :
- Depuis cinquante ans sans interruption, je bois ce rafraîchissement, il a des vertus médicinales.... Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes bomba le torse :
-Très juste, c’est ma boisson préférée ! Nous avons des goûts semblables, j’en suis fier.
Tirano Banderas, d’un geste farouche, esquiva la fumée de l’adulation, les volutes emphatiques. Le bord des lèvres tâché de vert, son visage se contractait en un air lugubre :
-Mon ami Don Celes, pour en finir avec les révolutions dès la racine, il faut des balles en argent.
- Des balles qui n’ont pas de poudre et ne font pas de vacarme.
La momie accourut avec une mine énigmatique :
- Celles-là, mon ami, qui sont muettes, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions foudroyantes, et le second moment, lorsque les balles en argent arrivent. Mon ami Don Celes, à peine arrivées, ses balles nous gagneraient les meilleures batailles. Maintenant la politique est d’attirer les révolutionnaires. Je fais honneur à mes ennemis, et je ne cache pas qu’ils disposent de bien des éléments sympathisants dans les Républiques alentours. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent avec leurs lumières travailler en faveur de notre Patrie. L’intelligence mérite le respect ; Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes approuvait avec la rougeur graisseuse d’un sourire :
- Je suis tout à fait d’accord. Evidemment !
- Eh bien pour ses scientifiques je veux les balles en argent : parmi eux il y a de très bonnes têtes qui brilleront avec les éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des études qui nous guideront ici. Leur poste est dans la Diplomatie... Dans les Congrès Scientifiques... Dans les commissions qui se créent pour l’étranger.
Le rupin acquiesça :
- Ca c’est faire de la politique sage !
Et Generalito Banderas murmura sur le ton de la confidence :
- Don Celes, pour cette politique j’ai besoin de grosses munitions d’argent. Qu’en dit notre ami ? Soyez loyal envers moi, et que rien de ce qui a été dit ne sorte de nous deux. Je vous prends comme conseiller, je reconnais votre grande valeur.
Don Celes se lissait la moustache vernie de brillantine et il aspirait, délice de Sybarite, les émanations de sa barbe qu’il répandait dans son atmosphère. Sa tête d’œuf, luisait comme le ventre d’un buddha, et son esprit s’évaporait dans un rêve de mirages orientaux : le contrat de denrées pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas interrompit la rêverie :
-Beaucoup le méditent, et ils ont raison, l’affaire a son importance.
L’Espagnol déclama la main sur le torse :
-Ma fortune, qui a toujours été mince, et qui en ces temps se trouve constamment réduite, dans sa petite mesure je la mets au service du Gouvernement. Mon aide est maigre, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie d’adoption.
Generalito Banderas le coupa avec le geste impatient avec lequel on chasse un taon :
-La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un emprunt ?
-La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, si l’on tient compte de ses relations avec la République...
Le Generalito tordit la bouche, concentré sur sa pensée :
-La Colonie Espagnole comprend-elle jusqu’où vos intérêts courent un danger avec l’idéologie de la Révolution ? Oui elle le comprend, vous devez travailler dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se rengorgea :
-L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
-Bien sûr. C’est pourquoi je vous disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes en dehors du pays, là où leur talent ne sera pas préjudiciable pour la République. Don Celestino, un ravitaillement en argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y rattache. Voyez cela avec le Secrétaire des Finances. Ne perdez pas de temps. Le Licenciadito a étudié la question et vous mettra au courant : discutez des garantis et résolvez le problème violement, car il est de la plus grande urgence de tirer sur les révolutionnaires avec des balles en argent. L’étranger croit les calomnies que les Agences divulguent ! Nous avons protesté contre la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contenue, mais cela ne suffit pas. Mon ami Don Celes, il convient à votre plume aiguisée de rédiger un document qui, avec la signature des espagnols prééminents, servira à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La révolution représente la ruine des propriétaires terriens espagnols. Qu’ils le sachent là-bas, qu’ils se forment. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce à des rumeurs qui sont arrivées à mes oreilles, j’ai appris que le Corps diplomatique prépare une certaine intervention. Les rumeurs parlent d’une protestation à propos des exécutions de Zamalpoa. Vous savez si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche Espagnol rougit :
-Se serait une gifle pour la Colonie !
-Et le Ministre d’Espagne, vous considérez qu’il saura se défendre contre ces gifles ?
-C’est un homme apathique... Il fait ce qui demande le moins de travail. C’est un homme pas très clair.
-Il ne fait pas d’affaires ?
-Il génère des dettes, qu’il ne paie pas. Vous voulez une plus grande affaire ? Il voit son installation dans la République comme un exil.
-Vous craignez un mauvais tour ?
-Je le crains.
-Eh bien il faut l’éviter.
L’Espagnol simula une inspiration lente, avec la main sur son front graisseux :
-La Colonie peut agir sur le Ministre.
Don Santos fendit son masque vert d’indien avec un sourire :
-C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la gueule de grenouille. Il faut agir violemment. Les Espagnols qui vivent ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats est une belle bourde. L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
-Mon admiration grandit en vous écoutant !
-Ne perdez pas de temps, Don Celes. Cela implique que l’invitation que je vous ai faite pour demain est reportée. Vous n’aimez pas le jeu de la petite grenouille ? C’est mon remède pour me distraire l’esprit, mon jeu depuis tout gamin, et je le pratique tous les après-midis.
Le rupin s’empourpra :
-C’est surprenant comme nos goûts sont semblables !
-Don Celes, à plus.
L’Espagnol demanda :
-A plus, c’est demain ?
Don Santos remua la tête :
-Oui avant peut-être, avant. Je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
-Professeur d’énergie, comme il est dit dans notre Journal !
Le Tyran lui dit au revoir, cérémonieux, de sa voix qui dérailla en un festival de couacs.
***
Coralie nous propose sa traduction :
Une mulâtresse grise, aux pieds nus, à la poitrine tremblante, arriva avec la collation favorite des frères et magistrats à l’époque du vice-royaume, citronnade et chocolat. Avec un tintement d’argent et de verres entre ses mains brunes, la domestique, dubitative et hésitante, regarda son maître. Niño Santos, d’une moue vicieuse, lui indiqua la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’un arceau, ouvrait ses tentacules d’araignées. La mulâtresse obéit, promptement. Soumise, humide, lubrique, elle se redressait pour s’échapper. Niño Santos trempa ses lèvres dans la citronnade :
Je prends cette collation quotidiennement, depuis cinquante ans, et elle s’avère très bénéfique pour ma santé… Je vous la recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla sa bedondaine :
Incroyable ! C’est aussi ma collation ! Nous avons les mêmes goûts, j’en suis fier. Comment ne pas l’être !
Banderas le Tyran, d’un geste farouche, esquiva la fumée de l’adulation, les volutes emphatiques. Le contour des lèvres tâché de vert, il se figeait, l’air taciturne :
— Don Celes, mon ami, pour éradiquer les révolutions, il faut des balles d’argent.
L’Espagnol ajouta, pompeux :
Des balles qui ne font ni trace ni bruit !
La momie acquiesça avec une moue énigmatique :
Celles-ci, mon ami, qui sont silencieuses, sont les meilleures. Dans toute révolution, il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, et le second moment, quand les balles d’argent sont nécessaires. Don Celes, mon ami, rien qu’avec ces balles, nous gagnerions les meilleures batailles. Maintenant, la politique est d’attirer les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et j’ai conscience que les Républiques voisines comptent de nombreux éléments sympathisants. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent, grâce à leurs lumières, œuvrer au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes acquiesça avec un sourire rouge et gras :
Tout à fait d’accord. Comment ne pas l’être !
Je veux donc des balles d’argent pour ces scientifiques-là : il y a parmi eux de très bonnes têtes qui feraient de l’effet lors de confrontations avec les éminences de l’Étranger.
Le richard pondéra :
Ça, c’est faire de la politique savante !
Et, Banderas le petit Général, secret, murmura :
Don Celes, pour cette politique-là, j’ai besoin d’un important amunitionnement d’argent. Qu’en dites-vous, l’ami ? Soyez loyal, et que rien de ce qui a été dit ne sorte d’ici. Je vous prends comme conseiller, conscient de vos nombreuses valeurs.
Don Celes souleva d’un souffle sa moustache glacée à la brillantine et aspira, délice de sybarite, les auras de barbes qu’il répandait autour de lui. Son crâne dégarni, en forme d’oignon, resplendissait, comme un ventre bouddhique, et sa pensée estompait un rêve digne des mirages orientaux : l’acquisition de victuailles pour l’Armée Libératrice. Banderas le Tyran rompit le charme :
Vous prenez le temps d’y réfléchir, et vous faites bien, parce que le sujet a son importance finale.
L’Espagnol clama, la main sur sa bedondaine :
Ma fortune, toujours très maigre, et d’autant plus affaiblie en ce moment, est, dans sa courte mesure, au service du Gouvernement. Mon aide est mince, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme la patrie que j’ai choisi.
Banderas le petit Général l’interrompit d’un geste impatient visant à chasser un taon :
La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, vu vos liens avec la République…
Le petit Général tordit le nez, axé sur une pensée :
La Colonie Espagnole comprend-elle à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, entraînez-la dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne peut compter que sur elle pour faire triompher l’ordre : le pays est anarchisé à cause des mauvaises propagandes.
Don Celes sa gonfla :
L’Indien maître de sa terre est une utopie d’universitaires.
Nous sommes d’accord. C’est pour cela que je vous disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes hors du pays, où leur talent ne serait pas préjudiciable pour la République. Don Celestino, un amunitionnement d’argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y réfère. Rencontrez le Secrétaire d’État aux Finances. Ne tardez pas. L’Intellectuel a déjà étudié le sujet et vous mettra au courant : ils discutent les garanties et se révèlent violents, il est donc des plus urgents de transpercer les révolutionnaires d’une balle d’argent. L’étranger accueille les calomnies que divulguent les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contrainte, mais ça ne suffit pas. Don Celes, mon ami, il en va de votre plume bien taillée de rédiger un papier qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La Révolution représente la ruine des propriétaires terriens espagnols. Il faut qu’ils le sachent et qu’ils s’y préparent. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce aux rumeurs qui me sont parvenues, je suis au courant d’une intervention que projette le Corps Diplomatique. Les rumeurs parlent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche espagnol rougit :
Ce serait une sacrée gifle pour la Colonie !
Et le Ministre d’Espagne, pensez-vous qu’il serait exposé à de telles gifles ?
C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui demande le moins de travail. Ce n’est pas un homme très clair.
Il ne fait pas d’affaires ?
Il fait des dettes, qu’il ne paie pas. Voulez-vous une affaire plus importante ? Il prend comme un exil son enracinement dans la République.
De quoi avez-vous peur ? D’une bévue ?
Oui, j’en ai peur.
Il faut donc l’éviter.
L’Espagnol simula une soudaine inspiration, d’une tape sur sa face ventripotente :
La Colonie peut agir sur le Ministre.
Dos Santos déchira d’un sourire son masque vert d’indien :
C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la bouche de la rainette. Il convient d’agir violemment. Ces Espagnols, qui résident ici, ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats ne serait que pure plaisanterie.
L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
Mon admiration croît à mesure que je vous écoute !
Ne vous dispersez pas, Don Celes. Cela veux dire qu’on remet à demain mon invitation. Le jeu de la rainette ne vous plait pas ? C’est mon remède pour répandre le courage, mon jeu depuis tout petit, et je le pratique tous les après-midi. Très sain, il n’abime pas comme d’autres jeux.
Le richard s’enthousiasma :
C’est épatant comme nous avons les mêmes goûts !
À très bientôt, Don Celes.
L’Espagnol interrogea :
Très bientôt, c’est demain ?
Dos Santos tourna la tête :
— Si c’est possible avant, ce sera avant. Personnellement, je ne dors pas.
Don Celes, élogieux :
Professeur d’énergie, comme on dit dans chez nous !
Le Tiran le congédia, cérémonieux, une fois sa voix éclaircie par une ribambelle de crachats.
Une mulâtresse grise, aux pieds nus, à la poitrine tremblante, arriva avec la collation favorite des frères et magistrats à l’époque du vice-royaume, citronnade et chocolat. Avec un tintement d’argent et de verres entre ses mains brunes, la domestique, dubitative et hésitante, regarda son maître. Niño Santos, d’une moue vicieuse, lui indiqua la petite table de camp qui, dans l’embrasure d’un arceau, ouvrait ses tentacules d’araignées. La mulâtresse obéit, promptement. Soumise, humide, lubrique, elle se redressait pour s’échapper. Niño Santos trempa ses lèvres dans la citronnade :
Je prends cette collation quotidiennement, depuis cinquante ans, et elle s’avère très bénéfique pour ma santé… Je vous la recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla sa bedondaine :
Incroyable ! C’est aussi ma collation ! Nous avons les mêmes goûts, j’en suis fier. Comment ne pas l’être !
Banderas le Tyran, d’un geste farouche, esquiva la fumée de l’adulation, les volutes emphatiques. Le contour des lèvres tâché de vert, il se figeait, l’air taciturne :
— Don Celes, mon ami, pour éradiquer les révolutions, il faut des balles d’argent.
L’Espagnol ajouta, pompeux :
Des balles qui ne font ni trace ni bruit !
La momie acquiesça avec une moue énigmatique :
Celles-ci, mon ami, qui sont silencieuses, sont les meilleures. Dans toute révolution, il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, et le second moment, quand les balles d’argent sont nécessaires. Don Celes, mon ami, rien qu’avec ces balles, nous gagnerions les meilleures batailles. Maintenant, la politique est d’attirer les révolutionnaires. Moi, je fais honneur à mes ennemis, et j’ai conscience que les Républiques voisines comptent de nombreux éléments sympathisants. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent, grâce à leurs lumières, œuvrer au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne trouvez pas, Don Celes ?
Don Celes acquiesça avec un sourire rouge et gras :
Tout à fait d’accord. Comment ne pas l’être !
Je veux donc des balles d’argent pour ces scientifiques-là : il y a parmi eux de très bonnes têtes qui feraient de l’effet lors de confrontations avec les éminences de l’Étranger.
Le richard pondéra :
Ça, c’est faire de la politique savante !
Et, Banderas le petit Général, secret, murmura :
Don Celes, pour cette politique-là, j’ai besoin d’un important amunitionnement d’argent. Qu’en dites-vous, l’ami ? Soyez loyal, et que rien de ce qui a été dit ne sorte d’ici. Je vous prends comme conseiller, conscient de vos nombreuses valeurs.
Don Celes souleva d’un souffle sa moustache glacée à la brillantine et aspira, délice de sybarite, les auras de barbes qu’il répandait autour de lui. Son crâne dégarni, en forme d’oignon, resplendissait, comme un ventre bouddhique, et sa pensée estompait un rêve digne des mirages orientaux : l’acquisition de victuailles pour l’Armée Libératrice. Banderas le Tyran rompit le charme :
Vous prenez le temps d’y réfléchir, et vous faites bien, parce que le sujet a son importance finale.
L’Espagnol clama, la main sur sa bedondaine :
Ma fortune, toujours très maigre, et d’autant plus affaiblie en ce moment, est, dans sa courte mesure, au service du Gouvernement. Mon aide est mince, mais elle représente le fruit du travail honnête sur cette terre généreuse, que j’aime comme la patrie que j’ai choisi.
Banderas le petit Général l’interrompit d’un geste impatient visant à chasser un taon :
La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, vu vos liens avec la République…
Le petit Général tordit le nez, axé sur une pensée :
La Colonie Espagnole comprend-elle à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, entraînez-la dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne peut compter que sur elle pour faire triompher l’ordre : le pays est anarchisé à cause des mauvaises propagandes.
Don Celes sa gonfla :
L’Indien maître de sa terre est une utopie d’universitaires.
Nous sommes d’accord. C’est pour cela que je vous disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes hors du pays, où leur talent ne serait pas préjudiciable pour la République. Don Celestino, un amunitionnement d’argent est indispensable, et vous êtes mandaté pour tout ce qui s’y réfère. Rencontrez le Secrétaire d’État aux Finances. Ne tardez pas. L’Intellectuel a déjà étudié le sujet et vous mettra au courant : ils discutent les garanties et se révèlent violents, il est donc des plus urgents de transpercer les révolutionnaires d’une balle d’argent. L’étranger accueille les calomnies que divulguent les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contrainte, mais ça ne suffit pas. Don Celes, mon ami, il en va de votre plume bien taillée de rédiger un papier qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer une orientation, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La Révolution représente la ruine des propriétaires terriens espagnols. Il faut qu’ils le sachent et qu’ils s’y préparent. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce aux rumeurs qui me sont parvenues, je suis au courant d’une intervention que projette le Corps Diplomatique. Les rumeurs parlent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne dégarni du riche espagnol rougit :
Ce serait une sacrée gifle pour la Colonie !
Et le Ministre d’Espagne, pensez-vous qu’il serait exposé à de telles gifles ?
C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui demande le moins de travail. Ce n’est pas un homme très clair.
Il ne fait pas d’affaires ?
Il fait des dettes, qu’il ne paie pas. Voulez-vous une affaire plus importante ? Il prend comme un exil son enracinement dans la République.
De quoi avez-vous peur ? D’une bévue ?
Oui, j’en ai peur.
Il faut donc l’éviter.
L’Espagnol simula une soudaine inspiration, d’une tape sur sa face ventripotente :
La Colonie peut agir sur le Ministre.
Dos Santos déchira d’un sourire son masque vert d’indien :
C’est ce qui s’appelle mettre le palet dans la bouche de la rainette. Il convient d’agir violemment. Ces Espagnols, qui résident ici, ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, pour la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats ne serait que pure plaisanterie.
L’Espagnol, baroque et pompeux, lui tendit la main :
Mon admiration croît à mesure que je vous écoute !
Ne vous dispersez pas, Don Celes. Cela veux dire qu’on remet à demain mon invitation. Le jeu de la rainette ne vous plait pas ? C’est mon remède pour répandre le courage, mon jeu depuis tout petit, et je le pratique tous les après-midi. Très sain, il n’abime pas comme d’autres jeux.
Le richard s’enthousiasma :
C’est épatant comme nous avons les mêmes goûts !
À très bientôt, Don Celes.
L’Espagnol interrogea :
Très bientôt, c’est demain ?
Dos Santos tourna la tête :
— Si c’est possible avant, ce sera avant. Personnellement, je ne dors pas.
Don Celes, élogieux :
Professeur d’énergie, comme on dit dans chez nous !
Le Tiran le congédia, cérémonieux, une fois sa voix éclaircie par une ribambelle de crachats.
***
Sonita nous propose sa traduction :
Une métisse poivre et sel, pieds nus, les seins tombants, ramena le rafraîchissement de limonade et chocolat, aimé des moines et des corregidors, pendant la vice-royauté. Avec le tintement de l’argenterie et des verres dans les mains noires, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogatrice. Niño Santos avec une grimace de la tête, lui indiqua la petite table de campement qui, dans l’embrasure de l’arc, ouvrait ses compas d’araignée. La métisse obéit avec empressement. Soumise, humide, lubrique, elle se faisait toute petite et glissait. Niño Santos mouilla les lèvres dans la limonade : —Consécutivement, depuis cinquante ans, je prends ce rafraîchissement, et il m’est d’avis qu’il est très bon pour la santé… Je vous le recommande, Don Celes. Don Celes gonfla la boutargue : — Justement, c’est aussi mon rafraîchissement! Nous avons les mêmes goûts et j’en suis fier. Comment ne pas l’être ?
Tirano Banderas, avec un geste farouche, esquiva la fumée de la flatterie, les volutes emphatiques. Les coins de la bouche tachés de vert, il se faisait tout petit dans son geste saturnien : — Don Celes, mon ami, les révolutions, pour en venir à bout dès la racine, ont besoin de balles d’argent. Renforça avec pompe le gachupíni.
—Des balles qui n’ont pas de poudre ni font de vacarme.
La momie accueillit cela avec une moue énigmatique :
— Celles-là, mon ami, celles qui vont sans faire de bruit, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, et dans un deuxième temps, celui où il convient d’utiliser les balles d’argent. Don Celes, mon ami, actuellement ces balles gagneraient pour nous les meilleures batailles. Maintenant, la politique consiste à attirer les révolutionnaires. Je fais honneur à mes ennemis, et ce n’est pas un secret pour moi qu’ils comptent sur beaucoup d’éléments sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent, avec leurs lumières, travailler au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne croyez pas Don Celes ? Don Celes acquiesçait avec la rougeur graisseuse d’un sourire. — Complètement d’accord. Comment ne pas l’être ?
—Et bien, c’est pour ces scientifiques que je veux les balles d’argent : il y a parmi eux des têtes qui brilleraient en se confrontant avec les éminences de l’Étranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des recherches qui nous guident ici. Leur poste est dans la Diplomatie… dans les Congrès Scientifiques… dans les Commissions que l’on crée pour l’Étranger.
Le richard vanta :
—Ça c’est faire de la politique sage !
Et le Petit Général Banderas murmura en ton de confidence :
—Don Celes, pour cette politique j’ai besoin d’un gros amunitionnement d’argent. Qu’en dites vous, mon ami ? Soyez fidèle, et que cela ne sorte pas d’ici ce dont avons parlé. Je vous prends comme conseiller reconnaissant ô combien vous êtes important pour moi.
Don Celes soufflait sur ses moustaches couvertes de brillantine et aspirait, les délices de la sybarite, les auras barbières qui se répandaient dans l’enceinte. Il resplendissait, comme un ventre bouddhiste, l’oignon doux de son crâne dégarni, et ses pensées estompaient un rêve de mirages orientaux : l’embauche de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas mit fin à l’enchantement :
—Vous le méditez beaucoup, et vous avez raison, parce que ce n’est pas une mince affaire. Déclama le gachupín, avec la main sur la boutargue :
—Ma fortune, toujours très maigre, et en ces temps même assez débilitée, dans sa petite mesure est à disposition du Gouvernement. Mon aide est bien pauvre, mais elle représente le fruit de l’honnête travail sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie que j’ai choisi.
Le Petit Général interrompit avec le geste impatient d’éloigner un taon :
—La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un petit emprunt ?
—La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, tenant en compte ses liens avec la République…
Le Petit général fronça les lèvres, très concentré sur une pensée :
—La Colonie Espagnole comprend à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, à vous de la travailler dans le bon sens. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se gonfla :
—L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
—Tout à fait d’accord. C’est pour cela que je disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes en dehors du pays, où leur talent ne soit pas nuisible pour la République. Don Celestino, il nous faut un amunitionnement d’argent, et vous êtes chargé de mettre tout cela en œuvre. Voyez le Secrétaire des Finances. Ne vous y attardez pas. Le petit Licencié a étudié l’affaire et il vous mettra au courant : Discutez les garanties et réglez ça violemment, parce que c’est urgent de transpercer de balles d’argent les révolutionnaires. L’étranger accueille les calomnies que les Agences ont divulguées ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contenue, mais cela ne suffit pas. Don Celes, mon ami, c’est à votre plume bien aiguisée qu’il correspond de rédiger un document qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit indiquer un chemin, faire savoir à tous les hommes d’État distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La Révolution représente la ruine des propriétaires espagnols. Qu’ils le sachent là-bas, qu’ils se préparent. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce à quelques rumeurs qui me sont parvenues, je suis au courant que le Corps Diplomatique projette un mouvement. Les rumeurs indiquent qu’ils feront une manifestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne à l’intention d’y souscrire ?
Le crâne dégarni du riche gachupín rougit :
—Ce serait une gifle à la Colonie !
—Et pensez-vous que le Ministre d’Espagne soit enclin à ces gifles ?
— C’est un homme apathique… Il choisit toujours la facilité. Ce n’est pas un homme à porter les pantalons, bien entendu.
—Il ne fait pas d’affaires ?
—Il contracte des dettes qu’il ne paie pas. Voulez-vous une meilleure affaire que celle-là ? Il voit son établissement dans la République comme un exil.
—De quoi avez-vous peur ? D’une connerie ?
—Je le crains, oui.
—Et bien, il faut l’éviter.
Le gachupín simula une inspiration soudaine, avec une tape sur son front ventru.
—La Colonie peut avoir une incidence sur le Ministre.
Dos Santos déchira d’un sourire son masque vert indien :
—On appelle cela mettre le palet dans la bouche de la grenouille. Il faut agir violemment. Les espagnols qui résident ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, à cause de la politique de ces pays est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique sous ces climats n’est rien d’autre qu’une blague.
Le gachupín, baroque et pompeux, lui tendit la main :
—Mon admiration grandit en vous écoutant !
—N’en dites pas plus Don Celes. Cela veut dire qu’on remet à demain l’invitation que je vous ai donnée. Et vous, le jeu de la grenouille ne vous plaît pas ? C’est mon remède pour me détendre, mon jeu depuis que j’étais petit, et je le pratique toutes les après-midis. Très sain, il ne ruine pas comme d’autres jeux.
Le richard s’enflamme :
—Incroyable, comment nous avons les mêmes goûts !
—À tout à l’heure Don Celes.
Le gachupín demanda :
—Tout à l’heure c’est demain ?
Don Santos bougea la tête :
—Si ça peut se faire avant, ce sera avant. Je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
—Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal !
Tirano lui dit au-revoir, cérémonieux, la voix bradée dans un mât de cocagne de coqs.
Une métisse poivre et sel, pieds nus, les seins tombants, ramena le rafraîchissement de limonade et chocolat, aimé des moines et des corregidors, pendant la vice-royauté. Avec le tintement de l’argenterie et des verres dans les mains noires, la domestique regarda le petit patron, hésitante, interrogatrice. Niño Santos avec une grimace de la tête, lui indiqua la petite table de campement qui, dans l’embrasure de l’arc, ouvrait ses compas d’araignée. La métisse obéit avec empressement. Soumise, humide, lubrique, elle se faisait toute petite et glissait. Niño Santos mouilla les lèvres dans la limonade : —Consécutivement, depuis cinquante ans, je prends ce rafraîchissement, et il m’est d’avis qu’il est très bon pour la santé… Je vous le recommande, Don Celes. Don Celes gonfla la boutargue : — Justement, c’est aussi mon rafraîchissement! Nous avons les mêmes goûts et j’en suis fier. Comment ne pas l’être ?
Tirano Banderas, avec un geste farouche, esquiva la fumée de la flatterie, les volutes emphatiques. Les coins de la bouche tachés de vert, il se faisait tout petit dans son geste saturnien : — Don Celes, mon ami, les révolutions, pour en venir à bout dès la racine, ont besoin de balles d’argent. Renforça avec pompe le gachupíni.
—Des balles qui n’ont pas de poudre ni font de vacarme.
La momie accueillit cela avec une moue énigmatique :
— Celles-là, mon ami, celles qui vont sans faire de bruit, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a toujours deux moments critiques : celui des exécutions fulminantes, et dans un deuxième temps, celui où il convient d’utiliser les balles d’argent. Don Celes, mon ami, actuellement ces balles gagneraient pour nous les meilleures batailles. Maintenant, la politique consiste à attirer les révolutionnaires. Je fais honneur à mes ennemis, et ce n’est pas un secret pour moi qu’ils comptent sur beaucoup d’éléments sympathisants dans les Républiques voisines. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui peuvent, avec leurs lumières, travailler au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne croyez pas Don Celes ? Don Celes acquiesçait avec la rougeur graisseuse d’un sourire. — Complètement d’accord. Comment ne pas l’être ?
—Et bien, c’est pour ces scientifiques que je veux les balles d’argent : il y a parmi eux des têtes qui brilleraient en se confrontant avec les éminences de l’Étranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des recherches qui nous guident ici. Leur poste est dans la Diplomatie… dans les Congrès Scientifiques… dans les Commissions que l’on crée pour l’Étranger.
Le richard vanta :
—Ça c’est faire de la politique sage !
Et le Petit Général Banderas murmura en ton de confidence :
—Don Celes, pour cette politique j’ai besoin d’un gros amunitionnement d’argent. Qu’en dites vous, mon ami ? Soyez fidèle, et que cela ne sorte pas d’ici ce dont avons parlé. Je vous prends comme conseiller reconnaissant ô combien vous êtes important pour moi.
Don Celes soufflait sur ses moustaches couvertes de brillantine et aspirait, les délices de la sybarite, les auras barbières qui se répandaient dans l’enceinte. Il resplendissait, comme un ventre bouddhiste, l’oignon doux de son crâne dégarni, et ses pensées estompaient un rêve de mirages orientaux : l’embauche de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas mit fin à l’enchantement :
—Vous le méditez beaucoup, et vous avez raison, parce que ce n’est pas une mince affaire. Déclama le gachupín, avec la main sur la boutargue :
—Ma fortune, toujours très maigre, et en ces temps même assez débilitée, dans sa petite mesure est à disposition du Gouvernement. Mon aide est bien pauvre, mais elle représente le fruit de l’honnête travail sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie que j’ai choisi.
Le Petit Général interrompit avec le geste impatient d’éloigner un taon :
—La Colonie Espagnole ne couvrirait pas un petit emprunt ?
—La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Cependant, tenant en compte ses liens avec la République…
Le Petit général fronça les lèvres, très concentré sur une pensée :
—La Colonie Espagnole comprend à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle le comprend, à vous de la travailler dans le bon sens. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est anarchisé par les mauvaises propagandes.
Don Celes se gonfla :
—L’indien propriétaire de la terre est une utopie d’universitaires.
—Tout à fait d’accord. C’est pour cela que je disais qu’il faut donner aux scientifiques des postes en dehors du pays, où leur talent ne soit pas nuisible pour la République. Don Celestino, il nous faut un amunitionnement d’argent, et vous êtes chargé de mettre tout cela en œuvre. Voyez le Secrétaire des Finances. Ne vous y attardez pas. Le petit Licencié a étudié l’affaire et il vous mettra au courant : Discutez les garanties et réglez ça violemment, parce que c’est urgent de transpercer de balles d’argent les révolutionnaires. L’étranger accueille les calomnies que les Agences ont divulguées ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que la campagne de diffamation soit contenue, mais cela ne suffit pas. Don Celes, mon ami, c’est à votre plume bien aiguisée qu’il correspond de rédiger un document qui, avec les signatures des espagnols prééminents, serve à illustrer le Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit indiquer un chemin, faire savoir à tous les hommes d’État distraits que l’idéologie révolutionnaire est le danger jaune en Amérique. La Révolution représente la ruine des propriétaires espagnols. Qu’ils le sachent là-bas, qu’ils se préparent. Le moment est très grave, Don Celestino ! Grâce à quelques rumeurs qui me sont parvenues, je suis au courant que le Corps Diplomatique projette un mouvement. Les rumeurs indiquent qu’ils feront une manifestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre d’Espagne à l’intention d’y souscrire ?
Le crâne dégarni du riche gachupín rougit :
—Ce serait une gifle à la Colonie !
—Et pensez-vous que le Ministre d’Espagne soit enclin à ces gifles ?
— C’est un homme apathique… Il choisit toujours la facilité. Ce n’est pas un homme à porter les pantalons, bien entendu.
—Il ne fait pas d’affaires ?
—Il contracte des dettes qu’il ne paie pas. Voulez-vous une meilleure affaire que celle-là ? Il voit son établissement dans la République comme un exil.
—De quoi avez-vous peur ? D’une connerie ?
—Je le crains, oui.
—Et bien, il faut l’éviter.
Le gachupín simula une inspiration soudaine, avec une tape sur son front ventru.
—La Colonie peut avoir une incidence sur le Ministre.
Dos Santos déchira d’un sourire son masque vert indien :
—On appelle cela mettre le palet dans la bouche de la grenouille. Il faut agir violemment. Les espagnols qui résident ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, à cause de la politique de ces pays est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien et le noir. Trois Humanités. Une autre politique sous ces climats n’est rien d’autre qu’une blague.
Le gachupín, baroque et pompeux, lui tendit la main :
—Mon admiration grandit en vous écoutant !
—N’en dites pas plus Don Celes. Cela veut dire qu’on remet à demain l’invitation que je vous ai donnée. Et vous, le jeu de la grenouille ne vous plaît pas ? C’est mon remède pour me détendre, mon jeu depuis que j’étais petit, et je le pratique toutes les après-midis. Très sain, il ne ruine pas comme d’autres jeux.
Le richard s’enflamme :
—Incroyable, comment nous avons les mêmes goûts !
—À tout à l’heure Don Celes.
Le gachupín demanda :
—Tout à l’heure c’est demain ?
Don Santos bougea la tête :
—Si ça peut se faire avant, ce sera avant. Je ne dors pas.
Don Celes le flatta :
—Professeur d’énergie, comme on dit dans notre Journal !
Tirano lui dit au-revoir, cérémonieux, la voix bradée dans un mât de cocagne de coqs.
***
Émeline nous propose sa traduction :
Une mulâtresse à la chevelure poivre et sel, pieds nus, aux seins ballotant, apporta la limonade fraîche et le chocolat, péché mignon des moines et corregidors durant la vice-royauté. Des tintements argentés et cristallins entre ses mains, la bonne, douteuse, interrogea son maître du regard. Niño Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de campement, qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse obéit, les jupes flottantes. Soumise, humide, lubrique, elle tressaillait et glissait sur le sol. Niño Santos trempa les lèvres dans la limonade.
—Régulièrement, depuis cinquante ans, je bois de ce rafraichissement ; il s’avère très thérapeutique… Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla son ventre bedonnant:
—Excellent, c’est ma propre boisson ! Nous avons les mêmes goûts, et j’en suis fort orgueilleux. Comment ne pas l’être !
Tirano Banderas, d’un geste vif, esquiva la fumée de la flatterie, les volutes emphatiques.
Les coins de la bouche tâchés de vert, il se recroquevilla dans son attitude morose :
—Don Celes, mon ami, les révolutions, pour les faire taire, rendent nécessaires des balles en argent.
Le cachupin renchérit, grandiloquent :
—Des balles sans poudre et qui ne font pas de bruit !
La momie accueillit ces propos avec une moue énigmatique :
—Celles-là, les amis, qui sont silencieuses, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a deux moments critiques : celui des exécutions brutales, et le second, quand les balles en argent deviennent nécessaires. Don Celes, mon ami, une fois ces balles entre nos mains, nous gagnerons les plus grandes batailles. Maintenant, la politique est de se rapprocher des révolutionnaires. Personnellement, je fais honneur à mes ennemis, et on ne me cache pas que beaucoup de sympathisants des Républiques voisines en font partie. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui grâce à leurs lumières peuvent œuvrer au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne pensez pas, Don Celes ?
Don Celes acquiesçait avec la graisseuse rougeur d’un sourire.
—Je suis tout à fait d’accord. Comment ne pas l’être !
—Par conséquent, moi, je veux des balles en argent pour ces scientifiques : il y a de très bonnes têtes parmi eux qui rayonneraient en comparaison des éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des études qui ici nous font avancer. Leur place est à la Diplomatie… Dans les Congrès Scientifiques… Dans les Commissions qui se créent pour l’Etranger.
La richard s’exclama :
—Cela revient à faire de la politique savante !
Et le Petit Général Banderas murmura sur un ton confidentiel :
—Don Celes, pour ce genre de politique j’ai besoin d’un gros approvisionnement de munitions en argent. Qu’en dites-vous, mon ami ? Soyez digne de confiance, et que tout ce dont nous avons parlé reste entre nous. Je fais de vous mon conseiller, car je prends conscience de tout ce que vous valez.
Don Celes lissait ses moustaches givrées de brillantine et aspirait, délice de sybarite, les effluves de barbier qu’il répandait autour de lui. Son bulbe calvitié reluisait comme un ventre bouddhique, et un rêve de mirages orientaux voilait son esprit : une promesse de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit le charme.
—Vous y songez beaucoup, et vous faites bien, car l’affaire est réellement importante.
Le cachupin, la main sur sa bedaine, déclara :
—Ma fortune, toujours très réduite, et déjà grandement diminuée, est, dans sa moindre mesure, à la disposition du Gouvernement. Bien pauvre est mon aide, mais elle représente le fruit de mon honnête travail sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie de cœur.
Le Petit Général Banderas l’interrompit du geste impatient d’éloigner un frelon.
—La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
—La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Toutefois, étant donné ses relations avec la République…
Le Petit Général pinça la bouche, concentré sur une idée :
—La Colonie Espagnole comprend à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle comprend, travaillez-là dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est investi d’anarchie par les mauvaises propagandes.
Don Celes s’agaça :
—L’indien maître de la terre est une utopie d’universitaires.
—Exact. C’est pour cela que je vous disais qu’il faut offrir aux scientifiques des emplois hors du pays, où leur talent ne porterait pas préjudice à la République. Don Celestino, des munitions en argent sont indispensables, et vous vous chargerez de tout ce qui s’y réfère. Allez voir le Secrétaire des Finances. Ne vous étendez pas. L’avocat connait son sujet et le mettra au courant : ils débattent des garanties et résolvent le problème violemment, car il est plus qu’urgent de cribler d’argent les révolutionnaires. L’étranger acclame les calomnies divulguées par les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que soit contenue la campagne de diffamation, mais ça ne suffit pas. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume acérée de rédiger un document, qui, signé par deux espagnols éminents, serve l’image du Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer le chemin, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéal révolutionnaire est un péril jaune en Amérique. La Révolution signifie la ruine des éleveurs espagnols. Qu’ils le sachent et s’y prépare. L’heure est vraiment grave, Don Celestino ! Grâce à des rumeurs qui me sont parvenues, j’ai entendu parler de certains agissements que projette le Corps Diplomatique. Les rumeurs viennent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre de l’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne du riche cachupin rougit :
—Ce serait un coup dur pour la Colonie !
—Et le Ministre de l’Espagne, vous considérez qu’il serait bon à porter ces coups ?
—C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui coûte le moins de travail. Un homme peu honnête.
—Il ne fait pas d’affaires ?
—Il accumule des dettes, qu’il ne paie pas. Vous voulez un sujet plus important ? Il voit sa place dans la République comme un exil.
—De quoi avez-vous peur ? Une entourloupe ?
—Oui, c’est cela.
—Il faut donc l’éviter.
La cachupin simula une soudaine inspiration, claquant du plat de la main son front ventru :
—La Colonie peut agir sur le Ministre.
Don Santos déchira son masque indien vert par un sourire :
—C’est ce qui s’appelle mettre dans le mille. Il faut donc agir avec violence. Les espagnols enracinés ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, en ce qui concerne la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien, et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats n’est que pure fantaisie.
Le cachupin, baroque et pompeux, lui tendit la main :
—A vous écouter, mon admiration ne fait qu’augmenter !
—Ne vous étalez pas, Don Celes. Vous voulez bien qu’on remette à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous n’aimez pas le jeu de la grenouille ? C’est un vrai remède pour dissiper l’excitation, mon jeu favori depuis tout petit, et je le pratique tous les après-midi. Très sain, il n’épuise pas comme d’autres jeux.
Le richard rougissait :
—C’est stupéfiant comme nous avons des goûts semblables !
—Don Celes, à très vite.
Le cachupin demanda :
—Très vite, ce sera demain ?
Don Santos hocha la tête :
—Si cela peut être avant, alors avant. Pour ma part, je ne dors pas.
Don Celes l’encensa :
—Professeur d’énergie, comme ils disent dans notre Quotidien !
Tirano le renvoya, cérémonieux, la voix saccagée par un chapelet de glaviots.
Une mulâtresse à la chevelure poivre et sel, pieds nus, aux seins ballotant, apporta la limonade fraîche et le chocolat, péché mignon des moines et corregidors durant la vice-royauté. Des tintements argentés et cristallins entre ses mains, la bonne, douteuse, interrogea son maître du regard. Niño Santos, avec une grimace de tête de mort, lui indiqua la petite table de campement, qui, dans l’embrasure d’une arcade, déployait ses pattes d’araignée. La mulâtresse obéit, les jupes flottantes. Soumise, humide, lubrique, elle tressaillait et glissait sur le sol. Niño Santos trempa les lèvres dans la limonade.
—Régulièrement, depuis cinquante ans, je bois de ce rafraichissement ; il s’avère très thérapeutique… Je vous le recommande, Don Celes.
Don Celes gonfla son ventre bedonnant:
—Excellent, c’est ma propre boisson ! Nous avons les mêmes goûts, et j’en suis fort orgueilleux. Comment ne pas l’être !
Tirano Banderas, d’un geste vif, esquiva la fumée de la flatterie, les volutes emphatiques.
Les coins de la bouche tâchés de vert, il se recroquevilla dans son attitude morose :
—Don Celes, mon ami, les révolutions, pour les faire taire, rendent nécessaires des balles en argent.
Le cachupin renchérit, grandiloquent :
—Des balles sans poudre et qui ne font pas de bruit !
La momie accueillit ces propos avec une moue énigmatique :
—Celles-là, les amis, qui sont silencieuses, sont les meilleures. Dans toute révolution il y a deux moments critiques : celui des exécutions brutales, et le second, quand les balles en argent deviennent nécessaires. Don Celes, mon ami, une fois ces balles entre nos mains, nous gagnerons les plus grandes batailles. Maintenant, la politique est de se rapprocher des révolutionnaires. Personnellement, je fais honneur à mes ennemis, et on ne me cache pas que beaucoup de sympathisants des Républiques voisines en font partie. Parmi les révolutionnaires, il y a des scientifiques qui grâce à leurs lumières peuvent œuvrer au profit de la Patrie. L’intelligence mérite le respect. Vous ne pensez pas, Don Celes ?
Don Celes acquiesçait avec la graisseuse rougeur d’un sourire.
—Je suis tout à fait d’accord. Comment ne pas l’être !
—Par conséquent, moi, je veux des balles en argent pour ces scientifiques : il y a de très bonnes têtes parmi eux qui rayonneraient en comparaison des éminences de l’Etranger. En Europe, ces hommes peuvent faire des études qui ici nous font avancer. Leur place est à la Diplomatie… Dans les Congrès Scientifiques… Dans les Commissions qui se créent pour l’Etranger.
La richard s’exclama :
—Cela revient à faire de la politique savante !
Et le Petit Général Banderas murmura sur un ton confidentiel :
—Don Celes, pour ce genre de politique j’ai besoin d’un gros approvisionnement de munitions en argent. Qu’en dites-vous, mon ami ? Soyez digne de confiance, et que tout ce dont nous avons parlé reste entre nous. Je fais de vous mon conseiller, car je prends conscience de tout ce que vous valez.
Don Celes lissait ses moustaches givrées de brillantine et aspirait, délice de sybarite, les effluves de barbier qu’il répandait autour de lui. Son bulbe calvitié reluisait comme un ventre bouddhique, et un rêve de mirages orientaux voilait son esprit : une promesse de victuailles pour l’Armée Libératrice. Tirano Banderas rompit le charme.
—Vous y songez beaucoup, et vous faites bien, car l’affaire est réellement importante.
Le cachupin, la main sur sa bedaine, déclara :
—Ma fortune, toujours très réduite, et déjà grandement diminuée, est, dans sa moindre mesure, à la disposition du Gouvernement. Bien pauvre est mon aide, mais elle représente le fruit de mon honnête travail sur cette terre généreuse, que j’aime comme une patrie de cœur.
Le Petit Général Banderas l’interrompit du geste impatient d’éloigner un frelon.
—La Colonie Espagnole n’accorderait-elle pas un emprunt ?
—La Colonie a beaucoup souffert ces derniers temps. Toutefois, étant donné ses relations avec la République…
Le Petit Général pinça la bouche, concentré sur une idée :
—La Colonie Espagnole comprend à quel point ses intérêts sont en danger avec l’idéologie de la Révolution ? Si elle comprend, travaillez-là dans le sens indiqué. Le Gouvernement ne compte sur elle que pour le triomphe de l’ordre : le pays est investi d’anarchie par les mauvaises propagandes.
Don Celes s’agaça :
—L’indien maître de la terre est une utopie d’universitaires.
—Exact. C’est pour cela que je vous disais qu’il faut offrir aux scientifiques des emplois hors du pays, où leur talent ne porterait pas préjudice à la République. Don Celestino, des munitions en argent sont indispensables, et vous vous chargerez de tout ce qui s’y réfère. Allez voir le Secrétaire des Finances. Ne vous étendez pas. L’avocat connait son sujet et le mettra au courant : ils débattent des garanties et résolvent le problème violemment, car il est plus qu’urgent de cribler d’argent les révolutionnaires. L’étranger acclame les calomnies divulguées par les Agences ! Nous avons protesté par la voie diplomatique pour que soit contenue la campagne de diffamation, mais ça ne suffit pas. Don Celes, mon ami, il incombe à votre plume acérée de rédiger un document, qui, signé par deux espagnols éminents, serve l’image du Gouvernement de la Mère Patrie. La Colonie doit montrer le chemin, faire savoir aux hommes d’Etat distraits que l’idéal révolutionnaire est un péril jaune en Amérique. La Révolution signifie la ruine des éleveurs espagnols. Qu’ils le sachent et s’y prépare. L’heure est vraiment grave, Don Celestino ! Grâce à des rumeurs qui me sont parvenues, j’ai entendu parler de certains agissements que projette le Corps Diplomatique. Les rumeurs viennent d’une protestation contre les exécutions de Zamalpoa. Savez-vous si le Ministre de l’Espagne pense approuver cette protestation ?
Le crâne du riche cachupin rougit :
—Ce serait un coup dur pour la Colonie !
—Et le Ministre de l’Espagne, vous considérez qu’il serait bon à porter ces coups ?
—C’est un homme apathique… Il fait ce qui lui coûte le moins de travail. Un homme peu honnête.
—Il ne fait pas d’affaires ?
—Il accumule des dettes, qu’il ne paie pas. Vous voulez un sujet plus important ? Il voit sa place dans la République comme un exil.
—De quoi avez-vous peur ? Une entourloupe ?
—Oui, c’est cela.
—Il faut donc l’éviter.
La cachupin simula une soudaine inspiration, claquant du plat de la main son front ventru :
—La Colonie peut agir sur le Ministre.
Don Santos déchira son masque indien vert par un sourire :
—C’est ce qui s’appelle mettre dans le mille. Il faut donc agir avec violence. Les espagnols enracinés ici ont des intérêts contraires aux utopies de la Diplomatie. Toutes ces élucubrations du protocole supposent une méconnaissance des réalités américaines. L’Humanité, en ce qui concerne la politique de ces pays, est une entéléchie à trois têtes : le créole, l’indien, et le noir. Trois Humanités. Une autre politique pour ces climats n’est que pure fantaisie.
Le cachupin, baroque et pompeux, lui tendit la main :
—A vous écouter, mon admiration ne fait qu’augmenter !
—Ne vous étalez pas, Don Celes. Vous voulez bien qu’on remette à demain l’invitation que je vous ai faite. Vous n’aimez pas le jeu de la grenouille ? C’est un vrai remède pour dissiper l’excitation, mon jeu favori depuis tout petit, et je le pratique tous les après-midi. Très sain, il n’épuise pas comme d’autres jeux.
Le richard rougissait :
—C’est stupéfiant comme nous avons des goûts semblables !
—Don Celes, à très vite.
Le cachupin demanda :
—Très vite, ce sera demain ?
Don Santos hocha la tête :
—Si cela peut être avant, alors avant. Pour ma part, je ne dors pas.
Don Celes l’encensa :
—Professeur d’énergie, comme ils disent dans notre Quotidien !
Tirano le renvoya, cérémonieux, la voix saccagée par un chapelet de glaviots.
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