C’est sous la pluie que nous rentrons à Bordeaux, après trois jours dans le vent et le froid arlésiens, mais dans l’ambiance torride des 26e Assises de la Traduction en Arles, placées sous l’égide d’Eros…
Vendredi, après que les Assises ont été déclarées ouvertes, Alain Fleischer, auteur d’une trentaine d’ouvrages de littérature et réalisateur de quelque deux cents films, nous a présenté un Eros grammairien, longue lecture d’extraits d’œuvres érotiques, de Sade à Bataille en passant par ses propres écrits. Selon lui, le seul fait d’écrire Eros est déjà en soi une traduction du langage du corps et des sens, qui ne privilégie pas nécessairement le lexique, mais plutôt la syntaxe et le style. S’en suivit une table ronde, présidée par Jean Sgard, sur les difficultés socio-politico-culturelles à traduire les textes libertins français, dans diverses langues. Ilona Kovacs, traductrice hongroise, nous a expliqué que le libertinage était censuré en Hongrie jusqu’en 1989, ce qui avait engendré une importante lacune culturelle et lexicale autour de l’érotisme. Il lui a par exemple fallu créer des néologismes, notamment des jurons, récupérés ensuite par d’autres auteurs. Elena Morozova, russe, spécialiste de Sade, a rencontré des difficultés dans la traduction des mots tabous, remplacés par des points de suspension dans les textes de langue russe. Malgré la prolifération de jurons dans le vocabulaire des russes, il est culturellement impossible d’y trouver les mêmes connotations religieuses qu’en français. Therence Hale, anglais, a parlé de Fanny Hill, un des premiers textes érotiques anglais, dont l’auteur n’a pas utilisé de lexique cru, mais, au contraire, a suggéré par des métaphores très complexes, à la différence du Marquis de Sade. Enfin, Anders Bodegård, traducteur suédois, nous a fait part des problèmes presque intimes qu’il a rencontrés envers les textes de Michel Houellebecq, qui utilise, quant à lui, un vocabulaire explicite. Le traducteur étant obligé de visualiser une scène avant de la traduire, Anders Bodegård a déclaré avoir physiquement et moralement souffert face à certaines scènes cruelles, jusqu’à devoir refuser une traduction.
Pour nous remettre de ces instants riches en émotions, nous avons été conviées à une réception, organisée en l’honneur des traducteurs présents à ces Assises.
Le lendemain, après une brève visite de la ville, nous sommes retournées à la chapelle du Méjan, pour assister à l’hommage rendu par Patrick Quillier à Henri Méschonnic, avec la lecture d’un extrait du Cantique des cantiques. Ensuite, l’écrivain turc Nedim Gürsel, est venu exposer les problèmes rencontrés après la publication de son dernier ouvrage Les filles d’Allah, inculpé pour « insulte à la turcité ». Il a proposé un débat sur la censure qui sévit en Turquie, comme dans beaucoup d’autres pays, un obstacle, donc, à la traduction et à la diffusion libre des écrits comportant des passages à caractère érotique. Au terme de ce débat, Jürgen Ritte, vice-président d’ATLAS, a animé une table ronde autour de la traduction d’Eros en français. Eric Walbeck, conservateur à la Bibliothèque Nationale de France, nous a présenté un bref exposé sur l’édition de la littérature érotique de la fin du XIXe et du début du XXe, avant de passer la parole à Giovanni Clerico, traducteur de Boccace, et notamment de son Décaméron, est revenu sur les interventions des précédents intervenants, entre autres celle d’Anders Bodegård qui avait eu à traduire une liste de cinquante termes désignant le sexe masculin. Laurence Kiefé, traductrice de pas moins de deux cents œuvres, a mis en perspective les différentes traductions de Fanny Hill au cours des siècles, en traitant particulièrement la traduction officielle édulcorée de l’époque face à celle, intégrale, du texte original. Maryla Laurent, traductrice du polonais, a mentionné, quant à elle, la suppression de passages entiers de l’œuvre érotique de Gombrowicz , Ferdydurke. L’après-midi s’est achevée sur la remise des différents prix de traductions : le prix ATLAS Junior du jeune traducteur, à des lycéens de la région, ayant concouru pour cinq langues différentes (allemand, anglais, espagnol, italien et provençal), le prix Amédée Pichot de la ville d’Arles décerné à Brigitte Guilbaud pour sa traduction de l’auteur chinois Yan Lianké, les prix Halpérine-Kaminsky découverte et consécration, remis respectivement à Natacha Fertin pour sa traduction des contes de Grimm, et Jean Pavans pour l’ensemble de son oeuvre de traducteur de l’anglais et notamment les quatre volumes de Nouvelles de Henry James.
3 commentaires:
Vous avez arrêté un passant pour qu'il vous prenne en photo… ou est-ce un aimable angliciste qui s'y est collé ?
Vous y reverra-t-on l'année prochaine ?
Pour la photo, le déclencheur automatique de mon appareil photo a fait l'affaire ... (non sans une énième partie de rigolade parce qu'il fallait que je courre pour être sur la photo!).
Quant aux Assises, je ne pense pas trop m'avancer en disant que nous avons la ferme intention d'y retourner l'an prochain.
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