vendredi 27 novembre 2009

Exercice d'écriture

Pour aujourd'hui, les apprenties traductrices devaient travailler sur le sujet suivant : « Prisonnière »

Laëtitia sw :
L’aube est rouge. Une tension palpable électrise la campagne. Il règne un silence anormal et pesant. Le temps semble comme suspendu. Des filets de lumière incandescente s’infiltrent par les fissures moisies et la frappent. Elle se réveille, le corps lourd et douloureux. Elle peine à se mouvoir. Sa tête est prête à exploser. Elle a l’impression qu’un étau lui comprime affreusement le crâne. Elle se débat pour faire émerger sa conscience. Soudain, les pensées de la veille l’assaillent ; la réalité, brutale, s’impose. Elle se souvient d’un terrible choc, puis, plus rien, le vide, d’un froid immense qui la tire, malgré elle, de son sommeil comateux, du coffre béant d’une voiture. Dans un sursaut, elle éprouve à nouveau le noir, l’exiguïté, l’asphyxie ; un cauchemar qu’elle a cru sans fin. Mais, au bout du tunnel, après une longue absence, l’attend une renaissance. Le tendre parfum de la paille fraîche et de la terre battue l’avait ramenée à la vie ; une vie précaire. Sa tête de plomb la faisait atrocement souffrir. Son corps ne lui obéissait plus. Alors, elle s’était traînée sur le sol, rampant telle une misérable créature, jusqu’à buter, au bout d’un temps infini, contre une paroi tiède, douce et odorante. Elle l’avait tâtée de ses mains écorchées, elle y avait promené son nez et sa bouche desséchée et elle avait reconnu le contact réconfortant du bois, de grosses planches vermoulues. Le dessin d’une grange avait émergé dans les vapeurs de son cerveau ; il l’avait emplie d’un grand soulagement et d’une lueur d’espoir. Elle avait rassemblé le peu d’énergie qui lui restait pour faire le tour de l’endroit, chercher une issue. Mais en vain. Cet exercice, à tâtons, dans l’obscurité la plus totale, lui avait paru interminable. Quand elle avait enfin rejoint le chandail qu’elle avait coincé dans une rainure, en signe de reconnaissance, il lui avait semblé qu’une éternité s’était écoulée. Elle avait senti un profond découragement l’envahir et ses dernières forces l’abandonner. Cet ultime effort l’avait épuisée. Elle n’avait pas pu résister aux flots de la torpeur qui la submergeaient. Ne pas sombrer, ne pas...
Désormais, malgré sa faiblesse, elle perçoit avec acuité les images de la veille, tels des flashes qui se succèdent à toute vitesse, fulgurants et précis. Elle sent une effroyable angoisse lui monter dans la poitrine. Comment arrêter la folle fuite de son esprit ? Tout à coup, une rumeur lointaine déchire le calme des lieux. Elle se rapproche, se précise, enfle jusqu’à devenir un bourdonnement mêlé de moteurs et de voix. Fatalement, elle se résigne. Les secondes tragiques s’accélèrent. Plus d’espoir. Seule une fatigue écrasante, un mauvais rêve. Une forte odeur d’essence la saisit ; elle lui arrache le cœur. Déjà, le bois crépite.

***

Amélie, 1 :
« Prisonnière ». Dès que j’ai parlé à ma mère du sujet d’écriture de la semaine, elle s’est souvenue d’une anecdote.
Quand j’étais petite, ma mamie avait la fâcheuse manie de retirer le siège en paille des chaises de la cuisine pour aller les battre dehors, afin de retirer les miettes restées coincées entre les brins. Un jour où j’étais en vacances chez mes grands-parents, et tandis que mon papy faisait la vaisselle, je suis montée dans ma chambre chercher un coloriage, puis je suis retournée dans la cuisine : je ne voulais pas dessiner seule dans mon coin. J’imagine que je devais discuter avec mon papy en m’attablant, ce qui expliquerait que, distraite, j’ai voulu m’asseoir, sans penser que ma mamie était sortie de la pièce, emportant avec elle l’objet de mon désir : l’assise. Ce qui devait arriver arriva, je me suis rendue compte trop tard qu’il y avait un problème, et je suis tombée au travers de la chaise, les fesses les premières. Quand ma mamie est revenue, elle a poussé un cri : la seule chose qu’elle voyait au-dessus de la table, c’était mes jambes et mes bras qui gigotaient. La stupeur passée, nous sommes tous les trois partis d’un fou rire, qui ne m’a pas aidée à m’extirper de cette situation : j’étais bel et bien prisonnière de la chaise !

Amélie, 2 :
La lueur du jour pointe à travers les volets. J’ouvre un œil, je m’étire, et tâte le bord de mon lit pour trouver l’interrupteur de ma lampe de chevet. Aujourd’hui est un grand jour, je vais me marier. J’espère que la nuit n’aura pas fait trop de ravages dans mes cheveux, j’entends d’ici les railleries de ceux qui m’avaient déconseillé d’aller chez le coiffeur la veille du jour J. Je ne sais pas où est passé ce fichu bouton, tant pis, je me lève. Après tout, je dors dans cette chambre depuis ma naissance, je dois être capable de trouver la porte, même dans la pénombre… Le sol est froid sous mes pieds, comme s’il était mouillé : sûrement un genre de bizutage, c’est signé ! Dans tout ça, je n’ai toujours pas vérifié si ma coiffure était intacte : je passe ma main sur ma tête, oh non, une pince est sortie de sa place… attends voir, mais c’est quoi ce truc ? C’est pas une pince… c’est… c’est… des OREILLES !
Je sors en criant de ma chambre qui, vous l’aurez compris, n’est rien d’autre qu’une grotte infâme aux parois suintantes. En fait de cri humain, c’est un grognement qui sort de ma bouche –devrais-je dire, ma gueule–, dont les montagnes environnantes se font l’écho quelques secondes plus tard. Je nage en plein délire, un délire digne des plus grands cinéastes, je suis prisonnière dans la peau d’un ours, le jour de mon mariage ! Ça vous fait rire ? Eh bien, pas moi, je peux vous assurer, parce qu’à mon avis, la robe que j’ai choisi sera un poil trop petite, sans vouloir faire de mauvais jeu de mots ! Bon sang, me voilà bien maintenant… Je sors de la grotte, pour tenter de retrouver un semblant de civilisation : j’aurais préféré m’abstenir. A l’extérieur règne le chaos le plus total, je me retrouve dans une sorte de forêt vierge peuplée d’animaux sauvages –ce qui, effectivement, est souvent le cas dans les forêts vierges–, il pleut des trombes d’eau et des éclairs déchirent le ciel. C’est pas ça qui va arranger ma coiffure ! Ah mais non, c’est vrai qu’elle s’est transformée en deux charmantes petites oreilles recouvertes d’un duvet marron qui, il faut bien l’avouer, me va très bien au teint. Je ne comprends pas ce qui se passe, et ne me rends pas encore compte que je vais devoir passer les prochaines années de ma vie dans cette peau… nauséabonde. Mes ongles manucurés ont tellement poussés qu’ils se sont faits griffes, pour l’épilation, j’ai dû rater un épisode, quant à mon régime : sans commentaire !
Je me redresse pour essayer d’y voir plus clair ! Avez-vous déjà remarqué comme un ours est ridicule quand il se met debout ? Si si, faites un effort d’imagination… Là, ça y est, vous y êtes ? Donc je suis là, sur mes pattes arrières, à essayer de garder l’équilibre quand…
— Non, non, mais ça ne va pas du tout là. Le concept Fiona qui se transforme en monstre à la pleine lune, c’est dépassé ! Nous on veut du neuf, de l’original, de l’inédit. Au suivant !

***

Coralie :
Prisonnière. Du destin. Cela commence avant la naissance, personne ne nous donne à choisir entre être un homme ou une femme. C’est à partir de ce détail que toute notre vie sera conditionnée. Le garçon jouera aux petites voitures et à la guerre, et nous, les filles, à la poupée, à la dinette, à la petite ménagère. Qui n’a pas reçu pour Noël une cuisinière, ou l’étal de la marchande, ou encore un adorable poupon dont il faut s’occuper comme d’un vrai nourrisson ? Dès notre plus tendre enfance, on nous apprend à devenir de parfaites maîtresses de maison, des femmes exemplaires, capables de satisfaire les moindres désirs d’un gentil mari. Dès le plus jeune âge, nous nous retrouvons prisonnières de tous les principes incombant à la gent féminine. Une jeune fille doit être polie, sage, coquette (mais pas trop), elle doit rester présentable dans toutes les situations, elle ne doit en aucun cas dire de grossièretés, ni même se faire remarquer. Pourquoi les fillettes veulent-elles toutes, ou presque (quelques insoumises résistent), faire de la danse ou de la gymnastique ? Et porter un tutu rose ? Ce n’est pas une raison génétique mais plutôt historique : la femme, symbole de la grâce, doit savoir danser. Il va alors de soi que si l’une d’entre nous sort du droit chemin, si elle ose, ne serait-ce que, pratiquer un sport dit masculin, les plus tolérants s’étonneront, ne comprenant pas comment un si petit bout de femme peut s’adonner à un loisir si violent, et les plus sectaires s’indigneront, crieront au scandale : « une fille n’a pas sa place sur un ring et encore moins sur une moto ! ». Oui ! Nous sommes bien au vingt-et-unième siècle ! Et au-delà des loisirs, les femmes qui choisissent d’exercer un métier d’homme ne cessent de surprendre et de choquer. Une femme chauffeur-routier n’est pas vraiment une femme, une femme maçon ne peut pas correctement faire son travail, elle n’en a pas les capacités physiques… Et sait-elle, au moins, monter un mur ? Une femme à la tête d’une équipe, même mixte, aura toujours des difficultés à asseoir son autorité. Pourtant, les mentalités évoluent. On le sait, de plus en plus de pères prennent un congé paternité, de plus en plus de femmes préfèrent faire carrière avant de devenir mère, mais on ne refond pas les moules.
Il faut tout de même avouer que nous sommes enfermées dans une belle prison dorée et que d’autres femmes dans le monde, dans d’autres sociétés, rêveraient de notre cellule et de toutes les libertés qu’elle offre. Nous, européennes, avons trouvé les clés de notre vieux cachot sombre, il ne nous reste, maintenant, qu’à les tendre à toutes ces prisonnières, les vraies.

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Émeline :

Prisonnière.
Quand je suis arrivée, j’avais demandé du papier et un crayon. Ce qu’on ne m’a pas donné. Je me suis donc retrouvée seule face à ces murs blancs, ce lit fait au carré avec ses draps blancs et sa couverture marron, cette table et cette chaise en métal, ce lavabo blanc et cette cuvette blanche elle aussi. Dans mon uniforme blanc, je me suis retrouvée seule face à moi-même. Le premier jour, on m’a donné une brosse et un élastique pour mes cheveux. « Non, pas de miroir, tu pourrais te trancher les veines » m’avait-on dit. « Quand t’auras tes règles tu nous préviendras, on te donnera ce qu’il faut ». Je m’étais assise sur le lit avec ma brosse dans la main et l’élastique autour du poignet, à regarder le mur en face de moi. Je ne supporte pas le blanc. Une semaine après, face à ma sérénité affichée et mon calme flagrant, on m’avait accordé pendant une heure de quoi dessiner, et un bout de scotch. J’avais fait le portrait de ma mère. Je l’avais accroché au dessus du lavabo. La semaine suivante, j’avais voulu crayonner mon père. Mais l’image dans ma tête était trop floue. Rien de plus sur les murs cette semaine là. Puis petit à petit, lasse de tirer des portraits, je suis passée aux paysages. Un peu de vie sur mes murs, un endroit dans lequel me promener. Je me sentais moins seule. A mesure que les semaines passaient, on m’accordait plus de temps pour mes rêveries picturales. Puis un jour, une autre fille est venue me voir pour que je lui dessine un tatouage, avec des fleurs, des courbes et un oiseau. J’ai mis plusieurs semaines à le dessiner. Plusieurs semaines durant lesquelles plus rien ne venait tapisser mon mur. Elle en a été contente. Je me dis que mon dessin est maintenant sur quelqu’un, je suis gravée dans sa peau. Elle se souviendra de moi. Elle est sortie quelques jours après que je lui ai remis le dessin. Elle m’a dit merci, m’a fait la bise et est sortie. La gardienne a souri. Je suis retournée dans mon carré qui n’était presque plus blanc. Je me suis allongée sur le lit et je me suis dit que mon seul moyen d’évasion était de dessiner pour les autres, pour qu’elles sortent mes dessins de ces murs, pour que je vive à l’extérieur. J’ai demandé à téléphoner à ma mère. Je lui ai dit que j’allais bien, qu’elle pouvait venir me voir si elle voulait. Elle est venue. Je lui ai donné son portrait et je lui ai montré quelques paysages. Elle a pleuré. En partant elle s’est retournée et m’a souri.

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Chloé :




Au fait, je t’ai pas dit, mais la semaine dernière, j’ai obtenu un entretien au Milo’s café. Le patron m’a rappelé aujourd’hui, et c’est bon, ils me prennent pour la saison ! C’est super, non ? Je vais pouvoir me faire un peu de fric et économiser pour t’offrir le voyage de tes rêves !
Super. Vraiment super. Et tu comptes me transporter comment ?
Qu’est-ce que tu penses de la Thaïlande ? Du soleil, des îles paradisiaques…
Vas-y, vas-y, continues. Si tu viens ici pour me foutre le moral à zéro, t’as tout gagné !
Ma chérie, si tu savais comme il me tarde que tu te réveilles. C’est dur sans toi. Chaque jour j’espère que l’hosto va m’appeler pour me dire que t’as ouvert les yeux, qu’on va pouvoir reprendre une vie normale, tout les deux…
Et allez, encore à chouiner. Tu crois que je n’ai pas assez de peine peut-être ? Tu crois que je ne souffre pas assez d’être prisonnière de ce corps ? De t’écouter tous les jours, pleurer à mon chevet, sans pouvoir bouger, ni émettre le moindre son ? Tu penses sans doute que c’est plus difficile pour toi ?
Bon, il faut que j’y aille, je peux plus me permettre de manquer un seul cours. Je reviens demain, comme d’habitude. Je t’aime ma chérie.
Toujours à fuir les moments douloureux, hein ? Vas-y, abandonne-moi espèce de lâche. Même pas capable d’être courageux pour sa petite copine comateuse !
Arrgh ! J’en peux plus de cet état ! Et cette obscurité ! Toujours ce noir impénétrable ! Ça doit faire des mois que j’ai pas vu la lumière du jour, que j’ai pas posé un pied sur le sol. Qu’est-ce j’aimerai pouvoir me promener, sentir les rayons du soleil sur ma peau, les pavés du vieux Bordeaux sous mes semelles, pouvoir observer les passants et les différentes nuances de couleurs de cette masse déambulant dans la Rue Sainte Catherine, sentir l’odeur du thé à la menthe de la Place Saint Michel et retrouver le goût de ces délicieuses pâtisseries sous ma langue. Et au lieu de ça, je suis coincée là, prisonnière de ce corps inerte, ne pouvant rien faire d’autre qu’écouter ces conversations à sens unique de gens qui viennent me voir seulement pour se donner bonne conscience. Et toi, tu restes fidèle à ce rendez-vous quotidien, tu me tortures un peu plus chaque jour. Car oui, c’est un supplice pour moi, de t’entendre, de te savoir si près de moi, sans pouvoir te toucher, t’embrasser, te voir sourire, ni même te parler. Petit à petit, je suis rongée par la colère, envahie par ce sentiment d’injustice : je n’ai même pas eu droit à la mort ! Je suis condamnée à attendre en silence alors que l’envie de hurler me brûle. Et tu me parles de Thaïlande, quand je n’ai que ma pensée pour voyager et pour être libre.
Tu t’imagines certainement que je ne ressens plus rien… Mais si tu savais, le coma c’est la pire des prisons.

***

Auréba :
Aroa n´arrivait plus à bouger. Elle sentait sa poitrine se comprimer tout en la secouant, comme si à l´intérieur d´elle, des milliers d´oiseaux cherchaient à s´échapper, mais n´y parvenaient pas, la faisant souffrir énormément.
C´était la façon qu´avait son corps de lui exprimer toute la douleur enfermée au fond de son cœur. Elle avait mal, elle souffrait, et n´attendait qu´une seule chose…pouvoir s´échapper de ce cauchemar dont elle demeurait prisonnière. Elle voulait se réveiller, elle voulait se lever, sentir ses jambes, sentir la liberté s´exprimer dans les mouvements de son corps… Mais rien.
Alors un sentiment de révolte vint l´assaillir. Pourquoi est-ce tombé sur moi? Pourquoi suis-je là, sous cet amas de pierres? Qu´en pensera ma mère, quand elle viendra me trouver ainsi, dans cet état là? Et mes frères, hein? Comment vont-ils réagir? Vont-ils me retrouver?
Cette prison minérale, faite de glace, de neige et de pierres l´éloignait de sa famille qui allait avoir bien du mal à la retrouver. Elle désirait crier de toutes ses forces. À la montagne, la voix se fait entendre au loin. Cependant, c´était impossible pour le moment. Aucun son ne pouvait sortir par sa bouche. Elle sentait sa bouche remplie de neige. Elle voulait pourtant expulser par les cris toutes les douleurs physiques et morales qui la tourmentaient. Comment s´en sortir, dans ces cas là? Allait-elle s´en sortir?
En ce jour radieux, une nuit noire s´est abattue sur Aroa. Il y a peu de cela, Aroa a réussi à s´échapper de cette prison végétale. Elle n´a plus mal. Elle ne sent plus son corps car celui-ci est resté enfoui sous la neige et les pierres. Elle veut rassurer sa mère et ses frères qui sont morts d´inquiétude, mais il lui est impossible de les rejoindre car la mort l´emprisonne dans un monde parallèle. Elle voudrait creuser un tunnel pour que sa voix s´y faufile emportant avec elle tous les mots d´amour qu´elle n´a jamais su exprimer pour les déposer dans les oreilles de sa mère et de ses frères qui sont restés à l´extérieur de cette drôle de prison qui la retient… jusqu´à quand ?

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