Por fin Lucio decidió confiarme la verdadera razón por la cual Mr. Sullivan se había portado tan paternal conmigo. Sólo que lo hizo por carta cuando ya yo reconquistaba Europa. Los motivos eran trágicos: mi físico coincidía en parecido con la menor de sus hijas, fallecida en un accidente automovilístico; para colmo la muchacha veneraba el arte de la fotografía, y sin duda alguna prometía, pues, aparte de que gozaba de un talento sin igual, gustaba de pasar aprendiendo horas y horas en los museos y en viajes a países pobres y exóticos. Ella fue la hija mimada, la elegida, en quien Mr. Sullivan puso todas sus esperanzas. De ella esperó la consagración, intuyó en ella al genio fotográfico que nunca él había logrado ser. Entonces comprendí mucho mejor su vehemencia y me reproché haber desconfiado una vez más de todas aquellas pruebas de generosidad y de paternal cariño. Es que yo estoy en constancia cuidándome del amor y de sus excesos, tal vez porque pienso que el amor debe ser un estado único, y que una no puede estar creyendo a cada momento que se desasosiega enamorada a punto de perder los estribos. Además amar me vuelve inconsistente, flaccida, bruta, porque amar me impide reflexionar de manera sencilla y consciente de las sensaciones que me produce. Pero la prueba de todo esto no fue Paul, sino Samuel, mi experiencia más reciente. Paul fue el peldaño que me preparó para la ruptura con Samuel. Pero, como siempre ocurre, la experiencia que extraje de Paul no valió de mucho cuando apareció Samuel.
Mr. Sullivan me enviaba a París para representar a su agencia por la duración de un semestre. ¿Era un riesgo? Sí, sobre todo para él, un peligro económico. Lamenté haberme enterado tarde de que sufrió
nuestra separación con desgarramiento, yo significaba la hija que resbalaba de sus manos, que se descarrilaba por la cuneta en una segunda ocasión. Haberlo sabido antes y no lo habría abandonado. Sin embargo, en todo ese tiempo llamó poco y escribió bastante. Cartas repletas de órdenes, de planes de trabajo, de reportajes, y al final ni siquiera un chao ; por superstición jamás quiso despedirse. Yo obedecía al pie de la letra sus obsesiones que eran más desvarios, ¡lograr una foto de Chirac besando a Madonna, Dios! Para colmo, la suerte es loca y a cualquiera le toca, como dice el refrán. La oportunidad se dio sola: Chirac aún no era presidente y la cantante ofreció un concierto en el parque de Sceaux. La foto existe. Cumplí cuanta orden me fue impuesta, a fin de cuentas para eso había regresado a París. París ha sido mi cuartel. La Habana, mi idilio.
Mr. Sullivan me enviaba a París para representar a su agencia por la duración de un semestre. ¿Era un riesgo? Sí, sobre todo para él, un peligro económico. Lamenté haberme enterado tarde de que sufrió
nuestra separación con desgarramiento, yo significaba la hija que resbalaba de sus manos, que se descarrilaba por la cuneta en una segunda ocasión. Haberlo sabido antes y no lo habría abandonado. Sin embargo, en todo ese tiempo llamó poco y escribió bastante. Cartas repletas de órdenes, de planes de trabajo, de reportajes, y al final ni siquiera un chao ; por superstición jamás quiso despedirse. Yo obedecía al pie de la letra sus obsesiones que eran más desvarios, ¡lograr una foto de Chirac besando a Madonna, Dios! Para colmo, la suerte es loca y a cualquiera le toca, como dice el refrán. La oportunidad se dio sola: Chirac aún no era presidente y la cantante ofreció un concierto en el parque de Sceaux. La foto existe. Cumplí cuanta orden me fue impuesta, a fin de cuentas para eso había regresado a París. París ha sido mi cuartel. La Habana, mi idilio.
Zoé Valdés, Café Nostalgia
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Merci à Laëtitia Sw de nous fournir la traduction « officielle » du passage (Liliane Hasson, pour les éditions Actes Sud, 1998) :
Lucio avait fini par me confier pourquoi Mr Sullivan s’était conduit de façon aussi paternelle à mon égard. Seulement il le fit par lettre, alors que j’étais déjà partie à la reconquête de l’Europe. Le motif était tragique : je ressemblais physiquement à la plus jeune de ses filles, décédée dans un accident de voiture ; pour comble, elle vénérait l’art de la photographie et promettait beaucoup car, outre qu’elle était douée d’un talent incomparable, elle aimait passer de longues heures à s’instruire dans les musées et à voyager dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été l’enfant chérie, l’élue, en qui Mr Sullivan avait placé tous ses espoirs. Il en avait espéré la consécration, ayant deviné en elle le génie de la photographie qu’il n’avait jamais réussi à devenir. J’ai compris alors beaucoup mieux sa véhémence et je me suis reprochée d’avoir été méfiante, une fois de plus, à l’égard de toutes les manifestations de générosité et de tendresse paternelles. C’est que je me prémunis sans cesse contre l’amour et ses excès, peut-être parce que je considère l’amour comme un état unique ; une femme ne peut croire à tout moment qu’en tombant amoureuse son intranquillité lui fera perdre pied. Et puis aimer, cela me rend inconsistante, molle, stupide, car aimer m’empêche de réfléchir de manière simple et consciente aux sensations que cela produit en moi. J’en veux pour preuve non pas Paul, mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul a été le marchepied qui m’a préparée à ma rupture avec Samuel. Mais, comme toujours, mon expérience avec Paul ne m’a pas servi à grand-chose quand Samuel a surgi.
Mr Sullivan m’envoyait à Paris gérer son agence pour une durée d’un semestre. Était-ce risqué ? Oui, pour lui surtout, le danger était d’ordre économique. J’ai regretté d’avoir appris tardivement que notre séparation avait été un déchirement, je représentais la fille qui lui glissait entre les doigts, qui se fracassait dans le fossé pour la seconde fois. Si j’avais su cela avant, je ne l’aurais pas quitté. Pourtant, durant toute cette période, il a téléphoné rarement mais écrit un peu plus souvent. Des lettres bourrées d’instructions, de plans de travail, de reportages et, pour finir, pas même un tchao ; par superstition, il n’avait jamais voulu dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui frisaient l’extravagance : obtenir une photo de Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Mais enfin, la chance est folle, et qui ne risque rien n’a rien, comme dit le proverbe. L’occasion s’est présentée d’elle-même. Chirac n’était pas encore président, et la chanteuse a donné un récital au parc de Sceaux. La photo existe. J’ai exécuté tous les ordres ; en fin de compte, j’étais revenue à Paris pour cela. Paris a été ma caserne. La Havane, mon idylle.
Lucio avait fini par me confier pourquoi Mr Sullivan s’était conduit de façon aussi paternelle à mon égard. Seulement il le fit par lettre, alors que j’étais déjà partie à la reconquête de l’Europe. Le motif était tragique : je ressemblais physiquement à la plus jeune de ses filles, décédée dans un accident de voiture ; pour comble, elle vénérait l’art de la photographie et promettait beaucoup car, outre qu’elle était douée d’un talent incomparable, elle aimait passer de longues heures à s’instruire dans les musées et à voyager dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été l’enfant chérie, l’élue, en qui Mr Sullivan avait placé tous ses espoirs. Il en avait espéré la consécration, ayant deviné en elle le génie de la photographie qu’il n’avait jamais réussi à devenir. J’ai compris alors beaucoup mieux sa véhémence et je me suis reprochée d’avoir été méfiante, une fois de plus, à l’égard de toutes les manifestations de générosité et de tendresse paternelles. C’est que je me prémunis sans cesse contre l’amour et ses excès, peut-être parce que je considère l’amour comme un état unique ; une femme ne peut croire à tout moment qu’en tombant amoureuse son intranquillité lui fera perdre pied. Et puis aimer, cela me rend inconsistante, molle, stupide, car aimer m’empêche de réfléchir de manière simple et consciente aux sensations que cela produit en moi. J’en veux pour preuve non pas Paul, mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul a été le marchepied qui m’a préparée à ma rupture avec Samuel. Mais, comme toujours, mon expérience avec Paul ne m’a pas servi à grand-chose quand Samuel a surgi.
Mr Sullivan m’envoyait à Paris gérer son agence pour une durée d’un semestre. Était-ce risqué ? Oui, pour lui surtout, le danger était d’ordre économique. J’ai regretté d’avoir appris tardivement que notre séparation avait été un déchirement, je représentais la fille qui lui glissait entre les doigts, qui se fracassait dans le fossé pour la seconde fois. Si j’avais su cela avant, je ne l’aurais pas quitté. Pourtant, durant toute cette période, il a téléphoné rarement mais écrit un peu plus souvent. Des lettres bourrées d’instructions, de plans de travail, de reportages et, pour finir, pas même un tchao ; par superstition, il n’avait jamais voulu dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui frisaient l’extravagance : obtenir une photo de Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Mais enfin, la chance est folle, et qui ne risque rien n’a rien, comme dit le proverbe. L’occasion s’est présentée d’elle-même. Chirac n’était pas encore président, et la chanteuse a donné un récital au parc de Sceaux. La photo existe. J’ai exécuté tous les ordres ; en fin de compte, j’étais revenue à Paris pour cela. Paris a été ma caserne. La Havane, mon idylle.
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Amélie et Cloé nous propose leur traduction commune :
Lucio se décida enfin à me confier la véritable raison pour laquelle Mr. Sullivan s’était montré si paternel envers moi. Sauf qu’il le fit par lettre, alors que j’étais déjà reparti à la conquête de l’Europe. Les motifs étaient tragiques : mon physique ressemblait apparemment en tous points à celui de sa plus jeune fille, décédée dans un accident de la route ; pour comble, la fillette vénérait l’art de la photographie, et elle avait sans nul doute un avenir prometteur car, en plus de bénéficier d’un talent sans égal, elle aimait passer des heures entières à élargir ses connaissances en visitant des musées et en voyageant dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été l’enfant gâtée, la préférée, celle en qui Mr. Sullivan avait placé tous ses espoirs. Il avait espéré d’elle la consécration, ayant pressenti chez elle le génie photographique qu’il n’avait jamais réussi à atteindre. Je compris alors bien mieux sa véhémence et me reprochai de m’être une fois de plus méfiée de toutes ces preuves de générosité et de tendresse paternelle. C’est que je suis constamment en train de me protéger de l’amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique et qu’une fille ne peut pas croire qu’à chaque fois qu’elle se trouble, c’est qu’elle est amoureuse au point d’en perdre les pédales. D’autre part, aimer me rend inconsistante, cotonneuse, idiote, parce que cela m’empêche de réfléchir simplement et d’être consciente des sensations que j’éprouve. Le meilleur exemple de tout cela ne fut pas Paul mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut l’étape qui me prépara à la rupture avec Samuel. Cependant, comme cela arrive toujours, l’expérience acquise avec Paul ne valut pas grand-chose quand Samuel apparut.
Mr. Sullivan m’envoyait à Paris pour représenter son agence le temps d’un semestre. Était-ce un risque ? Oui, surtout pour lui, c’était dangereux économiquement. Je regrettai de m’être rendue compte trop tard qu’il avait vécu notre séparation comme un déchirement, puisque je représentais sa fille qui lui glissait entre les doigts, qui sortait de la route et tombait dans le fossé, une seconde fois. Si je l’avais su avant, je ne l’aurais jamais abandonné. Pendant toute cette période, il téléphona peu. En revanche, il écrivit beaucoup. Des lettres pleines d’ordres, de directives de travail, de reportages, sans même un bye bye à la fin : il n’avait jamais voulu dire au revoir, par superstition. J’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions, lesquelles étaient plus que farfelues : obtenir un cliché de Chirac embrassant Madonna, quelle idée ! Pour comble, la chance est folle et n’obéit à personne, comme dit le proverbe. L’opportunité se présenta d’elle-même : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse donna un concert au Parc de Sceaux. La photo existe. J’accomplis tout ce qu’il m’a ordonné, en fin de compte, c’est pour cela que j’étais revenue à Paris. Paris a été ma caserne. La Havane, mon idylle.
Lucio se décida enfin à me confier la véritable raison pour laquelle Mr. Sullivan s’était montré si paternel envers moi. Sauf qu’il le fit par lettre, alors que j’étais déjà reparti à la conquête de l’Europe. Les motifs étaient tragiques : mon physique ressemblait apparemment en tous points à celui de sa plus jeune fille, décédée dans un accident de la route ; pour comble, la fillette vénérait l’art de la photographie, et elle avait sans nul doute un avenir prometteur car, en plus de bénéficier d’un talent sans égal, elle aimait passer des heures entières à élargir ses connaissances en visitant des musées et en voyageant dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été l’enfant gâtée, la préférée, celle en qui Mr. Sullivan avait placé tous ses espoirs. Il avait espéré d’elle la consécration, ayant pressenti chez elle le génie photographique qu’il n’avait jamais réussi à atteindre. Je compris alors bien mieux sa véhémence et me reprochai de m’être une fois de plus méfiée de toutes ces preuves de générosité et de tendresse paternelle. C’est que je suis constamment en train de me protéger de l’amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique et qu’une fille ne peut pas croire qu’à chaque fois qu’elle se trouble, c’est qu’elle est amoureuse au point d’en perdre les pédales. D’autre part, aimer me rend inconsistante, cotonneuse, idiote, parce que cela m’empêche de réfléchir simplement et d’être consciente des sensations que j’éprouve. Le meilleur exemple de tout cela ne fut pas Paul mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut l’étape qui me prépara à la rupture avec Samuel. Cependant, comme cela arrive toujours, l’expérience acquise avec Paul ne valut pas grand-chose quand Samuel apparut.
Mr. Sullivan m’envoyait à Paris pour représenter son agence le temps d’un semestre. Était-ce un risque ? Oui, surtout pour lui, c’était dangereux économiquement. Je regrettai de m’être rendue compte trop tard qu’il avait vécu notre séparation comme un déchirement, puisque je représentais sa fille qui lui glissait entre les doigts, qui sortait de la route et tombait dans le fossé, une seconde fois. Si je l’avais su avant, je ne l’aurais jamais abandonné. Pendant toute cette période, il téléphona peu. En revanche, il écrivit beaucoup. Des lettres pleines d’ordres, de directives de travail, de reportages, sans même un bye bye à la fin : il n’avait jamais voulu dire au revoir, par superstition. J’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions, lesquelles étaient plus que farfelues : obtenir un cliché de Chirac embrassant Madonna, quelle idée ! Pour comble, la chance est folle et n’obéit à personne, comme dit le proverbe. L’opportunité se présenta d’elle-même : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse donna un concert au Parc de Sceaux. La photo existe. J’accomplis tout ce qu’il m’a ordonné, en fin de compte, c’est pour cela que j’étais revenue à Paris. Paris a été ma caserne. La Havane, mon idylle.
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Morgane nous propose sa traduction :
Enfin, Lucio décida de me confier la véritable raison pour laquelle Mr Sullivan s’était comporté de façon aussi paternelle à mon égard. Je le fis seulement par voie épistolaire lorsque je traversais de nouveau l’Europe. Les raisons étaient tragiques : mon physique concordait parfaitement à celui de sa fille cadette, décédée dans un accident de la route ; le comble était que la fille vénérait l’art de la photographie, et sans doute une d’entre elles avait du talent, donc, en, plus de jouir d’un talent inégalable, elle aimait passer des heures entières à apprendre dans les musées et lors de voyages dans des pays pauvres et exotiques. Elle fut la fille choyée, élue, en qui Mr Sullivan mit toutes ses espérances. Il espéra d’elle une consécration, il entrevit en elle le génie photographique qu’il n’était jamais parvenu à atteindre. Alors, je compris beaucoup plus sa véhémence et je me reprochai de ne pas avoir eu confiance une fois de plus en toutes ces preuves de générosité et de tendresse paternelle. C’est que je suis constamment en train de me préserver de l’amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas croire à chaque instant qu’on se calme en étant amoureuse au point de perdre les pédales. De plus, aimer me rend inconsistante, flasque, brutale, car aimer implique que je réfléchisse de manière simple et consciente sur les sensations produites. Mais la preuve de tout cela ne fut pas Paul, mais plutôt Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut le maillon qui me prépara à la rupture avec Samuel. Mais, comme il se produit toujours, l’expérience que j’ai tirée de Paul ne valut pas grand-chose lorsqu’apparut Samuel. Mr Sullivan m’envoyait à Paris afin de représenter son agence pour la durée d’un semestre. Était-ce un risque ? Oui, surtout pour lui, un danger économique. Je regrettai m’être aperçue tardivement qu’il endura notre séparation comme un déchirement, je signifiais à ses yeux la fille qui passait entre les mailles de son filet, et qui s’écartait du droit chemin une deuxième fois. L’avoir su avant m’aurait empêché de l’abandonner. Nonobstant, durant tout ce temps il téléphona peu et écrivit beaucoup. Des lettres pleines d’injonctions, de plans de travail, de reportages, et finalement même pas un adieu ; par superstition il ne voulut jamais dire au revoir. Je suivais ses obsessions, qui étaient plus des caprices, au pied de la lettre, réussir à prendre en photo Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Le comble, la chance est folle et elle tombe sur quiconque, comme dit le proverbe. L’opportunité vint toute seule : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse donna un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’obéis à l’ordre qui m’avait été donné, en fin de compte j’étais retournée à Paris dans ce but. Paris a été mon refuge. La Havane, mon idylle.
Enfin, Lucio décida de me confier la véritable raison pour laquelle Mr Sullivan s’était comporté de façon aussi paternelle à mon égard. Je le fis seulement par voie épistolaire lorsque je traversais de nouveau l’Europe. Les raisons étaient tragiques : mon physique concordait parfaitement à celui de sa fille cadette, décédée dans un accident de la route ; le comble était que la fille vénérait l’art de la photographie, et sans doute une d’entre elles avait du talent, donc, en, plus de jouir d’un talent inégalable, elle aimait passer des heures entières à apprendre dans les musées et lors de voyages dans des pays pauvres et exotiques. Elle fut la fille choyée, élue, en qui Mr Sullivan mit toutes ses espérances. Il espéra d’elle une consécration, il entrevit en elle le génie photographique qu’il n’était jamais parvenu à atteindre. Alors, je compris beaucoup plus sa véhémence et je me reprochai de ne pas avoir eu confiance une fois de plus en toutes ces preuves de générosité et de tendresse paternelle. C’est que je suis constamment en train de me préserver de l’amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas croire à chaque instant qu’on se calme en étant amoureuse au point de perdre les pédales. De plus, aimer me rend inconsistante, flasque, brutale, car aimer implique que je réfléchisse de manière simple et consciente sur les sensations produites. Mais la preuve de tout cela ne fut pas Paul, mais plutôt Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut le maillon qui me prépara à la rupture avec Samuel. Mais, comme il se produit toujours, l’expérience que j’ai tirée de Paul ne valut pas grand-chose lorsqu’apparut Samuel. Mr Sullivan m’envoyait à Paris afin de représenter son agence pour la durée d’un semestre. Était-ce un risque ? Oui, surtout pour lui, un danger économique. Je regrettai m’être aperçue tardivement qu’il endura notre séparation comme un déchirement, je signifiais à ses yeux la fille qui passait entre les mailles de son filet, et qui s’écartait du droit chemin une deuxième fois. L’avoir su avant m’aurait empêché de l’abandonner. Nonobstant, durant tout ce temps il téléphona peu et écrivit beaucoup. Des lettres pleines d’injonctions, de plans de travail, de reportages, et finalement même pas un adieu ; par superstition il ne voulut jamais dire au revoir. Je suivais ses obsessions, qui étaient plus des caprices, au pied de la lettre, réussir à prendre en photo Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Le comble, la chance est folle et elle tombe sur quiconque, comme dit le proverbe. L’opportunité vint toute seule : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse donna un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’obéis à l’ordre qui m’avait été donné, en fin de compte j’étais retournée à Paris dans ce but. Paris a été mon refuge. La Havane, mon idylle.
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Julie nous propose sa traduction :
Finalement, Lucio décida de me confier la véritable raison pour laquelle Mr Sullivan s’était comporté de façon si paternelle avec moi. Sauf qu’il le fit par lettre alors que j’étais déjà à la reconquête de l’Europe. Les raisons étaient tragiques : mon physique coïncidait en tout point avec la cadette de ses filles, décédée dans un accident de voiture ; par dessus le marché la jeune fille vénérait l’art de la photographie, et était sans aucun doute prometteuse, car, en plus de jouir d’un talent sans pareil, elle aimait passer des heures et des heures à apprendre dans les musées et lors de voyages dans des pays pauvres et exotiques. Elle fut la fille choyée, l’élue, en qui Mr Sullivan mit tous ses espoirs. Grâce à elle il espéra la consécration, il avait l’intuition qu’elle était le génie photographique que lui n’avait jamais réussi à être. Alors je compris beaucoup mieux sa véhémence et je me reprochai de m’être méfiée une fois encore de toutes ces démonstrations de générosité et de tendresse paternelle. C’est que moi je suis constamment en train de me protéger de son amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas être en train de croire à chaque instant qu’on fond d’amour au point de perdre les pédales. De plus, aimer me rend inconsistante, flasque, maladroite, parce qu’aimer m’empêche de réfléchir de façon simple et consciente sur les sensations que cela me produit. Mais la preuve de tout cela ce ne fut pas Paul, mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut l’échelon qui me prépara à rompre avec Samuel. Mais, comme cela arrive toujours, l’expérience que j’ai tirée de Paul ne m’a pas servie beaucoup quand Samuel s’est présenté.
Mr Sullivan m’envoyait à Paris afin de représenter son agence pour la durée d’un semestre. C’était un risque ? Oui, surtout pour lui, un danger économique. Je regrettai de n’avoir appris que tard qu’il avait souffert de notre séparation avec déchirement, j’étais sa fille qui glissait de ses mains, qui fonçait dans le fossé pour la seconde fois.
Si je l’avais su avant je ne l’aurais pas abandonné. Cependant, pendant tout ce temps il téléphona peu et écrivit assez. Des lettres pleines d’ordres, de plans de travail, de reportages et à la fin pas même un ciao ; par superstition il n’a jamais voulu dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui étaient davantage des absurdités, trouver une photo de Chirac en train d’embrasser Madonna, mon Dieu ! Par-dessus le marché, la chance est à tout le monde, comme dit le proverbe. L’opportunité se présenta toute seule : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse offrit un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’ai exécuté tous les ordres qu’on m’a imposé en fin de compte j’étais retournée pour cela à Paris. Paris a été mon asile. La Havane mon idylle.
Finalement, Lucio décida de me confier la véritable raison pour laquelle Mr Sullivan s’était comporté de façon si paternelle avec moi. Sauf qu’il le fit par lettre alors que j’étais déjà à la reconquête de l’Europe. Les raisons étaient tragiques : mon physique coïncidait en tout point avec la cadette de ses filles, décédée dans un accident de voiture ; par dessus le marché la jeune fille vénérait l’art de la photographie, et était sans aucun doute prometteuse, car, en plus de jouir d’un talent sans pareil, elle aimait passer des heures et des heures à apprendre dans les musées et lors de voyages dans des pays pauvres et exotiques. Elle fut la fille choyée, l’élue, en qui Mr Sullivan mit tous ses espoirs. Grâce à elle il espéra la consécration, il avait l’intuition qu’elle était le génie photographique que lui n’avait jamais réussi à être. Alors je compris beaucoup mieux sa véhémence et je me reprochai de m’être méfiée une fois encore de toutes ces démonstrations de générosité et de tendresse paternelle. C’est que moi je suis constamment en train de me protéger de son amour et de ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas être en train de croire à chaque instant qu’on fond d’amour au point de perdre les pédales. De plus, aimer me rend inconsistante, flasque, maladroite, parce qu’aimer m’empêche de réfléchir de façon simple et consciente sur les sensations que cela me produit. Mais la preuve de tout cela ce ne fut pas Paul, mais Samuel, mon expérience la plus récente. Paul fut l’échelon qui me prépara à rompre avec Samuel. Mais, comme cela arrive toujours, l’expérience que j’ai tirée de Paul ne m’a pas servie beaucoup quand Samuel s’est présenté.
Mr Sullivan m’envoyait à Paris afin de représenter son agence pour la durée d’un semestre. C’était un risque ? Oui, surtout pour lui, un danger économique. Je regrettai de n’avoir appris que tard qu’il avait souffert de notre séparation avec déchirement, j’étais sa fille qui glissait de ses mains, qui fonçait dans le fossé pour la seconde fois.
Si je l’avais su avant je ne l’aurais pas abandonné. Cependant, pendant tout ce temps il téléphona peu et écrivit assez. Des lettres pleines d’ordres, de plans de travail, de reportages et à la fin pas même un ciao ; par superstition il n’a jamais voulu dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui étaient davantage des absurdités, trouver une photo de Chirac en train d’embrasser Madonna, mon Dieu ! Par-dessus le marché, la chance est à tout le monde, comme dit le proverbe. L’opportunité se présenta toute seule : Chirac n’était pas encore président et la chanteuse offrit un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’ai exécuté tous les ordres qu’on m’a imposé en fin de compte j’étais retournée pour cela à Paris. Paris a été mon asile. La Havane mon idylle.
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Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
Lucio décida enfin de me confier la véritable raison pour laquelle Mr. Sullivan s’était montré aussi paternel envers moi. Sauf qu’il m’en informa par courrier au moment même où moi, je regagnais l’Europe. L’explication était tragique : je ressemblais physiquement à la plus jeune de ses filles, décidée dans un accident de voiture ; de surcroît, la jeune femme adorait l’art de la photographie, et sans aucun doute elle était pleine de promesses, car, hormis qu’elle jouissait d’un talent sans égal, elle aimait passer des heures et heures à s’instruire dans les musées ainsi que voyager dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été la fille chérie, l’élue, sur laquelle Mr. Sullivan avait fondé tous ses espoirs. Il avait attendu d’elle la consécration, il avait deviné chez elle le génie photographique que lui, n’avait jamais réussi à atteindre. Alors, je compris beaucoup mieux sa véhémence à mon égard, et je me reprochai de m’être méfiée, une fois de plus, de toutes ces manifestations de générosité et d’affection paternelle. C’est que je suis en permanence occupée par l’amour et ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas croire à chaque instant qu’on se consume d’amour au point de perdre les pédales. En plus, aimer me rend inconsistante, flaible, bête, parce qu’aimer m’empêche de réfléchir simplement et en toute conscience aux sensations éprouvées. Or la preuve de tout cela ne m’a pas été apportée par Paul, mais par Samuel, ma dernière expérience en date. Paul a constitué une étape qui m’a préparée à la rupture avec Samuel. Mais, comme c’est toujours le cas, les enseignements que j’ai retirés de Paul n’ont pas pesé grand chose au moment de rencontrer Samuel.
Mr. Sullivan m’envoyait à Paris afin que je représente son agence pour une durée de six mois. Est-ce que c’était risqué ? Oui, surtout pour lui, c’était un danger économique. Je regrettai de m’être aperçue tardivement de sa souffrance déchirante suite à notre séparation, j’incarnais sa fille qui lui filait entre les mains, qui partait dans le décor pour la seconde fois. Si je l’avais su avant, je ne l’aurais pas quitté. Néanmoins, pendant tout ce temps, il m’avait peu appelée, mais il m’avait pas mal écrit. Des lettres remplies d’ordres, de projets de travail, de reportages, et à la fin, pas même un « salut ! » ; par superstition, il n’avait jamais voulu me dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui étaient autant d’extravagances, obtenir une photo de Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Mais la chance est parfois extraordinaire et il ne tient qu’à nous de la mettre de notre côté, comme dit l’expression. L’opportunité vint d’elle-même : alors que Chirac n’était pas encore président, la chanteuse donna un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’exécutai tous les ordres que je reçus, c’est pourquoi, en fin de compte, j’étais revenue à Paris. Paris a été mon quartier général. La Havane, mon idylle.
Lucio décida enfin de me confier la véritable raison pour laquelle Mr. Sullivan s’était montré aussi paternel envers moi. Sauf qu’il m’en informa par courrier au moment même où moi, je regagnais l’Europe. L’explication était tragique : je ressemblais physiquement à la plus jeune de ses filles, décidée dans un accident de voiture ; de surcroît, la jeune femme adorait l’art de la photographie, et sans aucun doute elle était pleine de promesses, car, hormis qu’elle jouissait d’un talent sans égal, elle aimait passer des heures et heures à s’instruire dans les musées ainsi que voyager dans des pays pauvres et exotiques. Elle avait été la fille chérie, l’élue, sur laquelle Mr. Sullivan avait fondé tous ses espoirs. Il avait attendu d’elle la consécration, il avait deviné chez elle le génie photographique que lui, n’avait jamais réussi à atteindre. Alors, je compris beaucoup mieux sa véhémence à mon égard, et je me reprochai de m’être méfiée, une fois de plus, de toutes ces manifestations de générosité et d’affection paternelle. C’est que je suis en permanence occupée par l’amour et ses excès, peut-être parce que je pense que l’amour doit être un état unique, et qu’on ne peut pas croire à chaque instant qu’on se consume d’amour au point de perdre les pédales. En plus, aimer me rend inconsistante, flaible, bête, parce qu’aimer m’empêche de réfléchir simplement et en toute conscience aux sensations éprouvées. Or la preuve de tout cela ne m’a pas été apportée par Paul, mais par Samuel, ma dernière expérience en date. Paul a constitué une étape qui m’a préparée à la rupture avec Samuel. Mais, comme c’est toujours le cas, les enseignements que j’ai retirés de Paul n’ont pas pesé grand chose au moment de rencontrer Samuel.
Mr. Sullivan m’envoyait à Paris afin que je représente son agence pour une durée de six mois. Est-ce que c’était risqué ? Oui, surtout pour lui, c’était un danger économique. Je regrettai de m’être aperçue tardivement de sa souffrance déchirante suite à notre séparation, j’incarnais sa fille qui lui filait entre les mains, qui partait dans le décor pour la seconde fois. Si je l’avais su avant, je ne l’aurais pas quitté. Néanmoins, pendant tout ce temps, il m’avait peu appelée, mais il m’avait pas mal écrit. Des lettres remplies d’ordres, de projets de travail, de reportages, et à la fin, pas même un « salut ! » ; par superstition, il n’avait jamais voulu me dire au revoir. Moi, j’obéissais au pied de la lettre à ses obsessions qui étaient autant d’extravagances, obtenir une photo de Chirac embrassant Madonna, mon Dieu ! Mais la chance est parfois extraordinaire et il ne tient qu’à nous de la mettre de notre côté, comme dit l’expression. L’opportunité vint d’elle-même : alors que Chirac n’était pas encore président, la chanteuse donna un concert au parc de Sceaux. La photo existe. J’exécutai tous les ordres que je reçus, c’est pourquoi, en fin de compte, j’étais revenue à Paris. Paris a été mon quartier général. La Havane, mon idylle.
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