Assis dans les souffles de l'Adriatique, dans un bateau sur l'Adriatique, Michel-Ange regrette. Son estomac se tord, ses oreilles bourdonnent, il a peur. C'est la vengeance divine, cette tempête. Au large de Raguse, puis devant 1a Morée, il a en tête la phrase de saint Paul : « pour apprendre à prier il faut aller sur
la mer », et la comprend. L'immensité de la plaine marine l'effraie. Les mousses parlent un affreux patois nasillard qu'il n'entend qu'à moitié.
Il a quitté Florence le 1er mai pour s'embarquer à Ancône, après six jours d'hésitation. Les franciscains sont revenus à trois reprises, à trois reprises il les a renvoyés en leur demandant d'attendre encore. Il a lu et relu la lettre du sultan, en espérant qu'un signe du pape mette entre-temps fin à ses incertitudes. Jules II devait être trop occupé avec sa basilique et les préparatifs d'une nouvelle guerre. Après tout, servir le sultan de Constantinople voilà une belle revanche sur le pontife belliqueux qui 1'a fait jeter dehors comme un indigent. Et la somme offerte par le Grand Turc est faramineuse. L'équivalent de cinquante mille ducats, soit cinq fois plus que le pape l'a payé pour deux ans de travail. Un mois. C'est tout ce que demande Bayazid. Un mois pour projeter, dessiner et débuter le chantier d'un pont entre Constantinople et Péra, faubourg septentrional. Un pont pour traverser ce que l'on appelle la Corne d'Or, le Khrusokeras des Byzantins. Un pont au milieu du port d'Istanbul. Un ouvrage de plus de neuf cents pieds de long. Michel- Ange a mollement essayé de persuader les franciscains qu'i1 n'était pas qualifié. Si le sultan vous a choisi, c'est que vous l'êtes, maître, ont-ils répondu. Et si votre dessin ne convient pas au Grand Turc, il le refusera, tout comme i1 a déjà refusé celui de Léonard de Vinci. Léonard ? Passer après Léonard de Vinci ? Après ce lourdaud qui méprise la sculpture ? Le moine, sans trop s'en rendre compte, a immédiatement trouvé les mots pour convaincre Michel-Ange: Vous le dépasserez en gloire si vous acceptez, car vous réussirez là où il a échoué, et donnerez au monde un monument sans pareil, comme votre David.
Mathias Énard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, 2010.
9 commentaires:
Bonjour, avez-vous une proposition de traduction pour ce texte?
Mateo
Bonjour Mateo,
Pas pour l'instant…
Peut-être des volontaires accepteront-il de s'y coller. Je vais envoyer un mail à quelqu'un susceptible d'accepter de le faire, mais je ne vous garantie rien ; les membres du blog sont toujours inquiets à l'idée de savoir que les candidats viendront chercher les réponses aux questions qu'ils se posent dans leur modeste proposition de traduction, regardant tout à la loupe et par le filtre de leurs angoisses, naturelles certes, mais ô combien déformantes…
Mais au fait… et vous, voulez-vous nous proposer la vôtre ? Le cas échéant, elle serait reçue avec bienveillance…
Bonsoir,
Merci pour cette réponse si rapide.
Par rapport à votre offre de faire une proposition de traduction, je vous dirais que je ne me sens point capable de la faire… maintenant. Il me faudra à mon avis, plus de temps et du recul pour sortir du "purgatoire" de ces deux derniers jours (épreuves de l'admissibilité). Tout cela pour vous dire qu'une personne "neutre" (et moins angoissé) pourra faire une proposition de traduction plus pondérée.
Amitiés.
Mateo,
Je comprends… Comme je vous l'ai dit, j'ai demandé à l'une Tradabordienne de le faire, la sympathique et compétente Odile – que je remercie très très très sincèrement d'avoir accepté de relever ce défi difficile. Elle m'a assuré qu'elle enverrait sa traduction mardi ou mercredi. Vous n'aurez donc pas longtemps à attendre.
Il va de soi que la proposition qu'elle donnera n'a rien de définitif et n'a pas valeur de pré-corrigé du jury.
Bonjour, je peux vous proposer la traduction faite pendant l'épreuve, nous pourrions comparer les différentes options.
Bonjour,
Pourquoi pas, en effet… ? Dès lors, nous ne le dirons jamais assez, que cela se passe entre gens de bonne compagnie. Mais j'aimerais au préalable que vous vous présentiez un peu, au moins par le biais d'un prénom et que ce soit ensuite sous cette désignation que vous paraphiez vos commentaires et non sous celui d' « administrateur »…, inadéquat ici et ambigu dans la mesure où j'assure seule la « gestion » de Tradabordo ; le contenu étant réalisé ensuite par tous ceux qui le souhaitent, regroupés sous l'étiquette d'amoureux de la traduction. Un détail, je vous l'accorde…, mais qui tient compte de la spécificité d'un espace dévolu à la traduction, notamment la version, et non aux concours – ponctuels ou périphériques dans nos travaux.
Quoi qu'il en soit, bienvenue à vous ! (le cas échéant pensez aussi à vous inscrire…)
Caroline Lepage
Bonjour Caroline,
Notre amie Odile devait nous faire une proposition de traduction pour le mercredi... peut-être elle est assez occupée.
Cordialement.
Mateo
Bonjour Mateo,
Permettez-moi une petite correction : non, Odile ne « devait » pas nous faire une proposition de traduction pour le thème de l'agrégation interne… elle a gentiment « accepté » de prendre sur son temps pour satisfaire notre demande. Nuance de taille, vous en conviendrez ! Je rappelle que nous ne sommes ni les uns ni les autres des prestataires de services à la disposition du public, par exemple celui des candidats aux concours (CAPES - Agrégation) ; des organismes existent pour cela… et sont d'ailleurs payants. Nous sommes un groupe de traducteurs amateurs et professionnels pour qui les sujets des concours sont une occasion de s'exercer, parmi d'autres. Et en tant que bénévoles, nous avons établi le principe que sur Tradabordo on prend et en échange on donne quelque chose (c'est précisément parce que nous produisons un contenu intéressant et utile de surcroît, que vous nous avez trouvés et que vous nous avez sollicités, n'est-ce pas ?) ; or en l'occurrence, vous n'offrez rien… Notez bien que ça n'est pas un reproche (je l'ai assez dit dans mes commentaires précédents), car je comprends que le sujet soit sensible si vous venez de passer les écrits, mais il ne faut pas inverser les choses pour autant et devenir exigeant, réclamer parce que ça ne vient pas assez vite. D'autant que si vous regardez bien Odile a effectivement proposé sa traduction… et il y en a même une autre, celle de Laëtitia. Fouillez un peu sur le blog, avec le moteur de recherche par exemple, et vous trouverez…
Tout aussi cordialement,
Caroline
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