mardi 19 février 2013

Exercice d'écriture 9 – par Kévin Cipolloni

« Banquet »

Il y avait quelque chose de pittoresque dans cette scène (et non « cette Cène », car ce funeste repas entre le fils de Dieu et ses apôtres ne tenait pas la comparaison avec cette orgie de victuailles présentée sur les longues tables en bois). Sous le chapiteau d’étoiles, une tablée impressionnante en nombre et en vacarme, disposée en demi-cercle, des plats débordants de viandes en tout genre, de fruits et légumes, de poissons et de fromages, des pichets en veux-tu en voilà, remplis de quelques boissons propices à l’excès, des tonneaux et du gibier à la broche au milieu de tous ces ripailleurs, le tout dans une ambiance bon enfant à rendre vert de jalousie le premier misanthrope venu, lequel, en catimini, avait certainement rejoint les autres, entre deux fêtards déjà bien ronds, suffisamment en tout cas pour qu’il puisse passer inaperçu. Le curieux de passage n’aurait su dire depuis quand les hostilités gastronomiques avaient été engagées : les braises sous les broches étaient suffisamment rougeâtre pour deviner que les festivités n’en étaient plus à leurs balbutiements et les cendres trop peu nombreuses pour laisser entendre que cette joyeuse pagaille n’était pas prête à aller se coucher. Quant au repas en lui-même, c’était l’anarchie : chacun saisissait ce qui était à portée de main, sans se soucier des mariages d’aliments plus qu’improbables qui avaient lieu dans leurs bouches. Il n’était pas rare de remarquer de-ci de-là quelques compagnons d’un soir se fendre la poire en constatant les tronches qu’ils tiraient, suite à des défis de plus en plus ignobles. Visiblement, les épinards à la vinaigrette se disputaient la palme du plat le plus écœurant avec les huitres à la mayonnaise, les pauvres malheureux qui s’étaient retirés pour vomir un peu plus loin pouvaient en être garants. La tête haute,  des restes entre les poils de sa moustache, et une nouvelle assiette engloutie devant soi, un champion se révélait à l’assemblée. Il avait avalé sans broncher tout ce qu’on lui avait présenté, et il en redemandait, l’insolent ! Entre les hourras et autres bravos, il s’était levé sur la table pour mieux s’incliner devant l’assemblée, flatté par tant d’admirations.
 Une fois les nuages apparus devant le ciel étoilé, le spectacle était tout autre. Un champ de bataille à l’abandon, avec des corps avachis sur l’herbe, des couverts et des verres brisés sur les tables désormais collantes, et des chiens qui y dérobent les restes avec délectation. Seuls quelques soldats vaillants tenaient encore debout,  résistant tant bien que mal à la somnolence qui les envahissait et cherchant à faire perdurer l’esprit de gauloiserie. L’heure n’était plus à la bâfrerie, mais à la franche rigolade entre deux verres de rouge « pour faire digérer le tout », comme ils disaient. Leurs yeux se faisaient larmoyants et leurs visages, rouges. On refusait de plus en plus les « Allez, tends voir ton verre », et la poignée de gaillards avait beau se faire violence pour terminer les dernières assiettes provocatrices, ils devaient se rendre à l’évidence et s’avouer vaincu dans cette guerre. Mais c’était une belle guerre.   

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