« Sans lendemain »
J’ai pas dormi. Je veux dire, je me suis couché, j’ai fermé les yeux, et j’ai essayé de me reposer. Ça va faire trois jours que c’est comme ça, à cause des bombes. Mon frère et moi, on est parti de notre village avec tout le monde, pour pas qu’on se fasse surprendre par les attaques des villages à côté. On n’arrête pas de s’en aller, parce que ça se rapproche à chaque fois, même que la dernière fois, on a failli mourir. Heureusement, on a réussi à partir à temps parce que y a des villageois qui se sont battus et ils ont attiré les terroristes quelque part, et alors on est passé ailleurs pour sortir du village. On est allés toujours dans la même direction, comme tout le monde.
J’entends des bruits là-bas. Encore. Ça a l’air de se calmer un peu, mais ça veut rien dire : c’est quand y a plus de bruit que c’est dangereux, parce qu’on croit que c’est fini, alors y en a qui sortent, et ils se font tuer. Mon frère n’arrive pas à dormir non plus. On a perdu nos parents. On a pas eu le temps de prendre nos affaires, on a couru et ont les a perdu, j’ai juste vu mon frère et on sait pas où ils sont. On a peur, parce qu’on sait pas s’ils sont encore vivants. Et si oui, ils doivent pas savoir qu’on est vivants, ils doivent nous chercher, comme nous. Mais on les a pas encore trouvés. Peut-être qu’ils sont pas loin, et qu’on va les croiser.
Y a des bruits de pas. Il fait trop noir pour qu’on voie qui c’est, alors on va rester cachés. On respire plus pour pas faire de bruit. C’est bon, ça s’en va. On a encore peur, mais c’est pas comme au début. Au début, on avait peur de mourir, d’être blessés ou capturés vivants – on dit qu’il y en a qui sont torturés – on avait peur pour notre famille. Là, c’est pas pareil, on a juste peur pour notre famille. Je crois que c’est parce qu’on sait qu’on peut être tués n’importe quand. Je sais pas comment dire. En fait, on a encore peur pour ça, mais ça compte plus. On pense à nos parents, on sait pas si on les reverra, on pense qu’à ça, et comme on pense plus à nous, ben, c’est plus trop grave. On vit sans penser à ce qu’on va faire plus tard, parce qu’on peut pas dire si on sera là demain. Et comme on se dit ça depuis le début, c’est comme si tous les jours étaient pareils. Y a plus de demain. Tout ce qu’il y a, c’est des jours où on vit, le reste, c’est pas vraiment des jours.
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