mardi 2 avril 2013

Exercice d'écriture 13 – par Manon Tressol

« Sans lendemain »

Cher ami,
Je vous écris car il se passe quelque chose de grave au village. Vous seul, peut-être, pourrez nous tirer d’affaire. Voilà maintenant belle lurette que les gens se pressent et que plus personne n’arrive à donner de son temps. Alors ressource rare,  le temps est devenu objet de commerce, et on a vu plus d’une boutique ouvrir. Seulement voilà : à vendre des hiers et des avant-hiers dont plus personne ne voulait, les marchands ont commencé à diversifier leur gamme de produits, et voilà qu’ils s’en sont pris aux lendemains. Malheureusement,  cher ami, l’innovation a fait fureur et la population s’est jetée dessus. On en commandait avec son café, les dames se paraient de lendemains les plus beaux qui soient, on en a fait toute une exposition dans notre modeste musée de la machinerie, le maire lui-même a tenu a instaurer la fête du Lendemain, où on en distribuait par paquets aux enfants et où on pouvait en gagner davantage encore à la loterie. J’ai moi-même, je l’avoue, pris des photos avec toute ma famille et nos beaux lendemains flambants neufs. Mais peu à peu,  les rumeurs ont circulé : on fonctionnerait à flux tendus, les réserves seraient maigres, et la vérité est tombée : le lendemain se faisait rare. J’ai vu des choses, si vous saviez, cher ami, que je n’aurais jamais osé imaginer dans notre petit village. Les lendemains ont commencé à circuler clandestinement, des mafias ont menacé, parfois pire, ceux qui en gardaient en réserve. La banque du temps a été braquée, et le pauvre employé a dû donner le code d’accès à la salle des lendemains. Un trésor magnifique, paraît-il. On en a vu les restes en photo dans la gazette. Mais même les trafiquants sont partis. C’est là la nouvelle la plus triste : il n’y a plus rien, notre village est désormais sans lendemain.
Mon cher ami, vous qui connaissez si bien notre village et les choses du monde, vous qui avez tant voyagé,  vous qui maîtrisez si bien les souvenirs et l’avenir,  je vous en supplie, faites tout votre possible pour redonner espoir à mon village, et donnez-nous quelque piste pour retrouver ne serait-ce qu’un fragment de lendemain. Car ici, mon cher ami, tout n’est que détresse, désespoir et idées noires. Les familles se déchirent, les amours flétrissent, l’abattement peut se lire sur tous les visages. En espérant que vous saurez prendre la mesure de toute mon inquiétude, je vous embrasse affectueusement,
Votre amie dévouée de toujours,
Jadis Naguère

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