mercredi 1 mai 2013

Exercice d'écriture 15 – par Nancy Benazeth

« Description d'un nuage »

C’était un dimanche matin, après la messe de 10h45. Comme chaque jour du Seigneur, Auguste s’assit sur le banc du parc Saint-Jean, à égale distance entre l’église romane et sa maison contemporaine. Se déplaçant avec difficultés et une canne, il n’avait d’autres choix que de s’arrêter quelques instants à mi-chemin. En outre, ce moment lui permettait de ne pas rentrer directement chez lui, où l’attendait un quotidien monotone. Il en profitait donc pour observer les enfants jouer, les pigeons picorer et les orages se former.
Ce jour-là, un jeune homme semblant surgir de nulle part se dirigea vers lui et son oasis, d’un pas décidé. Ses lacets étaient défaits, un pan de sa chemise mal boutonnée sortait de son pantalon, une bouteille vacillait dans sa poche tandis qu’une autre – presque vide – se trouvait en sécurité entre ses mains. Le vieillard ne l’avait jamais rencontré et fut très étonné de le voir se jeter sur son banc. Après avoir avalé deux bonnes gorgées, l’individu lui lança d’une voix rauque :
— Vous admirez le ciel, Monsieur ?
— Pas vraiment, répondit le vieillard, troublé. Cela-dit, ce nuage gonfle, il va bientôt pleuvoir.
— Peut-être qu’il ne fera que passer, qui sait ? Les nuages sont si fugaces et éphémères ! Ils planent sur le monde, voyageant librement. Ça les rend imprévisibles, fit-il l’air pensif.
— Oui… Mais celui-ci est chargé d’eau, il est lourd. Sa cheminée grossit à vue d’œil.
— Les nuages sont lourds, vous avez raison même s’ils ont la légèreté de la fumée, blanche et douce. À son image, ils disparaissent, se dissolvent, le plus souvent sans laisser de traces, évoquant l’écoulement du temps, inéluctable, la Terre qui tourne, inlassablement ; nos existences qui flottent et nous donnent le vertige. Vous ne trouvez pas qu’ils ressemblent à la vie ? demande-t-il en secouant son flacon au-dessus de son gosier pour en ingurgiter les dernières gouttes.
— Eh bien, ils ressemblent à de la vapeur amassée, poussée par le vent, affirma spontanément Auguste.
— Certes, mais je vous parle d’un autre langage, un langage muet. Regardez ces filaments, ils sont extrêmement hauts, ils vivent avec les étoiles. Et ceux-là, on dirait des vagues, et l’autre plus bas, des galets aplatis. C’est magnifique. La nature et ses formes sont très généreuses. Elles évoluent ou restent figées… Pourquoi les nuages ont différentes apparences ? Je vais vous le dire, moi.
Il scruta autour de lui avant de chuchoter :
— C’est parce qu’ils nous livrent des messages, des présages ! Tout a un sens… C’est extraordinaire.
— Bien sûr, selon leur aspect et leur altitude, ils annoncent des risques de pluie ou non.
Je ne fais pas référence à ces prévisions-là.
Le jeune ouvrit la seconde bouteille, goûta son contenu et s’approcha de son interlocuteur.
— Sentez leur vol fluide qui vous soulage, vous apaise. Vous avez remarqué comment le poids de la mort sur nos propres épaules diminue depuis que nous les contemplons ? La mort semble plus douce, tranquille, non ?
— Écoutez, je ne vois que de l’air condensé, des tâches blanches, des moutons dans une prairie d’azur…
— Alors, allez vers cette prairie et laissez-vous emporter par la tendresse de leur danse, continua-t-il en s’approchant davantage.
Face à l’incompréhension du vieil homme, il s’abreuva puis lui tendit sa bouteille en proclamant : — Enivrez-vous !
Auguste le dévisagea, leva les yeux au ciel ; dans les nuages, il saisit la bouteille et la vida d’un trait. 

1 commentaire:

Justine a dit…

De belles inspirations, Nancy, bien joué ! :-)