1) Kévin Cipollini. Comment êtes-vous devenu éditeur ?
Patrick Olaya. C’est un vieux rêve. Avant, j’étais journaliste à l’AFP. Depuis l’âge de 25 ans, je souhaitais faire carrière dans le livre. J’ai écrit pendant 20 ans et j’ai eu envie de tester l’aventure dans ma région il y a 7 ans.
2) K. C. Pouvez-vous nous présenter les éditions Vents Salés ?
P. O. C’est une maison d’édition régionale, qui s’étend au niveau national. Nous publions des romans régionaux, beaucoup de polars et de polémistes, c’est-à-dire des romans qui bougent les lignes, qui mettent en lumière des secteurs, par exemple la bourgeoisie bordelaise, le bassin d’Arcachon… On joue la carte locale et polémiste, mais pas trop.
3) K. C. Comment vous est venue l’idée de vous spécialiser dans les biographies ?
P. O. À vrai dire, il n’y en a pas beaucoup. J’ai écrit des biographies, une soixantaine de bouquins publiés chez de grands éditeurs, comme L’otage oublié, mais aussi des faits divers comme Jacques Mesrine avec Otages à perpétuité. Il s’agit surtout de témoignages de notables du coin qui souhaitent faire passer des messages, certains ont eu envie de se livrer complètement. Une biographie est ce qu’il y a de plus dur à faire. Il faut sortir les tripes à l’air, sinon c’est sans intérêt.
4) K. C. Qu’est-ce qui distingue selon vous la biographie du roman ? Et quelle est sa relation avec lui ?
P. O. Une biographie est belle et bonne si elle est romancée. Il ne s’agit pas forcément de travestir la vérité. Imaginez une biographie qui serait une énumération de dates… Cela aurait peu d’intérêt. C’est plus dur pour un auteur qui signe sa biographie. Personne ne peut imaginer sa vie comme un roman. Il faut trouver le lien entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Le parallèle est vite fait : si une biographie est romancée tel qu’elle doit l’être, ça peut devenir une belle histoire. Si le lecteur arrive à ne plus savoir si c’est un roman ou une biographie, alors c’est gagné !
5) K. C. Quels rapports entretenez-vous avec les auteurs, comment les sélectionnez-vous ?
P. O. Je reçois environ 50 manuscrit par an. Ils sont soumis au comité de lecture (4 personnes), environ 2 personnes lisent chaque manuscrit et donnent une note entre 0 et 3 pour l’appréciation. Selon les commentaires, je lis ou non. Si le commentaire est favorable, j’appelle l’auteur et j’ai un entretien avec lui. Si on publie, plein de choses sont à revoir. L’auteur va revoir des fautes, des répétitions, et cætera, mais il est tellement sûr de son récit qu’il ne voit plus la cohérence. On est là pour améliorer le récit. D’une part, il faut du talent technique et artistique. D’une autre part, il y a la relation humaine, c’est-à-dire que si le manuscrit est admirable et l’auteur caractériel, je ne le prendrai pas, car on va avoir une relation pendant environ deux ans et si la relation n’est pas bonne dès le début, on va droit au clash. Je choisis des auteurs sympathiques. En faisant cela, je me préserve aux yeux des libraires, qui peuvent me reprocher le choix d’un auteur antipathique, pendant une séance de dédicace par exemple. S’il y a une sélection dès le départ, je travaille ma réputation.
6) K. C. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’adaptation cinématographique du roman L’Ostréopithèque ?
P. O. Je peux seulement vous dire que L’Ostréopithèque a de grandes chances d’être réalisé par Pascal Thomas. Il vient en vacances tous les ans au Cap Féret, et je le connais par le biais d’un ami qui lui a offert le roman, puis il a pris contact pour faire le film. Il a jugé le roman ciné génique. C’est une grande aventure, et il s’agit là du premier roman pour l’auteur. C’est un coup de maître et la meilleure vente de Vents salés. Là où l’on se sent impuissant, c’est concernant le travail du scénariste : des choses seront différentes, des choses qui ne passent pas au cinéma. Pour l’auteur, c’est frustrant car ça dénature son œuvre, mais aussi gratifiant de la voir portée sur grand écran, c’est une chance inouïe !
7) K. C. Comment voyez-vous aujourd’hui le métier d’éditeur ?
P. O. Je vois deux choses : d’abord, le numérique, qui ne va pas faire grand mal au livre. Les livres scolaires et universitaires ont un avenir certain dans le numérique. Le vrai lecteur, lui, ne peut se passer du papier, de son odeur, du toucher… il est comme un enfant devant des ouvrages. Je suis plus inquiet sur la chaine du livre pour les libraires, à cause d’Amazon, Decitre, et cætera qui cassent les prix et le marché des libraires. Ce qui est dramatique, car le libraire est une référence. Je suis inquiet devant la multiplication de grandes surfaces, même si elles sont plus compétentes.
8) K. C. Quelles sont selon vous les qualités nécessaires à un bon éditeur ?
P. O. L’ouverture d’esprit. Ça c’est évident. La faculté de jugement à tout niveau : quand on prend un risque financier, il faut le rentabiliser, être perspicace. D’excellentes qualités relationnelles, savoir dire « non » : sur 200 manuscrits, seulement 8 passent. Être polyvalent, avoir la maitrise sur toute la chaine du livre : c’est des contacts avec les libraires, les infographistes… et les lecteurs, qui laissent leurs commentaires par mail. Il faut la connaitre par cœur, connaitre tous les rouages. Il y a aussi la relation avec la presse, sans laquelle on a du mal à réussir.
9) K. C. Comment voyez-vous l’avenir de votre maison d’édition ? Quels sont vos projets ?
P. O. Je le vois bien. Je suis optimiste de nature. Avec une politique d’expansion, petit à petit, on gagne du terrain. On commence à avoir des auteurs plus connu, ça vient peu à peu et amène des auteurs encore plus connus. Prospérer, mais humainement parlant, faut que ça reste gérable : le marché du livre est fragile. C’est plus facile à l’échelle régionale, mais si la crise ne nous touche pas trop, il ne faut pas perdre de vue que ça va nous toucher un jour. Aller de l’avant, mais avec une extrême prudence. Il y a des années, j’aurais pris plus de risques avec les auteurs (aujourd’hui, je me limite à deux nouveaux par an, car c’est trop aléatoire). Par exemple, il y a trois ans, entre les fêtes de fin d’année et la reprise du pouvoir d’achat, on pouvait partir en vacances en janvier, mais ce mois était devenu un trimestre : rien ne reprenait jusqu’à la mi-mars (des fois avril). On est passé de un mois à trois mois de jachère.
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