Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
jeudi 31 mars 2011
Entraînement test de juin, 20
El hombre y su machete acababan de limpiar la quinta calle del bananal. Faltábanles aún dos calles; pero como en éstas abundaban las chircas y malvas silvestres, la tarea que tenían por delante era muy poca cosa. El hombre echó, en consecuencia, una mirada satisfecha a los arbustos rozados y cruzó el alambrado para tenderse un rato en la gramilla. Mas al bajar el alambre de púa y pasar el cuerpo, su pie izquierdo resbaló sobre un trozo de corteza desprendida del poste, a tiempo que el machete se le escapaba de la mano. Mientras caía, el hombre tuvo la impresión sumamente lejana de no ver el machete de plano en el suelo. Ya estaba tendido en la gramilla, acostado sobre el lado derecho, tal como él quería. La boca, que acababa de abrírsele en toda su extensión, acababa también de cerrarse. Estaba como hubiera deseado estar, las rodillas dobladas y la mano izquierda sobre el pecho. Sólo que tras el antebrazo, e inmediatamente por debajo del cinto, surgían de su camisa el puño y la mitad de la hoja del machete, pero el resto no se veía. El hombre intentó mover la cabeza en vano. Echó una mirada de reojo a la empuñadura del machete, húmeda aún del sudor de su mano. Apreció mentalmente la extensión y la trayectoria del machete dentro de su vientre, y adquirió fría, matemática e inexorable, la seguridad de que acababa de llegar al término de su existencia. La muerte. En el transcurso de la vida se piensa muchas veces en que un día, tras años, meses, semanas y días preparatorios, llegaremos a nuestro turno al umbral de la muerte. Es la ley fatal, aceptada y prevista; tanto, que solemos dejarnos llevar placenteramente por la imaginación a ese momento, supremo entre todos, en que lanzamos el último suspiro. Pero entre el instante actual y esa postrera expiración, ¡qué de sueños, trastornos, esperanzas y dramas presumimos en nuestra vida! ¡Qué nos reserva aún esta existencia llena de vigor, antes de su eliminación del escenario humano! Es éste el consuelo, el placer y la razón de nuestras divagaciones mortuorias: ¡Tan lejos está la muerte, y tan imprevisto lo que debemos vivir aún! ¿Aún...?
L’homme et sa machette venaient de nettoyer la cinquième allée de la bananeraie. Il leur restait encore deux rues; mais comme dans celles-ci foisonnaient les fuchsias et les mauves sauvages, la tâche qu’ils avaient devant eux était très peu de chose. L'homme jeta, en conséquence, un regard satisfait aux arbustes rasés et traversa la clôture en fil de fer pour s’allonger un moment sur la pelouse. Mais en descendant le barbelé et en passant son corps, son pied gauche glissa sur un bout d’écorce détachée du pilier, tout en échappant la machette de ses mains. Tandis qu’il tombait, l’homme eut l’impression extrêmement lointaine de ne pas voir la machette à plat sur le sol. Il était déjà étendu sur la pelouse, couché sur le côté droit, tel qu’il aimait. Sa bouche, qui venait de s’ouvrir dans toute son extension, venait aussi de se fermer. Il était comme il eût voulu être, les genoux pliés, et la main gauche sur la poitrine. Seulement, derrière son avant-bras et immédiatement sous sa taille, surgissaient de sa chemise le manche et la moitié de la lame de la machette, mais le reste ne se voyait pas. L’homme tenta de bouger la tête, en vain. Il jeta un regard de travers à la garde de la manchette, humide encore de la sueur de sa main. Il apprécia mentalement l’extension et la trajectoire de la machette à l’intérieur de son ventre, et trouva froide, mathématique et inexorable, la sécurité qui venait d’arriver au terme de son existence. La mort. Au fil de la vie, on pense très souvent qu’un jour, après des années, des mois, des semaines et des jours préparatoires, nous arriverons à notre tour au seuil de la mort. C’est la loi fatale, acceptée et prévue; tellement, que nous avons coutume de nous laisser porter agréablement par l'imagination de ce moment, suprême entre tous, où nous poussons notre derniers soupir. Mais entre l'instant actuel et cette ultime expiration, que de rêves, troubles , espoirs et drames prévoyons-nous dans notre vie! Que réserve-nous encore cette existence remplie de vigueur, avant son élimination de la scène humaine! C'est ça la consolation, le plaisir et la raison de nos divagations mortuaires: Si loin est la mort, et si imprévu ce que nous devons encore vivre! Encore...?
L’homme et sa machette achevaient de nettoyer la cinquième rue de la bananeraie. Il leur manquait encore deux rues ; mais comme dans celles-ci abondaient les arbustes et mauves sauvages, la tâche qu’ils devaient accomplir n’était pas grand chose. En conséquent, l’homme jeta un regard satisfait aux arbustes frôlés et traversa la clôture pour s’étendre un moment sur la pelouse. En abaissant davantage le barbelé et en passant son corps, son pied gauche glissa sur un morceau d’écorce détaché du poteau, tandis que la machette lui échappait de la main. Alors qu’il tombait, l’homme eut l’impression extrêmement lointaine de ne pas voir la machette clairement sur le sol. Il était déjà étendu sur la pelouse, couché sur le côté droit, tel qu’il le voulait. La bouche, qui venait de s’ouvrir dans toute son étendue venait aussi de se fermer. Il était comme il avait souhaité être, les genoux pliés et la main gauche sur le torse. Seulement derrière l’avant-bras, et immédiatement en-dessous de la ceinture, surgissaient de sa chemise le poignet et la moitié de la lame de la machette, mais le reste ne se voyait pas. L’homme essayait de bouger la tête en vain. Il jeta encore un regard du coin de l’œil à la poignée de la machette, encore humide de la sueur de sa main. Il apprécia mentalement l’étendue et la trajectoire de la machette à l’intérieur de son ventre, et il parvient de façon froide, mathématique et inexorable, à la certitude qu’il venait d’arriver à la fin de son existence. La mort. Dans le courant de la vie on pense de nombreuses fois qu’un jour, des années après, des mois, des semaines et des jours préparatoires, nous arriverons à notre tour au seuil de la mort. C’est la loi fatale, acceptée et prévue ; si bien, que nous avons coutume de nous laisser porter agréablement par l’imagination à ce moment, suprême entre tous, où nous lançons le dernier soupir. Mais entre l’instant actuel et cette dernière expiration, que de rêves, de bouleversements, d’espoirs et de drames dont nous présumons dans notre vie ! Que nous réserve encore cette existence pleine de vigueur, avant son élimination de la scène humaine ! C’est cela la consolation, le plaisir et la raison de nos divagations mortuaires : la mort est si loin, et ce que nous devons encore vivre est si imprévu ! Encore… ?
L'homme et sa machette venaient de finir de nettoyer la cinquième rue de la bananeraie. Il leur restait encore deux rues ; mais comme dans celle-ci, on trouvait en abondance des euphorbes et des mauves des bois, la tâche qu'ils devaient encore accomplir n'était pas grand chose. L'homme jeta donc un regard satisfait aux arbustes désherbés et enjamba le grillage pour s'allonger un instant sur la pelouse.
Mais au moment d'abaisser le barbelé et de passer son corps par dessus, son pied gauche glissa sur un bout d'écorce détaché du poteau, en même temps que la machette lui échappait des mains. Tandis qu'il tombait, l'homme eut la très vague impression de ne pas voir la machette dans sa totalité sur le sol.
Il était désormais étendu sur la pelouse, couché sur le flanc droit, comme il l'avait voulu. Sa bouche, qui venait de s'ouvrir aussi grand que possible, venait également de se fermer. Il était tel qu'il aurait désirer être, les genoux pliés et la main gauche sur la poitrine, excepté que derrière son avant-bras et directement en dessous de son ceinturon apparaissait au travers de sa chemise le manche et la moitié de la lame de la machette, mais le reste ne se voyait pas. L'homme essaya de bouger la tête en vain. Il regarda du coin de l'œil la poignée de la machette, encore moite de la sueur de sa main. Il apprécia mentalement la place et la trajectoire de la machette dans son ventre, et eut la froide, la mathématique et l' inexorable certitude que sa vie arrivait à son terme. La mort. Au cours de la vie, on pense souvent au jour où, après des mois, des semaines et des jours de préparation, nous arriverons à notre tour sur le seuil de la mort. C'est la loi fatale, acceptée et prévue ; à tel point que nous avons l'habitude de nous laisser porter agréablement par l'imagination, à ce moment, suprême entre tous, quand nous rendons notre dernier soupir. Mais entre le moment présent et cette dernière expiration, qu'advient-il des rêves, des tourments, des espoirs et des drames que nous présumons dans notre vie! Que nous réserve encore cette vie pleine de vigueur, avant son élimination du décor humain! Voilà la consolation, le plaisir et la raison de nos divagations morbides : si loin est la mort, et si imprévu, ce qu'il nous reste à vivre encore! Encore... ?
À propos du sondage « Le plus gros défaut du traducteur »
par gregos art
Si nous écoutions un peu la radio ?
Présentation de l'éditeur
Entretien avec Entretien avec Robert Amutio (traducteur / espagnol), réalisé par Stéphanie Maze
1) Qu'est-ce qui vous a amené à la traduction ?
J’aimerais répondre « bon qu’à ça », mais je n’en suis même pas sûr. Sans doute mon goût de la lecture, de la littérature. L’étonnement que certains textes soient laissés de côté, alors que je les trouvais bien meilleurs que beaucoup d’autres qui étaient traduits. Un vague désir d’intervenir et de modifier un peu le paysage littéraire. On en revient assez vite, c’est vrai. D’autres éléments ont joué, par exemple que l’espagnol soit ma langue maternelle. Je parle de réconciliation.
2) Quelle a été votre première traduction ? Qu'en pensez-vous aujourd'hui ?
La plus ancienne traduction dont je me souvienne est celle que j’ai faite, il y a presque une quarantaine d’années, des premières pages d’un roman de Scorza, Redobles por Rancas. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, sans doute heureusement disparue. De manière générale, je ne relis pas les traductions une fois publiées. Si je suis amené à relire par hasard un texte que j’ai traduit, je peux ne pas le reconnaître, ou bien ressentir une sensation de malaise, d’étrangeté, que je ne désire pas éprouver.
3) Quel type de littérature traduisez-vous le plus ?
Je traduis surtout des nouvelles et des romans, un peu de poésie.
4) Choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
Le plus souvent c’est le cas, et cela tient d’une part au fait que ma survie économique ne dépend pas de mon rythme de traduction et d’autre part que je ne souhaite pas traduire des textes que je n’estime pas. J’ai traduit certains livres que j’ai aimé lire ; bien sûr, seulement certains, parce que je ne crois pas que tout ce que j’ai aimé (et moins encore tout ce qui s’écrit) devrait être traduit – ne me demandez pas comment je le détermine. Enfin, je défends les livres qui résisteront j’espère à l’épreuve de la traduction.
5) Entretenez-vous de bons rapports avec les éditeurs ?
Jusqu’à présent, mes rapports ont été plutôt bons. Il en est des éditeurs comme des traducteurs et des auteurs, certains sont des êtres que l’on est heureux d’avoir rencontré, et des autres je ne dirai presque rien : qu’on peut apprécier l’œuvre des auteurs, le catalogue des éditeurs (leur biographie, en quelque sorte), et tenir en piètre estime les personnes. Les catalogues des éditeurs sont parfois plus grands que les éditeurs eux-mêmes.
6) Vous arrive-t-il d'avoir des échanges avec l'auteur du livre que vous traduisez ?
Oui, en gardant présent à l’esprit que je suis le traducteur, et que je sais certaines choses que l’auteur ne sait pas, sur la langue française, sur la littérature française, par exemple. Difficile de discuter avec un auteur qui se prend pour un traducteur. (L’inverse est aussi vrai.)
7) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traducteur ? Quel livre avez-vous préféré traduire ?
Mon meilleur souvenir : après avoir cherché longtemps à faire traduire un auteur, finalement, avoir trouvé le bon éditeur. Je n’ai pas de livre préféré, la sorte d’affection qui peut me lier à tel ou tel ouvrage est d’un ordre que je dirais « privé ».
8) Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ?
Avant toute chose, il convient de dire qu’il faut éviter, dans la mesure du possible, de lire dans la perspective de traduire. Les textes qui m’intéressent n’ont pas été écrits dans le but d’être traduits. S’ils sont traduits, c’est de surcroît. Bien sûr, des textes sont écrits pour être traduits, ou plutôt pour s’insérer dans la circulation des marchandises de l’industrie culturelle et cette insertion passe par la traduction. La question de savoir dans quelle langue sont écrits ces ouvrages est intéressante. De fait, ils ont l’air souvent d’avoir été traduits dans leur langue originale.
Bien sûr, traduire pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, un texte, c’est le côtoyer plus que la plupart des lecteurs ne le fera jamais. On entre dans le corps du texte, dans son organisation interne – et qu’on le veuille ou non, on devient sensible à certains aspects qui auparavant étaient présents mais restaient en retrait pendant la lecture.
D’une autre manière, je suis devenu un lecteur différent lorsque, au cours d’une traduction, je me suis mis à lire des auteurs mentionnés dans le texte, que je ne connaissais pas ou dont je ne savais pas grand-chose. Cet infléchissement est un enrichissement. Je pourrais donc dire aussi bien que lire a fait de moi un traducteur différent, puisque le traducteur est fait de ses lectures.
9) Avez-vous des conseils à donner aux futurs traducteurs ?
Lisez de la littérature, lisez vos contrats, écrivez, soyez humbles. Aspirez à être remplacés.
mercredi 30 mars 2011
Modification de la date du devoir
Une devise pour le navire tradabordien ?
Fluctuat nec mergitur
Entraînement test de juin, 19
À vous de jouer, en 2h30 – avec l'autorisation d'utiliser un dictionnaire unilingue, car si vous ne manquez pas de cervelle ni de talent, vous n'êtes pas encore en mesure de complètement circuler sans béquilles dans un texte comme celui-ci.
Con la tarjeta de Charo entre los dedos buscó el emplazamiento de su boutique de dietética y cosmética biótica situada en la Vila Olímpica, y Carvalho encaminó hacia allí sus pasos en un deseo de releer la ciudad, de reconciliarse con la voluntad de Barcelona de convertirse en una ciudad pasteurizada y en olor a gamba de las frituras que salían de la metástasis de los restaurantes de la Vila Olímpica. No habrá suficientes gambas en los mares de este mundo para todas las que se cocinan en Barcelona y así cambiar el aroma de pólvora, axila e ingle de la ciudad de los pecados por el de una mezcla de ambipur de pino y gambas a la plancha. Todas las metáforas de la ciudad se habían hecho inservibles: ya no era la ciudad viuda, viuda de poder, porque lo tenía desde las instituciones autonómicas; tampoco la rosa de fuego de los anarquistas, porque la burguesía había vencido definitivamente por el procedimiento de cambiar de nombre; ahora se llamaba «sector emergente» y ¿cómo se puede poner una bomba o montar una barricada al «sector emergente»? Barcelona se había convertido en una ciudad hermosa pero sin alma, como algunas estatuas, o tal vez tenía una alma nueva que Carvalho perseguía en sus paseos hasta admitir que tal vez la edad ya no le dejaba descubrir el espíritu de los nuevos tiempos, el espíritu de lo que algunos pedantes llamaban «la posmodernidad» y que Carvalho pensaba era un tiempo tonto entre dos tiempos trágicos. Pero estaba reenamorándose de su ciudad y especialmente debía reprimir la tendencia ala satisfacción cuando bajaba por las Rambles, desembocaba en el puerto y al borde del Molí de la Fusta comenzaba un recorrido junto al mar en busca de la Barceloneta y la Vila Olímpica. A pesar de las nuevas construcciones de centros comerciales y lúdicos, el mar le pertenecía, por fin se integraba como uno de los cuatro elementos de la ciudad: Gaudí, las gambas a la plancha, la torre de comunicaciones de un tal Foster que tenía avión privado y estaba casado con una sexóloga española y el mar. Quimet había ubicado el negocio de Charo en una de las naves mal comercializadas del centro de negocios del Port Nou, a la sombra de la Torre de les Arts. Estaban acabando las obras de acondicionamiento y permaneció a una prudente distancia para observar cómo se movía Charo entre ebanistas y electricistas, con unos planos en una mano, la otra sobre la osamenta de la cadera izquierda de unos pantalones téjanos muy bien llenos. Por un instante la edad de Charo le pasó por el centro del cerebro como un rótulo en movimiento, pero se negó a leerlo. Seguía teniendo silueta de muchacha aunque se le había redondeado la cara y era evidente el teñido de sus cabellos blancos, transmutados en el caoba de moda en muchas cabezas femeninas. En las playas cercanas que crecían a su izquierda hacia la escollera, las playas de su infancia, y hacia el Maresme a su derecha, la Copacabana barcelonesa heredada de los Juegos Olímpicos, los cuerpos consumían Mediterráneo y sol gratis, y entre esos cuerpos evocaba la silueta grácil de la Charo que había conocido, para convenir que la actual Charo llenaría más los biquinis, más y bien, y sería necesario acercarse mucho a ella para verle el tango o el bolero de una vidaen el rostro. No quería ser sorprendido en su condición de voyeur, pero cuando dio la vuelta se topó con un hombre delgadito, de reducidas proporciones, canoso, super-vestido, encarnación de lo pulcro, que olía demasiado bien y le miraba con ojos excesivamente perspicaces.
La carte bancaire de Charo entre ses mains, il chercha la localisation de sa boutique de diététique et de cosmétique biotique située dans le village olympique, et Carvalho pris la route vers là-bas avec le désir de relire la ville, de se réconcilier avec la volonté de Barcelone de devenir une ville pasteurisée et d'avoir une odeur de crevette frites dégagée par la métastase que représentaient les restaurants du village olympique. Il n'y aura pas suffisamment de crevettes dans toutes les mers du monde pour répondre à la demande des cuisines de Barcelone, et ainsi, pour troquer l'arôme de poussière, d'aisselle et d'aine de la ville des pêchés par un parfum de pin et de crevettes grillées. Toutes les métaphores de la ville étaient à présent inutilisables: la ville n'était plus veuve, veuve du pouvoir, car elle en jouissait depuis les institutions autonomes; ni, non plus, la rose de feu des anarchistes, car la bourgeoisie les avait définitivement vaincus en procédant à un changement de nom; désormais, ils se nommaient " le secteur émergeant" et, comment peut-on placer un bombe ou monter une barricade au " secteur émergeant" ? Barcelone étaient devenue une ville charmante mais sans âme, comme certaines statues, ou peut-être avait-elle une nouvelle âme que Carvalho poursuivait dans ses pas, jusqu'à admettre que, sans doute, son âge ne lui permettait plus de découvrir l'esprit des temps nouveaux, l'esprit que quelques pédants appelait "postmodernité" et que Carvalho prenait pour une époque sotte entre deux époques tragiques. Sauf qu'il retombait amoureux de sa ville, et il devait spécialement réprimer sa tendance à la satisfaction lorsqu'il descendait les cours, arrivait sur le port et, lorsqu'au bord du "Molí de la Fusta", il entreprenait un parcours face à la mer à la recherche de la Barceloneta et du village Olympique. En dépit des nouvelles constructions de centres commerciaux et ludiques, la mer lui appartenait, en fin de compte, il s'intégrait parmi l'un des quatre éléments de la ville: Gaudi, les crevettes grillées, la tour de communication d'un certain Foster qui possédait un avion privé et était marié à une sexologue espagnole, puis, la mer. Quimet avait placé l'affaire de Charo dans l'un des espaces mal commercialisé du centre des affaires de Port Nou, à l'ombre de la Tour des Arts. On finissait les travaux de conditionnement et il resta à bonne distance pour observer la manière dont se déplaçait Charo entre des ébénistes et des électriciens, des plans dans une main alors que l'autre était posée sur l'os de sa hanche gauche couverte par un pantalon jean très bien rempli. En un instant, l'âge de Charo lui traversa le centre du cerveau telle un écriteau publicitaire en mouvement, mais il se refusa à le lire. Elle avait toujours une silhouette de jeune femme malgré son visage refait et la teinture évidente de ses cheveux blancs, transformés en couleur acajou à la mode chez nombre de têtes féminines. Sur les plages alentours qui pointaient à sa gauche vers la digue, les plages de son enfance, et vers le Maresme à sa droite, la Copacabana barcelonaise héritée des jeux olympiques, les corps consommaient Méditerranée et soleil gratuit. Parmi ces corps, il songeait à la silhouette gracieuse de la Charo qu'il avait connue, pour convenir que la Charo actuelle remplirait plus les bikinis, plus et mieux, et il serait nécessaire de bien plus s'approcher d'elle pour voir en son visage le tango et le boléro d'une vie. Il ne voulait pas être surpris dans son attitude de voyeur, mais en se retournant, il tomba sur un homme maigrelet: de proportions réduites, les cheveux blanc, sur son trente et un, l'incarnation du bon goût, qui sentait trop bon, et qui le regardait d'un oeil excessivement perspicace.
Serrant la carte de Charo dans sa main, il chercha l'emplacement de sa boutique de diététique et cosmétique naturelle située à la Vila Olímpica, et Carvalho dirigea ses pas vers là dans un désir de faire une nouvelle lecture de la ville, de se réconcilier avec la volonté de Barcelone de se convertir en une ville pasteurisée et à l'odeur de crevette des fritures qui sortaient de la métastase des restaurants de la Vila Olímpica. Il n'y aura pas assez de crevettes dans les mers de ce monde pour toutes celles qui sont cuisinées à Barcelone et pour échanger le parfum de poudre, aisselle et aine de la ville des péchés contre celui d'un mélange d'ambipur au pin et de crevettes à la plancha. Toutes les métaphores de la ville étaient devenues inutilisables : ce n'était plus la ville veuve, veuve de pouvoir, car elle avait celui des institutions autonomes ; pas plus que la rose de feu de anarchistes, car la bourgeoisie avait définitivement gagné par le procédé du changement de nom ; à présent elle s'appelait « secteur émergent » et, comment peut-on poser une bombe ou monter une barricade sur le « secteur émergent »? Barcelone s'était changée en une ville belle mais sans âme, comme certaines statues, ou peut-être qu'elle avait une nouvelle âme que Carvalho poursuivait dans ses promenades jusqu'à admettre la possibilité que son âge ne le laissait plus découvrir l'esprit des temps nouveaux, l'esprit de ce que quelques pédants appelaient « la postmodernité » et que Carvalho considérait comme une période idiote entre deux périodes tragiques. Mais il était en train de retomber amoureux de sa ville et en particulier il devait réprimer sa tendance à la satisfaction quand il descendait les Rambles, débouchait sur le port et commençait un parcours au bord du Molí de la Fusta, près de la mer, à la recherche de la Barceloneta et de la Vila Olímpica. Malgré les nouvelles constructions de centres dédiés au commerce et aux loisirs, la mer lui appartenait, elle s'intégrait enfin comme l'un des quatre éléments de la ville : Gaudi, les gambas à la plancha, la tour des communications d'un certain Foster qui avait un avion privé et qui était marié avec une sexologue espagnole, et la mer. Quimet avait situé le magasin de Charo dans l'une des nefs mal commercialisées du centre d'affaires du Port Nou, à l'ombre de la Torre de les Arts. Les travaux d'aménagement se terminaient et il resta à une distance prudente pour observer Charo qui s'affairait entre les menuisiers et les électriciens, avec des plans dans une main, et l'autre sur l'os de la hanche gauche d'un bleu de travail très bien rempli. Pendant un instant, l'âge de Charo traversa son esprit comme un affichage défilant, mais il refusa de le lire. Elle avait toujours sa silhouette de jeune fille même si son visage s'était arrondi et que ses cheveux blancs étaient visiblement teints, transformés par l'acajou à la mode sur beaucoup de têtes féminines. Sur les plages voisines qui s'étendaient jusqu'à la digue, les plages de son enfance, et jusqu'au Maresme sur sa droite, la Copacabana barcelonaise héritée des Jeux Olympiques, les corps consommaient de la Méditerrannée et du soleil gratuits, et parmi ces corps il se remémorait la silhouette gracile de la Charo qu'il avait connue, pour convenir que l'actuelle Charo remplirait plus les bikinis, plus et bien, et qu'il faudrait beaucoup s'approcher d'elle pour voir le tango et le boléro de toute une vie sur son visage. Il ne voulait pas être surpris dans son activité de voyeur, mais quand il se retourna il tomba sur un homme tout mince, de petite taille, les cheveux blancs, très bien habillé, incarnation de la distinction, qui sentait trop bon et qui le regardait avec des yeux excessivement perspicaces.
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La carte de Charco en mains, il chercha l’emplacement de sa boutique de diététique et de cosmétiques bios située dans le quartier de Vila Olímpica , et Carvallho prit cette direction, avec un désir de redécouvrir la ville, de se réconcilier avec la volonté qu’avait Barcelone de devenir une ville pasteurisée et qui sentait la crevette rose, celle des fritures dont les odeurs se propageaient dans la ville depuis tous les restaurants du quartier de Vila Olímpica. Il n’y aura pas suffisamment de gambas dans les océans de ce monde vu la quantité de gambas cuisinées à Barcelone. Il faudra donc remplacer les senteurs de poivre, d’aisselles, et d’aines de cette ville de péchés par celles d’un mélange d’un désodorisant au pin et de gambas grillées. Toutes les métaphores de la ville sont devenues inutilisables : ce n’était plus la ville en deuil, sans pouvoir, en effet elle en avait acquis depuis la mise en place des autonomies, ce n’était plus non plus la rose rouge des anarchistes, car la bourgeoisie était définitivement vainqueur en changeant de nom ; maintenant elle s’appelait « secteur émergent », et comment peut-on poser une bombe, ou installer une barricade sur le « secteur émergent » ? Barcelone était devenue une jolie ville mais sans âme, un peu comme une statue, ou peut-être avait-elle une nouvelle âme que Carvallho poursuivait en se promenant, jusqu’à admettre que peut-être son âge ne lui permettait plus de découvrir l’esprit des temps nouveaux, l’esprit que certaines personnes pédantes appelaient « la post modernité », et qui pour Carvallho était une époque absurde entre deux époques tragiques. Mais il était en train de retomber amoureux de sa ville et il devait tout spécialement réprimer sa tendance à la satisfaction lorsqu’il descendait le long des Rambles, débouchait sur le port, ou encore lorsqu’au bord del Molí de la Fusta, il commençait à parcourir le bord de mer à la recherche de Barceloneta et du quartier de Vila Olímpica. Malgré la construction de nouveaux centres commerciaux et de nouvelles aires de jeux, la mer lui appartenait, elle devenait enfin un des quatre éléments de la ville : Gaudí, les gambas grillées, la tour de contrôle d’un certain Foster, propriétaire d’un avion privé et marié à une sexologue espagnole, et la mer. Quimet avait localisé le commerce de Charo dans une des allées mal achalandées du centre des affaires de Port Nou, à l’ombre de la Tour des Arts. On procédait aux derniers travaux d’aménagement et Carvallho demeura prudemment à distance pour observer la manière dont bougeait Charo au milieu des ébénistes et des électriciens, une main tenant des plans, l’autre sur la couture- au niveau de la hanche droite- d’un jean bien rempli. Un instant l’âge de Charo lui passa par la tête comme un panneau qui clignote, mais il refusa de le lire. Elle avait toujours une silhouette de jeune fille bien qu’elle ait un visage rebondi, et il était évident qu’elle avait teint ses cheveux blancs, avec un roux en vogue chez beaucoup de femmes. Sur les plages proches qui grandissaient sur sa droite jusqu’au brise-lames, les plages de son enfance, et jusqu’au Maresme à sa gauche, la Copacabana de Barcelone legs des Jeux Olympiques, les corps consommaient la Méditerranée et le soleil gratuitement, et parmi ces corps, il évoquait la silhouette gracile de la Charo qu’il avait connu, pour finalement s’accorder à dire que la Charo d’aujourd’hui remplirait davantage les bisquins, davantage et d’une manière seyante, et il faudrait s’approcher très près d’elle pour voir l’œuvre du temps sur son visage. Il ne voulait pas être surpris dans son rôle de voyeur, mais quand il se retourna il tomba nez à nez, avec un homme frêle, un modèle réduit, grisonnant, très élégamment vêtu, le soin incarné, qui sentait trop bon et dardait sur lui un regard excessivement perspicace.
La carte de Charo entre les doigts, il chercha sa boutique de diététique et cosmétique biotique, située dans le Village Olympique, et Carvalho orienta vers là ses pas dans un désir de relire la ville, de se réconcilier avec la volonté de Barcelone de se transformer en une ville pasteurisée et en odeur de gambas des fritures qui sortaient des métastases des restaurants du Village Olympique. Il n’y aura sans doute pas suffisamment de crevettes roses dans les mers de ce monde pour toutes celles qu’on cuisine à Barcelone et ainsi échanger l’arôme de poudre, d’aisselle et d’aine de la ville des pécheurs contre celui d’un mélange d’ambipur de pin et de gambas à la plancha. Toutes les métaphores de la ville étaient devenues inutilisables: ce n’était plus la ville veuve, veuve de pouvoir, car elle l’avait depuis les institutions autonomes; la rose de feu des anarchistes non plus, car la bourgeoisie avait vaincu définitivement par le procédé de changer de nom; maintenant, elle s’appelait «secteur émergent»; et comment peut-on poser une bombe ou monter une barricade au «secteur émergent»? Barcelone s’était transformée en une ville jolie mais sans âme, comme certaines statues, ou peut-être avait-elle une âme nouvelle que Carvalho visait dans ses promenades, jusqu’à admettre peut-être que son âge ne le laissait pas découvrir l’esprit des nouveaux temps, l’esprit de ce que certains pédants appelaient «la postmodernité» et que Carvalho pensait que c’était un temps idiot entre deus temps tragiques. Mais il était en train de retomber amoureux de sa ville et il devait spécialement réprimer sa tendance à la satisfaction lorsqu’il descendait par les Rambles, débouchait dans le port et au bord du Molí de la Fusta, commençait un parcours près de la mer à la recherche de la Barcelonnette et du Village Olympique. Malgré les nouvelles constructions de centres commerciaux et de jeux, la mer lui appartenait, enfin elle s’intégrait comme l’un des quatre éléments de la ville: Gaudi, les gambas à la plancha, la tour de communications d’un certain Foster, qui avait un avion privé et était marié avec une sexologue espagnole, et la mer. Quimet avait établit le magasin de Charo dans l’un des hangars mal commercialisés du centre des affaires du Port Nou, à l’ombre de la Tour des Arts. On finissait les travaux d’aménagement et il demeura à une distance respectable pour observer comment se déplaçait Charo parmi les ébénistes et les électriciens, des plans dans une main, l’autre sur l’ossature de la hanche gauche d’un pantalon en jean très bien rempli. Pendant un instant, l’âge de Charo lui traversa le centre du cerceau comme un titre en mouvement, mais il refusa de le lire. Elle continuait à avoir une silhouette de petite fille, bien que sa figure se fût arrondie et que fût évidente la teinte de ses cheveux blanc, transmutés dans l’acajou à la mode sur beaucoup de têtes féminines. Sur les plages proches qui croissaient à sa gauche jusqu’à la jetée, les plages de son enfance, et vers le Maresme à sa droite, la Copacabana barcelonaise, héritière des Jeux Olympiques, les corps consommaient Méditerranée et soleil gratis, et parmi ces corps, il évoquait la silhouette gracile de la Charco qu’il avait connue, pour convenir que l’actuelle Charco remplirait plus les bikinis, plus et bien, et qu’il faudrait beaucoup s’en approcher pour voir le tango ou le boléro d’une vie sur son visage. Il ne voulait pas être surpris dans sa condition de voyeur , mais lorsqu’il se retourna, il se heurta à un homme bien mince, de proportions réduites, canin, super-habillé, incarnation de l’impeccable, qui sentait trop bon et le regardait avec des yeux excessivement perspicaces.
mardi 29 mars 2011
lundi 28 mars 2011
Petit traducteur deviendra grand : étape 1, la prise de contact avec l'auteur – par Julie Sanchez
par MERCEDES CAMACHO
Je ne trouvais presque rien à propos du livre sur internet (El maquillador de cadáveres, LOM) et encore moins de choses sur l’auteur, Jaime Casas.
Je l’ai trouvé sur facebook (je me suis dis que j’allais voir au cas où mais je ne pensais pas que ça aboutirait…) Il y a énormément de Jaime Casas mais j’avais vu son visage sur un article.
Je lui ai écrit timidement. Je me suis présentée, lui ai dit que je traduisais son livre pour mes études et lui ai expliqué en quoi consistaient ces études. Pour finir, je lui ai demandé s’il aimerait que nous correspondions. J’ai essayée d’être brève et de ne pas l’agresser.
Je ne m’attendais pas à recevoir une réponse si rapide et positive de surcroît ! Ce matin, il avait déjà répondu. Il m’a dit qu’il était enchanté que je lui aie écrit, qu’il avait un tas de questions à me poser (ce que j’ai trouvé assez drôle) et qu’il me remerciait de traduire les aventures de Pancho, le personnage principal.
Pour l’instant j’ai uniquement répondu à ses questions et je verrai où ces échanges de messages nous mènerons. Je n’ai pas de gros problèmes de traduction pour l’instant, plutôt des problèmes de mise en français. J’aimerais parler du texte avec lui, ce qu’il représente pour lui, son histoire (je possède la quatrième édition qui date de 2007. La première date de 1996).
J’ai fait des recherches sur lui car j’ai envie d’en savoir plus sur ce livre qui m’intrigue (oui, même en le traduisant, il m’intrigue encore. Pourquoi ce thème, pourquoi cette région… J’ai déjà quelques idées mais j’aimerais que l’auteur me l’explique).
Caroline m’a demandé si je ne craignais pas de créer une relation "personnelle" qui pourrait me faire perdre ma distance critique. Je dois dire que c’est encore tout frais et que je n’y ai pas vraiment songé… Je vais tenter d’éviter que cet échange influence trop ma traduction mais je pense qu’elle peut aussi l’enrichir. Je ne sais pas trop de quoi nous allons parler par la suite, j’attends son prochain mail. Je vais être prudente et je verrai au fil du temps…
Entretien avec la traductrice Hélène Prouteau (traductrice de l’anglais et de l’espagnol), réalisé par Perrine Huet
1 – Comment êtes-vous venue à la traduction ?
Pour des raisons de santé. Je ne pouvais pas bouger de chez moi.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
J’ai d’abord travaillé cinq ans pour Harlequin. Cela m’a appris à aller vite, à peaufiner la gamme des clichés, à adapter un texte mal écrit. Quant au premier roman « sérieux », à mon avis il manquait de relecture. Pour un traducteur, une relecture ne prend pas longtemps et la traduction est tout de suite bien meilleure. Le correcteur qui débarque dans un texte sans l’avoir lu est plus mal placé et gâchera éventuellement la traduction.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
Il me semble qu’il n’a pas beaucoup changé pour le moment, mais le métier d’éditeur est en train d’évoluer à toute vitesse : les intermédiaires se multiplient, les gens de la chaîne du livre sont de plus en plus isolés, donc manipulables, et le concept de « produit » est devenu prédominant (voir le rôle des agents). Cependant, il y a plein de petits éditeurs qui font un excellent travail pour lequel ils ne sont pratiquement pas rémunérés. Je ne sais pas très bien comment tout cela va évoluer.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Oui.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Le Robert, le Littré et Internet.
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloqué, comment procédez-vous ?
S’il s’agit, dans un texte littéraire, d’un problème que je n’arrive pas à résoudre ou d’une logique peut-être boiteuse dans l’intrigue, je ne m’arrête pas tout en gardant le problème en tête avant d’y revenir plus tard. Si, dans un texte technique (par exemple sur les finances), je m’aperçois que je ne comprends pas grand chose à ce que ça raconte, je m’agite, je téléphone, je cherche de la documentation et éventuellement je dérape (Enfin, plus maintenant, c’est trop fatigant, je m’en tiens aux sujets que je suis sûre de maîtriser. Mais dommage qu’on n’ait pas de formation permanente qui nous permettre de nous spécialiser quand on en ressent le besoin).
7 – J’ai vu que vous traduisez diverses sortes de littérature : littérature générale, documents, économie, romans policiers, médecine, audiovisuel : quelles sont leurs différences essentielles en tant que traducteur ?
Les différences sont des différences de style. Par exemple avec un texte plus technique, je n’hésite pas à répéter, je fais passer la précision et la clarté avant tout et peu importe que je m’éloigne du texte ou que je le rallonge. Pour un texte littéraire bien écrit, il faut chercher à rendre le rythme et la phrase de l’auteur, mais pour un « produit courant », j’essaye que ça ressemble un peu moins à un scénario (en anglais, tout est scénarisé) et je supprime les répétitions et les redondances de façon à ce que le lecteur fournisse le moins d’effort possible. Pour un article de presse, je fais court (pas beaucoup plus long que la langue d’origine), sinon le journal est souvent obligé de couper.
8 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
En général, bons avec les directeurs de collection et pas terribles avec les éditeurs.
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
J’ai fort peu de rapports avec eux (je traduis rarement des auteurs « de qualité » qui nécessiteraient une correspondance). Cependant, un des auteurs que j’ai traduits est devenu une amie (l’exception qui confirme la règle). D’autre part, pour ceux qui traduisent les « produits » anglophones, il est souvent mal vu, dans la chaîne de travail qui s’est mise en place, de bavarder avec ses voisins (à gauche, l’auteur, à droite, le correcteur, des personnes que l’on rencontre rarement physiquement. Apparemment, le regard perturbe le commerce).
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Le meilleur : un auteur qui a volé à mon secours. Le moins bon : une menace de procès pour un livre traduit à trois dans l’urgence et qui n’avait été relu par aucun spécialiste contrairement à la promesse qui nous avait été faite.
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Un passeur, en aucun cas un auteur. Pour moi, le traducteur est une éponge, un interprète, et l’auteur un obsessionnel, un fonceur qui ne prête attention qu’à ses sujets de prédilection.
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
Oui. Un lecteur plus difficile et qui repère tout de suite les combines.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Essayer de se mettre à la place de l’auteur, du directeur de collection, de l’éditeur, essayer de comprendre les objectifs de chacun, ne pas céder à la parano, ne contester que les points importants et pour le reste, laisser filer... Surtout ne pas se battre « pour le principe » mais rester pragmatique. Ce qui est plus difficile à dire qu’à faire.
Entraînement test de juin, 18
60 minutes
Carlos tenía un ataque de risa. Daba alegría verlo reír de pie, un poco abiertas las rectas piernas y cogiéndose la cintura con las manos.
Aquella tarde esperaron Carlos y Anita a Martín -diez minutos después de la comida ya estaban silbando, llamándole- junto a las dunas, en la parte trasera de su casa. No dormían siesta los Corsi. Quizás eran los únicos habitantes de Beniteca que no dormían siesta en verano. Los únicos a quienes el calor no rendía y que, al contrario, sentían aumentada su energía con el apogeo de la fuerza solar. Eran los únicos que marchaban carretera adelante en aquella hora en que hasta los lagartos están hipnotizados, quietos, estáticos sobre las piedras. Ellos y las chicharras escondidas entre los troncos de los pinos llenaban de ruido aquel momento de descanso.
Martín los siguió aquella tarde hasta las primeras casas del pueblo y llamó con sus amigos a las puertas de aquellas casas, echando a correr luego, cuando una voz malhumorada y somnolienta contestaba a los golpes desde el interior. Más tarde hicieron una larga excursión hacia la parte de los huertos, saltando tapias y después de robarla comieron fruta caliente y mala. Carlos tenía los bolsillos llenos de anzuelos y de hilos para la pesca del lagarto y siempre robaba algún tomate pensando en cortar un trozo para cebo de estos animales. Pero aquella tarde no tuvieron tiempo de dedicarse a este deporte. Pasaron las horas mientras ellos corrían delante de los perros, riendo y enganchándose la ropa muchas veces al saltar los muros. Sin pensarlo se encontraron con que el cielo se ponía anaranjado, el mar palidecía y las horas habían quedado atrás como un solo minuto. En el pedregal, al atardecer, Carlos sacó su armónica y estuvo tocando mientras el sol empezaba a hundirse detrás de ellos en la línea lejana de los montes. Martín sufrió un sobresalto entonces, porque la voz de Anita en un tono afectado, casi agudo, se elevó recitando una poesía. Carlos dejó de tocar y contempló a su hermana seriamente, de modo que la sonrisa iniciada en la boca de Martín se detuvo y Martín escuchó también.
Carlos avait une crise de fou rire. Cela faisait plaisir de le voir rire debout, les jambes droites, un peu écartées et se tenant la taille avec les mains.
Cet après-midi-là, Carlos et Anita attendirent Martin –dix minutes après le déjeuner, ils étaient déjà en train de siffler, l’appelant – près des dunes, derrière sa maison. Les Corsi ne faisaient pas la sieste. C’étaient peut-être les seuls habitants de Beniteca à ne pas faire la sieste l’été. Les seuls que la chaleur n’accablait pas et qui, au contraire, sentaient leur énergie décuplée avec l’apogée de la force solaire. C’étaient les seuls à marcher sur la route à cette heure à laquelle même les lézards sont hypnotisés, calmes, statiques sur les pierres. Eux seuls et les cigales cachées entre les troncs des pins remplissaient de bruit ce moment de repos.
Martin les suivit cet après-midi-là jusqu’aux premières maisons du village et il frappa avec ses amis aux portes de ces dernières, se mettant à courir ensuite, quand une voix de mauvaise humeur et somnolente répondait aux coups depuis l’intérieur. Plus tard, ils firent une longue excursion du côté des jardins, sautant par-dessus les haies, et après les avoir volés, ils mangèrent des fruits chauds et mauvais. Carlos avait les poches remplies d’hameçons et de fil pour la pêche au lézard et il volait toujours quelque tomate, pensant en couper un morceau pour appâter ces animaux. Mais cet après-midi-là, ils n’eurent pas le temps de se consacrer à ce sport. Les heures passèrent pendant qu’ils couraient poursuivis par des chiens, riant et déchirant leurs vêtements plusieurs fois en sautant par-dessus les murs. Sans s’en rendre compte, ils se retrouvèrent avec le ciel qui rougeoyait, la mer qui palissait et les heures qui s’étaient écoulées comme une seule minute. Sur les rochers, à la tombée de la nuit, Carlos sortit son harmonica et se mit à jouer pendant que le soleil commençait à se cacher derrière la lointaine ligne des montagnes. Martin se sentit alors troublé, car la voix d’Anita, d’un ton plaintif, presque aigu, s’éleva en récitant une poésie. Carlos cessa de jouer et contempla sa sœur sérieusement , de sorte que le sourire qui commençait à se dessiner sur la bouche de Martin disparut et Martin écouta aussi.
***
Carlos était pris d’un fou rire. Cela faisait plaisir de le voir rire debout, les jambes tendues un peu écartées et se tenant les côtes.
Cet après-midi là, Carlos et Anita attendirent Martín- dix minutes après le déjeuner, ils l’appelaient déjà en sifflant- près des dunes, derrière leur maison. Les Corsi ne faisaient pas la sieste. C’étaient peut-être les seuls habitants de Beniteca à ne pas faire la sieste en été. Les seuls qui n’étaient pas assommés par la chaleur, mais qui au contraire, voyaient leur énergie décuplée lorsque le soleil était au zénith. C’était les seuls à faire de longues marches à cette heure où même les lézards étaient hypnotisés, tranquille, statiques sur les pierres. Les Corsi et les cigales cachées dans les pins rendaient bruyant ce moment de repos.
Martín les suivit cet après-midi là jusqu’aux premières maisons du village, et avec ses amis, il frappa aux portes, avant de s’enfuir à toutes jambes, lorsque quelqu’un à l’intérieur leur répondit d’un ton énervé et ensommeillé. Plus tard ils firent une longue promenade du côté des potagers, en sautant les haies, et après avoir volé des fruits gorgés de soleil et trop mûrs, ils les mangèrent. Carlos avaient les poches remplies d’hameçon et de fils pour pêcher le lézard, et il volait toujours une tomate en n’oubliant pas d’en couper un morceau pour appâter ces animaux. Mais cet après-midi, ils n’eurent pas le temps de s’adonner à cette activité. Les heures passèrent alors qu’ils courraient devant les chiens, en riant, en accrochant souvent leurs vêtements quand ils sautaient par-dessus les murs. Ils n’avaient pas fait attention à l’heure le ciel se parait de nuances orangées, la mer pâlissait, et les heures avaient filé aussi vite que des minutes. Sur les rochers, à la tombée du soir, Carlos sortit son harmonica et se mit à jouer alors que le soleil commençait à décliner derrière eux dans le lointain horizon où se détachait les montagnes. Martín eut alors un frisson, car la voix d’Anita s’éleva, et d’un ton triste, presque tranchant, elle récita une poésie. Carlos cessa de jouer et très sérieux, contempla sa sœur. Si bien que le sourire naissant de Martín disparut laissant place à une écoute attentive.
***
Mélissa nous propose sa traduction :
Carlos avait une crise de rire. Le bonheur que c’était de le voir rire debout, ses jambes droites un peu ouvertes et se tenant la ceinture avec les mains.
Cette après-midi Carlos et Anita avaient attendu Martín – dix minutes après le repas, ils sifflaient déjà pour l’appeler – près des dunes, dans la partie arrière de sa maison. Les Corsi ne faisaient pas la sieste. Peut-être étaient-ils les seuls habitants de Beniteca qui ne faisaient pas la sieste en été. Les seuls que la chaleur n’accablait pas et même, au contraire, les seuls dont l’énergie augmentaient au même rythme que la puissance du soleil. Ils étaient les seuls qui marchaient d’un pas décidé à cette heure à laquelle même les lézards étaient hypnotisés, tranquilles, statiques sur les pierres. Eux, ainsi que les cigales cachées dans les troncs des pins emplissaient de bruit ce moment de repos.
Martin les avait suivi cette après-midi jusqu’aux premières maisons du village et avait frappé avec ses amis aux portes de ces maisons, se mettant à courir après, quand une voix ronchonne et somnolente répondait aux coups depuis l’intérieur. Plus tard, ils avaient fait une longue excursion vers la zone des jardins, sautant des clôtures et après les avoir volés, ils avaient mangé des fruits chauds et mauvais. Carlos avait les poches pleines d’appâts et de fils pour la pêche au lézard et il volait toujours quelques tomates pensant en couper un morceau pour appâter ces bêtes. Mais cette après-midi là, ils n’avaient pas trouvé le temps de se consacrer à ce sport. Les heures avaient passé tandis qu’ils couraient devant les chiens, riant et s’abîmant plusieurs fois leurs vêtements en sautant les murs. Sans y penser, ils s’étaient rendus compte que le ciel devenait orange, la mer palissait et les heures s’étaient écoulées comme une seule minute. Dans les rochers, au coucher du soleil, Carlos avait sorti son harmonica et en avait joué tandis que le soleil commençait à se coucher derrière eux sur la ligne lointaine des montagnes. Alors, Martin avait eu un soubresaut, car la voix d’Anita sur un ton affectueux, presque aigu, s’était élevée récitant un poème. Carlos avait arrêté de jouer et avait contemplé sa sœur sérieusement, de sorte que le sourire naissant sur la bouche de Martin s’était arrêté et Martin avait écouté aussi.
À propos des séances de rattrapage
- le mardi 12 avril : de 9h30 à 12h30
- le mercredi 13 avril : de 13h30 à 17h00
Et donc, nous reportons l'atelier de traduction tutoré avec Auréba, Alexis et Olivier au mardi 5 avril, de 15h30 à 18h00
dimanche 27 mars 2011
« Cuando me puse a pensar », de José Martí
La razón me dio a elegir
Entre ser quien soy, o ir
El ser ajeno a emprestar,
Mas me dije: si el copiar
Fuera ley, no nacería
Hombre alguno, pues haría
Lo que antes de él se ha hecho:
Y dije, llamando al pecho,
¡Sé quien eres, alma mía !?
Version pour le 26 mars
Lo que ocurre, doctor, es que en mi caso los sueños vienen por ciclos temáticos. Hubo una época en que soñaba con inundaciones. De pronto los ríos se desbordaban y anegaban los campos, las calles, las casas y hasta mi propia cama. Fíjense que en sueños aprendí a nadar y gracias a eso sobreviví a las catástrofes naturales. Lamentablemente, esa habilidad tuvo una vigencia sólo onírica, ya que un tiempo después pretendí ejercerla, totalmente despierto, en la piscina de un hotel y estuve a punto de ahogarme.
Luego vino un período en que soñé con aviones. Más bien, con un solo avión, porque siempre era el mismo. La azafata era feúcha y me trataba mal. A todos les deba champán, menos a mí. Le pregunté por qué y ella me miró con un rencor largamente programado y me contestó: «Vos bien sabes por qué». Me sorprendió tanto aquel tuteo que casi me despierto. Además, no imaginaba a qué podía referirse. En esa duda estaba cuando el avión cayó en un pozo de aire y la azafata feúcha se desparramó en el pasillo, de tal manera que la minifalda se le subió y pude comprobar que abajo no llevaba nada. Fue precisamente ahí que me desperté, y, para mi sorpresa, no estaba en mi cama de siempre sino en un avión, fila 7 asiento D, y una azafata con rostro de Gioconda me ofrecía en inglés básico una copa de champán. Como ve, doctor, a veces los sueños son mejores que la realidad y también viceversa. ¿Recuerda lo que dijo Kant? El sueño es un arte poético involuntario.
En otra etapa soñé reiteradamente con hijos. Hijos que eran míos. Yo, que soy soltero y no los tengo ni siquiera naturales. Con el mundo como está, me parece un acto irresponsable concebir nuevos seres. ¿Usted tiene hijos? ¿Cinco? Excuse me. A veces digo cada pavada.
Los niños de mi sueño eran bastante pequeños. Algunos gateaban y otros se pasaban la vida en el baño. Al parecer, eran huérfanos de madre, ya que ella jamás aparecía y los niños no habían aprendido a decir mamá. En realidad, tampoco me decían papá, sino que en su media lengua me llamaban «turco». Tan luego a mí, que vengo de abuelos coruñeses y bisabuelos lucenses. «Turco, vení», «Turco, quero la papa», «Turco, me hice pipí». En uno de esos sueños, bajaba yo por una escalera medio rota, y zás, me caí. Entonces el mayorcito de mis nenes me miró sin piedad y dijo: .Turco, jodete.. Ya era demasiado, así que desperté de apuro a mi realidad sin angelitos.
En un ciclo posterior de fútbol soñado, siempre jugué de guardameta o gotero o portero o goalkeeper o arquero. Cuántos nombres para una sola calamidad. Siempre había llovido antes del partido, así que las canchas estaban húmedas y era inevitable que frente a la portería se formara un laguito. Entonces aparecía algún delantero que me fusilaba con ganas, y en primera instancia yo atajaba, pero en segunda instancia la pelota mojada se escabullía de mis guantes y pasaba muy oronda la línea del gol. A esa altura del partido (nunca mejor dicho), yo anhelaba con fervor despertarme, pero todavía me faltaba escuchar cómo la tribuna a mis espaldas me gritaba unánimemente: traidor, vendido, cuánto te pagaron y otras menudencias.
En los últimos tiempos mis aventuras nocturnas han sido invadidas por el cine. No por el cine de ahora, tan venido a menos, sino por el de antes, aquel que nos conmovía y se afincaba en nuestras vidas con rostros y actitudes que eran paradigmas. Yo me dedico a soñar con actrices. Y qué actrices: digamos Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, no se trata de la de ahora (que no está mal) sino la de La ragazza con la valiglia, cuando tenía 21.
Marilyn, por ejemplo, se me acerca y me dice en un tono tiernamente confidencial: «I don’t love Kennedy. I love you. Only you. Sepa usted que en mis sueños las actrices hablan a veces en versión subtitulada y otras veces dobladas al castellano. Yo prefiero los subtítulos, ya que una voz como la de Glenda Jackson o la de Catherine Deneuve son insustituibles.
Bueno, en realidad vine a consultarle porque anoche soñé con Anouk Aimée, no la de ahora (que tampoco está mal) sino la de Montparnasse 19, cuando tenía unos fabulosos 26 años. No piense mal. No la toqué ni me tocó. Simplemente se asomó por una ventana de mi estudio y sólo dijo (versión doblada): «Mañana de noche vendré a verte, pero no a tu estudio sino a tu cama. No lo olvides».
Cómo voy a olvidarlo. Lo que yo quisiera saber, doctor, es si los preservativos que compro en la farmacia me servirán en sueños?.Porque ¿sabe? no quisiera dejarla embarazada.
Faire de beaux rêves
Ce qui se passe, Docteur, c'est que dans mon cas les rêves arrivent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d'inondations. Tout à coup les fleuves débordaient et submergeaient les champs, les rues, les maisons et jusqu'à mon propre lit. Rendez-vous compte que j'ai appris à nager en rêve et que grâce à cela j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n'a eu qu'une validité onirique, puisque j'ai essayé plus tard de l'exercer, complètement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et que j'ai failli me noyer. Ensuite est arrivée une période où j'ai rêvé d'avions. Plutôt d'un seul avion, car c'était toujours le même. L'hôtesse était moche et me traitait mal. Elle donnait du champagne à tout le monde sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m'a regardé avec une rancœur longuement mûrie et m'a répondu: « Tu sais bien pourquoi. » Ce tutoiement m'a tellement surpris que je me suis presque réveillé. En plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire allusion. J'étais dans cette incertitude quand l'avion est tombé dans un trou d'air et que l'hôtesse moche s'est étalée dans l'allée, de sorte que sa minijupe s'est levée et que j'ai pu constater qu'elle ne portait rien dessous. C'est exactement là que je me suis réveillé et, à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rangée 7, siège D, et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde me proposait dans un anglais rudimentaire une coupe de champagne. Comme vous voyez, Docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité et vice-versa aussi. Vous vous rappelez ce que Kant a dit? Le rêve est un art poétique involontaire.
Pendant une autre phase, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. Enfants qui étaient les miens. Moi, qui suis célibataire et n'en ai pas même de naturels. Avec le monde tel qu'il est, concevoir de nouveaux êtres me semble un acte irresponsable. Vous avez des enfants? Cinq? Excusez-moi. Des fois je dis de ces âneries.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d'autres passaient leur vie aux toilettes. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, car elle n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas non plus papa, mais dans leur balbutiement ils m'appelaient « turc ». Surtout moi, qui suis de grands-parents de La Corogne et d'arrière-grands-parents de Lugo. « Turc, viens, », « Turc, veux la pomme de terre », « Turc, j'ai fait pipi ». Dans l'un de ces rêves je descendais un escalier à moitié cassé, et paf, je suis tombé. Alors, le plus grand de mes bébés m'a regardé sans pitié et m'a dit : Turc, putain... Là c'en était trop, alors j'ai été réveillé par la gêne à ma réalité sans petits anges.
Dans un cycle postérieur de football rêvé, j'ai toujours joué comme gardien de buts, ou rempart, ou portier, ou goal, ou mur. Autant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant la partie, ainsi les terrains étaient humides et il était inévitable qu'une mare se forme devant les cages. Apparaissait alors quelque avant-centre qui me fusillait avec plaisir, et au premier coup je l'arrêtais, mais au deuxième coup le ballon mouillé glissait de mes gants et passait très fièrement la ligne de but. À ce niveau de la partie (on ne peut pas mieux dire), je souhaitais avec ferveur me réveiller, mais il me fallait encore écouter la tribune qui criait unanimement dans mon dos : traitre, vaincu, combien ils t'ont payé et autres mesquineries.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma d'aujourd'hui, descendu si bas, mais par celui d'avant, celui qui nous émouvait et s'installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me consacre à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson et autres merveilles. (Mon Morphée n'accorde pas de visa aux acteurs). Comme vous voyez, Docteur, la majorité sont mûres ou ne sont plus, mais je rêve d'elles telles qu'elles apparaissaient dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal), mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit d'un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d'autres fois sont doublées en espagnol. Je préfère les sous-titres, car des voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en réalité je suis venu vous consulter parce que cette nuit j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait 26 fabuleuses années. Ne pensez pas à mal. Nous ne nous sommes pas touchés. Elle s'est simplement penchée à une fenêtre de mon bureau et a seulement dit (version doublée) : « Demain soir je viendrai te voir, pas dans ton bureau mais dans ton lit. Ne l'oublie pas ».
Comment je pourrais l'oublier. Ce que je voudrais savoir, Docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie me serviront dans mon rêve? Car, vous savez? Je ne voudrais pas la mettre enceinte.
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En fait, docteur, dans mon cas les rêves surgissent par cycles thématiques. À une époque, je rêvais d’inondations. Tout à coup les rivières débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Figurez-vous qu’en rêve j’ai appris à nager et que grâce à cela, j’ai survécu à des catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n’eut qu’une application onirique ; parce qu’un moment plus tard, j’ai tenté de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d’un hôtel et j’ai été sur le point de me noyer.
Ensuite, il y eut une période durant laquelle j’ai rêvé d’avions. Du moins, d’un seul avion, parce que c’était toujours le même. L’hôtesse était très laide et elle me maltraitait. Elle donnait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m’a regardé avec une rancœur programmée depuis longtemps avant de me répondre : « Tu sais bien pourquoi ». Ce tutoiement m’a tellement surpris qu’il a failli me réveiller. En plus, je ne savais pas à quoi elle pouvait faire allusion. J’étais en train de me le demander quand l’avion chuta dans un trou d’air et que l’hôtesse très laide s’étala dans le couloir, de telle façon que sa minijupe est remontée et que j’ai pu constater qu’en dessous, elle ne portait rien. C’est à cet instant précis que je me suis réveillé, et, à ma surprise, je n’étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rangée 7 siège D, et une hôtesse au visage de Joconde m’offrait une coupe de champagne dans un anglais approximatif. Comme vous le voyez docteur, quelquefois les rêves sont mieux que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez de ce qu’a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Lors d’une autre étape, j’ai rêvé à plusieurs reprises d’enfants. Des enfants qui étaient à moi. Moi, qui suis célibataire et qui n’en ai même pas de naturels. Avec le monde tel qu’il est, cela me semble être un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois je dis de belles sottises. Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes tandis que d’autres passaient leur vie aux toilettes. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, vu qu’elle n’apparaissait jamais et que les enfants n’avaient pas appris à dire « maman ». En réalité, ils ne me disaient pas non plus « papa », mais, dans leurs balbutiements ils m’appelaient « turc ». À moi, dont les grands-parents viennent de La Corogne et les arrières grands-parents de Lugo. « Turc, viens », « Turc, je veux à manger », « Turc, j’ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais par un escalier à moitié cassé, et vlan, je suis tombé. C’est alors que le plus grand de mes petits m’a regardé sans pitié et a dit : Turc, bien fait pour ta gueule… C’en était trop, et par conséquent je me suis réveillé en vitesse pour rejoindre ma réalité vide de petits anges.
Dans un cycle ultérieur de football rêvé, j’ai toujours joué comme gardien de but ou goal ou portier. Tant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant la partie, de sorte que le terrain était humide et qu’il était inévitable qu’un petit lac se forme devant les cages. Alors, apparaissait un avant qui me fusillait avec verve. Dans un premier temps, je maîtrisais mais ensuite, la balle mouillée filait de mes gants et passait fièrement la ligne des buts. À ce niveau de la partie (jamais à vrai dire), je désirais vivement me réveiller mais je devais encore écouter de quelle manière la tribune criait unanimement dans mon dos : traître, vendu, combien ils t’ont payé et autres bricoles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma d’aujourd’hui, qui a tant fait faillite, mais par celui d’avant, celui qui nous émouvait et qui s’appropriait nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me consacre à rêver d’actrices. Et quelles actrices : Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson et autres merveilles. (Mon Morphée n’octroie pas de visa aux acteurs). Comme vous pouvez le voir, docteur, la plupart sont âgées ou ne sont plus de ce monde, mais je les rêve telles qu’elles apparaissaient dans les films d’alors.
Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle de maintenant (qui n’est pas mal) mais de celle de La ragazza con la valiglia, lorsqu’elle avait 21 ans.
Marylin, notamment, s’approche de moi et me dit, sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d’autres fois doublées en espagnol. Je préfère les sous-titres, parce qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en vérité, je suis venu vous consulter parce qu’hier soir j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle de maintenant (qui n’est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 1, quand elle avait environ 26 ans fabuleux. Ne pensez pas à mal. Je ne l’ai pas touchée et elle non plus. Elle a uniquement passé sa tête par la fenêtre de mon atelier et dit (version doublée) : « Demain soir je viendrai te voir. Pas à ton atelier mais dans ton lit. Ne l’oublie pas ».
Comment vais-je l’oublier. Ce que j’aimerais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète en pharmacie me seront utiles dans les rêves ? Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.
TROUVER LE SOMMEIL
Ce qui se passe, docteur, c’est que dans mon cas, les rêves arrivent par cycles thématiques. Pendant une époque, je rêvais d’inondations. Les rivières étaient soudain en crue et submergeaient les champs, les rues, les maisons, et même mon propre lit. Figurez-vous que j’ai appris à nager dans mes rêves et grâce à ça, j’ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté a eu une durée de validité uniquement onirique, puisque quelques temps plus tard, j’ai essayé de l’exercer, totalement éveillé, dans la piscine d’un hôtel, et j’ai failli me noyer.
Ensuite, durant une autre période, j’ai rêvé d’avions. Ou plutôt, d’un seul avion, car c’était toujours le même. L’hôtesse de l’air était laide et me traitait mal. Elle offrait du champagne à tous les passagers, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a regardé avec une rancœur amplement anticipée et m’a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». Ce tutoiement m’a tellement étonné que j’étais à eux doigts de me réveiller. Par ailleurs, je ne voyais pas à quoi elle faisait référence. J’étais plongé dans ce doute lorsque l’avion est tombé dans un trou d’air et l’hôtesse s’est effondrée dans le couloir, de sorte que sa mini-jupe s’est soulevée et que j’ai pu apercevoir qu’elle ne portait rien dessous. C’est à ce moment précis que je suis sorti de mon sommeil, et à ma grande surprise, je ne me trouvais pas dans mon lit de tous les jours, mais dans un avion, rangée 7, siège D, et une hôtesse de l’air au visage de Joconde me proposait une coupe de champagne dans un anglais sommaire. Comme vous voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité, et vice versa. Est-ce que vous vous rappelez ce que Kant a dit ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Au cours d’une autre phase, j’ai rêvé d’enfants à plusieurs reprises. Des enfants qui étaient les miens, moi qui suis célibataire et qui n’en ai même pas de naturels. Dans un monde comme celui-ci, ça me semble un acte irresponsable de concevoir de nouveaux êtres. Est-ce que vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Je dis de ces bêtises, parfois ! Les petits de mon rêve étaient assez jeunes. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur temps dans le bain. Ils avaient l’air orphelins de mère, étant donné qu’elle n’apparaissait jamais et que les petits n’avaient pas appris à dire maman. En fait, ils ne m’appelaient pas non plus papa, mais « Turc », dans leur semi-langage. Très étrange vu que mes grands-parents viennent de La Coruña et mes arrière-grands-parents de Lugo. « Turc, viens », « Turc, je veux manger », « Turc, j’ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais des escaliers à moitié cassés et vlan, je suis tombé. Alors, le plus grand de mes bouts de chou m’a regardé sans pitié et m’a dit : « Turc, va te faire voir ». C’en était trop, je me suis donc vite réveillé pour revenir à ma réalité sans petits anges.
Plus tard, pendant un cycle où je rêvais de football, j’ai joué continuellement aux cages, ou en tant que goal ou gardien de but ou portier ou goalkeeper. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleuvait toujours avant le match, par conséquent, les terrains étaient humides et on ne pouvait éviter la formation d’un petit lac devant les cages. À ce instant-là, un attaquant apparaissait et me fusillait du regard avec détermination ; en premier lieu, j’arrêtais la balle, mais en second lieu, le ballon mouillé glissait sur mes gants et passait très fièrement la ligne du goal. À ce niveau de la partie (l’expression était bien trouvée), je désirais me réveiller de toutes mes forces, mais il me fallait encore subir les cris unanimes de la tribune derrière moi : traitre, vendu, combien on t’a payé, et d’autres broutilles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Non pas par le cinéma actuel, de si mauvais goût, mais par celui d’autrefois, qui nous émouvait et s’installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui représentaient des modèles. Je me suis appliqué à rêver d’actrices. Et quelles actrices ! Disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et d’autres merveilles. (Ma Morphée n’accorde pas de visa aux acteurs.) Comme vous pouvez le constater, docteur, la plupart sont des vétérans ou ne sont plus de ce monde, mais moi j’en rêve exactement comme elles apparaissaient dans les films d’antan. Regardez, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle d’aujourd’hui (qui n’est pas si mal), mais de celle de La ragazza con la valiglia, lorsqu’elle avait vingt-et-un an.
Marilyn, par exemple, s’approche de moi et m’avoue sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves, les actrices s’expriment parfois en version sous-titrée, et parfois doublée en castillan. Moi je préfère les sous-titres, parce qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve, c’est irremplaçable.
Bon, en réalité, je suis venu vous consulter car la nuit dernière, j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle d’aujourd’hui (qui n’est pas mal non plus), mais celle de Montparnasse 19, lorsqu’elle avait ces quelques merveilleux vingt-six ans. Ne vous faites pas de fausses idées. Je ne l’ai pas touché, elle ne m’a pas touché. Elle s’est simplement penchée par une fenêtre de mon bureau et m’a juste dit (version doublée) : « Demain, je viendrai te voir pendant la nuit, mais pas à ton bureau, plutôt dans ton lit. N’oublies pas ».
Comment pourrai-je l’oublier ? Ce que j’aimerais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète à la pharmacie pourront me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.
TROUVER LE SOMMEIL
Ce qu'il y a, docteur, c'est que mes rêves à moi fonctionnent par cycles thématiques. J'ai eu une période où je rêvais d’inondations. Sans crier gare, les fleuves débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons, et même mon lit. C'est qu'en rêves, docteur, j'ai carrément appris à nager, et grâce à cela, j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Lamentablement, cette habilité n'existait que dans mes rêves, car quelques temps plus tard, j'ai voulu la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel, et j'ai failli me noyer.
Ensuite, j'ai eu une période où je rêvais d'avions. Plutôt un avion. Un seul. Car c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était moche et me traitait mal. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, ce après quoi elle m'a regardé avec une ranc½ur longuement programmée, et m'a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». Ce tutoiement m'a tellement surpris que j'ai été à deux doigts de me réveiller. Par ailleurs, je ne voyais pas du tout à quoi elle pouvait bien faire allusion. J'étais en train de me poser la question quand l'avion est tombé dans un trou d'air et que l'hôtesse moche s'est dispersée dans l'allée centrale, de telle façon que sa jupe a remonté et que j'ai pu constater qu'elle ne portait rien en-dessous, et à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit de toujours, mais dans un avion, rang 7 siège D, et une hôtesse qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à la Joconde me proposait, dans un anglais de base, une coupe de champagne.
Vous voyez, docteur, des fois, les rêves sont mieux que la réalité, et réciproquement. Est-ce que vous vous souvenez de ce que Kant a dit ? Le rêve est un art poétique involontaire.
J'ai aussi eu une période où je rêvais constamment d'enfants. Des enfants qui n'étaient pas de moi, alors que je suis célibataire et que je n'ai même pas de fils biologiques. Le monde allant comme il va, ça me semble être un acte irresponsable d'y faire voir le jour de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois, je dis de ces inepties ! Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes, d'autres passaient leur temps dans la salle d'eau. Ils étaient sans doute orphelins de mère, étant donné qu'elle ne montrait jamais le bout de son nez, et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne disaient pas non plus papa, mais dans cette langue à eux qu'ils mâchouillaient à peine, ils m'appelaient « turc ». Ça me va comme un gant, moi qui compte parmi mes aïeux des grands-parents originaires de la Corogne et des arrières-grands-parents de Lugo ! «Eh Turc ! Viens ! » « Eh Turc ! Je veux la patate ! » « Eh Turc ! J'ai fait pipi dans mon pantalon ! ». Dans un de ces rêves, moi, je descendais les marches d'un escalier à moitié détruit, et vlan, je me suis cassé la figure. C'est alors que le plus âgé de mes gosses m'a regardé, sans pitié, et m'a lancé « Bien fait pour ta gueule !»... C'en était trop. Je suis donc revenu à ma réalité dépourvue de bambins.
Dans un cycle suivant où je rêvais de football, je jouais toujours en tant que gardien de but, passoire, goal, portier ou dernier rempart. Que de noms pour une seule calamité ! Il avait toujours plu avant le match, raison pour laquelle les terrains étaient humides et qu'il était inévitable qu'un mini-lac se forme en face de la cage. C'est à ce moment-là qu'arrivait un attaquant qui me fusillait littéralement, et dans un premier temps, j'arrêtais le ballon, mais dans un second temps, le ballon mouillé glissait entre mes gants et dépassait glorieusement la ligne du but. À ce stade du match, (on ne peut pas mieux dire), moi, je désirais plus que tout me réveiller, mais il me restait encore à entendre la tribune dans mon dos me crier à l'unisson : traître, vendu, combien on t'a payé ainsi que d'autres choses de moindre importance.
Dernièrement, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas le cinéma d'aujourd'hui – qui soit dit en passant s'est pas mal dégradé – mais celui d'avant, celui-là qui nous prenait aux tripes et qui s'installait dans nos vies, avec des visages et des manières qui constituaient de véritables modèles. Moi, je passe mon temps à rêver d'actrices. Et pas n'importe quelles actrices ! Disons... Marilyne Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullman, Glenda Jackson, et j'en passe. (Pour ce qui est des acteurs, mon Morphée à moi ne leur accorde pas de visa.) Vous voyez, docteur, la plupart sont assez âgées ou ont trépassé, mais moi, je rêve d'elles telles qu'on les voyait dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, je ne parle pas de celle de maintenant (qui n'est pas mal) mais de la ragazza avec sa valise, au moment où elle avait 21 ans. Marilyn, par exemple, m'aborde et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, quelques fois, les actrices parlent en version sous-titrée et que d'autres fois, leur voix est doublée en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres, parce qu'une voix comme celle de Genda Jackson ou de Catherine Deneuve, c'est irremplaçable.
Bon, concrètement, je suis venu vous consulter parce que la nuit dernière, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, non pas celle de maintenant (qui n'est pas mal non plus) mais de celle de Montparnasse 19, à l'époque glorieuse où elle trônait sur ses 26 ans. Ne pensez pas du mal. Je ne l'ai pas touchée, et elle ne m'a pas touché non plus. Elle s'est juste penchée à une fenêtre de mon studio et a dit, tout simplement( en version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, mais pas dans ton studio, dans ton lit. N'oublie pas. » Comment veut-elle que j'oublie ? Ce que je souhaiterais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète en pharmacie vont me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.
Trouver le sommeil
Ce qui se passe, docteur, c'est que chez moi, les rêves, ça vient par cycles thématiques. À une époque, je rêvais d'inondations. Les fleuves se mettaient subitement à déborder, ils submergeaient les champs, les rues, les maisons, et même, jusqu'à mon propre lit. Figurez-vous que c'est dans les rêves que j'ai appris à nager, et que, grâce à ça, j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette faculté ne s'est guère avérée utile que dans le monde onirique ; un peu plus tard, j'ai voulu l'exercer, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel, et j'ai failli me noyer. Est arrivée la période où je me suis mis à rêver d'avions. Ou plutôt, d'un seul avion, parce qu'il s'agissait toujours du même. L'hôtesse de l'air était laide, et elle me maltraitait. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m'a regardé avec une rancœur longuement programmée, et m'a répondu : « Tu sais très bien pourquoi. » J'ai été tellement surpris par ce tutoiement soudain que ça m'a presque réveillé. Surtout que je ne voyais pas à quoi elle faisait allusion. J'étais plongé dans ce doute quand l'avion est tombé dans un trou d'air ; l'hôtesse moche s'est étalée dans le couloir, sa mini-jupe est remontée, et j'ai bien pu voir qu'elle ne portait rien en-dessous. C'est précisément à ce moment-là que je me suis réveillé ; à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit habituel, mais dans un avion, rangée 7, siège D, face à une hôtesse de l'air avec le visage de la Joconde qui m'offrait, dans un anglais élémentaire, une coupe de champagne. Vous voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité, et aussi vice versa. Vous vous rappelez ce qu'a dit Kant ? Le rêve, c'est un art poétique involontaire. Dans une autre phase, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. Des enfants qui étaient à moi. Moi, un célibataire qui n'en ai absolument pas, même hors mariage. Vu l'état actuel du monde, je pense que c'est irresponsable de concevoir de nouveaux êtres. Ah, vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois je dis vraiment n'importe quoi. Les enfants de mon rêve étaient plutôt petits. Certains marchaient à quatre pattes, d'autres passaient leur vie dans la salle de bains. On aurait dit que leur mère était morte, puisqu'on ne la voyait jamais, et ils n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne savaient pas non plus dire papa ; c'est pire : dans leur semi-langage, ils m'appelaient « le Turc ». C'est tellement éloigné de moi, moi, dont les grands-parents sont de La Corogne, et les arrière-grands-parents de Lugo. « Le Turc, viens ! », « le Turc, ze veux la tétine », « le Turc, j'ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié cassé, et là, paf, je tombe. Alors, le plus grand de mes marmots me regarde sans pitié et me lance : eh, le Turc, c'est bien fait pour toi. C'en était trop, et d'effroi je me suis réveillé, retournant à ma réalité sans angelots. Dans un épisode postérieur de rêve de football, je jouais toujours comme gardien de but, ou garde, ou portier, ou goalkeeper, ou goal. Tous ces noms, pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant le match : le terrain était humide, et une grosse flaque se formait immanquablement devant la cage. Sans crier gare surgissait un des attaquants qui me fusillait avec force ; dans un premier temps, je commençais par arrêter le tir, mais ensuite le ballon – qui était mouillé – me filait entre les doigts, glissant sur mes gants, et franchissait, passablement fier, la ligne du but. À ce stade du combat (on ne peut pas mieux dire), j'aspirais de tout mon être à me réveiller. Mais non, il me fallait encore écouter la tribune derrière moi crier, d'une seule voix : traître, vendu, ils t'ont payé combien, et autres mesquineries de ce genre. Ces derniers temps, mes aventures nocturnes se sont vues envahies par le cinéma. Pas le cinéma actuel, ça c'est révolu, mais le cinéma d'avant, ce cinéma qui nous ébranlait, qui s'installait dans nos vies avec ces visages, ces attitudes, qui étaient des paradigmes pour nous. Moi, mon truc, c'est de rêver des actrices. Et quelles actrices ! Je vous parle de Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine
Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et autres merveilles. Aux acteurs, mon Morphée ne délivre pas le droit de séjour. Vous voyez, docteur, la plupart sont âgées, voire, pour certaines, ne sont plus là, mais, moi, je rêve d'elles exactement comme elles étaient dans les films de l'époque. Tenez, par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle de maintenant (qui n'est pas si mal) mais de celle de La Ragazza con la valiglia, quand elle avait vingt-et-un ans. Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit sur le ton de la tendre confidence : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que, dans mes rêves, les actrices s'expriment parfois en version originale sous-titrée, et d'autres fois elles sont doublées en castillan. Je préfère les sous-titres, puisque des voix comme celles de Glenda Jackson ou Catherine Deneuve sont irremplaçables. Bon, en vérité, je suis venu consulter parce qu'hier soir j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas de celle de maintenant (qui n'est pas si mal), mais de celle de Montpanarsse 19, quand elle avait encore ses fabuleux vingt-six ans. Ne vous méprenez pas. Je ne l'ai pas touchée, elle ne m'a pas touché. Elle n'a fait que se pencher à une fenêtre de mon studio, et a simplement dit (version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, pas dans ton studio, mais dans ton lit. N'oublie pas. » Comment pourrais-je l'oublier ? Ce que je voulais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie peuvent me servir dans les rêves ? Parce que, vous savez, je ne voudrais pas qu'elle tombe enceinte par ma faute.
Faire de beaux rêves.
Ce qu'il se passe, docteur, c'est que dans mon cas les rêves arrivent par cycles thématiques. Il fut un temps où je rêvait d'inondations. Les fleuves se mettaient à déborder et submergeaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Rendez vous compte qu'en rêve, j'ai appris à nager et grâce à cela j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette capacité n'eut uniquement une véracité onirique, car quelques temps plus tard, je prétendis en faire usage, complètement réveillé, dans la piscine d'un hôtel et je fus sur le point de me noyer.
Ensuite, vint l'époque où je rêvait d'avions. Plus précisément d'un seul avion, car c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était bien laide et me traitait mal. À tous, elle donnait du champagne, sauf à moi. Je lui demandai pourquoi, elle me regarda avec une rancœur bien marquée et me répondit : « Toi, tu sais très bien pourquoi ». Je fus si surpris par ce tutoiement que je faillis me réveillé. En plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire référence. C'est par ce doute que j'étais habité lorsque l'avion tomba dans un trou d'air. La bien vilaine hôtesse de l'air tomba dans l'allée, de telle sorte que sa mini-jupe se retroussa et je pus donc constater qu'elle ne portait rien en dessous. Ce fut précisément là que je me suis réveillé, et quelle surprise pour moi, je n'était pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rang 7, siège D et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde m'offrit dans un anglais basique, une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, parfois les rêves sont mieux que la réalité et l'inverse vaut tout autant. Vous rappelez-vous ce que dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
À un autre stade, je rêvais à plusieurs reprises d'enfants. Des enfants qui étaient les miens. Moi qui suis célibataire et qui n'ait même pas le désir d'en avoir. Dans l'état qu'est le monde, ça me semble un acte irresponsable que de concevoir que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Désolé. Des fois, je dis tout ce qui me passe par la tête.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre-pattes et d'autres passaient leur temps dans le bain. À ce qu'il semblait, ils étaient orphelins de mère, vu que celle-ci n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En fait, il ne disaient pas papa non plus, mais dans leur langue moyenne, il m'appelaient « le turc ». Rien à voir avec moi, dont les grands-parents viennent de la Corogne et les arrières-grands-parents de Lugo. « Viens le turc », « le turc, j'veux des patates », « j'ai fais pipi le turc ». Dans un de ces rêves, je descendais par un escalier à demi-cassé et vlan, je suis tombé. Alors, le plus vieux de mes petits me regarda sans pitié et dit : Bien fait pour toi le turc.. C'en était trop, je me suis ainsi réveillé dans ma réalité sans chérubins.
Dans un cycle postérieur de football imaginaire, je jouai toujours gardien de but ou goal ou portier ou goalkeeper ou dernier rempart. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleuvait à chaque fois avant le match, les terrains étaient donc humides et il était inévitable que se formât, devant le but, une vraie mare. Apparaissait alors un certain attaquant qui me fusillait allègrement, dans un premier temps, je stoppai le tir, mais dans un second temps, le ballon mouillé s'échappait de mes gants et passait fièrement la ligne de but. À ce niveau du match (on ne peut pas dire mieux), je suppliais avec ferveur pour me réveiller, mais il me restait encore à entendre comment la tribune dans mon dos me criait unanimement : traitre, vendu, combien il t'ont payé, et d'autres bagatelles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le ciné. Pas le cinéma actuel, si essoufflé, mais par celui d'antan, celui qui savait nous émouvoir et qui s'installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui formaient un tout.
Je m'attache à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons, Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ulmann, Glenda Jackson, et d'autres meveilles. (Pour ce qui est des acteurs, chez moi, Morphée ne leur accordait pas de visa.) Comme vous le voyez, docteur, en majorité ce sont des femmes mûres ou qui n'existent déjà plus, mais moi je les rêve telles qu'elles apparaissaient dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui ( qui n'est pas mal ) mais de celle de La Ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Marylin, en ce qui la concerne, s'approche de moi et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d'autres fois elles sont doublées en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres car une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçable.
Bref, en réalité, je suis venu vous consulter parce que, hier, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui ( qui n'est pas mal non plus ) mais celle de Montparnasse 19, à ses 26 fabuleux printemps. Je n'ai pas pensé à mal. Je ne l'ai pas touché pas plus qu'elle ne me toucha. Elle est simplement apparue à une fenêtre de mon studio et a juste dit (version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, et pas dans ton studio mais ton lit. Ne l'oublie pas ».
Comme si j'allais l'oublier. Ce que je voulais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie me seront utiles en rêves ? Car, vous savez, je ne voudrais pas qu'elle tombe enceinte.
Trouver le sommeil.
Ce qui se passe, docteur, c’est que, dans mon cas, les rêves se produisent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d’inondations. Aussitôt les rivières débordaient et noyaient les champs, les rues, les maisons et jusqu’à mon propre lit. Vous noterez que, dans mes rêves, j’ai appris à nager et que, grâce à cela, j’ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habilité n’a été effective qu’en rêve, car quelques temps après j’ai prétendu l’exercer, totalement éveillé, dans la piscine de l’hôtel et j’ai bien failli y laisser ma vie.
Ensuite, il y a eu une période où j’ai rêvé d’avions. Ou plutôt, d’un avion, car il s’agissait toujours du même. L’hôtesse de l’air était moche et me traitait mal. Elle donnait à tout le monde du champagne, tous sauf moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a alors regardé avec une rancœur amplement calculée et m’a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». J’ai été tellement surpris par ce tutoiement que je me suis presque réveillé. En outre, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire référence. J’en étais à ces interrogations quand l’avion a chuté dans un trou d’air et que l’hôtesse moche s’est étendue dans l’allée, de telle façon que sa mini-jupe a un peu remonté et j’ai pu remarquer qu’elle ne portait rien en dessous. C’est à cet instant précis que je me suis réveillé, et, à ma grande surprise, je ne me trouvais pas dans mon éternel lit mais dans un avion, file 7, siège D, et une hôtesse de l’air au visage de Joconde me proposait, dans un anglais de base, une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez de ce qu’a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Une autre fois, j’ai rêvé d’enfants à plusieurs reprises. Des enfants qui étaient les miens. Moi qui suis célibataire et qui n’en ai même pas. Et avec le monde d’aujourd’hui, cela me paraît un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Quelques fois je ne dis que des bêtises.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur temps dans le bain. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, étant donné qu’elle n’apparaissait jamais et que les enfants n’avaient pas appris à dire « maman ». En réalité, ils ne m’appelaient pas « papa » non plus, mais « l’arabe », dans leur demi-connaissance de la langue. Ça alors, moi qui ai des aïeuls de La Corogne et des bisaïeuls de Lugo. « Arabe, viens », « Arabe, veux la papa », « Arabe, ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais les marches d’un escalier à moitié effondré, et bam, je suis tombé. C’est alors que le plus grand de mes bébés m’a regardé sans la moindre pitié et à dit : Arabe, va te faire… Là, c’était trop, alors je suis sorti de mon embarras en revenant à la réalité sans beaux rêves.
Plus tard, dans un cycle sur le football, j’ai toujours occupé le poste de goal ou de gardien de but ou de portier. Tellement de noms pour une seule et unique calamité. Mais voilà, avant le match, il pleuvait toujours de sorte que le terrain était humide et il était inévitable que se forme un petit lac devant les cages. Ensuite arrivait un attaquant qui me fusillait de bon cœur, et moi, dans un premier temps, je lui barrais le chemin, sauf que, dans un deuxième temps, le ballon mouillé filait entre les gants et franchissait, gonflé d’orgueil, la ligne de but. À ce moment-là de la partie (c’est le cas de le dire), je désirais ardemment me réveiller, mais encore il me restait à écouter comment la tribune derrière moi me huait unanimement : traître, vendu, i’t’ont payé combien et autres broutilles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma de maintenant, tellement dégradé, mais par celui d’avant, celui qui nous émouvait et se fixait dans nos vie avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je passe mon temps à rêver à des actrices. Et quelles actrices : citons Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glanda Jackson et autres merveilles. (Aux acteurs, mon Morphée à moi ne leur délivre aucun visa). Comme vous le voyer, docteur, la plupart sont des vétérantes ou sont déjà décédées, mais je les rêve exactement comme elles apparaissaient dans les films d’alors. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle d’aujourd’hui (qui n’est pas mal) mais celle de La ragazza con la valigia, quand elle avait 21 ans.
Marylin, par exemple, elle s’approche de moi et me dit, sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t live Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et parfois en version espagnole. Je préfère les sous-titres étant donné qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou de Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en réalité, je suis venu vous consulter car hier soir, j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle de maintenant (qui n’est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait 26 fabuleuses années. Ne vous méprenez pas. Je ne l’ai pas touché et elle non plus. Elle s’est simplement penché à la fenêtre de mon studio et m’a juste dit (version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, pas dans ton studio mais dans ton lit. N’oublie pas ».
Comment pourrais-je l’oublier. Ce que je voudrais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète à la pharmacie me serviront dans mes rêves. Car, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.
***
Ce qui m'arrive, docteur, c'est que chez moi, les rêves arrivent par cycles thématiques. Fut un temps où je rêvais d'inondations. D'un seul coup, les fleuves entraient en crue et inondaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Rendez-vous compte, docteur, que dans mes rêves, j'ai quand même appris à nager et que c'est grâce à ça que j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Bien malheureusement, cette aptitude n'avait une validité qu'onirique, parce qu'un beau jour, j'ai eu la prétention de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et sur le coup, j'ai bien failli me noyer.
Après ça, il y a eu une période où je rêvais d'avions. Enfin, plus exactement d'un seul avion, parce que c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était vilaine et elle me traitait mal. À tous les autres, elle offrait du champagne, mais pas à moi. Alors, je lui demande pourquoi et là, elle me regarde avec une rancœur sans gène et elle me répond : « Tu sais très bien pourquoi ». J'ai été tellement sidéré par ce tutoiement que j'ai été à deux doigts de me réveiller. En plus, j'avais aucune idée de ce qu'elle voulait dire. Donc, je suis en plein questionnement quand l'avion tombe dans un trou d'air et la vilaine hôtesse se ramasse, dans le couloir, de telle façon que sa minijupe remonte et je peux voir qu'elle ne porte rien dessous. C'est précisément ça qui me fait me réveiller et là, à ma grande surprise, je suis pas dans mon lit, mais dans un avion, rangée numéro sept, place D, et une hôtesse avec un visage de Joconde m'offre, dans un anglais de base, une coupe de champagne. Docteur, comme vous pouvez le constater, il arrive que les rêves soient mieux que la réalité, mais l'inverse arrive aussi. Vous vous rappelez ce qu'a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Un peu plus tard, pendant un temps, j'ai pas arrêté de rêver d'enfants. Des enfants qui étaient de moi. De moi, alors que moi, je suis célibataire et que j'en ai pas moi des enfants, pas même des enfants illégitimes. Et alors, vu l'état actuel du monde, donner naissance à des enfants, ça me paraît tout simplement être un acte irresponsable. Vous avez des enfants, vous ? Cinq ? Excuse me. Il m'arrive parfois de faire de ces bourdes. Bon alors, les enfants de mes rêves, ils étaient assez jeunes. Il y en a qui marchaient à quatre pattes et d'autres qui passaient leur vie dans la salle de bains. Il faut croire qu'ils n'avaient pas de mère, parce que celle-ci n'était jamais là et les enfants n'avaient même pas appris à dire maman. Enfin, moi, ils m'appelaient pas papa non plus, non !, dans leur langage limité, ils m'appelaient «le turc». Rien à voir avec moi, qui suis de grands-parents de La Corogne et d'arrières-grands-parents de Lugo. « Hé, le turc, viens », « Hé, le turc, je veux mon miam-miam », « Hé, le turc, je me suis fait pipi dessus ». Dans l'un de ces rêves, je descends un escalier à moitié cassé, et bam, je tombe. Et c'est là que l'aîné de mes enfants me regarde sans aucune pitié et me balance : « Hé le turc, va bien te faire foutre ». C'en est trop, alors je me réveille d'un coup, dans ma réalité orpheline de ces petits anges. Un peu plus tard, j'ai rêvé de football, je jouais toujours au poste de gardien, de goal, de portier, de garde-but, de goalkeeper. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleut toujours avant le match, du coup, le terrain est détrempé et, bien sûr, inévitablement, devant les cages, un petit lac s'est formé. Et là, surgit un attaquant qui, littéralement, me fusille avec plaisir. Dans un premier temps, j'arrête sa frappe, mais juste après, le ballon mouillé me glisse des mains et franchit, tout gonflé d'orgueil, la ligne de but. À ce moment crucial (et moi , de la croix, j'en étais pas loin), je souhaite de tout cœur me réveiller, mais non ! il faut encore que j'écoute comment, d'une seule et même voix, la tribune, derrière moi, m'insulte : traître !, vendu !, combien ils t'ont payé ?, et autres injures du même genre.
Et, ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahis par le ciné. Pas par le ciné d'aujourd'hui qui, lui, est tombé bien bas, mais par celui de l'époque, celui qui nous émouvait et qui s'infiltrait dans nos vies avec ces visages et ces expressions qui devenaient des modèles. Je me consacrais à rêver d'actrices. Et il faut voir quelles actrices : genre Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et autres beautés. (Par contre, Mon Morphée, lui, n'accordait pas de Visa aux acteurs). Comme vous le voyez, docteur, la plupart sont plutôt âgées ou, d'ailleurs, ne sont plus, mais moi, dans mes rêves, elles étaient telles qu'elles apparaissaient dans leurs films d'alors. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, je ne vous parle pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus), mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Tenez, Maryline, par exemple, s'approche de moi et me dit sur un ton de tendre confidence : « I don't love Kennedy, I love you. Only you ». Il faut que vous sachiez que, dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée, et parfois elles sont doublées en castillan. Moi, je préfère les sous-titres, parce qu'une voix comme celle de Glenda Jackson ou comme celle de Catherine Deneuve, c'est tout bonnement irremplaçable.
Mais bon, à vrai dire, si je suis venu vous consulter, c'est parce qu'hier soir, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui, elle non plus, n'est pas mal), celle de Montparnasse 19, du haut de ses fabuleux 26 printemps. Mais, détrompez-vous. Je l'ai pas touchée et elle m'a pas touché non plus. Elle s'est juste penchée à la fenêtre de mon studio et m'a simplement annoncé (en version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, mais pas à ton studio… dans ta chambre. Ne l'oublies pas. »
Comment je pourrais l'oublier. En fait, ce que je voudrais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie peuvent me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je voudrais pas qu'elle tombe enceinte.
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Eh bien, ce qu'il se passe, docteur, c'est que dans mon cas les rêves viennent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d'inondations. D'un seul coup, les fleuves débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons, y compris mon propre lit. Rendez-vous compte, c'est en rêve que j'ai appris à nager et c'est grâce à cela que j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n'a eu qu'une existence purement onirique, car un peu plus tard j'ai essayé de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et j'ai failli me noyer.
A suivi une période où j'ai rêvé d'avions. Plus exactement d'un seul avion, car il s'agissait toujours du même. L'hôtesse de l'air était un laideron et elle me traitait mal. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m'a regardé avec une rancoeur longuement programmée avant de me répondre : « Tu sais très bien pourquoi ». J'ai tellement été surpris par ce tutoiement que je m'en suis presque réveillé. De plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire allusion. Je baignais dans ces interrogations lorsque l'avion est tombé dans un trou d'air et l'hôtesse de l'air – le laideron – s'est étalée de tout son long dans le couloir, de sorte que sa minijupe est remontée, c'est comme ça que j'ai pu constater qu'en bas, elle ne portait rien. À ce moment précis, je me suis réveillé, et, à ma surprise, je ne me trouvais pas dans mon lit de toujours mais dans un avion, rangée 7 siège D, et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde me proposait dans un anglais basique une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, parfois les rêves sont meilleurs que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez ce qu'a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Au cours d'une autre période, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. D'enfants qui n'étaient pas les miens. Je suis célibataire et je n'en ai même pas hors mariage. Vu l'état du monde, il me semble que c'est un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excusez-moi. Il m'arrive de dire de ces stupidités.
Les enfants de mon rêve sont assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d'autres passaient leur temps dans la salle de bain. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, puisqu'elle n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas papa non plus, mais dans leurs balbutiements, ils m'appelaient « l'Arabe ». Me dire ça à moi, qui descend de grands-parents originaires de la Corogne et d'arrières-grands-parents de Lugo. « L'Arabe, viens voir », « L'Arabe, j'ai faim ! », « L'Arabe, j'ai fait pipi dans ma culotte ». Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié déglingué, et hop, je suis tombé. Alors le plus grand de mes enfants m'a regardé sans pitié et dit : L'Arabe, va te faire foutre... C'en était trop, alors je me suis réveillé, angoissé par ma réalité dépourvue de petits anges.
Lors d'un cycle postérieur de football rêvé, je jouais toujours gardien ou garde-but ou portier ou goal ou golkeeper. Combien de noms pour une seule calamité ! Il pleuvait toujours avant le match, de sorte que les terrains étaient toujours humides et il était inévitable qu'en face de la cage se forme une petite mare. Soudain surgissait un avant-centre qui me torpillait avec détermination. D'abord, je l'arrêtais, mais ensuite, le ballon mouillé me glissait des mains et franchissait, gonflé d'orgueil, la ligne de but. À ce stade de la rencontre (c'est le cas de le dire), je désirais avec ferveur me réveiller, mais il me fallait encore écouter comment la tribune dans mon dos hurlaient unanimement : traître, vendu, ils t'ont payé combien et d'autres insultes.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le ciné. Pas par le cinéma d'aujourd'hui, tombé bien bas, mais par celui d'antan, celui qui nous émouvait et qui s'inspirait de nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me prends à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Lic Ullmann, Glenda Jackson et d'autres merveilles. (Aux acteurs, mon Morphée ne leur accorde pas de visa). Comme vous le voyez, docteur, la plupart sont des doyennes ou ne sont plus, mais, moi, je rêve d'elles telles qu'elles apparaissaient dans leurs films d'alors. Tenez, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal) mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait vingt-et-un an.
Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent soit en version sous-titrée soit doublées en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres, car une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve est irremplaçable.
Bon, à vrai dire je suis venu vous consulter car hier soir j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait ses fabuleux 26 ans. Ne vous méprenez pas. Je ne l'ai pas touché, elle ne m'a touché non plus. Elle a simplement passé la tête par la fenêtre de mon studio et a juste dit (version doublée) : « Demain pendant la nuit, je viendrai te voir, mais pas dans ton studio sinon dans ton lit. N'oublie pas. »
Comment pourrais-je l'oublier ? Ce que je voudrais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète dans la pharmacie me serviront dans mes rêves. Car, vous savez, je n'aimerais pas la mettre enceinte.
***
Justine nous propose sa traduction :
Trouver le sommeil
Ce qui se passe, docteur, c’est qu’en ce qui me concerne, mes rêves reviennent par cycles thématiques.
A une époque, je rêvais d’inondations. Aussitôt les fleuves débordaient, réduisant à néant les champs, les rues, et même jusqu’à mon propre lit.
Figurez-vous que j’appris à nager en rêvant et grâce à cela, je survécus aux catastrophes naturelles. Malheureusement je ne possédais cette aptitude que dans mes rêves, car peu de temps plus tard, alors que j’étais bien réveillé, je tentai d’en faire usage dans la piscine d’un hôtel et je faillis me noyer.
Ensuite vint une période durant laquelle je rêvai d’avions. Plus précisément d’un avion, puisqu’il s’agissait toujours du même. L’hôtesse de l’air n’était pas très jolie et me traitait mal. Elle donnait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui demandai pourquoi, et me regardant avec une rancœur longuement calculée, elle me répondit : « Tu sais bien pourquoi ». Je fus tellement surpris par ce tutoiement, que cela me réveilla presque. De plus, je n’imaginais pas à quoi elle pouvait bien faire allusion. J’en étais là de mes doutes lorsqu’un trou d’air déséquilibra l’avion ; l’hôtesse de l’air pas très jolie s’étala alors de tout son long dans l’allée, de telle sorte que sa mini jupe remonta, je pus donc vérifier qu’elle ne portait rien en-dessous. Ce fut à ce moment précis que je me réveillai, et à ma grande surprise, je n’étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion sur le siège D au septième rang, et une hôtesse de l’air qui ressemblait à la Joconde , m’offrait dans un anglais basique une coupe de champagne. Comme vous pouvez le constater docteur, parfois les rêves sont plus beaux que la réalité, et vice versa. Vous vous souvenez de ce que dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Lors d’une autre étape, je rêvai à chaque fois d’enfants. D’enfants qui étaient les miens .Alors que je suis célibataire, et que je n’en ai même pas dans la vie. Vu le monde actuel, je pense que concevoir de nouveaux êtres est un acte irresponsable. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excusez-moi. Parfois je n’en loupe pas une.
Les enfants de mon rêve étaient relativement petits. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur vie dans le bain. Apparemment, ils avaient perdu leur mère, en effet elle n’apparaissait jamais et les enfants n’avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas papa non plus, mais dans leur babillage ils m’appelaient « turc ».Moi qui pourtant aie des grands-parents originaires de la Corogne, et des arrière-grands-parents originaires de Lugo. « Turc, viens », « Turc, j’ai faim », « Turc, j’ai fait pipi ».Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié cassé, et vlan, je suis tombé. Le plus grand de mes bébés me regarda alors sans pitié, et dit : « Turc, fous-toi en l’air… ». C’en était trop, je me réveillai alors pressé de retourner dans ma réalité sans petits anges.
Dans un cycle postérieur, j’ai rêvé de football, j’occupais toujours le poste de gardien de buts, ou goal, ou portier. Autant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant le match, si bien que les terrains étaient toujours humides, et inévitablement un petit lac se formait devant les buts. Apparaissait alors un avant-centre envieux qui me fusillait du regard, et au début je lui barrais la route, mais ensuite le ballon mouillé s’échappait de mes gants, et passait fièrement la ligne de but. A ce niveau du match (autant dire jamais), je désirais ardemment me réveiller, mais il me fallait toujours écouter les insultes que vociféraient les occupants de la tribune à mon encontre : traître, vendu, combien ils t’ont payé ? et d’autres mesquineries.
Ces derniers temps mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas le cinéma actuel qui a plutôt mauvaise presse, mais celui d’avant, celui qui nous émouvait et qui prenait place dans nos vies grâce à des visages et des attitudes qui étaient des modèles. Je consacrais mes rêves à des actrices. Et quelles actrices ! Pour ne citer qu’elles, Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullman, Glenda Jackson, et d’autres joyaux. Le dieu de mon sommeil, interdisait le passage aux acteurs). Comme vous pouvez le constater docteur, la majorité d’entre elles sont des vétérantes ou ne sont plus de ce monde, mais j’en rêve telles qu’elles apparaissent dans les films de l’époque. Par exemple, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle qu’elle est devenue ( qui n’est pas mal), mais de celle qu’elle était quand elle incarnait la fille à la valise à l’âge de vingt-et un ans.
Marylin, par exemple, et me dit sur le ton d’une tendre confidence : « Je n’aime pas Kennedy. Je vous aime. Je n’aime que vous. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent parfois en version sous-titrée, et d’autres fois doublées en Castillan. Je préfère les sous-titres, car des voix comme celles de Glenda Jackson ou Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en réalité, je viens vous voir, parce que hier soir j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle qu’elle est devenue ( qui n’est pas mal non plus), mais celle qui jouait dans Montparnasse, 19, fabuleuse, du haut de ses vingt-six ans. Ne pensez pas à mal, je ne l’ai pas touchée, elle ne m’a pas touché non plus. Elle est simplement apparue à une fenêtre de mon bureau, et elle juste dit (en version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, mais pas à ton bureau, dans ton lit. N’oublie pas ». Comment oublierai-je cela ? Ce que je voudrais savoir docteur, c’est si les préservatifs que j’ai acheté à la pharmacie me serviront dans mes rêves, vous savez pourquoi ? Je ne voudrais pas qu’elle tombe enceinte.