Je remercie infiniment Vincent Ozanam d’avoir accepté de répondre à ce questionnaire.
1 – Comment êtes-vous venu à la traduction ?
Pendant de longues années, j'ai vécu et travaillé en Espagne. Souhaitant revenir en France, j'ai suivi des études par correspondance afin de consolider mes connaissances linguistiques, dans l'intention – dès le départ – de me consacrer à la traduction (générale, technique et judiciaire, aussi bien que littéraire).
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Par principe, je ne relis jamais une traduction une fois signé le bon à tirer.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
Il me semble que la grande nouveauté depuis quelques années est l'apparition de formations professionnelles spécifiques – comme celle que vous suivez –, encadrées par des « gens du métier » qui savent de quoi ils parlent. Il est toujours positif de pouvoir appuyer l'expérience acquise au fil des ans sur des bases solides, même si certaines caractéristiques de l'activité de traduction (sa part considérable de subjectivité et de « créativité », notamment) échappent par définition à tout apprentissage académique.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Actuellement, ce n'est plus tout à fait le cas ; par le passé, il en a été ainsi.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Cela dépend du type de texte (une résolution judiciaire n'a pas grand-chose à voir avec un poème médiéval). Fondamentalement, les outils sont classiques : dictionnaires, généraux ou spécialisés ; manuels et références en français (TLF, Thomas, parfois même Grévisse...) ; ordinateur, traitement de texte (jamais de logiciels de traduction, qui font perdre plus de temps qu'autre chose, dans mon expérience, à partir d'un certain niveau d'exigence qualitative) ; une connexion, de temps à autre, à Internet (c'est parfois fort pratique) ; et, surtout, la tête et les sens (entendre et dire le texte permet d'éviter bien des erreurs).
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloqué, comment procédez-vous ?
Il n'y a pas de formule magique, il est difficile de généraliser. Ce qui est à mes yeux essentiel – et parfois incompatible avec l'obtention d'un revenu décent –, c'est de prendre son temps, de ne pas compter ses heures et de prévoir des marges de manoeuvre importantes : laisser reposer le texte, faire autre chose, s'aérer le corps et l'esprit, ne reprendre le texte qu'après l'avoir en quelque sorte effacé de sa mémoire. Chacun doit trouver les « ruses » qui lui conviennent, c'est vrai de toute activité impliquant fortement l'individu dans son ensemble...
Ensuite, il faut chercher, essayer, risquer, se tromper, réfléchir, recommencer, dire à voix haute, faire lire à quelqu'un hors contexte, tout effacer et reprendre à zéro (non sans avoir pris soin de conserver une sauvegarde !), etc.
8 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
En règle générale, les éditeurs sont des gens qui aiment le livre ; c'est peut-être une évidence, mais on a parfois tendance à l'oublier, me semble-t-il. Que leurs intérêts ne coïncident pas toujours avec ceux des autres professionnels de la chaîne de l'édition, au nombre desquels figurent les traducteurs, est parfaitement logique. Comme dans tous les corps de métier, et comme dans tout groupe humain, il y a des éditeurs plus ou moins ceci ou cela (compétents, sympathiques, compréhensifs, scrupuleux, débrouillards, déplaisants, profiteurs, voire malhonnêtes...). Mais on pourrait en dire tout autant, par exemple, des traducteurs... Pour ma part, j'ai toujours entretenu des relations correctes avec les personnes en compagnie desquelles je travaille, dans le domaine de la traduction ou ailleurs, même lorsque survient un désaccord, personnel ou professionnel.
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
La question ne concerne qu'un certain type de traduction, littéraire et contemporaine. En traduction judiciaire, par exemple, l'auteur est parfaitement identifié mais tout contact est proscrit (et parfaitement inutile). C'est à nouveau une question essentiellement « humaine » : si le respect est mutuel et que, lors des échanges, chacun accepte de s'en tenir à sa fonction (l'auteur ne prétendant pas prendre la place du traducteur et réciproquement), tout se passe bien. Je continue ainsi d'entretenir des relations cordiales avec des auteurs plusieurs années après avoir travaillé avec eux ; le cas contraire peut malheureusement aussi se présenter (je ne donnerai aucun nom !).
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Fichtre ! Il est délicat de répondre publiquement à une telle question, qui touche à une sphère privée et pour tout dire intime...
Les meilleurs souvenirs sont peut-être des trouvailles infimes, des solutions à des problèmes sur lesquels on a longtemps buté et auxquels on a quelque espoir d'avoir apporté une réponse satisfaisante, voire élégante...
Le moins bon est sans doute lié à des déceptions où l'on a pu avoir une part de responsabilité personnelle, par exemple lorsque l'on n'est pas parvenu à convaincre quiconque d'éditer une œuvre dont on est persuadé qu'elle mériterait mille fois plus d'être traduite que bien des choses qui encombrent le marché...
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Puis-je être sincère ? Cette question est à mon avis purement rhétorique (et, partant, épouvantablement ennuyeuse). Le traducteur n'est ni plus ni moins qu'un mal nécessaire, un bricoleur (sans rien de péjoratif), un mécanicien du discours. Il est inutile d'ergoter ni de tenir des propos grandiloquents là-dessus : la réalité, humble et modeste, s'impose aux prétentions ronflantes de la mystique traductologico-je ne sais quoi...
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
C'est certainement le cas, mais il n'y a là non plus rien d'étonnant, ni de propre à l'activité de traduction. Dès que l'on connaît la technique qui sous-tend un domaine professionnel d'activité, on voit et on juge différemment : le bûcheron jauge l'arbre, le charpentier la couverture, le traducteur le texte... Pour le dire autrement, le rapport à l'objet (quel qu'il soit) se modifie irrémédiablement dès que les éléments d'appréciation ont changé. Le traducteur ne peut lire sans apprécier (c'est-à-dire juger) la construction du discours. La quête de l'innocence perdue du regard relève au mieux, me semble-t-il, de l'impossible.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Plutôt que de donner des conseils – une occupation bien étrange et stérile, à mes yeux –, je suggérerais seulement deux pistes de réflexion. D'un point de vue simplement pratique (et financier !), j'insisterais sur la nécessité de ne pas s'isoler, de multiplier les contacts, d'entretenir des « réseaux » (terme à la mode s'il en est, mais qui correspond à une réalité). On ne compte plus les traducteurs de talent qui se tournent les pouces faute de fréquenter les salons (métaphoriquement parlant), tandis que des semiprofessionnels à la déontologie et aux compétences douteuses (restons poli), mais à l'entregent flamboyant, s'engraissent benoîtement... Pour ce qui est de la pratique même du métier, je répéterais une fois encore le refrain immuable que l'on a parfois du mal à prendre au sérieux tant il paraît paradoxal au profane : le bon traducteur doit, plus que tout, travailler sans cesse la qualité de la langue d'arrivée («cible »). Ce principe est crucial s'agissant du français, dont la complexité et la rigidité doivent être pleinement maîtrisées avant de pouvoir envisager de les dynamiter, avec mesure et en pleine connaissance de cause, de l'intérieur (ce qui est le propre de tout idiolecte un rien créatif). En d'autres termes : contrôler sans cesse la syntaxe, les régimes verbaux et prépositionnels, les dérivations nominales, même l'orthographe ; c'est le prix à payer pour aller au-delà...
Bonne chance à vous, à toutes et à tous.
1 – Comment êtes-vous venu à la traduction ?
Pendant de longues années, j'ai vécu et travaillé en Espagne. Souhaitant revenir en France, j'ai suivi des études par correspondance afin de consolider mes connaissances linguistiques, dans l'intention – dès le départ – de me consacrer à la traduction (générale, technique et judiciaire, aussi bien que littéraire).
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Par principe, je ne relis jamais une traduction une fois signé le bon à tirer.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
Il me semble que la grande nouveauté depuis quelques années est l'apparition de formations professionnelles spécifiques – comme celle que vous suivez –, encadrées par des « gens du métier » qui savent de quoi ils parlent. Il est toujours positif de pouvoir appuyer l'expérience acquise au fil des ans sur des bases solides, même si certaines caractéristiques de l'activité de traduction (sa part considérable de subjectivité et de « créativité », notamment) échappent par définition à tout apprentissage académique.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Actuellement, ce n'est plus tout à fait le cas ; par le passé, il en a été ainsi.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Cela dépend du type de texte (une résolution judiciaire n'a pas grand-chose à voir avec un poème médiéval). Fondamentalement, les outils sont classiques : dictionnaires, généraux ou spécialisés ; manuels et références en français (TLF, Thomas, parfois même Grévisse...) ; ordinateur, traitement de texte (jamais de logiciels de traduction, qui font perdre plus de temps qu'autre chose, dans mon expérience, à partir d'un certain niveau d'exigence qualitative) ; une connexion, de temps à autre, à Internet (c'est parfois fort pratique) ; et, surtout, la tête et les sens (entendre et dire le texte permet d'éviter bien des erreurs).
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloqué, comment procédez-vous ?
Il n'y a pas de formule magique, il est difficile de généraliser. Ce qui est à mes yeux essentiel – et parfois incompatible avec l'obtention d'un revenu décent –, c'est de prendre son temps, de ne pas compter ses heures et de prévoir des marges de manoeuvre importantes : laisser reposer le texte, faire autre chose, s'aérer le corps et l'esprit, ne reprendre le texte qu'après l'avoir en quelque sorte effacé de sa mémoire. Chacun doit trouver les « ruses » qui lui conviennent, c'est vrai de toute activité impliquant fortement l'individu dans son ensemble...
Ensuite, il faut chercher, essayer, risquer, se tromper, réfléchir, recommencer, dire à voix haute, faire lire à quelqu'un hors contexte, tout effacer et reprendre à zéro (non sans avoir pris soin de conserver une sauvegarde !), etc.
7 – J’ai vu que vous traduisez diverses sortes de littérature : littérature générale, littérature classique et musique : voyez-vous d’importantes différences entre elles en tant que traducteur ?
Les différences sont sensibles, mais elles se situent plutôt au niveau de chaque texte lui-même. Plus le texte est spécialisé, moins il est sujet à interprétation et plus le travail est facile – une fois bien sûr que l'on maîtrise suffisamment les spécificités techniques du domaine considéré. En revanche, les textes où plusieurs niveaux linguistiques ont une importance presque équivalente sont de véritables défis, souvent éprouvants et parfois passionnants (c'est le cas, par exemple, de certain type de poésie plus ou moins conceptuelle où les couches sémantique, prosodique, phonétique et rythmique se répondent et se mêlent...).8 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
En règle générale, les éditeurs sont des gens qui aiment le livre ; c'est peut-être une évidence, mais on a parfois tendance à l'oublier, me semble-t-il. Que leurs intérêts ne coïncident pas toujours avec ceux des autres professionnels de la chaîne de l'édition, au nombre desquels figurent les traducteurs, est parfaitement logique. Comme dans tous les corps de métier, et comme dans tout groupe humain, il y a des éditeurs plus ou moins ceci ou cela (compétents, sympathiques, compréhensifs, scrupuleux, débrouillards, déplaisants, profiteurs, voire malhonnêtes...). Mais on pourrait en dire tout autant, par exemple, des traducteurs... Pour ma part, j'ai toujours entretenu des relations correctes avec les personnes en compagnie desquelles je travaille, dans le domaine de la traduction ou ailleurs, même lorsque survient un désaccord, personnel ou professionnel.
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
La question ne concerne qu'un certain type de traduction, littéraire et contemporaine. En traduction judiciaire, par exemple, l'auteur est parfaitement identifié mais tout contact est proscrit (et parfaitement inutile). C'est à nouveau une question essentiellement « humaine » : si le respect est mutuel et que, lors des échanges, chacun accepte de s'en tenir à sa fonction (l'auteur ne prétendant pas prendre la place du traducteur et réciproquement), tout se passe bien. Je continue ainsi d'entretenir des relations cordiales avec des auteurs plusieurs années après avoir travaillé avec eux ; le cas contraire peut malheureusement aussi se présenter (je ne donnerai aucun nom !).
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Fichtre ! Il est délicat de répondre publiquement à une telle question, qui touche à une sphère privée et pour tout dire intime...
Les meilleurs souvenirs sont peut-être des trouvailles infimes, des solutions à des problèmes sur lesquels on a longtemps buté et auxquels on a quelque espoir d'avoir apporté une réponse satisfaisante, voire élégante...
Le moins bon est sans doute lié à des déceptions où l'on a pu avoir une part de responsabilité personnelle, par exemple lorsque l'on n'est pas parvenu à convaincre quiconque d'éditer une œuvre dont on est persuadé qu'elle mériterait mille fois plus d'être traduite que bien des choses qui encombrent le marché...
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Puis-je être sincère ? Cette question est à mon avis purement rhétorique (et, partant, épouvantablement ennuyeuse). Le traducteur n'est ni plus ni moins qu'un mal nécessaire, un bricoleur (sans rien de péjoratif), un mécanicien du discours. Il est inutile d'ergoter ni de tenir des propos grandiloquents là-dessus : la réalité, humble et modeste, s'impose aux prétentions ronflantes de la mystique traductologico-je ne sais quoi...
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
C'est certainement le cas, mais il n'y a là non plus rien d'étonnant, ni de propre à l'activité de traduction. Dès que l'on connaît la technique qui sous-tend un domaine professionnel d'activité, on voit et on juge différemment : le bûcheron jauge l'arbre, le charpentier la couverture, le traducteur le texte... Pour le dire autrement, le rapport à l'objet (quel qu'il soit) se modifie irrémédiablement dès que les éléments d'appréciation ont changé. Le traducteur ne peut lire sans apprécier (c'est-à-dire juger) la construction du discours. La quête de l'innocence perdue du regard relève au mieux, me semble-t-il, de l'impossible.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Plutôt que de donner des conseils – une occupation bien étrange et stérile, à mes yeux –, je suggérerais seulement deux pistes de réflexion. D'un point de vue simplement pratique (et financier !), j'insisterais sur la nécessité de ne pas s'isoler, de multiplier les contacts, d'entretenir des « réseaux » (terme à la mode s'il en est, mais qui correspond à une réalité). On ne compte plus les traducteurs de talent qui se tournent les pouces faute de fréquenter les salons (métaphoriquement parlant), tandis que des semiprofessionnels à la déontologie et aux compétences douteuses (restons poli), mais à l'entregent flamboyant, s'engraissent benoîtement... Pour ce qui est de la pratique même du métier, je répéterais une fois encore le refrain immuable que l'on a parfois du mal à prendre au sérieux tant il paraît paradoxal au profane : le bon traducteur doit, plus que tout, travailler sans cesse la qualité de la langue d'arrivée («cible »). Ce principe est crucial s'agissant du français, dont la complexité et la rigidité doivent être pleinement maîtrisées avant de pouvoir envisager de les dynamiter, avec mesure et en pleine connaissance de cause, de l'intérieur (ce qui est le propre de tout idiolecte un rien créatif). En d'autres termes : contrôler sans cesse la syntaxe, les régimes verbaux et prépositionnels, les dérivations nominales, même l'orthographe ; c'est le prix à payer pour aller au-delà...
Bonne chance à vous, à toutes et à tous.
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