Nous avons reçu Benjamin Kuntzer à Bordeaux 3 le 8 avril… La rencontre a été particulièrement agréable et riche pour nos futurs traducteurs ; raison pour laquelle il m'a semblé utile d'en faire profiter les Tradabordiens – par le biais de notre habituel « questionnaire spécial traducteurs ».
Merci à Benjamin de notre part à tous pour sa grande disponibilité et sa gentillesse…
1 – Comment êtes-vous venu à la traduction ?
À l'instar du reste de mon parcours, c'est à la fois le fruit du hasard et une évidence ! Je me dirigeais initialement plutôt vers les sciences, puis plutôt vers l'enseignement, les langues... Je tâtonnais sans trop savoir, comme beaucoup de bacheliers, mais avec du recul ce choix a des allures d'évidence : j'ai toujours été entouré de les livres, mes parents et grands-parents m'encourageaient (volontairement ou non) à me poser des dizaines de questions sur la langue, et j'ai depuis de longues années une fascination certaine pour les cultures étrangères. L'anglais s'est plus ou moins imposé à moi par un concours de circonstance (une mutation parentale, pour faire simple), et la traduction me permet de continuer à apprendre et à me documenter tout en écrivant et en tordant la langue dans tous les sens. Plusieurs passions réunies en une, en somme. Et l'indépendance, l'isolement relatif que me permet cette profession correspond parfaitement à mon tempérament.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Si l'on considère le premier vrai projet publié ayant nécessité plusieurs mois d'investissement (donc hors nouvelles, notices, pré/postfaces, etc.), je ne l'ai pour ainsi dire jamais relu ! Pas plus que mes autres travaux, du reste. Peut-être en aurai-je l'envie plus tard, mais je ne suis généralement pas nostalgique, et je préfère faire mon auto-critique sur les traductions en cours que sur mes "débuts". Cela dit, le roman en question était le premier d'une trilogie, et j'ai enchaîné les trois en un peu moins d'un an. Mon sentiment en bouclant le dernier tome était qu'il était plus abouti que les précédents. D'une part parce que je m'étais "habitué" à l'auteur, mais aussi parce que j'ai eu le sentiment d'apprendre énormément en découvrant les épreuves corrigées (des écueils à éviter, des tournures maladroites, des répétitions trop nombreuses...). Petit à petit, on acquiert certains réflexes que seule l'expérience peut nous enseigner. Heureusement, je suis encore en apprentissage, et j'espère le rester tout au long de ma carrière : le jour où j'aurai l'impression de stagner, je me réorienterai sans doute vers autre chose.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
C'est un métier à la fois difficile (rares sont les traducteurs pouvant se targuer de ne jamais connaître de période d'inactivité forcée) et passionnant (même si cela me prend un temps fou en recherches, j'adore passer de la description d'un volcan, à celle de la construction médiévale d'une maison en bois rare, à celle du débarquement américain sur Iwo Jima...). Cela nécessite sans doute un certain degré de schizophrénie (il faut sans cesse apprendre et désapprendre, jongler avec les cultures, les époques, les lexiques, les styles, etc.), mais permet également une grande évasion. C'est un métier de passionnés, même si je ne pousserais pas le romantisme jusqu'à dire que la rémunération n'a aucune importance. Si l'on n'a pas la passion de la lecture, de l'écriture, de la découverte, mieux vaut se tourner vers autre chose, car les déceptions sont nombreuses, et seule une grande motivation permet de ne pas baisser les bras et d'avancer.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
On peut dire que oui, même si je ne suis pas sûr que le métier de traducteur puisse se nourrir de lui-même. J'exerce donc en fait deux temps presque pleins, étant parallèlement éditeur. La plupart des traducteurs que je connais sont également auteurs de leurs propres textes (publiés ou non), éditeurs, libraires, enseignants, musiciens... Hors l'aspect financier de la chose, j'ai l'impression qu'il s'agit également d'un moyen d'ouvrir son esprit à d'autres activités qui alimentent de fait la principale.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
J'ai une profonde admiration pour les traducteurs n'ayant pas connu l'ordinateur, ni l'Internet, car la plupart des mes outils de recherche sont dessus. (D'un autre côté, cela peut expliquer également certains défauts dans des traductions datées.) Pour les dictionnaires, j'alterne entre papier et numérique (le numérique étant plus évident pour passer d'une entrée à une autre, et moins encombrant pour travailler hors de chez soi). En cas d'infos contradictoires, j'ai toujours le sentiment (je pense moins fondé aujourd'hui qu'hier) que le papier est plus fiable. La difficulté d'Internet étant évidemment le nombre d'absurdités que l'on peut y trouver, même sur les sites dits "sérieux". Mes ouvrages de référence (presque tous en version papier) sont Le Bon Usage (Grévisse), Littré, "Jouette", Robert&Collins, Webster's, Dictionnaire Visuel (Corbiel/Archambault)... Plus tout un tas d'autres d'étymologie, de difficultés diverses, d'argot, d'expressions, de mots rares, etc., que j'ouvre plus épisodiquement. Enfin, et même si rien ne vaut une relecture "humaine", certains correcteurs informatiques sont assez efficaces, surtout couplés à d'autres. Pour ma part, cela me permet d'éliminer bon nombre de scories (accents manquants, espaces doubles, mauvaise ponctuation, répétitions, etc.) qui me gênent énormément lors de la relecture et dissimulent souvent des fautes plus graves.
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloqué, comment procédez-vous ?
Tout dépend de la nature de la difficulté. S'il s'agit de compréhension, je relis les paragraphes/pages précédents, et je lis attentivement les paragraphes/pages suivants, pour bien m'imprégner du contexte. Puis je tourne la phrase dans tous les sens, en essayant chaque combinaison de sens possible ! Si vraiment ça ne vient pas, je mets un commentaire en marge, en espérant que la suite du texte éclaire le passage concerné. Je n'ai encore jamais été bloqué au-delà de cette étape, mais le référent ultime reste évidemment l'auteur, en espérant qu'il soit vivant, joignable et disponible !
S'il s'agit d'un problème de formulation, je finis généralement par traduire la phrase mot à mot, avant de la déconstruire et de la renverser jusqu'à obtenir une syntaxe correcte et idiomatique.
Dans tous les cas, trop d'acharnement nuit souvent au sens, et j'aime mieux laisser reposer quelque temps : je pense que le cerveau doit poursuivre sa réflexion en sous-main, car à la deuxième tentative le résultat est souvent plus concluant.
7 – Vous traduisez des textes de nature différente… Cela constitue-t-il pour chacun des enjeux spécifiques ?
Disons que l'enjeu diffère forcément si le texte est de nature à divertir, ou si au contraire il est amené à devenir un ouvrage de référence. Un romancier et un historien n'ont généralement pas les mêmes intentions, et la traduction doit se plier à ces impératifs. La démarche n'est pas la même selon que le traducteur doit traquer le moindre doute ou la moindre incertitude pour un texte ayant une vocation historique (même l'historien le plus pointu n'est pas à l'abri d'une coquille, notamment sur une date, et si une erreur existe en VO et peut-être corrigée en français, tant mieux), ou s'il doit avant tout s'atteler à rendre un texte aussi passionnant, prenant et idiomatique que possible (lorsque l'auteur est volontairement drôle dans un roman pourtant sérieux, inutile à mon sens de vouloir traduire le moindre jeu de mots si cela doit se faire au détriment de la trame ; en revanche, rien n'empêche, pour "compenser", de remplacer un adjectif par un synonyme un peu décalé, par exemple. Ainsi, le ton reste le même, mais le texte ne perd pas en cohérence. Tout est question de dosage, à condition évidemment de ne pas aller à l'encontre de la volonté initiale, ni d'imposer sa grosse patte malvenue par excès de zèle).
8 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Je ne connais quasiment aucun des éditeurs pour lesquels je traduis. Pour la plupart, je les ai déjà rencontrés et nous avons déjà discuté, bu un verre ou déjeuné ensemble, mais rien de plus. Le lien est complètement différent de celui qu'un éditeur peut avoir avec "son" auteur. La plupart des échanges se font par mail, ce qui n'empêche pas de nouer une certaine forme de relation, au point d'être déstabilisé en cas de remplacement, de congés, ou autre. En revanche, contrairement à certains confrères (éditeurs comme traducteurs), je n'ai jamais eu d'accrochage avec qui que ce soit et tout s'est toujours fait en bonne intelligence (ce qui ne signifie pas que nous sommes toujours d'accord pour autant). Les rapports sont donc très cordiaux, et l'on sent un grand respect mutuel. Certains auteurs ou traducteurs ne supportent pas que l'on touche la moindre virgule dans leur travail, ce n'est pas du tout mon cas, je suppose que cela contribue également à ce que tout se passe bien. Je fais confiance à la compétence de chacun, et n'insiste sur un choix que lorsque cela me semble indispensable, en argumentant. Sachant que, sauf faux sens évident par exemple, l'éditeur a le dernier mot, ce qui me semble somme toute logique. S'il est compétent (et la plupart le sont), un éditeur saura ce qui est bon pour le livre et pour le texte, et ne sabotera pas volontairement un travail à des fins purement mercantiles ou égocentriques !
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
Pour l'instant aucun, mais je ne demande rien de mieux ! Je me renseigne sur leur bio/bibliographie, je flâne sur leur site internet ou celui de leur éditeur, mais cela ne va pas plus loin aujourd'hui. Cela dit, j'irai les saluer avec plaisir si l'occasion se présente, pas nécessairement pour parler du ou des textes concernés, mais surtout pour savoir qui se cache derrière la plume.
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Le meilleur : lorsque j'ai terminé la relecture du Pacifique, un énorme bouquin historique et passionnant sur une vision de la Deuxième Guerre mondiale. Cela a marqué la fin de six mois de travail acharné (j'avais une autre longue traduction en cours, en plus de mon activité d'éditeur), durant lesquels je n'ai jamais décroché plus de douze heures d'affilée ! Pas un week-end ni une soirée de libre, ça a été plus qu'éprouvant. Mais quelle satisfaction d'être parvenu à rendre un texte propre et dans les délais !
Le moins bon : Les six mois précédents ! C'est le revers de la médaille : j'ai beau adorer toutes les facettes du métier, rester la tête dans le guidon si longtemps, au détriment de toute vie sociale et de tout autre loisir, c'est franchement éprouvant.
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux, évidemment, et ce sur tous les textes, mais en proportions différentes selon la nature du texte en question. Pour traduire de la poésie, je suppose (et je suppose uniquement, car je ne m'en sens pas du tout capable) qu'il faut soi-même être poète. De même qu'il vaut mieux aimer le théâtre (et en faire !) pour s'attaquer à des pièces. En ce sens, le traducteur est sans doute essentiellement auteur, car ce sont les sonorités, le rythme, les images qui priment. À l'inverse, pour un ouvrage historique, les recherches initiales auront été effectuées par un autre, le parti pris ne sera pas propre au traducteur, il sera donc davantage passeur. Et sur un roman, cela sera évidemment très variable : pour grossir le trait, tout dépend si, chez l'auteur d'origine, le fond est plus important que la forme. Mais dans tous les cas, une personne parfaitement bilingue ne fait pas nécessairement pour autant un bon traducteur. En ce sens, le traducteur est quoi qu'il en soit auteur.
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
Cela a effectivement radicalement transformé ma manière de lire. J'ai aujourd'hui du mal à lire un texte complètement pour me détendre, je décortique, je projette, j'envisage... et ce même pour les textes français. Cela me gâche bien souvent en partie le plaisir de la lecture, mais cela le décuple sans doute aussi lorsque je tombe sur un texte particulièrement enthousiasmant sur lequel je ne relève rien de "professionnel". Le problème étant évidemment que les textes les plus enthousiasmant donnent également envie de s'en inspirer, et donc de les analyser, d'en comprendre les rouages, de savoir en quoi tout est si parfait ! Le seul moyen que j'ai trouvé aujourd'hui d'échapper à tout ça est soit de me faire des "cures" de journées sans lecture, ce qui est difficilement compatible avec mon quotidien, soit de lire des ouvrages radicalement différents de ceux sur lesquels je travaille (mais cela revient à s'imposer un style de lecture, et j'ai du mal à m'y faire). Ça m'a été très pénible au début, mais je commence à y prendre goût.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Travailler (beaucoup) : on n'a jamais fini de progresser. Respecter les délais (toujours) : les rapports éditeurs / traducteurs sont essentiellement fondés sur la confiance mutuelle, il me semble que c'est un manque de professionnalisme que de ne pas tenir une échéance (sauf cas de force majeure évidemment, ça peut toujours arriver, mais dans ce cas il faut impérativement prévenir son éditeur dans les temps, afin qu'il puisse se retourner). Lire des ouvrages de tout genre (en français comme dans la langue source), pas uniquement ceux écrits par les auteurs de référence (cela permet de se familiariser avec différents registres). Mais également ne jamais se décourager, être prêt à certains sacrifices (de temps notamment), et faire preuve d'une grande rigueur (même si je ne me permettrai pas de donner des conseils de méthode !). Enfin, trouver son rythme, sa méthodologie, et être conscient de ses limites (ne pas accepter un texte trop ardu que l'on ne saura pas rendre, ne pas s'engager sur des délais déraisonnables, ni œuvrer sur trop de fronts à la fois, etc.)
1 – Comment êtes-vous venu à la traduction ?
À l'instar du reste de mon parcours, c'est à la fois le fruit du hasard et une évidence ! Je me dirigeais initialement plutôt vers les sciences, puis plutôt vers l'enseignement, les langues... Je tâtonnais sans trop savoir, comme beaucoup de bacheliers, mais avec du recul ce choix a des allures d'évidence : j'ai toujours été entouré de les livres, mes parents et grands-parents m'encourageaient (volontairement ou non) à me poser des dizaines de questions sur la langue, et j'ai depuis de longues années une fascination certaine pour les cultures étrangères. L'anglais s'est plus ou moins imposé à moi par un concours de circonstance (une mutation parentale, pour faire simple), et la traduction me permet de continuer à apprendre et à me documenter tout en écrivant et en tordant la langue dans tous les sens. Plusieurs passions réunies en une, en somme. Et l'indépendance, l'isolement relatif que me permet cette profession correspond parfaitement à mon tempérament.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Si l'on considère le premier vrai projet publié ayant nécessité plusieurs mois d'investissement (donc hors nouvelles, notices, pré/postfaces, etc.), je ne l'ai pour ainsi dire jamais relu ! Pas plus que mes autres travaux, du reste. Peut-être en aurai-je l'envie plus tard, mais je ne suis généralement pas nostalgique, et je préfère faire mon auto-critique sur les traductions en cours que sur mes "débuts". Cela dit, le roman en question était le premier d'une trilogie, et j'ai enchaîné les trois en un peu moins d'un an. Mon sentiment en bouclant le dernier tome était qu'il était plus abouti que les précédents. D'une part parce que je m'étais "habitué" à l'auteur, mais aussi parce que j'ai eu le sentiment d'apprendre énormément en découvrant les épreuves corrigées (des écueils à éviter, des tournures maladroites, des répétitions trop nombreuses...). Petit à petit, on acquiert certains réflexes que seule l'expérience peut nous enseigner. Heureusement, je suis encore en apprentissage, et j'espère le rester tout au long de ma carrière : le jour où j'aurai l'impression de stagner, je me réorienterai sans doute vers autre chose.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
C'est un métier à la fois difficile (rares sont les traducteurs pouvant se targuer de ne jamais connaître de période d'inactivité forcée) et passionnant (même si cela me prend un temps fou en recherches, j'adore passer de la description d'un volcan, à celle de la construction médiévale d'une maison en bois rare, à celle du débarquement américain sur Iwo Jima...). Cela nécessite sans doute un certain degré de schizophrénie (il faut sans cesse apprendre et désapprendre, jongler avec les cultures, les époques, les lexiques, les styles, etc.), mais permet également une grande évasion. C'est un métier de passionnés, même si je ne pousserais pas le romantisme jusqu'à dire que la rémunération n'a aucune importance. Si l'on n'a pas la passion de la lecture, de l'écriture, de la découverte, mieux vaut se tourner vers autre chose, car les déceptions sont nombreuses, et seule une grande motivation permet de ne pas baisser les bras et d'avancer.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
On peut dire que oui, même si je ne suis pas sûr que le métier de traducteur puisse se nourrir de lui-même. J'exerce donc en fait deux temps presque pleins, étant parallèlement éditeur. La plupart des traducteurs que je connais sont également auteurs de leurs propres textes (publiés ou non), éditeurs, libraires, enseignants, musiciens... Hors l'aspect financier de la chose, j'ai l'impression qu'il s'agit également d'un moyen d'ouvrir son esprit à d'autres activités qui alimentent de fait la principale.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
J'ai une profonde admiration pour les traducteurs n'ayant pas connu l'ordinateur, ni l'Internet, car la plupart des mes outils de recherche sont dessus. (D'un autre côté, cela peut expliquer également certains défauts dans des traductions datées.) Pour les dictionnaires, j'alterne entre papier et numérique (le numérique étant plus évident pour passer d'une entrée à une autre, et moins encombrant pour travailler hors de chez soi). En cas d'infos contradictoires, j'ai toujours le sentiment (je pense moins fondé aujourd'hui qu'hier) que le papier est plus fiable. La difficulté d'Internet étant évidemment le nombre d'absurdités que l'on peut y trouver, même sur les sites dits "sérieux". Mes ouvrages de référence (presque tous en version papier) sont Le Bon Usage (Grévisse), Littré, "Jouette", Robert&Collins, Webster's, Dictionnaire Visuel (Corbiel/Archambault)... Plus tout un tas d'autres d'étymologie, de difficultés diverses, d'argot, d'expressions, de mots rares, etc., que j'ouvre plus épisodiquement. Enfin, et même si rien ne vaut une relecture "humaine", certains correcteurs informatiques sont assez efficaces, surtout couplés à d'autres. Pour ma part, cela me permet d'éliminer bon nombre de scories (accents manquants, espaces doubles, mauvaise ponctuation, répétitions, etc.) qui me gênent énormément lors de la relecture et dissimulent souvent des fautes plus graves.
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloqué, comment procédez-vous ?
Tout dépend de la nature de la difficulté. S'il s'agit de compréhension, je relis les paragraphes/pages précédents, et je lis attentivement les paragraphes/pages suivants, pour bien m'imprégner du contexte. Puis je tourne la phrase dans tous les sens, en essayant chaque combinaison de sens possible ! Si vraiment ça ne vient pas, je mets un commentaire en marge, en espérant que la suite du texte éclaire le passage concerné. Je n'ai encore jamais été bloqué au-delà de cette étape, mais le référent ultime reste évidemment l'auteur, en espérant qu'il soit vivant, joignable et disponible !
S'il s'agit d'un problème de formulation, je finis généralement par traduire la phrase mot à mot, avant de la déconstruire et de la renverser jusqu'à obtenir une syntaxe correcte et idiomatique.
Dans tous les cas, trop d'acharnement nuit souvent au sens, et j'aime mieux laisser reposer quelque temps : je pense que le cerveau doit poursuivre sa réflexion en sous-main, car à la deuxième tentative le résultat est souvent plus concluant.
7 – Vous traduisez des textes de nature différente… Cela constitue-t-il pour chacun des enjeux spécifiques ?
Disons que l'enjeu diffère forcément si le texte est de nature à divertir, ou si au contraire il est amené à devenir un ouvrage de référence. Un romancier et un historien n'ont généralement pas les mêmes intentions, et la traduction doit se plier à ces impératifs. La démarche n'est pas la même selon que le traducteur doit traquer le moindre doute ou la moindre incertitude pour un texte ayant une vocation historique (même l'historien le plus pointu n'est pas à l'abri d'une coquille, notamment sur une date, et si une erreur existe en VO et peut-être corrigée en français, tant mieux), ou s'il doit avant tout s'atteler à rendre un texte aussi passionnant, prenant et idiomatique que possible (lorsque l'auteur est volontairement drôle dans un roman pourtant sérieux, inutile à mon sens de vouloir traduire le moindre jeu de mots si cela doit se faire au détriment de la trame ; en revanche, rien n'empêche, pour "compenser", de remplacer un adjectif par un synonyme un peu décalé, par exemple. Ainsi, le ton reste le même, mais le texte ne perd pas en cohérence. Tout est question de dosage, à condition évidemment de ne pas aller à l'encontre de la volonté initiale, ni d'imposer sa grosse patte malvenue par excès de zèle).
8 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Je ne connais quasiment aucun des éditeurs pour lesquels je traduis. Pour la plupart, je les ai déjà rencontrés et nous avons déjà discuté, bu un verre ou déjeuné ensemble, mais rien de plus. Le lien est complètement différent de celui qu'un éditeur peut avoir avec "son" auteur. La plupart des échanges se font par mail, ce qui n'empêche pas de nouer une certaine forme de relation, au point d'être déstabilisé en cas de remplacement, de congés, ou autre. En revanche, contrairement à certains confrères (éditeurs comme traducteurs), je n'ai jamais eu d'accrochage avec qui que ce soit et tout s'est toujours fait en bonne intelligence (ce qui ne signifie pas que nous sommes toujours d'accord pour autant). Les rapports sont donc très cordiaux, et l'on sent un grand respect mutuel. Certains auteurs ou traducteurs ne supportent pas que l'on touche la moindre virgule dans leur travail, ce n'est pas du tout mon cas, je suppose que cela contribue également à ce que tout se passe bien. Je fais confiance à la compétence de chacun, et n'insiste sur un choix que lorsque cela me semble indispensable, en argumentant. Sachant que, sauf faux sens évident par exemple, l'éditeur a le dernier mot, ce qui me semble somme toute logique. S'il est compétent (et la plupart le sont), un éditeur saura ce qui est bon pour le livre et pour le texte, et ne sabotera pas volontairement un travail à des fins purement mercantiles ou égocentriques !
9 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
Pour l'instant aucun, mais je ne demande rien de mieux ! Je me renseigne sur leur bio/bibliographie, je flâne sur leur site internet ou celui de leur éditeur, mais cela ne va pas plus loin aujourd'hui. Cela dit, j'irai les saluer avec plaisir si l'occasion se présente, pas nécessairement pour parler du ou des textes concernés, mais surtout pour savoir qui se cache derrière la plume.
10 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Le meilleur : lorsque j'ai terminé la relecture du Pacifique, un énorme bouquin historique et passionnant sur une vision de la Deuxième Guerre mondiale. Cela a marqué la fin de six mois de travail acharné (j'avais une autre longue traduction en cours, en plus de mon activité d'éditeur), durant lesquels je n'ai jamais décroché plus de douze heures d'affilée ! Pas un week-end ni une soirée de libre, ça a été plus qu'éprouvant. Mais quelle satisfaction d'être parvenu à rendre un texte propre et dans les délais !
Le moins bon : Les six mois précédents ! C'est le revers de la médaille : j'ai beau adorer toutes les facettes du métier, rester la tête dans le guidon si longtemps, au détriment de toute vie sociale et de tout autre loisir, c'est franchement éprouvant.
11 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Les deux, évidemment, et ce sur tous les textes, mais en proportions différentes selon la nature du texte en question. Pour traduire de la poésie, je suppose (et je suppose uniquement, car je ne m'en sens pas du tout capable) qu'il faut soi-même être poète. De même qu'il vaut mieux aimer le théâtre (et en faire !) pour s'attaquer à des pièces. En ce sens, le traducteur est sans doute essentiellement auteur, car ce sont les sonorités, le rythme, les images qui priment. À l'inverse, pour un ouvrage historique, les recherches initiales auront été effectuées par un autre, le parti pris ne sera pas propre au traducteur, il sera donc davantage passeur. Et sur un roman, cela sera évidemment très variable : pour grossir le trait, tout dépend si, chez l'auteur d'origine, le fond est plus important que la forme. Mais dans tous les cas, une personne parfaitement bilingue ne fait pas nécessairement pour autant un bon traducteur. En ce sens, le traducteur est quoi qu'il en soit auteur.
12 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
Cela a effectivement radicalement transformé ma manière de lire. J'ai aujourd'hui du mal à lire un texte complètement pour me détendre, je décortique, je projette, j'envisage... et ce même pour les textes français. Cela me gâche bien souvent en partie le plaisir de la lecture, mais cela le décuple sans doute aussi lorsque je tombe sur un texte particulièrement enthousiasmant sur lequel je ne relève rien de "professionnel". Le problème étant évidemment que les textes les plus enthousiasmant donnent également envie de s'en inspirer, et donc de les analyser, d'en comprendre les rouages, de savoir en quoi tout est si parfait ! Le seul moyen que j'ai trouvé aujourd'hui d'échapper à tout ça est soit de me faire des "cures" de journées sans lecture, ce qui est difficilement compatible avec mon quotidien, soit de lire des ouvrages radicalement différents de ceux sur lesquels je travaille (mais cela revient à s'imposer un style de lecture, et j'ai du mal à m'y faire). Ça m'a été très pénible au début, mais je commence à y prendre goût.
13 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Travailler (beaucoup) : on n'a jamais fini de progresser. Respecter les délais (toujours) : les rapports éditeurs / traducteurs sont essentiellement fondés sur la confiance mutuelle, il me semble que c'est un manque de professionnalisme que de ne pas tenir une échéance (sauf cas de force majeure évidemment, ça peut toujours arriver, mais dans ce cas il faut impérativement prévenir son éditeur dans les temps, afin qu'il puisse se retourner). Lire des ouvrages de tout genre (en français comme dans la langue source), pas uniquement ceux écrits par les auteurs de référence (cela permet de se familiariser avec différents registres). Mais également ne jamais se décourager, être prêt à certains sacrifices (de temps notamment), et faire preuve d'une grande rigueur (même si je ne me permettrai pas de donner des conseils de méthode !). Enfin, trouver son rythme, sa méthodologie, et être conscient de ses limites (ne pas accepter un texte trop ardu que l'on ne saura pas rendre, ne pas s'engager sur des délais déraisonnables, ni œuvrer sur trop de fronts à la fois, etc.)
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