Voici le bon article que j'ai lu il y a quelques jours dans Marianne (n°729, p.90) – le journal n'étant plus en kiosque et en l'absence d'un lien sur le site, je l'ai recopié… Ça en vaut la peine, je crois. Merci à l'auteur, Benoît Dutertre.
L'opéra en V.O. ou en V.F. ?
Pourquoi bouder son plaisir de comprendre la langue d'un opéra étranger ? Illustration avec le « Freischütz » de Weber, à Paris
Par Benoît Dutertre
Faut-il traduire les opéras ? Si vous lancez naïvement la question dans un dîner, quelques sourires navrés vous dévisageront avec inquiétude. Aujourd'hui, l'opéra se joue en langue originale, un point, c'est tout. Les arguments ne manquent pas, d'ailleurs, à l'appui de ce purisme qu'on peut comparer à celui de la VO en matière cinématographique. Pourtant, cette incontestable vérité montre, sans le savoir, un étrange dédain pour les siècles passés, quand des générations de mélomanes cultivés pensaient exactement le contraire : l'opéra soit se jouer dans la langue du pays où il est représenté. Une leçon du passé à méditer, en ce mois d'avril, avec la production du Freischütz, de Weber, joyau du romantisme allemand qu'on peut redécouvrir, sous la direction de John Eliot Gardiner, dans l'adaptation française réalisée par Berlioz.
Ce spectacle est présenté salle Favart, où la traduction est une vieille tradition : il n'y a pas si longtemps, on y donnait encore certains opéras de Mozart, Rossini, Verdi ou Piccini dans des adaptations françaises qui faisaient le bonheur de nos grands-parents. Pour le public d'alors, Le Barbier de Séville rimait avec « un barbier de qualité » et Rigoletto avec « comme la plume au vent ». Dans tous les pays du monde, les opéras se donnaient en langue vernaculaire, parce qu'on aimait suivre l'action comme au théâtre, et goûter l'esprit du compositeur dans sa façon de rythmer le dialogue et d'entonner chaque réplique. Tout dépendait alors de la fidélité des adaptations – si bien que certains artistes comme Richard Strauss suivaient eux-mêmes, avec la vigilance, la traduction de leurs opéras.
La tradition s'est, d'ailleurs, conservée dans les maints théâtres d'Allemagne, ou même à l'English National Opera de Londres, qui donne aujourd'hui encre une grande partie du répertoire en traduction – quand bien même la France toujours à la pointe des effets de mode a fini par juger cette hypothèse ridicule. Pour les adversaires de la traduction, en effet, la musique des mots, dans la langue du compositeur, compte davantage encore que le sens (louable fidélité à l'œuvre originale qui, parfois, la déforment outrancièrement par leurs mises en scène) ; ils rappellent également que les surtitres ont réglé la question, ce qui est vrai… partiellement, car le plaisir d'entendre une conversation chantée est autre chose que de la suivre en levant les yeux à chaque instant.
Quand le chef-d'œuvre de Weber fut présenté à Paris, en 1824, l'opéra germanique était encore embryonnaire. Même Mozart, dans ses principaux ouvrages, avait choisi l'italien, véritable espéranto de l'art lyrique qui seul permettait aux œuvres de voyager en l'absence de traductions. Au contraire, le Freischütz, tout comme La Flûte enchantée, était composé directement en allemand. Dans cette œuvre mi-parlée, mi-chantée, le jeune Carl Maria von Weber inaugurait surtout un style fantastique en prise avec le romantisme naissant par ses histoires de forêt, de chasseur, de malédiction. Il allait inspirer Wagner mais aussi ds compositeurs français comme Debussy, fasciné par la poésie et les couleurs de cet ouvrage. Quelques années après la création, Hector Berlioz, mécontent de la mauvaise adaptation qu'on avait présentée à l'Odéon, sous le titre Robin des bois, décida de proposer une version française plus fidèle. S'attachant à sa tâche avec beaucoup de soin, il transforma les dialogues parlés en récitatifs pour donner à l'ensemble le rythme d'un « opéra romantique » : celui que Gardiner nous propose aujourd'hui de redécouvrir. Et, tandis que Paris présente Freischütz en français, le Capitole de Toulouse programme Oberon, un autre opéra de Weber dont l'action nous conduit à Bagdad et à Tunis… en langue originale allemande.
L'opéra en V.O. ou en V.F. ?
Pourquoi bouder son plaisir de comprendre la langue d'un opéra étranger ? Illustration avec le « Freischütz » de Weber, à Paris
Par Benoît Dutertre
Faut-il traduire les opéras ? Si vous lancez naïvement la question dans un dîner, quelques sourires navrés vous dévisageront avec inquiétude. Aujourd'hui, l'opéra se joue en langue originale, un point, c'est tout. Les arguments ne manquent pas, d'ailleurs, à l'appui de ce purisme qu'on peut comparer à celui de la VO en matière cinématographique. Pourtant, cette incontestable vérité montre, sans le savoir, un étrange dédain pour les siècles passés, quand des générations de mélomanes cultivés pensaient exactement le contraire : l'opéra soit se jouer dans la langue du pays où il est représenté. Une leçon du passé à méditer, en ce mois d'avril, avec la production du Freischütz, de Weber, joyau du romantisme allemand qu'on peut redécouvrir, sous la direction de John Eliot Gardiner, dans l'adaptation française réalisée par Berlioz.
Ce spectacle est présenté salle Favart, où la traduction est une vieille tradition : il n'y a pas si longtemps, on y donnait encore certains opéras de Mozart, Rossini, Verdi ou Piccini dans des adaptations françaises qui faisaient le bonheur de nos grands-parents. Pour le public d'alors, Le Barbier de Séville rimait avec « un barbier de qualité » et Rigoletto avec « comme la plume au vent ». Dans tous les pays du monde, les opéras se donnaient en langue vernaculaire, parce qu'on aimait suivre l'action comme au théâtre, et goûter l'esprit du compositeur dans sa façon de rythmer le dialogue et d'entonner chaque réplique. Tout dépendait alors de la fidélité des adaptations – si bien que certains artistes comme Richard Strauss suivaient eux-mêmes, avec la vigilance, la traduction de leurs opéras.
La tradition s'est, d'ailleurs, conservée dans les maints théâtres d'Allemagne, ou même à l'English National Opera de Londres, qui donne aujourd'hui encre une grande partie du répertoire en traduction – quand bien même la France toujours à la pointe des effets de mode a fini par juger cette hypothèse ridicule. Pour les adversaires de la traduction, en effet, la musique des mots, dans la langue du compositeur, compte davantage encore que le sens (louable fidélité à l'œuvre originale qui, parfois, la déforment outrancièrement par leurs mises en scène) ; ils rappellent également que les surtitres ont réglé la question, ce qui est vrai… partiellement, car le plaisir d'entendre une conversation chantée est autre chose que de la suivre en levant les yeux à chaque instant.
Quand le chef-d'œuvre de Weber fut présenté à Paris, en 1824, l'opéra germanique était encore embryonnaire. Même Mozart, dans ses principaux ouvrages, avait choisi l'italien, véritable espéranto de l'art lyrique qui seul permettait aux œuvres de voyager en l'absence de traductions. Au contraire, le Freischütz, tout comme La Flûte enchantée, était composé directement en allemand. Dans cette œuvre mi-parlée, mi-chantée, le jeune Carl Maria von Weber inaugurait surtout un style fantastique en prise avec le romantisme naissant par ses histoires de forêt, de chasseur, de malédiction. Il allait inspirer Wagner mais aussi ds compositeurs français comme Debussy, fasciné par la poésie et les couleurs de cet ouvrage. Quelques années après la création, Hector Berlioz, mécontent de la mauvaise adaptation qu'on avait présentée à l'Odéon, sous le titre Robin des bois, décida de proposer une version française plus fidèle. S'attachant à sa tâche avec beaucoup de soin, il transforma les dialogues parlés en récitatifs pour donner à l'ensemble le rythme d'un « opéra romantique » : celui que Gardiner nous propose aujourd'hui de redécouvrir. Et, tandis que Paris présente Freischütz en français, le Capitole de Toulouse programme Oberon, un autre opéra de Weber dont l'action nous conduit à Bagdad et à Tunis… en langue originale allemande.
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