mercredi 27 avril 2011

Entretien avec Marie-Hélène Piwnik (traductrice de portugais)

Je remercie vivement Marie-Hélène Piwnik d'avoir accepté de répondre à mes questions…


1 – Comment êtes-vous venue à la traduction ?
À la fin des années 80, j’ai proposé à Christian Bourgois pour sa collection « Fin de siècle » la traduction d’un roman d’Eça de Queiroz, auteur portugais de la fin du XIXe siècle, A Cidade e as Serras, qui m’avait passionnée. Mais la collection venait de s’arrêter à la suite de la mort d’Hubert Juin, et c’est finalement La Différence (Joaquim Vital) qui l’a pris et publié sous le titre 202 Champs-Élysées.
2 – Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Dans l’ensemble, elle se tient, mais il y a quelques insuffisances, quelques erreurs.
3 – Comment voyez-vous aujourd’hui le métier de traducteur ?
Le traducteur littéraire est mal payé, mais il aime ce qu’il fait, il aime travailler avec les auteurs qu’il traduit quand ils sont vivants.
4 – Exercez-vous ce métier à plein temps ?
Non.
5 – Quels sont les principaux outils que vous utilisez lorsque vous traduisez un texte ?
Dictionnaires unilingues, Robert, Littré, Larousse, Internet, dictionnaires analogiques, dictionnaires de synonymes, dictionnaires d’expressions, dictionnaires de proverbes, dictionnaires spécialisés si le texte l’exige. Bible si besoin est. J’évite le bilingue sauf nom de fleur ou d’animal qui ne serait pas connu de moi.
6 – Lorsque vous rencontrez une difficulté et que vous êtes bloquée, comment procédez-vous ?
Je continue à traduire en laissant le mot en gras dans mon texte sur ordi. Je reviens dessus soit après avoir tout traduit, soit parce que la traduction m’est venue. Je ne reste pas butée sur la difficulté, qui, en général, est de rendu, pas de compréhension littérale. Si c’est une difficulté de compréhension littérale, je m’adresse à l’auteur s’il est vivant, sinon, j’essaie de comprendre à partir de l’ensemble de l’œuvre de l’écrivain, de son époque, ou je demande à des spécialistes de sa production et de la période.
7 – Vous traduisez des textes de nature différente… Cela constitue-t-il pour chacun des enjeux spécifiques ?
En effet, il s’agit d’enjeux spécifiques. Un texte du XIXe siècle requiert une culture historique des deux pays dont la langue est en regard, et aussi un back-ground de culture générale. Ces deux éléments seront nécessaires pour toute traduction, mais ciblés différemment à chaque fois, y compris, bien sûr, en ce qui concerne la langue, le niveau de langue, l’actualité en contexte pour un roman contemporain, etc.
8 – Se traduit-il beaucoup de littérature portugaise et brésilienne en France ?
La tendance est un peu à la baisse, mais c’est un secteur toujours apprécié. De grandes maisons d’édition sont fidèles à ces littératures, auxquelles il faut ajouter celles de l’Afrique Lusophone (Angola, Mozambique) : La Différence, Métailié, Christian Bourgois, Le Seuil, Viviane Hamy, Gallimard, Michel Chandeigne pour des textes classiques, L’Escampette pour la poésie. Sans compter les traductions de pièces de théâtre.
9 – Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Dans l’ensemble ce sont de bons rapports, même si je n’arrive pas toujours à les joindre directement, car ils sont surbookés. Cela dit, le traducteur est très dépendant de l’éditeur et de son équipe de lecteurs, qui acceptent, ou pas, le nouveau texte de tel ou tel auteur, sans que le traducteur, en gros, ait son mot à dire. Ou qui prennent un autre traducteur parce qu’il va être disponible plus vite, etc.
10 – Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs sur lesquels vous travaillez ?
Ce sont des rapports magnifiques. Dialogue, échange, parfois rencontre. Au bout de quelques années (ou œuvres), surtout avec le mail, on peut parler d’une complicité, voire d’une amitié.
11 – Quel est votre meilleur souvenir de traducteur ? Et le moins bon ?
Mon meilleur souvenir est sûrement le coup de téléphone que m’a passé Gallimard pour me proposer un Mário de Carvalho, alors que je n’avais encore traduit qu’un roman, celui que j’évoque à la question 1.
Mon plus mauvais souvenir est l’intervention sur une de mes traductions, sans que j’en sois prévenue, d’une correctrice ou autre personne de la maison d’édition concernée.
12 – Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Un passeur.
13 – Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Le cas échéant, quel lecteur ?
En tant que professeur de langue (espagnol d’abord, portugais ensuite), tant ma formation dès l’âge de 17 ans, que mon enseignement (25 ans en espagnol, 13 ans en portugais) m’ont constamment confrontée à la traduction, comme lectrice attentive, pointilleuse, mais aussi excitée et joyeuse. La traduction d’œuvres entières a amplifié cette expérience, une musique, un rythme au long cours se sont imposés, qui chantent dans mon oreille quand je traduis, et m’imposent les choix, les changements, etc. Je pense être restée la même lectrice, pour autant sans doute certains éléments des deux (et même trois avec l’espagnol) langues se logent-ils dans ma tête quand je lis.
14 – Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Travailler constamment la langue-cible. Donc, lire beaucoup, beaucoup, beaucoup de français, de toutes les époques, de grands auteurs écrivant directement en français, évidemment. Aller au théâtre, écouter du français. Écouter des CD avec des grands auteurs français lus par de bons acteurs. Ne pas négliger des créateurs linguistiques plus surprenants (San Antonio...) Se cultiver beaucoup sur la langue-source et son contexte culturel, historique, politique.

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