« Quatrièmes de couverture. »
Mercredi matin à la bibliothèque.
Arrivée avant l’ouverture, elle est presque seule à pénétrer l’antre des littératures, sous l’œil bienveillant d’un vénérable bibliothécaire. C’est un mélange d’ancien et de modernité, de vieille pierre et d’éclairages feutrés ; c’est une cathédrale-maison, on s’y sent comme chez soi.
Elle s’avance, les sens en éveil, les yeux écarquillés, attentives aux chuchotements des pages. Elle se faufile entre les étagères sans se fier aux étiquettes qu’on leur a attribuées : combien de livres passionnants auront été écartés, noyés par des codes compliqués parmi des assommoirs et d’ennuyeux traités ?
Ses déambulations la mènent inconsciemment vers la section des littératures étrangères, elle s’arrête face au rayon des nouvelles. Du bout du doigt, elle effleure le dos d’un ouvrage récent. Couverture en nuances de bleu, titre poétique et mystérieux. Elle incline légèrement la tête sur le côté, intriguée ; elle entrouvre le recueil et sent les pages, le neuf et l’encre jeune. Elle lit une phrase au hasard, elle pense pourquoi pas ? Puis elle le retourne, parcourt rapidement la quatrième de couverture. Des informations quelconques sur l’auteur, un résumé qui alterne questions et début de réponses, beaucoup d’infinitifs. Avec une petite moue, elle repose le livre et passe son chemin.
Un peu plus loin, section de littérature française, étagères des romans. Entre plusieurs ouvrages récents, brochés, en format poche pour la plupart, elle repère un livre relié ; sa couverture rouge cartonnée semble patinée par le temps et l’usure. Elle parvient à déchiffrer les lettres dorées, en partie effacées, qui ornent le dos du roman. C’est un Jules Verne.
Elle recommence son rituel : caresser la couverture, sentir sa texture particulière, respirer le parfum du papier vieilli, feuilleter les pages presque craquantes, lire quelques lignes, refermer le livre pour survoler la quatrième de couverture… Vierge. Comme tous les ouvrages reliés, celui-ci garde le mystère sur son contenu. Ouvrez-le et lisez-le, si vous voulez découvrir ses secrets ; il ne vous sera pas vendu – trahi ? – par un éditeur. Vous saurez tout, ou vous ne saurez rien.
Avec un petit sourire, le roman sous le bras, elle se dirige vers un fauteuil de lecture. Elle se plonge dans une histoire d’aventures passionnantes pendant deux heures – peut-être un peu plus, elle ne voit pas le temps passer. Lorsqu’elle atteint le point final, elle garde le livre fermé sur ses genoux un instant, songeuse, avant de le replacer dans les rayonnages.
En repartant, elle passe à nouveau devant l’étagère des nouvelles étrangères. Elle hésite, puis elle saisit le recueil qui avait attiré son attention.
Elle ne se fiera plus aux quatrièmes de couverture…