En photo : Cementerio de la Almudena - Puerta..., par hitkaiser
http://es.wikipedia.org/wiki/Cementerio_de_la_Almudena
Plateforme communautaire et participative de traduction espagnol / français ; français / espagnol – Université Paris Nanterre
mercredi 30 septembre 2009
mardi 29 septembre 2009
En photo : Stéphanie BENSON, entre2noirs.com
Remercions Stéphanie Benson, écrivain aux multiples talents (personnellement, je suis une inconditionnelle ; d'autant que je garde un excellente souvenir d'un lointain Salon du Livre de paris, où j'ai anonymement rencontré une auteure ouverte et chaleureuse… qui a pris le temps de m'écrire une gentille dédicace), enseignante à l'Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3 et animatrice de l'un des deux ateliers d'écriture que suivront la promo 2009-2010, d'avoir accepté de répondre à quelques questions.
Le site officiel de Stéphanie Benson :
http://www.stephaniebenson.org/
1- Depuis quand et comment avez-vous commencé à animer des ateliers d'écriture ?
À peu près en même temps que ma première publication. Les demandes sont venues d'abord d'amis enseignants, puis de personnes qui avaient lu le roman, puis, lors de mes publications jeunesse, d'enseignants un peu partout. Ensuite j'ai travaillé avec Philippe Berthaut à Toulouse qui mène une vraie (et riche) réflexion autour de la question de l'atelier, comment on la conduit, quels sont ses buts, etc. L'atelier, comme les 'creative writing classes' aux Etats-Unis ne créent pas des écrivains. C'est un espace-temps mis à la disposition de chacun pour qu'il établisse une relation avec l'écriture expressive, la plupart du temps de prose et de fiction, mais pas forcément.
2- Dans quelle mesure cela a-t-il une incidence sur votre propre travail en tant qu'écrivain ?
Pour moi — mais je sais que ce n'est pas le cas pour beaucoup de collègues — les ateliers m'ont aidé à analyser mon propre travail et, j'espère, à mieux maîtriser la construction d'un récit. Ils m'ont permis de vite sortir du piège de l'écriture instinctive. Mais beaucoup de collègues estiment que cet instinct n'est pas un piège et ne veulent surtout pas s'en éloigner. Dans ce cas, ils refusent, un peu à la Beckett (je ne peux pas enseigner ce que je ne comprends pas moi-même).
3- Quel genre de méthode suivez-vous… ? Laissez-vous une totale liberté à vos apprentis écrivains ou leur donnez-vous au contraire beaucoup de consignes pour baliser au maximum leur travail ?
Ça dépend beaucoup des participants. Pour le premier atelier M2 Pro, j'avais laissé les participants très libres, et certains ont eu beaucoup de mal. Par la suite, j'ai préféré donner beaucoup de consignes. En fait, c'est moi qui m'occupe de la structure globale du récit, les participants s'occupent de leurs personnages, de les faire exister puis évoluer.
4- Cela vous arrive-t-il d'être confrontée à des gens qui réellement ne sont pas du tout faits pour cela et qui peinent à produire une nouvelle, par exemple ? Que faites-vous dans ce cas-là ?
Oui, bien sûr. Il me semble que cet exercice doit rester dans le domaine du plaisir. Si c'est vraiment trop difficile je suggère autre chose, un poème, par exemple, ou même un texte de réflexion de type essai. Certains de ces textes-là, d'ailleurs, sont magnifiques.
5 - Dans un sondage que nous avons fait récemment sur notre blog, Tradabordo, une bonne majorité a estimé qu'il était indispensable d'écrire soi-même pour traduire correctement… Qu'en pensez-vous ?
Je connais un certain nombre d'excellents traducteurs qui n'écrivent pas, ou très peu. Et on connais tous les cas de traductions extrêmement libres voire infidèles faites par des écrivains. Au sein de la formation, ce ne sont pas forcément les participants les plus à l'aise en écriture expressive qui le sont en traduction. Parfois, si, mais pas systématiquement. En fait, je crois qu'il n'y a pas de règle.
6- Question subsidiaire : le fait d'écrire soi-même, en particulier de la littérature, ne vous semble-t-il pas susceptible de créer des interférences avec la voix de l'auteur que le traducteur a ensuite à traduire ?
Oui, c'est un risque, bien sûr. Encore une fois, je pense que ça dépend de l'écrivain. J'ai traduit l'année dernière l'essai de Virginie Despentes, "King Kong théorie", et parfois j'étais tentée d'y mettre un peu de ma pâte. Mais on a des relecteurs qui font très attention à ce genre de chose. Et cela dépend, encore une fois, de l'auteur de la source et de vos rapports avec lui.
7- Faites-vous de la traduction ?
Voir supra ! Oui, donc. J'ai également traduit des nouvelles de Sherlock Holmes à destination du jeune public ou nous avons volontairement "mis au goût du jour" le style de Conan Doyle. Et puis des petites choses ici et là, quand on me le demande. J'ai longtemps trouvé que j'étais très maladroite dans le passage d'une langue à l'autre. Aujourd'hui, avec l'expérience (pour ne pas dire l'âge) j'aurais peut-être envie de m'y mettre plus régulièrement.
8- Il me semble que vous écrivez majoritairement en français… Pourquoi le français plus que l'anglais ?
Il faudrait dix pages, au moins, pour faire une réponse digne de la question.
9- Êtes-vous traduite, notamment en anglais ? Si c'est le cas, quel rapport entretenez-vous avec cet autre texte qui est en même temps le vôtre et dans cette langue qui est également la vôtre ? Si ce n'est pas le cas, préféreriez-vous faire la traduction vous-même ou la laisser à un tiers ?
Je ne suis pas traduite en anglais. Les Anglais traduisent très peu du français, et plutôt les meilleurs ventes dans lesquelles je ne figure malheureusement pas. Il a été question d'une traduction vers l'anglais que j'aurais confié à un traducteur, mais finalement, l'éditeur n'a pas donné suite. J'ai tenté quelques pages d'auto-traduction de mes textes, et j'ai trouvé ça pénible, mais qui sait, peut-être un jour. Je crois, cependant, que cela serait plutôt une réécriture qu'une traduction. Pour l'écrivain que je suis, le texte n'est pas simplement une question de sens mais également de rythme, de musique, de visualité, une vraie matière. Dans ce cas, je n'aurais pas le même respect pour mes propres textes sources que j'ai quand je traduis le travail de quelqu'un d'autre. Pour les autres traductions, (chinois, tchèque...) bien sûr, la question ne se pose pas (de l'auto-traduction).
10- Lisez-vous fréquemment des traductions françaises de l'anglais ou lisez-vous systématiquement en anglais ?
Oui, je lis des traductions, parfois avec le texte source, parfois seulement le texte en anglais. Ça dépend ce que c'est comme livre, comment je tombe dessus. Parfois je lis des traductions d'amis.
11- Quels conseils donneriez-vous à une promotion de futurs traducteurs ?
Traduisez, traduisez, traduisez. Le plus que vous pouvez. Cette année est une chance. Par la suite, si vous envoyez un essai de traduction à un éditeur et que ce n'est pas au point, ça sera trop tard. Cette année, vous avez la chance de travailler avec des professeurs et des professionnels, ne ratez pas cette chance-là. La traduction doit être une passion. Et plus on traduit, plus les réflexes viennent vite, moins c'est laborieux, donc allez-y. C'est un métier difficile, les places sont chères, profitez de cette formation pour vous imposer de vrais rythmes de traduction, même si votre vie sociale est mise entre parenthèses un petit peu !
Le site officiel de Stéphanie Benson :
http://www.stephaniebenson.org/
1- Depuis quand et comment avez-vous commencé à animer des ateliers d'écriture ?
À peu près en même temps que ma première publication. Les demandes sont venues d'abord d'amis enseignants, puis de personnes qui avaient lu le roman, puis, lors de mes publications jeunesse, d'enseignants un peu partout. Ensuite j'ai travaillé avec Philippe Berthaut à Toulouse qui mène une vraie (et riche) réflexion autour de la question de l'atelier, comment on la conduit, quels sont ses buts, etc. L'atelier, comme les 'creative writing classes' aux Etats-Unis ne créent pas des écrivains. C'est un espace-temps mis à la disposition de chacun pour qu'il établisse une relation avec l'écriture expressive, la plupart du temps de prose et de fiction, mais pas forcément.
2- Dans quelle mesure cela a-t-il une incidence sur votre propre travail en tant qu'écrivain ?
Pour moi — mais je sais que ce n'est pas le cas pour beaucoup de collègues — les ateliers m'ont aidé à analyser mon propre travail et, j'espère, à mieux maîtriser la construction d'un récit. Ils m'ont permis de vite sortir du piège de l'écriture instinctive. Mais beaucoup de collègues estiment que cet instinct n'est pas un piège et ne veulent surtout pas s'en éloigner. Dans ce cas, ils refusent, un peu à la Beckett (je ne peux pas enseigner ce que je ne comprends pas moi-même).
3- Quel genre de méthode suivez-vous… ? Laissez-vous une totale liberté à vos apprentis écrivains ou leur donnez-vous au contraire beaucoup de consignes pour baliser au maximum leur travail ?
Ça dépend beaucoup des participants. Pour le premier atelier M2 Pro, j'avais laissé les participants très libres, et certains ont eu beaucoup de mal. Par la suite, j'ai préféré donner beaucoup de consignes. En fait, c'est moi qui m'occupe de la structure globale du récit, les participants s'occupent de leurs personnages, de les faire exister puis évoluer.
4- Cela vous arrive-t-il d'être confrontée à des gens qui réellement ne sont pas du tout faits pour cela et qui peinent à produire une nouvelle, par exemple ? Que faites-vous dans ce cas-là ?
Oui, bien sûr. Il me semble que cet exercice doit rester dans le domaine du plaisir. Si c'est vraiment trop difficile je suggère autre chose, un poème, par exemple, ou même un texte de réflexion de type essai. Certains de ces textes-là, d'ailleurs, sont magnifiques.
5 - Dans un sondage que nous avons fait récemment sur notre blog, Tradabordo, une bonne majorité a estimé qu'il était indispensable d'écrire soi-même pour traduire correctement… Qu'en pensez-vous ?
Je connais un certain nombre d'excellents traducteurs qui n'écrivent pas, ou très peu. Et on connais tous les cas de traductions extrêmement libres voire infidèles faites par des écrivains. Au sein de la formation, ce ne sont pas forcément les participants les plus à l'aise en écriture expressive qui le sont en traduction. Parfois, si, mais pas systématiquement. En fait, je crois qu'il n'y a pas de règle.
6- Question subsidiaire : le fait d'écrire soi-même, en particulier de la littérature, ne vous semble-t-il pas susceptible de créer des interférences avec la voix de l'auteur que le traducteur a ensuite à traduire ?
Oui, c'est un risque, bien sûr. Encore une fois, je pense que ça dépend de l'écrivain. J'ai traduit l'année dernière l'essai de Virginie Despentes, "King Kong théorie", et parfois j'étais tentée d'y mettre un peu de ma pâte. Mais on a des relecteurs qui font très attention à ce genre de chose. Et cela dépend, encore une fois, de l'auteur de la source et de vos rapports avec lui.
7- Faites-vous de la traduction ?
Voir supra ! Oui, donc. J'ai également traduit des nouvelles de Sherlock Holmes à destination du jeune public ou nous avons volontairement "mis au goût du jour" le style de Conan Doyle. Et puis des petites choses ici et là, quand on me le demande. J'ai longtemps trouvé que j'étais très maladroite dans le passage d'une langue à l'autre. Aujourd'hui, avec l'expérience (pour ne pas dire l'âge) j'aurais peut-être envie de m'y mettre plus régulièrement.
8- Il me semble que vous écrivez majoritairement en français… Pourquoi le français plus que l'anglais ?
Il faudrait dix pages, au moins, pour faire une réponse digne de la question.
9- Êtes-vous traduite, notamment en anglais ? Si c'est le cas, quel rapport entretenez-vous avec cet autre texte qui est en même temps le vôtre et dans cette langue qui est également la vôtre ? Si ce n'est pas le cas, préféreriez-vous faire la traduction vous-même ou la laisser à un tiers ?
Je ne suis pas traduite en anglais. Les Anglais traduisent très peu du français, et plutôt les meilleurs ventes dans lesquelles je ne figure malheureusement pas. Il a été question d'une traduction vers l'anglais que j'aurais confié à un traducteur, mais finalement, l'éditeur n'a pas donné suite. J'ai tenté quelques pages d'auto-traduction de mes textes, et j'ai trouvé ça pénible, mais qui sait, peut-être un jour. Je crois, cependant, que cela serait plutôt une réécriture qu'une traduction. Pour l'écrivain que je suis, le texte n'est pas simplement une question de sens mais également de rythme, de musique, de visualité, une vraie matière. Dans ce cas, je n'aurais pas le même respect pour mes propres textes sources que j'ai quand je traduis le travail de quelqu'un d'autre. Pour les autres traductions, (chinois, tchèque...) bien sûr, la question ne se pose pas (de l'auto-traduction).
10- Lisez-vous fréquemment des traductions françaises de l'anglais ou lisez-vous systématiquement en anglais ?
Oui, je lis des traductions, parfois avec le texte source, parfois seulement le texte en anglais. Ça dépend ce que c'est comme livre, comment je tombe dessus. Parfois je lis des traductions d'amis.
11- Quels conseils donneriez-vous à une promotion de futurs traducteurs ?
Traduisez, traduisez, traduisez. Le plus que vous pouvez. Cette année est une chance. Par la suite, si vous envoyez un essai de traduction à un éditeur et que ce n'est pas au point, ça sera trop tard. Cette année, vous avez la chance de travailler avec des professeurs et des professionnels, ne ratez pas cette chance-là. La traduction doit être une passion. Et plus on traduit, plus les réflexes viennent vite, moins c'est laborieux, donc allez-y. C'est un métier difficile, les places sont chères, profitez de cette formation pour vous imposer de vrais rythmes de traduction, même si votre vie sociale est mise entre parenthèses un petit peu !
À propos du Forum de discussion
Afin de suivre les discussions en cours et de ne pas manquer celles qui apparaissent, je vous conseille, quand vous arrivez sur le Forum, de cliquer sur « Voir les nouveaux messages depuis votre dernière visite ». Sinon, il est plutôt compliqué de repérer qu'il y a eu du mouvement.
lundi 28 septembre 2009
Pour celles qui se posent la question…
… de l'emploi du temps, je vous confirme que je ne sais encore rien. Tout ce que je peux vous dire, c'est que les ateliers de traduction collective auront lieu le jeudi, de 13h30 à 17h30. Pour le reste, il me semble comprendre que finalement, nous commencerons la semaine du 12 octobre, mais sans la moindre certitude.
Précision à propos de l'exercice d'écriture « description d'une pomme »
Les textes sont à envoyer au plus tard vendredi… et je les publierai tous en même temps, dans un post commun.
Bonne dégustation !
Bonne dégustation !
Références culturelles, 232 : La fiesta del tambor
En photo : Fiesta del tambor, par Lefides
Document en version .doc à l'adresse suivante :
http://www.trovamex.com/luisku/fiesta_del_tambor.doc
Document en version .doc à l'adresse suivante :
http://www.trovamex.com/luisku/fiesta_del_tambor.doc
dimanche 27 septembre 2009
À propos du site
Toujours en vue de l'établissement de plates-formes de communication communes à l'anglais et à l'espagnol (cette année encore, le parcours allemand n'ouvrira pas, faute d'un nombre suffisant de candidats), je suis en train de reprendre la composition du site, jusque-là assez primaire. Déjà de grands changements… même si j'ai encore pas mal de travail. C'est long ! Et Puis il nous reste aussi à égayer tout cela avec des photos. Y a-t-il un ou plusieurs volontaires pour m'accompagner dans une petite virée du campus où nous prendrions les meilleurs clichés ? Par ailleurs, il faut que nous ajoutions la liste des nouvelles apprenties… que nous fassions de la place à la promo Aline Schulman.
Si vous avez des idées, n'hésitez pas… Attention, je ne peux pas non plus faire des miracles.
L'adresse figure dans la colonne de droite, mais je vous la rappelle :
http://masterprotrad.free.fr
Si vous avez des idées, n'hésitez pas… Attention, je ne peux pas non plus faire des miracles.
L'adresse figure dans la colonne de droite, mais je vous la rappelle :
http://masterprotrad.free.fr
À propos du Forum de discussion
En photo : Phobia for I.F, par ironmarc
Merci à toutes celles et tous ceux d'entre vous qui ont joué le jeu en s'inscrivant rapidement. 10 membres en un peu plus d'une journée, c'est un bon bilan de départ. Vous avez évidemment la possibilité d'inviter les gens que vous voulez à participer. Pour ma part, j'attends les anglicistes avec impatience. Et mes collègues.
Quoi qu'il en soit, cela me semble vraiment un très bon outil pour communiquer et échanger. Je ne sais pas si nous viendrons à bout de notre « petit doute au sujet d'une traduction officielle », mais au moins la conversation aura-t-elle été fructueuse. J'espère que cela vous incitera à soumettre vos problèmes de traduction aux autres quand vous en rencontrerez…
Ce post pour vous signaler qu'après avoir été – logiquement ! – repérés par les moteurs de recherche de Google, nous subissons à présent une avalanche de publicités. Certaines sont inévitables (et je le regrette bien, car cela prend parfois une dimension franchement intrusive), d'autres sont contournables avec un peu d'habileté technique. Nous en parlerons à la rentrée. Que ça ne nous empêche pas de continuer à nous amuser !
Quoi qu'il en soit, cela me semble vraiment un très bon outil pour communiquer et échanger. Je ne sais pas si nous viendrons à bout de notre « petit doute au sujet d'une traduction officielle », mais au moins la conversation aura-t-elle été fructueuse. J'espère que cela vous incitera à soumettre vos problèmes de traduction aux autres quand vous en rencontrerez…
Ce post pour vous signaler qu'après avoir été – logiquement ! – repérés par les moteurs de recherche de Google, nous subissons à présent une avalanche de publicités. Certaines sont inévitables (et je le regrette bien, car cela prend parfois une dimension franchement intrusive), d'autres sont contournables avec un peu d'habileté technique. Nous en parlerons à la rentrée. Que ça ne nous empêche pas de continuer à nous amuser !
Résultats du sondage : « Faut-il nécessairement écrire soi-même pour bien traduire ?
Sur 16 votants, nous obtenons les résultats suivants :
Oui = 11 voix (68%)
Non = 5 voix (31%)
En guise de commentaire à ce sondage, je vous en propose un autre, complémentaire : « Écrire soi-même ne risque-t-il pas de provoquer de néfastes interférences dans le travail de traduction ? »
Oui = 11 voix (68%)
Non = 5 voix (31%)
En guise de commentaire à ce sondage, je vous en propose un autre, complémentaire : « Écrire soi-même ne risque-t-il pas de provoquer de néfastes interférences dans le travail de traduction ? »
Votre thème du week-end, Maupassant
En photo : Guy de Maupassant
par jadc01
par jadc01
Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant.
Comme il portait beau par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier.
Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges, mal peignée, négligée, coiffée d’un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d’une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituées de cette gargote à prix fixe.
Lorsqu’il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu’il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela représentait deux dîners sans déjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C’était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits ; et il se mit à descendre la
rue Notre-Dame-de-Lorette.
Il marchait ainsi qu’au temps où il portait l’uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s’il venait de descendre de cheval ; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l’oreille son chapeau à haute forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l’air de toujours défier quelqu’un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil.
Quoique habillé d’un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
Comme il portait beau par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier.
Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges, mal peignée, négligée, coiffée d’un chapeau toujours poussiéreux et vêtue toujours d’une robe de travers, et deux bourgeoises avec leurs maris, habituées de cette gargote à prix fixe.
Lorsqu’il fut sur le trottoir, il demeura un instant immobile, se demandant ce qu’il allait faire. On était au 28 juin, et il lui restait juste en poche trois francs quarante pour finir le mois. Cela représentait deux dîners sans déjeuners, ou deux déjeuners sans dîners, au choix. Il réfléchit que les repas du matin étant de vingt-deux sous, au lieu de trente que coûtaient ceux du soir, il lui resterait, en se contentant des déjeuners, un franc vingt centimes de boni, ce qui représentait encore deux collations au pain et au saucisson, plus deux bocks sur le boulevard. C’était là sa grande dépense et son grand plaisir des nuits ; et il se mit à descendre la
rue Notre-Dame-de-Lorette.
Il marchait ainsi qu’au temps où il portait l’uniforme des hussards, la poitrine bombée, les jambes un peu entrouvertes comme s’il venait de descendre de cheval ; et il avançait brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route. Il inclinait légèrement sur l’oreille son chapeau à haute forme assez défraîchi, et battait le pavé de son talon. Il avait l’air de toujours défier quelqu’un, les passants, les maisons, la ville entière, par chic de beau soldat tombé dans le civil.
Quoique habillé d’un complet de soixante francs, il gardait une certaine élégance tapageuse, un peu commune, réelle cependant. Grand, bien fait, blond, d’un blond châtain vaguement roussi, avec une moustache retroussée, qui semblait mousser sur sa lèvre, des yeux bleus, clairs, troués d’une pupille toute petite, des cheveux frisés naturellement, séparés par une raie au milieu du crâne, il ressemblait bien au mauvais sujet des romans populaires.
Guy de Maupassant, Bel Ami, 1885.
samedi 26 septembre 2009
Du nouveau pour la commnauté
En photo : Trabzon Forum, par yasinkaya
Dans l'ensemble du chantier de construction de ponts avec nos amis anglicistes, je viens de mettre sur pied un Forum, « traduisons, discutons ». Je vous invite à aller y faire une visite pour un premier tour du propriétaire, puis à vous y inscrire. Pour les apprentis, c'est une « obligation » (car y figureront notamment quantité de ces informations pratiques, une date, une salle, un horaire, etc. que vous avez ensuite tant de mal à retrouver sur le blog quand le temps a fait son travail d'écrasement). Pour les autres Tradabordiens, j'espère que vous nous y rejoindrez également ; nous y parlerons de traduction, avec des questions minuscules ou gigantesques… Plus nous serons nombreux, plus les échanges seront riches et utiles pour tous, notamment pour vous, chères apprenties, lorsque vous rencontrerez des problèmes avec vos traductions longues
À bientôt, dans ce nouvel espace, un satellite du blog.
Si l'une ou l'un d'entre vous rencontre le moindre problème pour comprendre le fonctionnement des lieux, n'hésitez pas à me poser des questions… Cela dit, dans ce genre de cas, le mieux est encore de cliquer un peu partout jusqu'à ce qu'il en sorte quelque chose. Première étape : bouton d'allumage marron en haut à droite pour vous inscrire.
http://bx3traduisons.forumactif.com
À bientôt, dans ce nouvel espace, un satellite du blog.
Si l'une ou l'un d'entre vous rencontre le moindre problème pour comprendre le fonctionnement des lieux, n'hésitez pas à me poser des questions… Cela dit, dans ce genre de cas, le mieux est encore de cliquer un peu partout jusqu'à ce qu'il en sorte quelque chose. Première étape : bouton d'allumage marron en haut à droite pour vous inscrire.
http://bx3traduisons.forumactif.com
références culturelles, 230 : El zócalo de México
En photo : Catedral del Zócalo, par Felixe
http://es.wikipedia.org/wiki/Plaza_de_la_Constituci%C3%B3n_(Ciudad_de_M%C3%A9xico)
http://es.wikipedia.org/wiki/Plaza_de_la_Constituci%C3%B3n_(Ciudad_de_M%C3%A9xico)
vendredi 25 septembre 2009
Une mission pour les apprenties
Nous avons décidé, en concertation avec Véronique Béghain et l'ensemble de l'équipe enseignante d'anglais, d'avoir désormais un seul et même site pour le Master (j'ai bien dit site et non blog… car sur Trabadorbo, nous restons entre hispanistes), avec ses différents parcours. Je vais donc m'atteler au travail d'étendre et d'étoffer la plate-forme que nous avons déjà pour l'espagnol. Pour ce faire, je vous demande votre aide à chacune : il s'agira pour vous d'entrer en contact avec les intervenants des ateliers de traduction de l'anglais [je vous donnerai leurs coordonnées électroniques ; à vous, ensuite, de décider ensemble si vous faites cela par mail ou si c'est l'occasion d'une rencontre sur le campus… Dans la mesure où ce sont tous des traducteurs professionnels expérimentés, cela risque d'être intéressant] et de leur soumettre notre fameux « questionnaire spécial traducteurs ». Vous pourrez ajouer des questions, le cas échéant. Prenez cela comme une base et non comme une grille limitative. Après avoir publié sur notre blog le fruit de vos échanges, nous les ferons figurer sur le site… ; l'objectif étant de faire connaître notre formation et de la mettre en valeur.
Un billet de Laure Gentile (promo 2008-2009)
En photo : Pila de libros por leer, par Eduardo!
Je m’obstine à repérer et à synthétiser pour vous tous les articles sur lesquels je tombe et dont l’objet est le livre… le support de notre passion !
Réjouissez-vous d'apprendre (dans un article paru dans le Monde aujourd’hui, 25 septembre 2009), que le livre est le produit le plus vendu en volume sur internet. Ses ventes drainent des milliards d’euros de chiffre d’affaire, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, et les sites des grands groupes de vente (Fnac.com, Amazon…) de même que ceux des librairies indépendantes (comme notre incontournable Mollat…) sont visités par des dizaines de millions de personnes.
Une des raisons du succès de la vente de livres sur internet est le catalogue très diversifié que le web peut proposer : des dizaines de milliers de références peuvent être recensées, tandis qu’une librairie ne peut mettre en rayon que 15 000 références… Quand on sait qu’en France seulement, 60 000 nouveautés sortent chaque année, inutile de dire que le catalogue proposé sur les différents sites est plus apte à tout référencer que des rayons de librairies, somme toute limités en place.
Le livre a donc de beaux jours devant lui, mais la bonne vente n’est forcément porteuse de bonne littérature. L’éternel problème de l’offre excessive et du pilon qui attend beaucoup de feuillets non lus, non vendus, ne s’en trouvera qu’accru. La vente par internet ne représente actuellement que 8 à 10% des ventes totales, mais ce pourcentage, grandissant, entraîne avec lui un accroissement de l’offre qui peut risquer de perdre le lecteur… C’est un topique bien connu : quand le consommateur se perd dans une offre excessive, il ne sait plus consommer… Si cela est vrai avec les produits de consommation alimentaire, pourquoi cela ne s’appliquerait-il pas à la consommation de littérature ?
Je vous laisse sur ces dernières remarques très personnelles, pures conjectures qui ne demandent qu’à être contredites ou confirmées par les commentaires des blogueurs de Tradabordo !
Réjouissez-vous d'apprendre (dans un article paru dans le Monde aujourd’hui, 25 septembre 2009), que le livre est le produit le plus vendu en volume sur internet. Ses ventes drainent des milliards d’euros de chiffre d’affaire, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, et les sites des grands groupes de vente (Fnac.com, Amazon…) de même que ceux des librairies indépendantes (comme notre incontournable Mollat…) sont visités par des dizaines de millions de personnes.
Une des raisons du succès de la vente de livres sur internet est le catalogue très diversifié que le web peut proposer : des dizaines de milliers de références peuvent être recensées, tandis qu’une librairie ne peut mettre en rayon que 15 000 références… Quand on sait qu’en France seulement, 60 000 nouveautés sortent chaque année, inutile de dire que le catalogue proposé sur les différents sites est plus apte à tout référencer que des rayons de librairies, somme toute limités en place.
Le livre a donc de beaux jours devant lui, mais la bonne vente n’est forcément porteuse de bonne littérature. L’éternel problème de l’offre excessive et du pilon qui attend beaucoup de feuillets non lus, non vendus, ne s’en trouvera qu’accru. La vente par internet ne représente actuellement que 8 à 10% des ventes totales, mais ce pourcentage, grandissant, entraîne avec lui un accroissement de l’offre qui peut risquer de perdre le lecteur… C’est un topique bien connu : quand le consommateur se perd dans une offre excessive, il ne sait plus consommer… Si cela est vrai avec les produits de consommation alimentaire, pourquoi cela ne s’appliquerait-il pas à la consommation de littérature ?
Je vous laisse sur ces dernières remarques très personnelles, pures conjectures qui ne demandent qu’à être contredites ou confirmées par les commentaires des blogueurs de Tradabordo !
Libellés :
Billets des apprentis,
promo Anne Dacier
À propos du sondage d'aujourd'hui « Le traducteur est-il un écrivain frustré ? »
La question – je le rappelle aux nouveaux – avait surgi après une discussion avec Jean-Marie Saint-Lu, qui nous avait dit s'être lancé dans la traduction précisément faute de pouvoir écrire lui-même et, finalement, d'y trouver des satisfactions relativement compensatoires. Et vous ?
Résultats du sondage 2008-2009, version 2 : « Comment faites-vous vos permiers jets… ? »
Sur 18 votants, nous obtenons les résultats suivants :
Stylo = 7 voix (38%)
Ordinateur = 11 voix (61%)
Si nous ne parlons pas de versions de quelques lignes mais bien de traductions longues, je me demande combien de temps vous (vous, les « gens du stylo ») prend ensuite de recopier votre premier jet… Quand je pense qu'un éditeur donne en moyenne trois mois au traducteur pour achever une traduction, ça me paraît une belle perte de temps. Mais après tout, ça représente peut-être un investissement pour limiter le nombre de relectures finales. Je ne sais pas si l'un d'entre vous répondra à ma question, mais j'aimerais que vous me disiez si vous travaillez ainsi par habitude ou parce que vous avez réellement besoin de cette étape par le papier.
Pour rappel, voici ce que le même sondage avait donné l'année dernière :
Stylo = 4 voix
Ordinateur = 7 voix
Stylo = 7 voix (38%)
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Si nous ne parlons pas de versions de quelques lignes mais bien de traductions longues, je me demande combien de temps vous (vous, les « gens du stylo ») prend ensuite de recopier votre premier jet… Quand je pense qu'un éditeur donne en moyenne trois mois au traducteur pour achever une traduction, ça me paraît une belle perte de temps. Mais après tout, ça représente peut-être un investissement pour limiter le nombre de relectures finales. Je ne sais pas si l'un d'entre vous répondra à ma question, mais j'aimerais que vous me disiez si vous travaillez ainsi par habitude ou parce que vous avez réellement besoin de cette étape par le papier.
Pour rappel, voici ce que le même sondage avait donné l'année dernière :
Stylo = 4 voix
Ordinateur = 7 voix
Un nouveau travail d'écriture
En photo : Proyecto Común: Un Tenedor Y Una..., par Manu Pombrol
À présent que j'ai presque la totalité des exercices de stylistique (il me manque celui des deux Laëtitia et d'Auréba), je vous donne un autre petit travail d'écriture pour la semaine : cette fois, il s'agira de quelque chose de très simple en soi, mais sans doute pas commode à mettre en pratique (vous me direz)… Je vous demande une description, la description d'une pomme. Oui, vous avez bien lu, décrirez-moi une banale pomme. Une seule consigne : 15 lignes maximum et 10 minimum.
Au travail !
Au travail !
Votre version de la semaine, Unamuno
En photo : Vers de Miguel de Unamuno, par papagenosi
Era a Rosa y no a su hermana Gertrudis,que siempre salía de casa con ella,a quien ceñían aquellas ansiosas miradas que les enderezaba Ramiro. O por lo menos, así lo creían ambos, Ramiro y Rosa, al atraerse el uno al otro.
Formaban las dos hermanas, siempre juntas, aunque no por eso unidas siempre, una pareja al parecer indisoluble, y como un solo valor. Era la hermosura espléndida y algún tanto provocativa de Rosa, flor de carne que se abría a flor del cielo a toda luz y todo viento, la que llevaba de primera vez las miradas a la pareja ; pero eran luego los ojos tenaces de Gertrudis los que sujetaban a los ojos que se habían fijado en ellos y los que a la par les ponían raya. Hubo quien al verlas pasar preparó algún chicoleo un poco más subido de tono;mas tuvo que contenerse al tropezar con el reproche de aquellos ojos de Gertrudis, que hablaban mudamente de seriedad. « Con esta pareja no se juega»,parecía decir con sus miradas silenciosas.
Y bien miradas y de cerca aún despertaba más Gertrudis el ansia de goce. Mientras su hermana Rosa abría espléndidamente a todo viento y toda luz la flor de su encarnadura, ella era como un cofre cerrado y sellado en que se adivina un tesoro de ternuras y delicias secretas.
Pero Ramiro,que llevaba el alma toda a flor de los ojos,no creyó ver más que a Rosa,y a Rosa se dirigió desde luego.
-¿Sabes que me ha escrito? -le dijo ésta a su hermana.
-Sí,vi la carta.
-¿Cómo? ¿Que la viste? ¿Es que me espías?
-¿Podía dejar de haberla visto? No,yo no espío nunca,ya lo sabes,y has dicho eso no más que por decirlo...
-Tienes razón,Tula,perdónamelo.
-Sí,una vez más,porque tú eres así.Yo no espío,pero tampoco oculto nunca nada.Vi la carta.
-Ya lo sé ; ya lo sé...
-He visto la carta y la esperaba.
-Y bien,¿qué te parece de Ramiro?
-No le conozco.
-Pero no hace falta conocer a un hombre para decir lo que le parece a una de él.
-A mí,sí.
-Pero lo que se ve,lo que está a la vista...
-Ni de eso puedo juzgar sin conocerle.
-¿Es que no tienes ojos en la cara?
-Acaso no los tenga así... ; ya sabes que soy corta de vista.
-¡Pretextos! Pues mira,chica,es un guapo mozo.
-Así parece.
-Y simpático.
-Con que te lo sea a ti,basta.
-¿Pero es que crees que le he dicho ya que sí?
-Sé que se lo dirás al cabo,y basta.
-No importa;hay que hacerle esperar y hasta rabiar un poco...
-¿Para qué?
-Hay que hacerse valer.
-Así no te haces valer,Rosa;y ese coqueteo es cosa muy fea.
-De modo que tú...
-A mí no se me ha dirigido.
-¿Y si se hubiera dirigido a ti?
-No sirve preguntar cosas sin sustancia.
-Pero tú,si a ti se te dirige,¿qué le habrías contestado?
-Yo no he dicho que me parece un guapo mozo y que es simpático,y por eso me habría puesto a estudiarle...
-Y entretanto se iba a otra...
-Es lo más probable.
-Pues así,hija,ya puedes prepararte...
-Sí,a ser tía.
-¿Cómo tía?
-Tía de tus hijos,Rosa.
-¡Eh,quécosas tienes! -y se le quebró la voz.
-Vamos, Rosita,no te pongas así,y perdóname -le dijo dándole un beso.
-Pero si vuelves...
-¡No,no volveré!
-Y bien,¿qué le digo?
-¡Dile que sí!
-Pero pensará que soy demasiado fácil...
-¡Entonces dile que no!
-Pero es que...
-Sí, que te parece un guapo mozo y simpático. Dile, pues, que sí y no andes con más coqueterías, que eso es
feo.Dile que sí.Después de todo,no es fácil que se te presente mejor partido.Ramiro está muy bien,es hijo solo.
-Yo no he hablado de eso.
-Pero yo hablo de ello,Rosa,y es igual.
-¿Y no dirán,Tula,que tengo ganas de novio? -Y dirán bien.
-¿Otra vez,Tula?
Y ciento. Tienes ganas de novio y es natural que las tengas.¿Para qué si no te hizo Dios tan guapa?
-¡Guasitas no!
Ya sabes que yo nome guaseo. Parézcanos bien o mal, nuestra carrera es el matrimonio o el convento ; tú no tienes vocación de monja; Dios te hizo para el mundo y el hogar, vamos, para madre de familia... No vas a quedarte a vestir santos.Dile,pues,que si.
-¿Y tú?
-¿Cómo yo?
-Que tú,luego...
-A mí déjame.
Al día siguiente de estas palabras estaban ya en lo que se llaman relaciones amorosas Rosa y Ramiro.
Lo que empezó a cuajar la soledad de Gertrudis.
Formaban las dos hermanas, siempre juntas, aunque no por eso unidas siempre, una pareja al parecer indisoluble, y como un solo valor. Era la hermosura espléndida y algún tanto provocativa de Rosa, flor de carne que se abría a flor del cielo a toda luz y todo viento, la que llevaba de primera vez las miradas a la pareja ; pero eran luego los ojos tenaces de Gertrudis los que sujetaban a los ojos que se habían fijado en ellos y los que a la par les ponían raya. Hubo quien al verlas pasar preparó algún chicoleo un poco más subido de tono;mas tuvo que contenerse al tropezar con el reproche de aquellos ojos de Gertrudis, que hablaban mudamente de seriedad. « Con esta pareja no se juega»,parecía decir con sus miradas silenciosas.
Y bien miradas y de cerca aún despertaba más Gertrudis el ansia de goce. Mientras su hermana Rosa abría espléndidamente a todo viento y toda luz la flor de su encarnadura, ella era como un cofre cerrado y sellado en que se adivina un tesoro de ternuras y delicias secretas.
Pero Ramiro,que llevaba el alma toda a flor de los ojos,no creyó ver más que a Rosa,y a Rosa se dirigió desde luego.
-¿Sabes que me ha escrito? -le dijo ésta a su hermana.
-Sí,vi la carta.
-¿Cómo? ¿Que la viste? ¿Es que me espías?
-¿Podía dejar de haberla visto? No,yo no espío nunca,ya lo sabes,y has dicho eso no más que por decirlo...
-Tienes razón,Tula,perdónamelo.
-Sí,una vez más,porque tú eres así.Yo no espío,pero tampoco oculto nunca nada.Vi la carta.
-Ya lo sé ; ya lo sé...
-He visto la carta y la esperaba.
-Y bien,¿qué te parece de Ramiro?
-No le conozco.
-Pero no hace falta conocer a un hombre para decir lo que le parece a una de él.
-A mí,sí.
-Pero lo que se ve,lo que está a la vista...
-Ni de eso puedo juzgar sin conocerle.
-¿Es que no tienes ojos en la cara?
-Acaso no los tenga así... ; ya sabes que soy corta de vista.
-¡Pretextos! Pues mira,chica,es un guapo mozo.
-Así parece.
-Y simpático.
-Con que te lo sea a ti,basta.
-¿Pero es que crees que le he dicho ya que sí?
-Sé que se lo dirás al cabo,y basta.
-No importa;hay que hacerle esperar y hasta rabiar un poco...
-¿Para qué?
-Hay que hacerse valer.
-Así no te haces valer,Rosa;y ese coqueteo es cosa muy fea.
-De modo que tú...
-A mí no se me ha dirigido.
-¿Y si se hubiera dirigido a ti?
-No sirve preguntar cosas sin sustancia.
-Pero tú,si a ti se te dirige,¿qué le habrías contestado?
-Yo no he dicho que me parece un guapo mozo y que es simpático,y por eso me habría puesto a estudiarle...
-Y entretanto se iba a otra...
-Es lo más probable.
-Pues así,hija,ya puedes prepararte...
-Sí,a ser tía.
-¿Cómo tía?
-Tía de tus hijos,Rosa.
-¡Eh,quécosas tienes! -y se le quebró la voz.
-Vamos, Rosita,no te pongas así,y perdóname -le dijo dándole un beso.
-Pero si vuelves...
-¡No,no volveré!
-Y bien,¿qué le digo?
-¡Dile que sí!
-Pero pensará que soy demasiado fácil...
-¡Entonces dile que no!
-Pero es que...
-Sí, que te parece un guapo mozo y simpático. Dile, pues, que sí y no andes con más coqueterías, que eso es
feo.Dile que sí.Después de todo,no es fácil que se te presente mejor partido.Ramiro está muy bien,es hijo solo.
-Yo no he hablado de eso.
-Pero yo hablo de ello,Rosa,y es igual.
-¿Y no dirán,Tula,que tengo ganas de novio? -Y dirán bien.
-¿Otra vez,Tula?
Y ciento. Tienes ganas de novio y es natural que las tengas.¿Para qué si no te hizo Dios tan guapa?
-¡Guasitas no!
Ya sabes que yo nome guaseo. Parézcanos bien o mal, nuestra carrera es el matrimonio o el convento ; tú no tienes vocación de monja; Dios te hizo para el mundo y el hogar, vamos, para madre de familia... No vas a quedarte a vestir santos.Dile,pues,que si.
-¿Y tú?
-¿Cómo yo?
-Que tú,luego...
-A mí déjame.
Al día siguiente de estas palabras estaban ya en lo que se llaman relaciones amorosas Rosa y Ramiro.
Lo que empezó a cuajar la soledad de Gertrudis.
Miguel de Unamuno, La tía Tula.
***
Sonita nous propose sa traduction :
C’était Rosa, et non pas sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours de la maison avec elle, à qui étaient destinés ces regards langoureux que Ramiro leur jetait. Ou du moins, le croyaient-ils, Ramiro et Rosa, en se faisant les yeux doux.
Les deux sœurs, faisaient, toujours ensemble, mais pas pour autant toujours unies, un couple qu’on aurait dit inséparable, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait à la fleur du ciel dans toute sa splendeur et à tout va à qui étaient destinés au prime abord tous les regards que le couple recevait ; mais ensuite, c’étaient les yeux tenaces de Gertrudis qui soutenaient les regards qui s’étaient arrêtés sur eux et par là même elle les tenait à carreaux. Il y en eût, qu’en les voyant passer, préparât un quelconque compliment plus osé ; mais il dut se contenir en se heurtant au reproche dans les yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de sérieux. « Avec nous, on ne joue pas », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
En y regardant bien et de près c’est Gertrudis qui éveillait le plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur ouvrait aux quatre vents et à tout va dans toute sa splendeur la fleur de sa jeunesse, Gertrudis, elle, était comme un coffre-fort fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et délices secrètes.
Mais, Ramiro, qui avait tout son âme à fleur des yeux, ne crût pas en voir une autre que Rosa, alors c’est à Rosa qu’il s’est adressé.
Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit celle-ci à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment ça, tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
Est-ce que je pouvais ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit cela juste comme ça…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas et je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
Je le sais bien, je le sais bien…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et bien, qu’en dis-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais on n’a pas besoin de connaître un homme pour dire comment on le trouve.
Moi oui.
Mais, je parle de ce qu’on voit, de ce qui est là, aux yeux de tous.
Je ne peux pas non plus juger de cela sans le connaître.
Tu n’as pas des yeux sur la figure ?
Peut-être que je ne les ai pas de cette manière là… tu sais bien que je suis myope.
Prétextes ! Et bien écoute ma vieille, c’est un beau garçon.
On dirait, oui
Et sympathique.
Qu’il le soit pour toi c’est tout ce qui importe.
Mais, crois-tu que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le lui diras au bout du compte et ça me suffit.
Passons, il faut le faire attendre et même l’embêter un peu…
Pourquoi faire ?
Il faut se faire valoir.
Tu ne te fais pas valoir comme ça Rosa et flirter de la sorte c’est une chose très moche.
Donc tu…
Il ne s’est pas adressé à moi.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de me demander des choses sans queue ni tête.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, qu’es-ce que tu lui aurais répondu ?
Moi je n’ai pas dit qu’il était beau garçon ni qu’il était sympathique, et que pour cette raison je m’étais mise à le jauger.
Et, pendant ce temps-là il s’en va avec une autre…
C’est très probable, oui.
Bon alors, ma fille, tu peux d’ores et déjà commencer à te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça tante ?
La tante de tes enfants Rosa.
Oh ! Tu as de ces choses ! – et sa voix se cassa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, et pardonne-moi – lui dit-elle en l’embrassant.
Mais si tu redis…
Non, je ne le redirai pas.
Et bien, qu’est-ce que je lui dis alors ?
Dis-lui oui !
Mais, il pensera que je suis trop facile…
Alors, dis-lui non.
Mais…
Oui, tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui donc oui et laisse tomber les minauderies car ce n’est pas bien ça. Dis-lui oui. Après tout ce n’est pas facile qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi oui, je parle de ça Rosa, et c’est la même chose.
Et, Tula, les gens ne diront pas que j’ai envie d’un petit-ami ?
Et ils auront bien raison.
Encore Tula ?
Et cent fois. Tu as envie d’avoir un petit-ami et c’est normal que tu en aies envie. Pourquoi alors Dieu t’a faite si belle ?
Arrête de rigoler, non !
Tu sais bien que je ne rigole pas. Que cela nous semble bien ou pas notre carrière c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, allons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas aller vêtir des saints. Eh bien, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment ça, moi ?
Et bien toi, après…
Ne t’en fais pas pour moi.
Au lendemain de ces mots Rosa et Ramiro se fréquentaient déjà dans ce qu’on appelle une relation amoureuse.
Ce qui commença à creuser la solitude de Gertrudis.
C’était Rosa, et non pas sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours de la maison avec elle, à qui étaient destinés ces regards langoureux que Ramiro leur jetait. Ou du moins, le croyaient-ils, Ramiro et Rosa, en se faisant les yeux doux.
Les deux sœurs, faisaient, toujours ensemble, mais pas pour autant toujours unies, un couple qu’on aurait dit inséparable, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait à la fleur du ciel dans toute sa splendeur et à tout va à qui étaient destinés au prime abord tous les regards que le couple recevait ; mais ensuite, c’étaient les yeux tenaces de Gertrudis qui soutenaient les regards qui s’étaient arrêtés sur eux et par là même elle les tenait à carreaux. Il y en eût, qu’en les voyant passer, préparât un quelconque compliment plus osé ; mais il dut se contenir en se heurtant au reproche dans les yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de sérieux. « Avec nous, on ne joue pas », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
En y regardant bien et de près c’est Gertrudis qui éveillait le plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur ouvrait aux quatre vents et à tout va dans toute sa splendeur la fleur de sa jeunesse, Gertrudis, elle, était comme un coffre-fort fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et délices secrètes.
Mais, Ramiro, qui avait tout son âme à fleur des yeux, ne crût pas en voir une autre que Rosa, alors c’est à Rosa qu’il s’est adressé.
Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit celle-ci à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment ça, tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
Est-ce que je pouvais ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit cela juste comme ça…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas et je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
Je le sais bien, je le sais bien…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et bien, qu’en dis-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais on n’a pas besoin de connaître un homme pour dire comment on le trouve.
Moi oui.
Mais, je parle de ce qu’on voit, de ce qui est là, aux yeux de tous.
Je ne peux pas non plus juger de cela sans le connaître.
Tu n’as pas des yeux sur la figure ?
Peut-être que je ne les ai pas de cette manière là… tu sais bien que je suis myope.
Prétextes ! Et bien écoute ma vieille, c’est un beau garçon.
On dirait, oui
Et sympathique.
Qu’il le soit pour toi c’est tout ce qui importe.
Mais, crois-tu que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le lui diras au bout du compte et ça me suffit.
Passons, il faut le faire attendre et même l’embêter un peu…
Pourquoi faire ?
Il faut se faire valoir.
Tu ne te fais pas valoir comme ça Rosa et flirter de la sorte c’est une chose très moche.
Donc tu…
Il ne s’est pas adressé à moi.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de me demander des choses sans queue ni tête.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, qu’es-ce que tu lui aurais répondu ?
Moi je n’ai pas dit qu’il était beau garçon ni qu’il était sympathique, et que pour cette raison je m’étais mise à le jauger.
Et, pendant ce temps-là il s’en va avec une autre…
C’est très probable, oui.
Bon alors, ma fille, tu peux d’ores et déjà commencer à te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça tante ?
La tante de tes enfants Rosa.
Oh ! Tu as de ces choses ! – et sa voix se cassa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, et pardonne-moi – lui dit-elle en l’embrassant.
Mais si tu redis…
Non, je ne le redirai pas.
Et bien, qu’est-ce que je lui dis alors ?
Dis-lui oui !
Mais, il pensera que je suis trop facile…
Alors, dis-lui non.
Mais…
Oui, tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui donc oui et laisse tomber les minauderies car ce n’est pas bien ça. Dis-lui oui. Après tout ce n’est pas facile qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi oui, je parle de ça Rosa, et c’est la même chose.
Et, Tula, les gens ne diront pas que j’ai envie d’un petit-ami ?
Et ils auront bien raison.
Encore Tula ?
Et cent fois. Tu as envie d’avoir un petit-ami et c’est normal que tu en aies envie. Pourquoi alors Dieu t’a faite si belle ?
Arrête de rigoler, non !
Tu sais bien que je ne rigole pas. Que cela nous semble bien ou pas notre carrière c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, allons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas aller vêtir des saints. Eh bien, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment ça, moi ?
Et bien toi, après…
Ne t’en fais pas pour moi.
Au lendemain de ces mots Rosa et Ramiro se fréquentaient déjà dans ce qu’on appelle une relation amoureuse.
Ce qui commença à creuser la solitude de Gertrudis.
***
Chloé nous propose sa traduction :
C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours avec elle, qu’étaient dirigés les regards plein de désir que Ramiro leur adressait. Ou du moins, c’est ce qu’ils croyaient tout les deux, Ramiro et Rosa, car ils étaient attirés l’un par l’autre. Les deux sœurs, toujours ensembles, bien que pas forcement toujours unies, formaient un couple qui semblait indissociable, comme une seule personne. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait au ciel, à toute lumière et à tout vent, qui attirait en premier les regards sur le couple; mais ensuite, c’était les yeux tenaces de Gertrudis qui dominaient les yeux qui fixaient les siens et qui les maintenaient à distance du couple. Quelque uns, en les voyant passer, avaient préparé quelques compliments un peu plus osés ; mais ils avaient dû les retenir, se heurtant aux reproches des yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de choses sérieuses. « On ne joue pas avec nous », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
Et à y regarder de plus près, Gertrudis éveillait encore plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement à tout vent et à toute lumière la fleur de sa chair, elle, elle était comme un coffre fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et de délices secrets.
Mais Ramiro, qui avait toute son âme dans les yeux, ne vit rien d’autre que Rosa, et c’est à Rosa qu’il s’adressa de suite.
Sais-tu qu’il m’a écrit ?- dit cette dernière à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment, tu l’a vue ? Tu m’espionnais ?
Est-ce que je pouvais la manquer ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça juste pour le dire…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, encore une fois, parce que tu es comme ça. Moi, je n’espionne pas, mais je ne cache rien non plus. J’ai vu la lettre.
Oui je sais, je sais…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et donc, que penses-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour dire ce que l’on pense de lui.
Pour moi, si.
Mais ce qui se voit, à première vue…
Même ça je ne peux le juger sans le connaître.
Mais, tu n’as donc pas les yeux en face des trous ?
Peut-être… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
Des prétextes ! Et bien, vois-tu, ma chère c’est un beau garçon.
C’est ce qu’il paraît être.
Et sympathique.
Du moment qu’il l’est pour toi, ça suffit.
Mais, c’est que tu penses que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le diras au bout du compte, et ça suffit.
Peu importe ; faut le faire attendre, et même un peu rager…
Pourquoi ?
Il faut se donner de la valeur.
C’est pas comme ça que tu vas te donner de la valeur, Rosa ; et ce flirt c’est quelque chose de très vilain.
Alors toi, tu…
Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de demander des choses sans fondement.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu ?
Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon et sympathique, et donc, je me serais mise à l’étudier…
Et entre-temps il serait allé vers une autre…
C’est fort probable.
Donc, ma chère, tu peux déjà te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça, tante ?
La tante de tes enfants, Rosa.
Mais, t’en as de ces idées !- sa voix se brisa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, pardonne-moi – lui répondit-elle en l’embrassant.
Mais si tu recommences…
Non, je ne recommencerai pas !
Bon alors, qu’est-ce que je lui dit ?
Dis-lui oui !
Mais il va penser que je suis une fille trop facile…
Alors, dis-lui non !
Mais c’est que…
Oui, tu le trouve beau garçon et sympathique. Dis-lui oui alors, et arrête avec des minauderies, parce que c’est vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas facile de trouver un meilleur parti. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi j’en parle, Rosa, c’est pareil.
Mais, Tula, ne dira-t-on pas que je cherche un fiancé ?
Et ils auront raison.
Encore, Tula ?
Et même cent fois. Tu as envie de trouver un fiancé et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’aurait-il faite aussi belle ?
Te moque pas de moi !
Tu sais bien que je me moque pas de toi. Que ça nous semble bon ou mauvais, notre avenir c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne Dieu t’as faite pour le monde et le foyer, pour être mère de famille…Tu ne vas pas finir vieille fille. Alors, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment, moi ?
Et toi, après…
Moi, laisse-moi.
Le jour suivant cette conversation, Rosa et Ramiro étaient, comme on dit, en relations amoureuses.
Ce qui commença à figer la solitude de Gertrudis.
C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, qui sortait toujours avec elle, qu’étaient dirigés les regards plein de désir que Ramiro leur adressait. Ou du moins, c’est ce qu’ils croyaient tout les deux, Ramiro et Rosa, car ils étaient attirés l’un par l’autre. Les deux sœurs, toujours ensembles, bien que pas forcement toujours unies, formaient un couple qui semblait indissociable, comme une seule personne. C’était la beauté splendide et quelque peu provocante de Rosa, fleur de chair qui s’ouvrait au ciel, à toute lumière et à tout vent, qui attirait en premier les regards sur le couple; mais ensuite, c’était les yeux tenaces de Gertrudis qui dominaient les yeux qui fixaient les siens et qui les maintenaient à distance du couple. Quelque uns, en les voyant passer, avaient préparé quelques compliments un peu plus osés ; mais ils avaient dû les retenir, se heurtant aux reproches des yeux de Gertrudis, qui parlaient en silence de choses sérieuses. « On ne joue pas avec nous », semblait-elle dire avec ses regards silencieux.
Et à y regarder de plus près, Gertrudis éveillait encore plus le désir de jouissance. Alors que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement à tout vent et à toute lumière la fleur de sa chair, elle, elle était comme un coffre fermé et scellé dans lequel on devinait un trésor de tendresses et de délices secrets.
Mais Ramiro, qui avait toute son âme dans les yeux, ne vit rien d’autre que Rosa, et c’est à Rosa qu’il s’adressa de suite.
Sais-tu qu’il m’a écrit ?- dit cette dernière à sa sœur.
Oui, j’ai vu la lettre.
Comment, tu l’a vue ? Tu m’espionnais ?
Est-ce que je pouvais la manquer ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça juste pour le dire…
Tu as raison, Tula, pardonne-moi.
Oui, encore une fois, parce que tu es comme ça. Moi, je n’espionne pas, mais je ne cache rien non plus. J’ai vu la lettre.
Oui je sais, je sais…
J’ai vu la lettre et je l’attendais.
Et donc, que penses-tu de Ramiro ?
Je ne le connais pas.
Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour dire ce que l’on pense de lui.
Pour moi, si.
Mais ce qui se voit, à première vue…
Même ça je ne peux le juger sans le connaître.
Mais, tu n’as donc pas les yeux en face des trous ?
Peut-être… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
Des prétextes ! Et bien, vois-tu, ma chère c’est un beau garçon.
C’est ce qu’il paraît être.
Et sympathique.
Du moment qu’il l’est pour toi, ça suffit.
Mais, c’est que tu penses que je lui ai déjà dit oui ?
Je sais que tu le diras au bout du compte, et ça suffit.
Peu importe ; faut le faire attendre, et même un peu rager…
Pourquoi ?
Il faut se donner de la valeur.
C’est pas comme ça que tu vas te donner de la valeur, Rosa ; et ce flirt c’est quelque chose de très vilain.
Alors toi, tu…
Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
Et s’il s’était adressé à toi ?
Ça ne sert à rien de demander des choses sans fondement.
Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu ?
Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon et sympathique, et donc, je me serais mise à l’étudier…
Et entre-temps il serait allé vers une autre…
C’est fort probable.
Donc, ma chère, tu peux déjà te préparer…
Oui, à être tante.
Comment ça, tante ?
La tante de tes enfants, Rosa.
Mais, t’en as de ces idées !- sa voix se brisa.
Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état-là, pardonne-moi – lui répondit-elle en l’embrassant.
Mais si tu recommences…
Non, je ne recommencerai pas !
Bon alors, qu’est-ce que je lui dit ?
Dis-lui oui !
Mais il va penser que je suis une fille trop facile…
Alors, dis-lui non !
Mais c’est que…
Oui, tu le trouve beau garçon et sympathique. Dis-lui oui alors, et arrête avec des minauderies, parce que c’est vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas facile de trouver un meilleur parti. Ramiro est très bien, il est fils unique.
Je n’ai pas parlé de ça.
Mais moi j’en parle, Rosa, c’est pareil.
Mais, Tula, ne dira-t-on pas que je cherche un fiancé ?
Et ils auront raison.
Encore, Tula ?
Et même cent fois. Tu as envie de trouver un fiancé et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’aurait-il faite aussi belle ?
Te moque pas de moi !
Tu sais bien que je me moque pas de toi. Que ça nous semble bon ou mauvais, notre avenir c’est le mariage ou le couvent, et tu n’as pas la vocation pour être nonne Dieu t’as faite pour le monde et le foyer, pour être mère de famille…Tu ne vas pas finir vieille fille. Alors, dis-lui oui.
Et toi ?
Comment, moi ?
Et toi, après…
Moi, laisse-moi.
Le jour suivant cette conversation, Rosa et Ramiro étaient, comme on dit, en relations amoureuses.
Ce qui commença à figer la solitude de Gertrudis.
***
Amélie nous propose sa traduction :
C’était Rosa, et non sa sœur Gertrudis – qui sortait toujours de la maison en sa compagnie – que les regards avides de Ramiro embrassaient. Ou, du moins, voilà ce qu’ils croyaient tous les deux, puisqu’ils étaient attirés l’un par l’autre.
Les deux sœurs, toujours ensembles, mais pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissoluble, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocatrice de Rosa, fleur de chair qui s’épanouissait en fleur du ciel, en plein jour et en plein air, qui attirait la première les regards sur le couple ; mais, par la suite, c’était le regard obstiné de Gertrudis qui assujettissait les yeux qui l’avaient croisé, et qui, par là même, leur fixait des limites. Certains, les voyant passer, avaient préparé quelque compliment un peu plus osé ; mais ils durent se retenir en se heurtant aux fameux yeux réprobateurs de Gertrudis, qui, sans un mot, évoquaient le sérieux. « Avec nous, on rigole pas » semblait-elle dire de ses regards silencieux.
Et en y regardant bien, et de plus près, Gertrudis éveillait encore plus la soif de plaisir. Tandis que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement la fleur de ses formes charnues, en plein jour et en plein air, elle était comme un coffre fermé et scellé où l’on devine un trésor de tendresse et de délicieux secrets.
Mais Ramiro, dont l’âme tout entière se trouvait dans les yeux, ne crut voir que Rosa, Rosa à qui il s’adressa, bien entendu.
« Tu sais qu’il m’a écrit ? demanda celle-ci à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Quoi ? Comment ça tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
- Je pouvais feindre de ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça rien que pour dire quelque chose…
- Tu as raison Tula, excuse-moi.
- D’accord, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Je sais bien ; je sais bien…
- J’ai vu la lettre et je m’y attendais.
- Et, alors, t’en penses quoi de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour qu’une fille dise ce qu’elle en pense.
- Pour moi, si.
- Mais ce qui se voit, ce qui est visible aux yeux de tous…
- Même ça je ne peux en juger sans le connaître.
- Tu n’as pas les yeux en face des trous ou quoi ?
- Peut-être que non… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Prétextes ! Eh bien, figure-toi, ma chère, qu’il est beau garçon.
- Il paraît, oui.
- Et sympathique.
- Tant qu’il l’est pour toi, ça me va.
- Mais c’est que tu crois que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu le lui diras au bout du compte, c’est tout.
- Aucune importance ; il faut le faire attendre, voire le faire enrager un peu…
- Pourquoi ?
- Il faut se faire valoir.
- Ce n’est pas comme ça que tu te fais valoir, Rosa ; et ce flirt est une chose très vilaine.
- De sorte que tu…
- Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
- Et si c’était à toi qu’il s’était adressé ?
- Ça ne sert à rien de poser des questions qui n’ont pas lieu d’être.
- Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu?
- Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon ni qu’il était sympathique, je me serais donc mise à l’étudier…
- Et, entre temps, il serait parti avec une autre…
- C’est fort probable.
- Eh bien, ma chère, tu peux donc déjà te préparer…
- Oui, à devenir tante.
- Comment ça, tante ?
- La tante de tes enfants, Rosa.
- Eh, tu en as de ces idées ! Sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état, et excuse-moi, lui dit-elle en l’embrassant.
- Mais si tu recommences…
- Non, non, je ne recommencerai pas !
- Et alors, je lui dis quoi ?
- Tu lui dis oui !
- Mais il pensera que je suis une fille facile…
- Alors tu lui dis non !
- Oui mais c’est que…
- Oui, c’est que tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui oui, dans ce cas, et arrête donc de minauder, c’est moche. Dis-lui oui. Après tout, ce n’est pas sûr qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Mais moi j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et les gens ne diront pas que j’ai envie d’avoir un petit ami ?
- Et ils auront raison.
- Encore Tula ?
- Cent fois raison. Tu as envie d’avoir un petit ami et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’a‑t‑il fait si jolie ?
- Plaisante pas !
- Tu sais bien que je ne plaisante pas. Que ça nous plaise ou pas, notre destin est le mariage ou le couvent ; toi, tu n’as pas une vocation de bonne sœur ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, disons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas rester vieille fille. Alors, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Quoi, moi ?
- Eh bien toi, après…
- Moi, oublie-moi. »
Le lendemain de cette conversation, Rosa et Ramiro entretenaient déjà ce que l’on appelle relations amoureuses.
Ce qui posa les bases de la solitude de Gertrudis.
C’était Rosa, et non sa sœur Gertrudis – qui sortait toujours de la maison en sa compagnie – que les regards avides de Ramiro embrassaient. Ou, du moins, voilà ce qu’ils croyaient tous les deux, puisqu’ils étaient attirés l’un par l’autre.
Les deux sœurs, toujours ensembles, mais pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissoluble, comme un tout. C’était la beauté splendide et quelque peu provocatrice de Rosa, fleur de chair qui s’épanouissait en fleur du ciel, en plein jour et en plein air, qui attirait la première les regards sur le couple ; mais, par la suite, c’était le regard obstiné de Gertrudis qui assujettissait les yeux qui l’avaient croisé, et qui, par là même, leur fixait des limites. Certains, les voyant passer, avaient préparé quelque compliment un peu plus osé ; mais ils durent se retenir en se heurtant aux fameux yeux réprobateurs de Gertrudis, qui, sans un mot, évoquaient le sérieux. « Avec nous, on rigole pas » semblait-elle dire de ses regards silencieux.
Et en y regardant bien, et de plus près, Gertrudis éveillait encore plus la soif de plaisir. Tandis que sa sœur Rosa ouvrait magnifiquement la fleur de ses formes charnues, en plein jour et en plein air, elle était comme un coffre fermé et scellé où l’on devine un trésor de tendresse et de délicieux secrets.
Mais Ramiro, dont l’âme tout entière se trouvait dans les yeux, ne crut voir que Rosa, Rosa à qui il s’adressa, bien entendu.
« Tu sais qu’il m’a écrit ? demanda celle-ci à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Quoi ? Comment ça tu l’as vue ? Tu m’espionnes ou quoi ?
- Je pouvais feindre de ne pas l’avoir vue ? Non, moi je n’espionne jamais, tu le sais bien, et tu as dit ça rien que pour dire quelque chose…
- Tu as raison Tula, excuse-moi.
- D’accord, une fois de plus, parce que tu es comme ça. Moi je n’espionne pas, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Je sais bien ; je sais bien…
- J’ai vu la lettre et je m’y attendais.
- Et, alors, t’en penses quoi de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il n’est pas nécessaire de connaître un homme pour qu’une fille dise ce qu’elle en pense.
- Pour moi, si.
- Mais ce qui se voit, ce qui est visible aux yeux de tous…
- Même ça je ne peux en juger sans le connaître.
- Tu n’as pas les yeux en face des trous ou quoi ?
- Peut-être que non… ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Prétextes ! Eh bien, figure-toi, ma chère, qu’il est beau garçon.
- Il paraît, oui.
- Et sympathique.
- Tant qu’il l’est pour toi, ça me va.
- Mais c’est que tu crois que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu le lui diras au bout du compte, c’est tout.
- Aucune importance ; il faut le faire attendre, voire le faire enrager un peu…
- Pourquoi ?
- Il faut se faire valoir.
- Ce n’est pas comme ça que tu te fais valoir, Rosa ; et ce flirt est une chose très vilaine.
- De sorte que tu…
- Ce n’est pas à moi qu’il s’est adressé.
- Et si c’était à toi qu’il s’était adressé ?
- Ça ne sert à rien de poser des questions qui n’ont pas lieu d’être.
- Mais toi, s’il s’était adressé à toi, que lui aurais-tu répondu?
- Moi je n’ai pas dit que je le trouvais beau garçon ni qu’il était sympathique, je me serais donc mise à l’étudier…
- Et, entre temps, il serait parti avec une autre…
- C’est fort probable.
- Eh bien, ma chère, tu peux donc déjà te préparer…
- Oui, à devenir tante.
- Comment ça, tante ?
- La tante de tes enfants, Rosa.
- Eh, tu en as de ces idées ! Sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans cet état, et excuse-moi, lui dit-elle en l’embrassant.
- Mais si tu recommences…
- Non, non, je ne recommencerai pas !
- Et alors, je lui dis quoi ?
- Tu lui dis oui !
- Mais il pensera que je suis une fille facile…
- Alors tu lui dis non !
- Oui mais c’est que…
- Oui, c’est que tu le trouves beau garçon et sympathique. Dis-lui oui, dans ce cas, et arrête donc de minauder, c’est moche. Dis-lui oui. Après tout, ce n’est pas sûr qu’un meilleur parti s’offre à toi. Ramiro est très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Mais moi j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et les gens ne diront pas que j’ai envie d’avoir un petit ami ?
- Et ils auront raison.
- Encore Tula ?
- Cent fois raison. Tu as envie d’avoir un petit ami et c’est normal. Sinon, pourquoi Dieu t’a‑t‑il fait si jolie ?
- Plaisante pas !
- Tu sais bien que je ne plaisante pas. Que ça nous plaise ou pas, notre destin est le mariage ou le couvent ; toi, tu n’as pas une vocation de bonne sœur ; Dieu t’a faite pour le monde et le foyer, disons, pour être mère de famille… Tu ne vas pas rester vieille fille. Alors, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Quoi, moi ?
- Eh bien toi, après…
- Moi, oublie-moi. »
Le lendemain de cette conversation, Rosa et Ramiro entretenaient déjà ce que l’on appelle relations amoureuses.
Ce qui posa les bases de la solitude de Gertrudis.
***
Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, toujours à ses côtés au sortir de la maison, qu’étaient destinés les regards avides que leur adressait Ramiro. Ou, du moins, c’était ce que, dans leur attirance réciproque, Ramiro et Rosa croyaient tous les deux.
Les deux sœurs qui étaient toujours ensemble, même si elles n’en étaient pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissociable, et cela étant, représentaient une valeur unique. C’était la splendide beauté un tantinet provocatrice de Rosa, fleur de chair s’épanouissant vers le ciel à tous vents, qui attirait au premier abord les regards sur ce couple ; c’étaient ensuite les yeux tenaces de Gertrudis qui retenaient ceux qui s’étaient fixés sur eux tout en leur opposant une ferme résistance. Il y en eut certains pour préparer, sur leur passage, un compliment un peu plus osé ; mais ils durent le réprimer en trébuchant sur le reproche formulé par les incroyables yeux de Gertrudis, qui exprimaient muettement tout le sérieux possible. « On ne joue pas avec ce couple », semblait-elle dire par ses regards silencieux.
À y regarder de près, Gertrudis aiguisait davantage l’appétit des sens. Alors que sa sœur Rosa offrait à tous vents la splendide fleur de sa chair, Gertrudis, elle, était comme un écrin fermé et scellé dans lequel on devine un trésor de tendresses et de délices secrètes.
Mais Ramiro, qui avait l’âme entière au bord des yeux, ne crut voir que Rosa, et c’est vers Rosa qu’il se dirigea bien évidemment.
- Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit-elle à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Comment ? Tu l’as vu ? Tu m’espionnes en douce ?
- Comment aurais-je pu ne pas la voir ? Non, je n’espionne jamais personne, tu le sais bien, et tu dis ça juste pour dire quelque chose...
- Tu as raison, Tula, pardon.
- Oui, une fois de plus ; tu ne changes pas. Je n’espionne personne, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Oui, je sais, je sais...
- J’ai vu la lettre et je l’attendais.
- Et alors, que penses-tu de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il ne faut pas connaître un homme pour dire ce qu’on en pense.
- Moi, si.
- Mais, d’après ce qu’on en voit, ce qui saute aux yeux...
- Je ne peux pas juger de ça non plus sans le connaître.
- Tu n’as pas d’yeux sur le visage ou quoi ?
- Peut-être que je n’en ai pas pour ce genre de choses... ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Des excuses ! Eh bien, ma foi, sœurette, c’est un beau garçon.
- On dirait bien.
- Et sympathique avec ça.
- Pourvu qu’il te le soit, à toi, c’est suffisant.
- Mais ne serais-tu pas en train de croire que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu finiras par le lui dire, voilà tout.
- Peu importe ; il faut le faire attendre et même enrager un peu...
- Pour quoi faire ?
- Pour se faire désirer.
- Ce n’est pas une manière de faire, Rosa ; et cette coquetterie est bien vilaine.
- Alors comme ça, toi...
- Ce n’est pas à moi que la lettre a été adressée.
- Et si c’était à toi ?
- Il ne sert à rien de se poser des questions sans importance.
- Mais si c’était à toi qu’elle était adressée, que lui aurais-tu répondu ?
- Moi, je n’ai pas dit qu’il me faisait l’effet d’un beau garçon, sympathique de surcroît, c’est pourquoi j’aurais pris le temps d’étudier la question...
- Et pendant ce temps-là, il se serait intéressé à une autre...
- C’est fort probable.
- Eh bien, tu vois, ma petite, tu peux déjà te préparer...
- Oui, à devenir tata.
- Comment ça, tata ?
- La tata de tes enfants, Rosa.
- Eh, comment tu y vas ! – et sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans un état pareil, pardon – lui dit-elle en lui donnant un baiser.
- Mais, si tu recommences...
- Non, je ne recommencerai pas !
- Bon, qu’est-ce que je lui dis ?
- Dis-lui oui !
- Mais il pensera que je cède trop facilement...
- Alors, dis-lui non !
- Mais, c’est que...
- Quoi ? Tu le trouves beau, sympathique... Alors, dis-lui oui, et ne fais pas la coquette, c’est très vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas sûr qu’un meilleur parti se présente à toi. Ramiro est vraiment très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Eh bien, moi, j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et on ne va pas dire, Tula, que j’ai envie d’avoir un fiancé ?
- Ce serait bien parlé.
- Tu ne vas pas recommencer, Tula ?
- Si, j’y compte bien. Tu as envie d’avoir un fiancé et c’est naturel. Pourquoi Dieu t’a faite si jolie, alors ?
- Arrête ton char !
- Tu sais bien que je ne me moque pas de toi. Écoute, que cela nous semble bien ou mal, nous nous destinons au mariage ou au couvent ; or, tu n’as pas vocation à être nonne ; Dieu t’a faite pour fréquenter le monde et fonder un foyer, vois-tu, pour être mère de famille... Tu ne vas pas rester vieille fille. Par conséquent, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Eh bien, quoi, moi ?
- Toi, après...
- Moi, laisse-moi tranquille.
Le jour suivant cette discussion, Rosa et Ramiro étaient déjà engagés dans ce que l’on appelle des relations amoureuses.
Ce qui commença à sceller la solitude de Gertrudis.
C’était à Rosa et non à sa sœur Gertrudis, toujours à ses côtés au sortir de la maison, qu’étaient destinés les regards avides que leur adressait Ramiro. Ou, du moins, c’était ce que, dans leur attirance réciproque, Ramiro et Rosa croyaient tous les deux.
Les deux sœurs qui étaient toujours ensemble, même si elles n’en étaient pas pour autant toujours unies, formaient un couple apparemment indissociable, et cela étant, représentaient une valeur unique. C’était la splendide beauté un tantinet provocatrice de Rosa, fleur de chair s’épanouissant vers le ciel à tous vents, qui attirait au premier abord les regards sur ce couple ; c’étaient ensuite les yeux tenaces de Gertrudis qui retenaient ceux qui s’étaient fixés sur eux tout en leur opposant une ferme résistance. Il y en eut certains pour préparer, sur leur passage, un compliment un peu plus osé ; mais ils durent le réprimer en trébuchant sur le reproche formulé par les incroyables yeux de Gertrudis, qui exprimaient muettement tout le sérieux possible. « On ne joue pas avec ce couple », semblait-elle dire par ses regards silencieux.
À y regarder de près, Gertrudis aiguisait davantage l’appétit des sens. Alors que sa sœur Rosa offrait à tous vents la splendide fleur de sa chair, Gertrudis, elle, était comme un écrin fermé et scellé dans lequel on devine un trésor de tendresses et de délices secrètes.
Mais Ramiro, qui avait l’âme entière au bord des yeux, ne crut voir que Rosa, et c’est vers Rosa qu’il se dirigea bien évidemment.
- Sais-tu qu’il m’a écrit ? – dit-elle à sa sœur.
- Oui, j’ai vu la lettre.
- Comment ? Tu l’as vu ? Tu m’espionnes en douce ?
- Comment aurais-je pu ne pas la voir ? Non, je n’espionne jamais personne, tu le sais bien, et tu dis ça juste pour dire quelque chose...
- Tu as raison, Tula, pardon.
- Oui, une fois de plus ; tu ne changes pas. Je n’espionne personne, mais je ne cache jamais rien non plus. J’ai vu la lettre.
- Oui, je sais, je sais...
- J’ai vu la lettre et je l’attendais.
- Et alors, que penses-tu de Ramiro ?
- Je ne le connais pas.
- Mais il ne faut pas connaître un homme pour dire ce qu’on en pense.
- Moi, si.
- Mais, d’après ce qu’on en voit, ce qui saute aux yeux...
- Je ne peux pas juger de ça non plus sans le connaître.
- Tu n’as pas d’yeux sur le visage ou quoi ?
- Peut-être que je n’en ai pas pour ce genre de choses... ; tu sais bien que j’ai la vue courte.
- Des excuses ! Eh bien, ma foi, sœurette, c’est un beau garçon.
- On dirait bien.
- Et sympathique avec ça.
- Pourvu qu’il te le soit, à toi, c’est suffisant.
- Mais ne serais-tu pas en train de croire que je lui ai déjà dit oui ?
- Je sais que tu finiras par le lui dire, voilà tout.
- Peu importe ; il faut le faire attendre et même enrager un peu...
- Pour quoi faire ?
- Pour se faire désirer.
- Ce n’est pas une manière de faire, Rosa ; et cette coquetterie est bien vilaine.
- Alors comme ça, toi...
- Ce n’est pas à moi que la lettre a été adressée.
- Et si c’était à toi ?
- Il ne sert à rien de se poser des questions sans importance.
- Mais si c’était à toi qu’elle était adressée, que lui aurais-tu répondu ?
- Moi, je n’ai pas dit qu’il me faisait l’effet d’un beau garçon, sympathique de surcroît, c’est pourquoi j’aurais pris le temps d’étudier la question...
- Et pendant ce temps-là, il se serait intéressé à une autre...
- C’est fort probable.
- Eh bien, tu vois, ma petite, tu peux déjà te préparer...
- Oui, à devenir tata.
- Comment ça, tata ?
- La tata de tes enfants, Rosa.
- Eh, comment tu y vas ! – et sa voix se brisa.
- Allons, Rosita, ne te mets pas dans un état pareil, pardon – lui dit-elle en lui donnant un baiser.
- Mais, si tu recommences...
- Non, je ne recommencerai pas !
- Bon, qu’est-ce que je lui dis ?
- Dis-lui oui !
- Mais il pensera que je cède trop facilement...
- Alors, dis-lui non !
- Mais, c’est que...
- Quoi ? Tu le trouves beau, sympathique... Alors, dis-lui oui, et ne fais pas la coquette, c’est très vilain. Dis-lui oui. Après tout, il n’est pas sûr qu’un meilleur parti se présente à toi. Ramiro est vraiment très bien, il est fils unique.
- Je n’ai pas parlé de ça.
- Eh bien, moi, j’en parle, Rosa, ça revient au même.
- Et on ne va pas dire, Tula, que j’ai envie d’avoir un fiancé ?
- Ce serait bien parlé.
- Tu ne vas pas recommencer, Tula ?
- Si, j’y compte bien. Tu as envie d’avoir un fiancé et c’est naturel. Pourquoi Dieu t’a faite si jolie, alors ?
- Arrête ton char !
- Tu sais bien que je ne me moque pas de toi. Écoute, que cela nous semble bien ou mal, nous nous destinons au mariage ou au couvent ; or, tu n’as pas vocation à être nonne ; Dieu t’a faite pour fréquenter le monde et fonder un foyer, vois-tu, pour être mère de famille... Tu ne vas pas rester vieille fille. Par conséquent, dis-lui oui.
- Et toi ?
- Eh bien, quoi, moi ?
- Toi, après...
- Moi, laisse-moi tranquille.
Le jour suivant cette discussion, Rosa et Ramiro étaient déjà engagés dans ce que l’on appelle des relations amoureuses.
Ce qui commença à sceller la solitude de Gertrudis.
jeudi 24 septembre 2009
Un article sur la traduction
« Y a-t-il un interprète francophone dans la salle ? », Libération
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/09/y-atil-un-interpr%C3%A8te-francophone-dans-la-salle-.html
http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/09/y-atil-un-interpr%C3%A8te-francophone-dans-la-salle-.html
Petite revue de presse
« Retour-surprise du président déchu du Honduras », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592566-retour-surprise-du-president-dechu-du-honduras
« Les partisans de Zelaya chassés par l'armée et la police », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592629-les-partisans-de-zelaya-chasses-par-l-armee-et-la-police
« Gentil petit tyran », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592691-gentil-petit-tyran
« Le pied de nez de Manuel Zelaya, président déchu », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592743-le-pied-de-nez-de-manuel-zelaya-president-dechu
« Honduras: une sortie de crise sous condition d'élection », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592774-honduras-le-president-dechu-assiege-par-l-armee
« Le Président du Honduras assiégé par son armée », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592815-le-president-du-honduras-assiege-par-son-armee
« Au Honduras, les putschistes choisissent la répression », Le Monde
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/09/23/au-honduras-les-putschistes-choisissent-la-repression_1244041_3222.html#ens_id=1211761
« Le Honduras, un casse-tête pour Obama », Le Figaro
http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2009/09/le-honduras-un-casse-tete-pour.html
« Honduras : le président déchu toujours «assiégé» », Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/international/2009/09/22/01003-20090922ARTFIG00442--.php
http://www.liberation.fr/monde/0101592566-retour-surprise-du-president-dechu-du-honduras
« Les partisans de Zelaya chassés par l'armée et la police », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592629-les-partisans-de-zelaya-chasses-par-l-armee-et-la-police
« Gentil petit tyran », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592691-gentil-petit-tyran
« Le pied de nez de Manuel Zelaya, président déchu », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592743-le-pied-de-nez-de-manuel-zelaya-president-dechu
« Honduras: une sortie de crise sous condition d'élection », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592774-honduras-le-president-dechu-assiege-par-l-armee
« Le Président du Honduras assiégé par son armée », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592815-le-president-du-honduras-assiege-par-son-armee
« Au Honduras, les putschistes choisissent la répression », Le Monde
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/09/23/au-honduras-les-putschistes-choisissent-la-repression_1244041_3222.html#ens_id=1211761
« Le Honduras, un casse-tête pour Obama », Le Figaro
http://blog.lefigaro.fr/geopolitique/2009/09/le-honduras-un-casse-tete-pour.html
« Honduras : le président déchu toujours «assiégé» », Le Figaro
http://www.lefigaro.fr/international/2009/09/22/01003-20090922ARTFIG00442--.php
mercredi 23 septembre 2009
En attendant la rentrée
En attendant la rentrée, je vous conseille de ne pas perdre de temps et de commencer d'ores et déjà à rechercher un ouvrage susceptible d’être traduit dans le cadre du mémoire de traduction que vous devrez rendre à l’issue de la formation, soit à la fin de l’été 2010. Je vous rappelle que cet ouvrage doit impérativemet être inédit en français. Vous pouvez, pour vous aider dans vos recherches, utiliser les ressources des librairies, des bibliothèques, mais aussi du site internet d’Electre. Je vous ai par ailleurs conseillé les revues spécialisées en ligne (dont la très bonne Qué leer) ou les blogs et forums de discussions. Parfois, il vaut mieux l'avis d'amateurs éclairés, toujours au courant des dernières sorties, en particulier pour les petites maisons d'édition. Il va de soi qu'il serait vain de vous lancer dans la traduction d'un auteur très connu et déjà travaillé par un traducteur régulier. Nous en parlerons quand nous nous verrons et je vous donnerai tous les conseils dont vous aurez besoin, votre tuteur, lui, sera également là pour vous guider dans la découverte de la perle rare, mais il peut vous être utile d’y réfléchir dès à présent. Votre charge hebdomadaire en cours et travaux à rendre sera importante tout au long de l’année et il ne faut pas vous laisser déborder. Ce travail de traduction prend de longues semaines !
J'attire par ailleurs votre attention sur la tenue à la mi-novembre des Assises de la Traduction Littéraire en Arles (Bouches du Rhône), manifestation annuelle à laquelle nous avons pris l’habitude d’encourager nos étudiants à participer, et ce notamment en faisant prendre en charge les droits d’inscription à ce congrès par l’Université Bordeaux 3. Organisez-vous pour pouvoir y assister, dans la mesure du possible. Au moins un des enseignants de l’équipe vous y accompagnera.
J'attire par ailleurs votre attention sur la tenue à la mi-novembre des Assises de la Traduction Littéraire en Arles (Bouches du Rhône), manifestation annuelle à laquelle nous avons pris l’habitude d’encourager nos étudiants à participer, et ce notamment en faisant prendre en charge les droits d’inscription à ce congrès par l’Université Bordeaux 3. Organisez-vous pour pouvoir y assister, dans la mesure du possible. Au moins un des enseignants de l’équipe vous y accompagnera.
Un message pour les étudiants du CAPES, groupe 1
Bienvenue à celles et ceux d'entre vous qui rejoindrez notre blog, Tradabordo. J'espère que vous trouverez ici de quoi vous aider à préparer votre concours dans les meilleures conditions (notre objectif étant que vous portiez haut les couleurs de Bordeaux 3 !), au moins pour ce qui est notre spécialité, à savoir la traduction. Comme je vous l'ai dit, vous pouvez vous reporter à une section « version », bien fournie (avec plus d'une centaine de textes, assorti chacun de plusieurs propositions de traduction, d'étudiants, du traducteur officiel ou la mienne ; en vous y prenant correctement, vous avez ainsi le moyen de faire des auto-corrections efficaces), et à une section « thème » qui, si elle est moins étoffée, ne démérite pas.
Et j'insiste : n'hésitez pas à envoyer vos propres propositions pour les textes qui seront publiés au cours de l'année. L'avantage est que traduire en se disant qu'on rendra sa traduction publique est un petit défi personnel qui, croyez-moi, vous obligera à une grande exigence. Parfait pour être au niveau au mois de mars prochain.
Rappel :
la version est publiée le vendredi matin
le thème est publié le dimanche matin
Une dernière chose : bonne chance à tous !
Et j'insiste : n'hésitez pas à envoyer vos propres propositions pour les textes qui seront publiés au cours de l'année. L'avantage est que traduire en se disant qu'on rendra sa traduction publique est un petit défi personnel qui, croyez-moi, vous obligera à une grande exigence. Parfait pour être au niveau au mois de mars prochain.
Rappel :
la version est publiée le vendredi matin
le thème est publié le dimanche matin
Une dernière chose : bonne chance à tous !
« Ma traduction longue », par Blandine
Les réponses de Blandine aux questions que nous lui avons posées.
1. Comment s’est passée la traduction de ton roman ?
Je dois avouer que traduire Pusimos la bomba… y qué ? n’a pas été chose facile. Entre les cours, le travail à côté, les stages, j’ai eu un peu de mal à m’y mettre comme je l’avais prévu. Résultat ,je n’ai fini le premier jet que fin juin et ensuite je n’ai eu que le mois de juillet et mi-août pour faire les relectures et corrections – un très gros travail en si peu de temps.
2. Y a-t-il eu des moments de découragement ? De satisfaction ?
Comme vous pourrez le voir par vous-mêmes, on a toujours des moments de découragement. Quand on bloque sur une phrase, sur un mot. On se dit : non, là, ça ne va pas, il faut quelque chose de mieux. On se torture l’esprit, jusqu’au moment où l’on trouve enfin ce que l’on veut. On peut parler de satisfaction, quand on arrive à trouver une bonne solution à son problème. Du moins en ce qui me concerne. Faire lire mon travail à une autre personne m’a énormément aidé ou même le simple fait d’en discuter. Cela m’a permis de résoudre des problèmes de lexique ou de syntaxe.
3. Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Outre le fait que mon texte d’origine n’était pas écrit correctement et qu’il y avait énormément de dialogues, j’ai eu beaucoup de mal à les rendre tels qu’ils auraient dû être. J’avoue ne pas avoir pris suffisamment de risques pour m’éloigner du texte et en faire quelque chose d’agréable à lire.
4. Est-ce que cela a été plus ou moins difficile par rapport à ce que tu avais imaginé ?
Au début, on ne se rend pas trop de compte des difficultés vers lesquelles on va. C’est surtout au moment de la relecture et des corrections que je me suis mise à penser que ça n’était pas aussi bien que je le souhaitais.
5. Qu’attendais-tu d’une telle traduction ?
Je pense que cette première traduction a été une mise à l’épreuve, un défi que je devais relever pour me prouver à moi-même que j’étais vraiment faite pour cela. Car traduire des petits textes de quelques pages ça paraît toujours simple, mais de s’attaquer à un roman, c’est une autre paire de manches.
6. Qu’en retires-tu ?
Une grande remise en question, même si je suis satisfaite d’avoir terminé ce travail. Suis-je vraiment faite pour ce métier ? J’avoue avoir énormément de travail à effectuer pour me remettre à niveau et surtout écrire correctement…
7. Où as-tu trouvé ton texte de traduction longue, est-ce un coup de cœur, un choix « stratégique », un choix par défaut ?
Après plusieurs mois de recherche, une amie m’a proposé ce livre qu’elle avait chez elle. Je l’ai lu et il m’a intéressé en priorité par son contenu. Il s’agit d’un témoignage journalistique basé sur un fait réel et qui est toujours d’actualité.
8. As-tu l’intention d’essayer de faire publier ta traduction longue ?
Suite aux commentaires de mon tuteur, Jean-Marie Saint Lu et de Caroline, la responsable du parcours, je pense qu’il vaut mieux pour moi oublier cette idée. Car j’ai avant toute chose un gros travail de correction et de réécriture à faire. Et comme l’a fait remarquer Nathalie avant moi, il s’agit pour nous d’un travail de débutant et, en ce qui me concerne, avec encore trop d’erreurs pour oser le présenter à une maison d’édition.
1. Comment s’est passée la traduction de ton roman ?
Je dois avouer que traduire Pusimos la bomba… y qué ? n’a pas été chose facile. Entre les cours, le travail à côté, les stages, j’ai eu un peu de mal à m’y mettre comme je l’avais prévu. Résultat ,je n’ai fini le premier jet que fin juin et ensuite je n’ai eu que le mois de juillet et mi-août pour faire les relectures et corrections – un très gros travail en si peu de temps.
2. Y a-t-il eu des moments de découragement ? De satisfaction ?
Comme vous pourrez le voir par vous-mêmes, on a toujours des moments de découragement. Quand on bloque sur une phrase, sur un mot. On se dit : non, là, ça ne va pas, il faut quelque chose de mieux. On se torture l’esprit, jusqu’au moment où l’on trouve enfin ce que l’on veut. On peut parler de satisfaction, quand on arrive à trouver une bonne solution à son problème. Du moins en ce qui me concerne. Faire lire mon travail à une autre personne m’a énormément aidé ou même le simple fait d’en discuter. Cela m’a permis de résoudre des problèmes de lexique ou de syntaxe.
3. Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Outre le fait que mon texte d’origine n’était pas écrit correctement et qu’il y avait énormément de dialogues, j’ai eu beaucoup de mal à les rendre tels qu’ils auraient dû être. J’avoue ne pas avoir pris suffisamment de risques pour m’éloigner du texte et en faire quelque chose d’agréable à lire.
4. Est-ce que cela a été plus ou moins difficile par rapport à ce que tu avais imaginé ?
Au début, on ne se rend pas trop de compte des difficultés vers lesquelles on va. C’est surtout au moment de la relecture et des corrections que je me suis mise à penser que ça n’était pas aussi bien que je le souhaitais.
5. Qu’attendais-tu d’une telle traduction ?
Je pense que cette première traduction a été une mise à l’épreuve, un défi que je devais relever pour me prouver à moi-même que j’étais vraiment faite pour cela. Car traduire des petits textes de quelques pages ça paraît toujours simple, mais de s’attaquer à un roman, c’est une autre paire de manches.
6. Qu’en retires-tu ?
Une grande remise en question, même si je suis satisfaite d’avoir terminé ce travail. Suis-je vraiment faite pour ce métier ? J’avoue avoir énormément de travail à effectuer pour me remettre à niveau et surtout écrire correctement…
7. Où as-tu trouvé ton texte de traduction longue, est-ce un coup de cœur, un choix « stratégique », un choix par défaut ?
Après plusieurs mois de recherche, une amie m’a proposé ce livre qu’elle avait chez elle. Je l’ai lu et il m’a intéressé en priorité par son contenu. Il s’agit d’un témoignage journalistique basé sur un fait réel et qui est toujours d’actualité.
8. As-tu l’intention d’essayer de faire publier ta traduction longue ?
Suite aux commentaires de mon tuteur, Jean-Marie Saint Lu et de Caroline, la responsable du parcours, je pense qu’il vaut mieux pour moi oublier cette idée. Car j’ai avant toute chose un gros travail de correction et de réécriture à faire. Et comme l’a fait remarquer Nathalie avant moi, il s’agit pour nous d’un travail de débutant et, en ce qui me concerne, avec encore trop d’erreurs pour oser le présenter à une maison d’édition.
Libellés :
Billets des apprentis,
promo Anne Dacier,
Traductions longues
mardi 22 septembre 2009
Le calendrier… Encore un peu de patience
… Comme vous, j'attends toujours le calendrier des cours pour la partie espagnole. Je sais bien que nous commençons la semaine prochaine et que vous avez besoin de vous organiser, mais pour l'heure, je n'ai rien de nouveau à vous annoncer. Notre directeur d'UFR, Jean-Marc Buiguès, n'a pas terminé les emplois du temps ; ça ne devrait plus tarder. Je vous tiens au courant dès que je sais quoi que ce soit… Vous l'aurez compris : pour des raisons pratiques, toutes les informations "techniques" vous seront tranmises par le blog… Alors restez connectés !
Réunion de rentrée
Je vous l'avais annoncé, je crois… et donc je vous le confirme, avec des précisions : nous nous retrouverons le 12 octobre à 11 h 00 en salle G 312 pour une réunion "générale" de rentrée. "Générale", c'est-à-dire en présence des apprentis du parcours d'anglais (pas de germanistes cette année non plus !), avec lesquels vous suivrez les cours de tronc commun ainsi que les ateliers d'écriture, et avec l'ensemble de l'équipe enseignante (pour la partie espagnole et le reste ; je vous rappelle que les cours du tronc commun vous seront dispensés par des enseignants d'autres UFR et par des intervenants extérieurs). Ce sera l'occasion de se présenter, de vous expliquer les tenants et les aboutissants de la formation et de vous donner une grande partie des consignes à suivre impérativement au cours de l'année.
Peut-être pourrions-nous profiter de l'occasion pour organiser un premier petit pique-nique de rentrée… À confirmer !
Peut-être pourrions-nous profiter de l'occasion pour organiser un premier petit pique-nique de rentrée… À confirmer !
La promo 2009-2010
Après une première moitié d'apprenties "glanée" en juin, Amélie, Coralie, Odile et Anne-Pauline (Odile, vous le savez, a malheureusement dû abandonner pour des raisons professionnelles – je le regrette car c'était vraiment une bonne recrue – et Anne-Pauline, elle, n'a plus jamais donné signe de vie… sans doute intégrée ailleurs ; dommage tout de même qu'elle n'ait pas pris la peine de prévenir), nous avons à présent l'effectif complet pour cette année 2009-2010. Je vous rappelle que la commission se réunissait hier après-midi.
Tout d'abord, j'annonce officiellement à Émeline et Chloé qu'elles sortent défintivement de leur nébuleuse liste d'attente pour rejoindre le groupe. Vous vous en doutez toutes les deux, il vous faudra beaucoup travailler… mais je ne doute pas une minute que vous en avez l'envie et l'énergie. Je compte sur vous pour être à la hauteur de la confiance que la commission vous a accordée !
Et donc, pour la session de septembre, nous retenons deux nouvelles apprenties : Laëtitia (qui n'est pas une inconnue, loin de là, y compris sur Tradabordo) et Auréba qui, si mes souvenirs sont bons, nous vient de Lyon. Bienvenue à elles deux !
Je récapitule ; font partie de la promo Aline Schulman, les étudiantes suivantes :
Coralie Bonneau
Émeline Laduche
Chloé Riou
Amélie Rioual
Auréba Sadouni
Laëtitia Sobenes
Laëtitia Sworzil
Rendez-vous dans quelques jours pour la rentrée…
Tout d'abord, j'annonce officiellement à Émeline et Chloé qu'elles sortent défintivement de leur nébuleuse liste d'attente pour rejoindre le groupe. Vous vous en doutez toutes les deux, il vous faudra beaucoup travailler… mais je ne doute pas une minute que vous en avez l'envie et l'énergie. Je compte sur vous pour être à la hauteur de la confiance que la commission vous a accordée !
Et donc, pour la session de septembre, nous retenons deux nouvelles apprenties : Laëtitia (qui n'est pas une inconnue, loin de là, y compris sur Tradabordo) et Auréba qui, si mes souvenirs sont bons, nous vient de Lyon. Bienvenue à elles deux !
Je récapitule ; font partie de la promo Aline Schulman, les étudiantes suivantes :
Coralie Bonneau
Émeline Laduche
Chloé Riou
Amélie Rioual
Auréba Sadouni
Laëtitia Sobenes
Laëtitia Sworzil
Rendez-vous dans quelques jours pour la rentrée…
Références culturelles, 226 : Malejave
Un magnifique groupe espagnol… à découvrir pour celles et ceux qui ne connaissent pas !
http://planetamussical.blogspot.com/2007/10/malevaje-vuelvo-al-barrio-2002_14.html
http://planetamussical.blogspot.com/2007/10/malevaje-vuelvo-al-barrio-2002_14.html
lundi 21 septembre 2009
Entrevista a Carmen Boullosa
En photo : CARMEN_BOULLOSA, par pablo+gaia
Sur l'auteure :
http://www.carmenboullosa.net/esp/
L'entretien :
http://drinkingthelonious.blogspot.com/2007/10/entrevista-carmen-boullosa.html
Sur l'auteure :
http://www.carmenboullosa.net/esp/
L'entretien :
http://drinkingthelonious.blogspot.com/2007/10/entrevista-carmen-boullosa.html
Petite revue de presse
« Ciudad Juarez, cité du meurtre », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101592336-ciudad-juarez-cite-du-meurtre
« L’Ibère Robin des banques », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101591996-l-ibere-robin-des-banques
http://www.liberation.fr/monde/0101592336-ciudad-juarez-cite-du-meurtre
« L’Ibère Robin des banques », Libération
http://www.liberation.fr/monde/0101591996-l-ibere-robin-des-banques
dimanche 20 septembre 2009
À propos du sondage : « Avec quelle fréquence lisez-vous des traductions françaises de textes en espagnol ? »
De nombreux lecteurs et même certains traducteurs se félicitent, voire se vantent, de ne jamais lire des traductions… en particulier des langues qu'ils maîtrisent. Est-ce votre cas en tant que lecteurs et traducteurs de l'espagnol ?
Résultats du sondage : Aline Schulman, nom de la promo 2009-2010 ?
Sur 27 votants, nous obtenons les résultats suivants :
Oui = 15 voix (55%)
Non = 12 voix (44%)
La majorité a donc tranché… Ayant personnellement une grande admiration pour la traductrice et un réel respect pour une femme d'une grande générosité (nous l'avons assez dit, toutes : sa visite de l'année dernière nous a laissé un souvenir vif !), je suis heureuse qu'elle donne son nom à notre deuxième promotion.
Oui = 15 voix (55%)
Non = 12 voix (44%)
La majorité a donc tranché… Ayant personnellement une grande admiration pour la traductrice et un réel respect pour une femme d'une grande générosité (nous l'avons assez dit, toutes : sa visite de l'année dernière nous a laissé un souvenir vif !), je suis heureuse qu'elle donne son nom à notre deuxième promotion.
Votre thème du week-end, Marivaux
En photo : Rue de Marivaux, par Roberto Figueredo Simonetti
Je m'appelle l'Indigent philosophe, et je vais vous donner une preuve que je suis bien nommé ; c'est qu'au moment où j'écris ce que vous lisez (si pourtant vous me lisez ; car je ne suis pas sûr que ces espèces de Mémoires aillent jusqu'à vous, ni soient jamais en état d'avoir des lecteurs).
Je m'appelle l'Indigent philosophe, et je vais vous donner une preuve que je suis bien nommé ; c'est qu'au moment où j'écris ce que vous lisez (si pourtant vous me lisez ; car je ne suis pas sûr que ces espèces de Mémoires aillent jusqu'à vous, ni soient jamais en état d'avoir des lecteurs).
Donc, je dis qu'au moment que je les écris, je suis à plus de cinq cents lieues de ma patrie, qui est la France, et réduit en une extrême pauvreté. Bref, je demande ma vie, et le soir je me gîte où l'on veut bien me recevoir.
Voilà, je pense, une misère assez complète. Vous n'êtes peut-être pas fait pour être mieux, me direz-vous, mon cher et bénin lecteur. C'est ce qui vous trompe : je suis d'assez bonne famille, mon père était dans les affaires, issu lui-même d'un père avocat, qui avait des aïeux officiers militaires. Cela n'est pas si mauvais ; je suis même né riche, mais j'ai hérité de mes parents un peu de trop bonne heure.
Je n'avais que vingt ans quand ils sont morts ; à vingt ans aimant la joie comme je l'aimais, vif et sémillant comme je l'étais, se trouver maître de cinquante mille écus de bien, je n'augmente pas d'un sol, serait-il naturel à votre avis que j'eusse de quoi vivre à présent que j'ai près de cinquante ans ? Non, la vie que je mène aujourd'hui n'est pas bâtarde, elle vient bien en droite ligne de celle que j'ai menée, et que je devais mener de l'humeur dont j'étais.
Je n'ai que ce que je mérite, et je ne m'en soucie guère. Quand j'avais du bien, je le mangeais ; maintenant je n'en ai plus, je m'en tiens à ce qu'on me donne ; il est vrai que si on m'en donnait autant que j'en voudrais, j'en mangerais encore plus que je n'en ai mangé, je ne serais pas plus corrigible là-dessus. II n'y avait que la pauvreté qui pût me mettre à la raison, et grâces au Ciel me voilà bien en sûreté contre ma faiblesse : je suis pauvre au souverain degré, et même un pauvre à peindre, car mon habit est en loques, et le reste de mon équipage est à l'avenant ; Dieu soit loué, cela ne m'empêche pas de rire, et je ris de si bon coeur qu'il m'a pris envie de faire rire les autres.
Pour cela, je viens d'acheter quelques feuilles de papier pour me mettre par écrit, autrement dit pour montrer ce que je suis, et comment je pense, et j'espère qu'on ne sera pas fâché de me connaître.
Au reste, dans le temps où j'étais en France, j'entendais qu'on disait souvent à l'occasion d'un livre, ah ! que cet homme-là écrit bien ! qu'il écrit mal ! Pour moi, je ne sais comment j'écrirai : ce qui me viendra, nous l'aurons sans autre cérémonie ; car je n'en sais pas d'autre que d'écrire tout couramment mes pensées ; et si mon livre ne vaut rien, je ne perdrai pas tout : car je ris d'avance de la mine que vous ferez en le rebutant : ma foi, cela me divertit d'ici ; mon livre bien imprimé, bien relié, vous aura pris pour dupe, et par-dessus le marché, peut-être ne vous y connaîtrez-vous pas, ce qui sera encore très comique.
Voilà, je pense, une misère assez complète. Vous n'êtes peut-être pas fait pour être mieux, me direz-vous, mon cher et bénin lecteur. C'est ce qui vous trompe : je suis d'assez bonne famille, mon père était dans les affaires, issu lui-même d'un père avocat, qui avait des aïeux officiers militaires. Cela n'est pas si mauvais ; je suis même né riche, mais j'ai hérité de mes parents un peu de trop bonne heure.
Je n'avais que vingt ans quand ils sont morts ; à vingt ans aimant la joie comme je l'aimais, vif et sémillant comme je l'étais, se trouver maître de cinquante mille écus de bien, je n'augmente pas d'un sol, serait-il naturel à votre avis que j'eusse de quoi vivre à présent que j'ai près de cinquante ans ? Non, la vie que je mène aujourd'hui n'est pas bâtarde, elle vient bien en droite ligne de celle que j'ai menée, et que je devais mener de l'humeur dont j'étais.
Je n'ai que ce que je mérite, et je ne m'en soucie guère. Quand j'avais du bien, je le mangeais ; maintenant je n'en ai plus, je m'en tiens à ce qu'on me donne ; il est vrai que si on m'en donnait autant que j'en voudrais, j'en mangerais encore plus que je n'en ai mangé, je ne serais pas plus corrigible là-dessus. II n'y avait que la pauvreté qui pût me mettre à la raison, et grâces au Ciel me voilà bien en sûreté contre ma faiblesse : je suis pauvre au souverain degré, et même un pauvre à peindre, car mon habit est en loques, et le reste de mon équipage est à l'avenant ; Dieu soit loué, cela ne m'empêche pas de rire, et je ris de si bon coeur qu'il m'a pris envie de faire rire les autres.
Pour cela, je viens d'acheter quelques feuilles de papier pour me mettre par écrit, autrement dit pour montrer ce que je suis, et comment je pense, et j'espère qu'on ne sera pas fâché de me connaître.
Au reste, dans le temps où j'étais en France, j'entendais qu'on disait souvent à l'occasion d'un livre, ah ! que cet homme-là écrit bien ! qu'il écrit mal ! Pour moi, je ne sais comment j'écrirai : ce qui me viendra, nous l'aurons sans autre cérémonie ; car je n'en sais pas d'autre que d'écrire tout couramment mes pensées ; et si mon livre ne vaut rien, je ne perdrai pas tout : car je ris d'avance de la mine que vous ferez en le rebutant : ma foi, cela me divertit d'ici ; mon livre bien imprimé, bien relié, vous aura pris pour dupe, et par-dessus le marché, peut-être ne vous y connaîtrez-vous pas, ce qui sera encore très comique.
Marivaux, L'Indigent Philosophe, 1727.
***
Sonita nous propose sa traduction :
Me llamo el indigente filósofo y les voy a dar una prueba de que estoy bien nombrado, y es que en el momento en que escribo lo que ustedes están leyendo (si es que ustedes me leen, pues no estoy seguro de que esta especie de Memorias llegue a ustedes, ni nunca esté en estado de tener lectores).
Entonces, digo que en el momento en que las escribo, me encuentro a más de quinientas leguas de mi patria, que es Francia, y reducido a una extrema pobreza. Resumiendo, limosneo mi vida, y por la noche duermo en cualquier lugar dónde acepten recibirme.
Esto es, yo creo, una miseria bastante completa. Quizá usted no se merezca mejor suerte, me dirá usted, mi estimado y apacible lector. Ahí es donde usted se equivoca: soy de bastante buena familia, mi padre estaba en los negocios, él mismo era hijo de un padre abogado, que tenía antepasados oficiales militares. Eso no es tan malo, incluso nací rico, pero heredé de mis padres demasiado pronto.
Tenía solamente 20 años cuando fallecieron, a los veinte años, amando los placeres tal cual yo los amaba, alerta y vivaracho como yo lo era, encontrarme dueño de cincuenta mil escudos buenos, no aumento ni un escudo sol ¿sería normal, a su parecer, que tuviera de qué vivir hoy que tengo casi cincuenta años? No, la vida que llevo hoy no es bastarda, desliza muy naturalmente de la que llevé, que tenía que llevar por mi entonces forma de ser.
Solo tengo lo que merezco, y eso no me preocupa en lo absoluto. Cuando tenía buena vida, la comía, ahora que ya no la tengo, me contento con lo que me dan; es cierto que si me dieran tanto como yo quisiera, comería aún más de lo que he comido, no sería más enmendable respecto a eso. Solamente la pobreza podía hacerme caer en la razón, y gracias al Cielo, heme aquí bien seguro contra mi debilidad: soy pobre al máximo, y hasta soy un pobre digno de ser pintado, pues mi vestimenta andrajosa y el resto de mis pertenencias va al paso; gloria a Dios, esto no me impide de reír, y me río de tan buena gana que quise hacer reír a los demás.
Con ese fin, acabo de comprarme unas hojas de papel para ponerme por escrito, dicho de otra forma, para enseñarles cómo soy, y cómo pienso, y espero que nadie se enfade por conocerme.
Por lo demás, del tiempo en que estaba en Francia, escuchaba que a menudo decían en la ocasión de un libro, ¡ah, qué bien escribe este hombre! ¡Qué mal escribe! En lo que me concierne, no sé cómo escribiré: lo que me vendrá lo tendremos sin ceremonia alguna; pues no conozco otra forma que la de escribir mis sentimientos así como vienen; y si mi libro no vale nada, no lo habré perdido todo: pues me río de antemano de la cara que pondrán ustedes al repelerlo: en fin, esto me divierte desde aquí, mi libro bien impreso, bien encuadernado, les habrá engañado, y para colmo, quizá no se reconozcan ustedes ahí, lo que será aún más cómico.
Me llamo el indigente filósofo y les voy a dar una prueba de que estoy bien nombrado, y es que en el momento en que escribo lo que ustedes están leyendo (si es que ustedes me leen, pues no estoy seguro de que esta especie de Memorias llegue a ustedes, ni nunca esté en estado de tener lectores).
Entonces, digo que en el momento en que las escribo, me encuentro a más de quinientas leguas de mi patria, que es Francia, y reducido a una extrema pobreza. Resumiendo, limosneo mi vida, y por la noche duermo en cualquier lugar dónde acepten recibirme.
Esto es, yo creo, una miseria bastante completa. Quizá usted no se merezca mejor suerte, me dirá usted, mi estimado y apacible lector. Ahí es donde usted se equivoca: soy de bastante buena familia, mi padre estaba en los negocios, él mismo era hijo de un padre abogado, que tenía antepasados oficiales militares. Eso no es tan malo, incluso nací rico, pero heredé de mis padres demasiado pronto.
Tenía solamente 20 años cuando fallecieron, a los veinte años, amando los placeres tal cual yo los amaba, alerta y vivaracho como yo lo era, encontrarme dueño de cincuenta mil escudos buenos, no aumento ni un escudo sol ¿sería normal, a su parecer, que tuviera de qué vivir hoy que tengo casi cincuenta años? No, la vida que llevo hoy no es bastarda, desliza muy naturalmente de la que llevé, que tenía que llevar por mi entonces forma de ser.
Solo tengo lo que merezco, y eso no me preocupa en lo absoluto. Cuando tenía buena vida, la comía, ahora que ya no la tengo, me contento con lo que me dan; es cierto que si me dieran tanto como yo quisiera, comería aún más de lo que he comido, no sería más enmendable respecto a eso. Solamente la pobreza podía hacerme caer en la razón, y gracias al Cielo, heme aquí bien seguro contra mi debilidad: soy pobre al máximo, y hasta soy un pobre digno de ser pintado, pues mi vestimenta andrajosa y el resto de mis pertenencias va al paso; gloria a Dios, esto no me impide de reír, y me río de tan buena gana que quise hacer reír a los demás.
Con ese fin, acabo de comprarme unas hojas de papel para ponerme por escrito, dicho de otra forma, para enseñarles cómo soy, y cómo pienso, y espero que nadie se enfade por conocerme.
Por lo demás, del tiempo en que estaba en Francia, escuchaba que a menudo decían en la ocasión de un libro, ¡ah, qué bien escribe este hombre! ¡Qué mal escribe! En lo que me concierne, no sé cómo escribiré: lo que me vendrá lo tendremos sin ceremonia alguna; pues no conozco otra forma que la de escribir mis sentimientos así como vienen; y si mi libro no vale nada, no lo habré perdido todo: pues me río de antemano de la cara que pondrán ustedes al repelerlo: en fin, esto me divierte desde aquí, mi libro bien impreso, bien encuadernado, les habrá engañado, y para colmo, quizá no se reconozcan ustedes ahí, lo que será aún más cómico.
***
Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
Me llamo el Indigente filósofo, y voy a darle una prueba de que estoy bien nombrado ; es que en el momento en que escribo lo que usted está leyendo (si es el caso ya que no estoy seguro de que esas especies de Memorias lleguen hasta usted ni sean capaces de tener lectores), pues, estoy diciendo que en el momento en que las escribo, estoy a más de quinientas leguas de mi patria, que es Francia, y reducido a la pobreza más extrema. En una palabra, me busco la vida, y por la noche me alojo donde se acepta recibirme.
Me parece que esa es una miseria bastante completa. Quizá no esté destinado a una condición mejor, me dirá usted, benévolo y querido lector. Pero se equivoca : soy de una familia bastante buena, mi padre estaba en los negocios, descendiente él mismo de un padre abogado, cuyos antepasados eran oficiales militares. Eso no es tan malo ; aun nací rico, pero heredé de mis padres demasiado temprano.
Yo no tenía más que veinte años cuando murieron ; a los veinte años, me gustaba tanto la alegría, yo era tan vivo e impetuoso, que, al encontrarme dueño de una fortuna de cincuenta mil escudos - no la aumento en un sol -, ¿ sería natural, a su parecer, que yo tuviera de qué vivir ahora que rayo en los cincuenta años ? No, la vida que estoy llevando no es bastarda, procede necesariamente de la que llevé, y de la que yo tenía que llevar en vista de mi temperamento.
Sólo tengo lo que merezco, y no me preocupo de ello. Cuando yo tenía alguna fortuna, me la comía ; ahora no tengo nada, me conformo con lo que se me da ; es verdad que si se me diera tanto como yo quisiera, me comería aún más de lo que ya me comí, yo no sería más corregible en aquel asunto. Sólo la pobreza pudiera razonarme, y gracias al Cielo heme aquí bien protegido contra mi debilidad : soy pobre en sumo grado, y hasta un pobre que debe ser pintado, ya que mi traje es andrajoso, y es lo mismo para el resto de mi vestido ; alabado sea Dios, eso no me impide reir, y como me río de buena gana, se me antojó hacer reir a los otros.
Para eso, acabo de comprar algunas hojas de papel para confiarme por escrito, o sea para mostrar lo que soy, y cómo pienso, y espero que usted estará contento conocerme.
Además, cuando yo estaba en Francia, oía que se decía a menudo a propósito de un libro, ¡ ah ! ¡ qué bien escribe este hombre ! ¡ qué mal escribe ! En cuanto a mí, no sé cómo escribiré : lo que se me ocurrirá, usted lo tendrá sin cumplidos ; porque sólo conozco los que consisten en escribir sin reserva mis pensamientos ; y si mi libro no vale nada, no lo perdré todo : porque me río de antemano de la pinta que usted tendrá cuando lo rechaze : a fe mía, ya me divierte eso ; mi libro esmeradamente impreso y encuadernado le habrá engañado, y para colmo, quizás usted no se reconozca en él, lo que seguirá siendo muy cómico.
Avec une petite fiche lexicale :
- gîter :
1. (V. intr.) (Vx ou littér.) Avoir son gîte quelque part (→ coucher, demeurer, habiter, loger).
2. Fig. Être situé, se trouver (→ résider).
3. (V. tr.) (Vx.) Pourvoir d’un gîte, mettre dans un gîte.
- bénin :
1. (Vx ou littér.) Bienveillant, indulgent (→ doux, bon, aimable). Ex. : une personne bénigne ; il est doux et bénin ; un air, un naturel, un caractère bénin ; une humeur bénigne. Par dérision. Doux et indulgent avec excès (→ faible, bonasse). Ex. : un mari bénin (→ complaisant).
2. (Choses). Dont l’action est bienfaisante, apaisante, calmante (→ bénéfique, favorable, propice). Ex. : l’influence bénigne de la mer, de l’air. Méd. et vx. Un remède bénin, qui agit avec douceur (→ anodin).
3. (Cour.) Sans conséquence grave (→ inoffensif). Ex. : une affection, une maladie bénigne ; un accident bénin ; une tumeur bénigne ; une faute, une erreur bénigne ; un péché bénin (→ véniel).
- sémillant : d’une vivacité plaisante, agréable (→ frétillant, fringant, gai, vif). (Souvent avec une valeur plaisante ou ironique, pour railler un comportement, notamment amoureux, jugé déplacé.)
- humeur → caractère, complexion, disposition, naturel, tempérament.
- au souverain degré = au dernier degré, au plus haut point.
- équipage → habit, toilette, accoutrement, costume, tenue.
- à l’avenant : en accord, en conformité, en rapport (→ de même, pareillement).
- « j'espère qu’on ne sera pas fâché de me connaître » :
Par euphémisme. Je ne serais pas fâché de (avec l’inf.), que (avec le subj.) : je serais content. Ex. : je ne serais pas fâché qu’il parte, de le voir partir = je serais heureux qu’il parte, de le voir partir.
- couramment → sans réserve, sans retenue.
Me llamo el Indigente filósofo, y voy a darle una prueba de que estoy bien nombrado ; es que en el momento en que escribo lo que usted está leyendo (si es el caso ya que no estoy seguro de que esas especies de Memorias lleguen hasta usted ni sean capaces de tener lectores), pues, estoy diciendo que en el momento en que las escribo, estoy a más de quinientas leguas de mi patria, que es Francia, y reducido a la pobreza más extrema. En una palabra, me busco la vida, y por la noche me alojo donde se acepta recibirme.
Me parece que esa es una miseria bastante completa. Quizá no esté destinado a una condición mejor, me dirá usted, benévolo y querido lector. Pero se equivoca : soy de una familia bastante buena, mi padre estaba en los negocios, descendiente él mismo de un padre abogado, cuyos antepasados eran oficiales militares. Eso no es tan malo ; aun nací rico, pero heredé de mis padres demasiado temprano.
Yo no tenía más que veinte años cuando murieron ; a los veinte años, me gustaba tanto la alegría, yo era tan vivo e impetuoso, que, al encontrarme dueño de una fortuna de cincuenta mil escudos - no la aumento en un sol -, ¿ sería natural, a su parecer, que yo tuviera de qué vivir ahora que rayo en los cincuenta años ? No, la vida que estoy llevando no es bastarda, procede necesariamente de la que llevé, y de la que yo tenía que llevar en vista de mi temperamento.
Sólo tengo lo que merezco, y no me preocupo de ello. Cuando yo tenía alguna fortuna, me la comía ; ahora no tengo nada, me conformo con lo que se me da ; es verdad que si se me diera tanto como yo quisiera, me comería aún más de lo que ya me comí, yo no sería más corregible en aquel asunto. Sólo la pobreza pudiera razonarme, y gracias al Cielo heme aquí bien protegido contra mi debilidad : soy pobre en sumo grado, y hasta un pobre que debe ser pintado, ya que mi traje es andrajoso, y es lo mismo para el resto de mi vestido ; alabado sea Dios, eso no me impide reir, y como me río de buena gana, se me antojó hacer reir a los otros.
Para eso, acabo de comprar algunas hojas de papel para confiarme por escrito, o sea para mostrar lo que soy, y cómo pienso, y espero que usted estará contento conocerme.
Además, cuando yo estaba en Francia, oía que se decía a menudo a propósito de un libro, ¡ ah ! ¡ qué bien escribe este hombre ! ¡ qué mal escribe ! En cuanto a mí, no sé cómo escribiré : lo que se me ocurrirá, usted lo tendrá sin cumplidos ; porque sólo conozco los que consisten en escribir sin reserva mis pensamientos ; y si mi libro no vale nada, no lo perdré todo : porque me río de antemano de la pinta que usted tendrá cuando lo rechaze : a fe mía, ya me divierte eso ; mi libro esmeradamente impreso y encuadernado le habrá engañado, y para colmo, quizás usted no se reconozca en él, lo que seguirá siendo muy cómico.
Avec une petite fiche lexicale :
- gîter :
1. (V. intr.) (Vx ou littér.) Avoir son gîte quelque part (→ coucher, demeurer, habiter, loger).
2. Fig. Être situé, se trouver (→ résider).
3. (V. tr.) (Vx.) Pourvoir d’un gîte, mettre dans un gîte.
- bénin :
1. (Vx ou littér.) Bienveillant, indulgent (→ doux, bon, aimable). Ex. : une personne bénigne ; il est doux et bénin ; un air, un naturel, un caractère bénin ; une humeur bénigne. Par dérision. Doux et indulgent avec excès (→ faible, bonasse). Ex. : un mari bénin (→ complaisant).
2. (Choses). Dont l’action est bienfaisante, apaisante, calmante (→ bénéfique, favorable, propice). Ex. : l’influence bénigne de la mer, de l’air. Méd. et vx. Un remède bénin, qui agit avec douceur (→ anodin).
3. (Cour.) Sans conséquence grave (→ inoffensif). Ex. : une affection, une maladie bénigne ; un accident bénin ; une tumeur bénigne ; une faute, une erreur bénigne ; un péché bénin (→ véniel).
- sémillant : d’une vivacité plaisante, agréable (→ frétillant, fringant, gai, vif). (Souvent avec une valeur plaisante ou ironique, pour railler un comportement, notamment amoureux, jugé déplacé.)
- humeur → caractère, complexion, disposition, naturel, tempérament.
- au souverain degré = au dernier degré, au plus haut point.
- équipage → habit, toilette, accoutrement, costume, tenue.
- à l’avenant : en accord, en conformité, en rapport (→ de même, pareillement).
- « j'espère qu’on ne sera pas fâché de me connaître » :
Par euphémisme. Je ne serais pas fâché de (avec l’inf.), que (avec le subj.) : je serais content. Ex. : je ne serais pas fâché qu’il parte, de le voir partir = je serais heureux qu’il parte, de le voir partir.
- couramment → sans réserve, sans retenue.
Libellés :
promo Aline Schulman,
Votre thème du week-end
samedi 19 septembre 2009
vendredi 18 septembre 2009
Petite revue de presse
« Le concert à La Havane de Juanes déplaît aux exilés », Le Monde
http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/09/18/le-concert-a-la-havane-de-juanes-deplait-aux-exiles_1242174_3246.html#ens_id=1231229
« Libéré, l'arnaqueur de banques lance la grève du distributeur », Rue 89
http://www.rue89.com/ibere-espace/2009/09/18/libere-larnaqueur-de-banques-lance-la-greve-du-distributeur
http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/09/18/le-concert-a-la-havane-de-juanes-deplait-aux-exiles_1242174_3246.html#ens_id=1231229
« Libéré, l'arnaqueur de banques lance la grève du distributeur », Rue 89
http://www.rue89.com/ibere-espace/2009/09/18/libere-larnaqueur-de-banques-lance-la-greve-du-distributeur
Votre version de la semaine, Volpi
En photo : Jorge Volpi, par Hora 25 Global
Oui, encore Volpi… Mais qui s'en plaindrait ? C'est tellement bien ! Pour ceux qui n'ont jamais rien lu de ce jeune auteur mexicain, je vous conseille vraiment d'aller faire un tour du côté de En busca de Klingsor ; croyez-moi, vous ne serez pas déçus.
Una caminata muy similar a la que acabo de describir, sólo que seis años atrás. Seis años que ahora parecen siglos, como si todo aquello hubiese ocurrido en la edad de las tinieblas, en una era sin leyes ni costumbres, sembrada por el terror y el fuego. ¿Es posible imaginar el encuentro entre estos dos hombres? El viejo maestro, ciudadano de un país ocupado, y el joven aprendiz que pertenece, quiéralo o no, a los vencedores, dialogan durante unas horas: pelean, se arriesgan, disputan y, al final, callan. Un silencio destinado a permanecer ahí, como una vieja bala o la penosa cicatriz de una herida, para siempre...
Heisenberg lleva meses esperando la posibilidad de viajar a Copenhague para encontrarse con Bohr, pero las autoridades le niegan el permiso una y otra vez, todavía prejuiciadas por las insidias lanzadas contra él por el físico Johannes Stark y los demás seguidores de la Deutsche Physik. Por fin, gracias a la ayuda de su mejor amigo de entonces, el también físico Cari Friedrich von Weiszácker, uno de sus colaboradores en el proyecto atómico e hijo del subsecretario de Asuntos Exteriores del Reich, la oportunidad que tanto ha deseado se vuelve realidad. El viejo Weiszácker controla, entre otras dependencias gubernamentales, el Instituto Científico Alemán, una organización encargada de propiciar intercambios culturales con los países ocupados o aliados de Hitler. A petición de su hijo, el Instituto invita a Heisenberg a participar en una velada sobre física en sus instalaciones de Copenhague. El tema que escoge Heisenberg para su conferencia no parece el más apropiado para el momento: la fisión nuclear.
El 14 de septiembre de 1941, Heisenberg sube al tren nocturno en Berlín rumbo a Copenhague, donde llega a las 6:15 horas del día siguiente. Su conferencia en el Instituto está programada para la mañana del viernes, de modo que tiene cuatro días para tratar de conversar a solas con Bohr. A lo largo de la semana, Heisenberg visita el Instituto en varias ocasiones, e incluso acepta almorzar ahí, junto con Margrethe y varios de sus asistentes, aunque siempre cuidándose de hablar sobre la guerra del modo más vago posible. Pero la situación general es poco propicia y cualquier comentario es capaz de provocar un profundo escozor en sus anfitriones, o al menos ésta es la excusa que luego empleará el alemán. Conversando con el físico danés Meller, Heisenberg comete la torpeza de decir que, por el bien de la humanidad, lo mejor sería que Alemania ganase la guerra.
-Me parece lamentable que mi patria haya tenido que invadir naciones como Dinamarca, Noruega, Holanda o Bélgica -se explica-, pero por el contrario a los países de Europa del Este los llevará a tener un importante desarrollo, puesto que, a mi modo de ver, no eran capaces de gobernarse por sí mismos.
-Pues hasta donde me es posible darme cuenta -le responde Meller con indignación-, Alemania es la que no es capaz de gobernarse a sí misma.
El brusco intercambio de opiniones llega a oídos de Bohr y de Margrethe, quien se muestra aún más indignada que su esposo y decide no volver a recibir a Heisenberg en su casa. Bohr se muestra apesadumbra-w y no sabe qué hacer: a pesar de todo, le gustaría reunirse a solas con su viejo amigo, con el cual ha compartido tantas batallas en los últimos años. Con su minuciosidad característica, Bohr decide emplear un curioso sistema para tomar su decisión: anota los pros y los contras en una hoja y se promete releerla al cabo de unos días, cuando su mente esté más fresca. Así lo hace y, conmovido, piensa que su amistad con Heisenberg es más valiosa que cualquier otro argumento y, enfrentándose a la opinión de su mujer, lo invita a cenar a su casa. Para tranquilizar a Margrethe, le promete que su charla será únicamente sobre ciencia y no sobre política. La velada transcurre en un ambiente tenso, aunque sin incidentes.
Margrethe es amable y fría, y a Heisenberg se le encoge el corazón cada i vez que la descubre con un gesto adusto o una mueca de reprobación ! que no consigue dominar. Al término de la cena, apenas conteniendo su nerviosismo, Heisenberg le pregunta a su antiguo maestro si le apetece dar un paseo, como solían hacer antes. Bohr, más nervioso aún,accede.
El frío viento del Báltico comienza a azotar los árboles de la ciudad,sumiéndola en un doloroso mutismo acentuado por los uniformes nazis que se desplazan libremente por las calles, similares a buitres que propagan su mal agüero. Bohr y Heisenberg se dirigen hacia los desolados jardines de Faslledpark, no lejos del Instituto. Ambos se muestran alerta y cuidadosos, como si fuesen a decidir, de un modo u otro, no sólo el curso futuro de su amistad, sino el destino del mundo. Cada palabra debe ser pronunciada con precaución extrema, cuidando que sea lo suficientemente ambigua para evitar sospechas. Casi parecería que hablan en clave. Aunque lo desea, Heisenberg no puede ser directo: la propia naturaleza de sus proposiciones se lo impide. Bohr, por su parte, no parece demasiado dispuesto a participar en el juego; a pesar del cariño que lo une a Werner, alberga demasiadas sospechas contra él, y más aún cada vez que recuerda que es el encargado del proyecto atómico de Hitler.
El paseo, entonces, discurre con la misma seca frialdad del otoño.
Una caminata muy similar a la que acabo de describir, sólo que seis años atrás. Seis años que ahora parecen siglos, como si todo aquello hubiese ocurrido en la edad de las tinieblas, en una era sin leyes ni costumbres, sembrada por el terror y el fuego. ¿Es posible imaginar el encuentro entre estos dos hombres? El viejo maestro, ciudadano de un país ocupado, y el joven aprendiz que pertenece, quiéralo o no, a los vencedores, dialogan durante unas horas: pelean, se arriesgan, disputan y, al final, callan. Un silencio destinado a permanecer ahí, como una vieja bala o la penosa cicatriz de una herida, para siempre...
Heisenberg lleva meses esperando la posibilidad de viajar a Copenhague para encontrarse con Bohr, pero las autoridades le niegan el permiso una y otra vez, todavía prejuiciadas por las insidias lanzadas contra él por el físico Johannes Stark y los demás seguidores de la Deutsche Physik. Por fin, gracias a la ayuda de su mejor amigo de entonces, el también físico Cari Friedrich von Weiszácker, uno de sus colaboradores en el proyecto atómico e hijo del subsecretario de Asuntos Exteriores del Reich, la oportunidad que tanto ha deseado se vuelve realidad. El viejo Weiszácker controla, entre otras dependencias gubernamentales, el Instituto Científico Alemán, una organización encargada de propiciar intercambios culturales con los países ocupados o aliados de Hitler. A petición de su hijo, el Instituto invita a Heisenberg a participar en una velada sobre física en sus instalaciones de Copenhague. El tema que escoge Heisenberg para su conferencia no parece el más apropiado para el momento: la fisión nuclear.
El 14 de septiembre de 1941, Heisenberg sube al tren nocturno en Berlín rumbo a Copenhague, donde llega a las 6:15 horas del día siguiente. Su conferencia en el Instituto está programada para la mañana del viernes, de modo que tiene cuatro días para tratar de conversar a solas con Bohr. A lo largo de la semana, Heisenberg visita el Instituto en varias ocasiones, e incluso acepta almorzar ahí, junto con Margrethe y varios de sus asistentes, aunque siempre cuidándose de hablar sobre la guerra del modo más vago posible. Pero la situación general es poco propicia y cualquier comentario es capaz de provocar un profundo escozor en sus anfitriones, o al menos ésta es la excusa que luego empleará el alemán. Conversando con el físico danés Meller, Heisenberg comete la torpeza de decir que, por el bien de la humanidad, lo mejor sería que Alemania ganase la guerra.
-Me parece lamentable que mi patria haya tenido que invadir naciones como Dinamarca, Noruega, Holanda o Bélgica -se explica-, pero por el contrario a los países de Europa del Este los llevará a tener un importante desarrollo, puesto que, a mi modo de ver, no eran capaces de gobernarse por sí mismos.
-Pues hasta donde me es posible darme cuenta -le responde Meller con indignación-, Alemania es la que no es capaz de gobernarse a sí misma.
El brusco intercambio de opiniones llega a oídos de Bohr y de Margrethe, quien se muestra aún más indignada que su esposo y decide no volver a recibir a Heisenberg en su casa. Bohr se muestra apesadumbra-w y no sabe qué hacer: a pesar de todo, le gustaría reunirse a solas con su viejo amigo, con el cual ha compartido tantas batallas en los últimos años. Con su minuciosidad característica, Bohr decide emplear un curioso sistema para tomar su decisión: anota los pros y los contras en una hoja y se promete releerla al cabo de unos días, cuando su mente esté más fresca. Así lo hace y, conmovido, piensa que su amistad con Heisenberg es más valiosa que cualquier otro argumento y, enfrentándose a la opinión de su mujer, lo invita a cenar a su casa. Para tranquilizar a Margrethe, le promete que su charla será únicamente sobre ciencia y no sobre política. La velada transcurre en un ambiente tenso, aunque sin incidentes.
Margrethe es amable y fría, y a Heisenberg se le encoge el corazón cada i vez que la descubre con un gesto adusto o una mueca de reprobación ! que no consigue dominar. Al término de la cena, apenas conteniendo su nerviosismo, Heisenberg le pregunta a su antiguo maestro si le apetece dar un paseo, como solían hacer antes. Bohr, más nervioso aún,accede.
El frío viento del Báltico comienza a azotar los árboles de la ciudad,sumiéndola en un doloroso mutismo acentuado por los uniformes nazis que se desplazan libremente por las calles, similares a buitres que propagan su mal agüero. Bohr y Heisenberg se dirigen hacia los desolados jardines de Faslledpark, no lejos del Instituto. Ambos se muestran alerta y cuidadosos, como si fuesen a decidir, de un modo u otro, no sólo el curso futuro de su amistad, sino el destino del mundo. Cada palabra debe ser pronunciada con precaución extrema, cuidando que sea lo suficientemente ambigua para evitar sospechas. Casi parecería que hablan en clave. Aunque lo desea, Heisenberg no puede ser directo: la propia naturaleza de sus proposiciones se lo impide. Bohr, por su parte, no parece demasiado dispuesto a participar en el juego; a pesar del cariño que lo une a Werner, alberga demasiadas sospechas contra él, y más aún cada vez que recuerda que es el encargado del proyecto atómico de Hitler.
El paseo, entonces, discurre con la misma seca frialdad del otoño.
***
Amélie nous propose sa traduction :
Une promenade en tous points semblable à celle que je viens de décrire, mais six ans plus tôt. Six ans qui, aujourd’hui, me paraissent des siècles, comme si tout cela s’était passé à l’âge des ténèbres, dans une ère sans lois ni mœurs, parcourue par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti qui fait partie, qu’il le veuille ou non, des vainqueurs, dialoguent quelques heures durant : ils se battent, prennent des risques, se disputent et, pour finir, se taisent. Un silence voué à demeurer là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d’une blessure, à jamais…
Pendant plusieurs mois, Heisenberg est dans l’attente d’un éventuel voyage à Copenhague pour y rencontrer Bohr, mais les autorités refusent à plusieurs reprises de lui donner l’autorisation, toujours influencées par les écueils lancés contre lui par le physicien Johannes Stark et les autres adeptes de la Deutsche Physik. Enfin, grâce à l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, engagé à ses côtés dans le projet atomique et fils du secrétaire adjoint des Affaires Etrangères du Reich, l’opportunité tant désirée devient réalité. Le père Weiszácher contrôle, parmi d’autres dépendances gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou les alliés d’Hitler. A la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une soirée autour de la physique dans leurs établissements à Copenhague. Le thème choisit par Heisenberg pour sa conférence ne semble pas des plus appropriés à cette période : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte dans le train de nuit de Berlin à destination de Copenhague, où il arrive à 6h15, le lendemain. Sa conférence à l’Institut est prévue pour le vendredi dans la matinée, de telle sorte qu’il a quatre jours pour tenter de discuter seul à seul avec Bohr. Au cours de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, et accepte même d’y déjeuner, en compagnie de Margrethe et certains de ses assistants, tout en faisant toujours attention à parler de la guerre le plus vaguement possible. Mais la situation générale est peu propice et tout commentaire peut susciter une blessure profonde chez ses hôtes, ou du moins, telle est l’excuse que l’allemand emploiera plus tard. En discutant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, il vaudrait mieux que l’Allemagne gagne la guerre.
« Il me semble lamentable que ma patrie ait dû envahir des nations telles que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique, explique-t-il, par contre, pour les pays d’Europe de l’Est, cela va entraîner un développement considérable, car, selon moi, ils ne sont pas capables de se gouverner seuls.
- Eh bien, de là où je me trouve, lui répondit Meller, indigné, l’Allemagne est la seule qui ne soit pas capable de se gouverner seule.
Cet échange d’opinions cinglant parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe, qui se montre encore plus indignée que son époux, et décide de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr en est accablé et ne sait que faire : il aimerait malgré tout se retrouver en tête à tête avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec sa minutie singulière, il décider d’employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pours et les contres sur une feuille, et se promet de la relire au bout de quelques jours, quand son esprit sera plus reposé. Il agit de la sorte, et, affecté, songe que son amitié avec Heisenberg est plus précieuse que tout autre sujet, et, allant à l’encontre de l’opinion de sa femme, l’invite à dîner chez lui. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que la discussion ne portera que sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, mais sans incidents.
Margrethe est aimable et froide, et le cœur de Heisenberg se serre chaque fois qu’il la surprend le visage sévère ou altéré par une moue réprobatrice qu’elle ne peut réprimer. A la fin du dîner, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son vieil ami s’il désire aller faire un tour, comme ils en avaient l’habitude auparavant. Bohr, encore plus nerveux, accepte. Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la plongeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui se déplacent librement dans les rues, semblables à des vautours propageant leur mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Ils sont tous deux attentifs et sur leurs gardes, comme s’ils allaient décider, d’une manière ou d’une autre, non seulement du cours futur de leur amitié, mais aussi du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une précaution extrême, en prenant soin qu’il soit suffisamment ambigu pour ne pas éveiller de soupçons. On aurait presque dit qu’ils parlaient en langage codé. Bien qu’il en eut envie, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature propre de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas trop disposé à participer au jeu ; malgré l’affection qui l’unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, et plus encore chaque fois qu’il se rappelle qu’il est préposé au projet atomique d’Hitler.
La promenade se déroule donc dans la même froideur sèche que l’automne.
Une promenade en tous points semblable à celle que je viens de décrire, mais six ans plus tôt. Six ans qui, aujourd’hui, me paraissent des siècles, comme si tout cela s’était passé à l’âge des ténèbres, dans une ère sans lois ni mœurs, parcourue par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti qui fait partie, qu’il le veuille ou non, des vainqueurs, dialoguent quelques heures durant : ils se battent, prennent des risques, se disputent et, pour finir, se taisent. Un silence voué à demeurer là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d’une blessure, à jamais…
Pendant plusieurs mois, Heisenberg est dans l’attente d’un éventuel voyage à Copenhague pour y rencontrer Bohr, mais les autorités refusent à plusieurs reprises de lui donner l’autorisation, toujours influencées par les écueils lancés contre lui par le physicien Johannes Stark et les autres adeptes de la Deutsche Physik. Enfin, grâce à l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, engagé à ses côtés dans le projet atomique et fils du secrétaire adjoint des Affaires Etrangères du Reich, l’opportunité tant désirée devient réalité. Le père Weiszácher contrôle, parmi d’autres dépendances gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou les alliés d’Hitler. A la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une soirée autour de la physique dans leurs établissements à Copenhague. Le thème choisit par Heisenberg pour sa conférence ne semble pas des plus appropriés à cette période : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte dans le train de nuit de Berlin à destination de Copenhague, où il arrive à 6h15, le lendemain. Sa conférence à l’Institut est prévue pour le vendredi dans la matinée, de telle sorte qu’il a quatre jours pour tenter de discuter seul à seul avec Bohr. Au cours de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, et accepte même d’y déjeuner, en compagnie de Margrethe et certains de ses assistants, tout en faisant toujours attention à parler de la guerre le plus vaguement possible. Mais la situation générale est peu propice et tout commentaire peut susciter une blessure profonde chez ses hôtes, ou du moins, telle est l’excuse que l’allemand emploiera plus tard. En discutant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, il vaudrait mieux que l’Allemagne gagne la guerre.
« Il me semble lamentable que ma patrie ait dû envahir des nations telles que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique, explique-t-il, par contre, pour les pays d’Europe de l’Est, cela va entraîner un développement considérable, car, selon moi, ils ne sont pas capables de se gouverner seuls.
- Eh bien, de là où je me trouve, lui répondit Meller, indigné, l’Allemagne est la seule qui ne soit pas capable de se gouverner seule.
Cet échange d’opinions cinglant parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe, qui se montre encore plus indignée que son époux, et décide de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr en est accablé et ne sait que faire : il aimerait malgré tout se retrouver en tête à tête avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec sa minutie singulière, il décider d’employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pours et les contres sur une feuille, et se promet de la relire au bout de quelques jours, quand son esprit sera plus reposé. Il agit de la sorte, et, affecté, songe que son amitié avec Heisenberg est plus précieuse que tout autre sujet, et, allant à l’encontre de l’opinion de sa femme, l’invite à dîner chez lui. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que la discussion ne portera que sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, mais sans incidents.
Margrethe est aimable et froide, et le cœur de Heisenberg se serre chaque fois qu’il la surprend le visage sévère ou altéré par une moue réprobatrice qu’elle ne peut réprimer. A la fin du dîner, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son vieil ami s’il désire aller faire un tour, comme ils en avaient l’habitude auparavant. Bohr, encore plus nerveux, accepte. Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la plongeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui se déplacent librement dans les rues, semblables à des vautours propageant leur mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Ils sont tous deux attentifs et sur leurs gardes, comme s’ils allaient décider, d’une manière ou d’une autre, non seulement du cours futur de leur amitié, mais aussi du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une précaution extrême, en prenant soin qu’il soit suffisamment ambigu pour ne pas éveiller de soupçons. On aurait presque dit qu’ils parlaient en langage codé. Bien qu’il en eut envie, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature propre de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas trop disposé à participer au jeu ; malgré l’affection qui l’unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, et plus encore chaque fois qu’il se rappelle qu’il est préposé au projet atomique d’Hitler.
La promenade se déroule donc dans la même froideur sèche que l’automne.
***
Chloé nous propose sa traduction :
Une promenade vraiment similaire à celle que je viens de décrire, mais seulement six années plus tôt. Six années qui semblent maintenant être des siècles, comme si cela c’était passé à l’âge des ténèbres, une ère sans foi ni loi, parcourue par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti, qui fait partie, qu’il le veuille ou non, du camps des vainqueurs, parlent pendant plusieurs heures : ils se battent, prennent des risques, se disputent et, pour finir, se taisent. Un silence destiné à rester à jamais gravé, comme une vielle balle ou la cicatrice d’une blessure douloureuse…
Cela fait des mois qu’Heisenberg attend de pouvoir voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui refusent la permission encore et encore, toujours influencées par le physicien Johannes Stark et les autres partisans de la Deutsche Physik qui ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues. Finalement, grâce à l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszacker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs dans le projet atomique et fils du sous-secrétaire aux Affaires Etrangères du Reich, l’opportunité tant attendue arrive enfin. Le vieux Weiszacker dirige, entre autres annexes gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de faciliter les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d’Hitler.
A la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une réception sur la physique dans ses installations à Copenhague. Le sujet que choisit Heisenberg pour sa conférence ne semble pas être le plus approprié pour le moment : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte dans le train de nuit de Berlin en partance pour Copenhague, où il arrive à 06h15 le jour suivant. Sa conférence à l’Institut est programmée pour vendredi matin, de cette façon, il a quatre jours pour essayer de parler seul à seul avec Bohr. Tout au long de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, il accepte même d’y déjeuner, en compagnie de Margrethe et certains de ses assistants, bien qu’il fasse toujours attention à parler de la guerre de la manière la plus vague possible. Mais la situation générale est peu propice, et n’importe quel commentaire est capable de provoquer une douleur cuisante à ses hôtes, ou du moins, c’est l’excuse qu’emploiera plus tard l’allemand. En discutant avec Meller, le physicien danois, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagne la guerre.
Je trouve regrettable que ma patrie ait dû envahir des nations telles que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique –s’explique-t-il–, mais en revanche, pour les pays d’Europe de l’Est, elle va les aider à bien se développer, car, de mon point de vue, ils étaient incapables de se gouverner eux-mêmes.
Et bien, d’après ce que j’ai pu observer jusqu’à présent – répond Meller avec indignation–, l’Allemagne est celle qui est incapable de se gouverner elle-même.
L’échange cinglant d’opinions parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe, qui se montrent encore plus indignée que son mari et décide ne plus recevoir à nouveau Heisenberg chez elle. Bohr paraît affligé et ne sait que faire : malgré tout, il aimerait se retrouver seul à seul avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide d’employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pours et les contres sur une feuille et se promet de la relire au bout de quelques jours, quand son esprit sera plus frais. C’est ainsi qu’il procède et, ému, il se dit que son amitié avec Heisenberg vaut plus que tout autre argument, et contre l’opinion de sa femme, il l’invite à dîner chez lui. Pour tranquilliser Margrethe, il lui promet que leur discussion tournera uniquement autour de la science et non autour de la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, bien que sans incidents.
Margrethe est aimable et froide, et Heisenberg a le cœur serré chaque fois qu’il lui surprend un air sévère ou une moue de réprobation qu’elle n’arrive pas à dominer. A la fin du repas, contenant avec peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il lui plairait de faire un tour, comme ils avaient l’habitude de faire avant. Bohr, encore plus nerveux, accepte.
Le vent froid de la mer Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la plongeant dans un mutisme douloureux accentué par les uniformes nazies qui se déplacent librement dans les rues, tels des vautours propageant leur mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Tous les deux se montrent alertes et prudents, comme si ils allaient décider, d’une manière ou d’une autre, non seulement du futur cours de leur amitié, mais aussi du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, faisant attention à ce qu’il soit suffisamment ambigu pour éviter tout soupçon. On dirait presque qu’ils parlent de manière codée. Bien qu’il le veuille, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas très disposé à participer au jeu ; malgré l’affection qui le lie à Werner, il nourrit beaucoup trop de soupçons contre lui , et plus encore chaque fois qu’il se rappelle qu’il est chargé du projet atomique d’Hitler. Alors, la promenade se déroule avec la même froideur sèche que l’automne.
Une promenade vraiment similaire à celle que je viens de décrire, mais seulement six années plus tôt. Six années qui semblent maintenant être des siècles, comme si cela c’était passé à l’âge des ténèbres, une ère sans foi ni loi, parcourue par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti, qui fait partie, qu’il le veuille ou non, du camps des vainqueurs, parlent pendant plusieurs heures : ils se battent, prennent des risques, se disputent et, pour finir, se taisent. Un silence destiné à rester à jamais gravé, comme une vielle balle ou la cicatrice d’une blessure douloureuse…
Cela fait des mois qu’Heisenberg attend de pouvoir voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui refusent la permission encore et encore, toujours influencées par le physicien Johannes Stark et les autres partisans de la Deutsche Physik qui ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues. Finalement, grâce à l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszacker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs dans le projet atomique et fils du sous-secrétaire aux Affaires Etrangères du Reich, l’opportunité tant attendue arrive enfin. Le vieux Weiszacker dirige, entre autres annexes gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de faciliter les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d’Hitler.
A la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une réception sur la physique dans ses installations à Copenhague. Le sujet que choisit Heisenberg pour sa conférence ne semble pas être le plus approprié pour le moment : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte dans le train de nuit de Berlin en partance pour Copenhague, où il arrive à 06h15 le jour suivant. Sa conférence à l’Institut est programmée pour vendredi matin, de cette façon, il a quatre jours pour essayer de parler seul à seul avec Bohr. Tout au long de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, il accepte même d’y déjeuner, en compagnie de Margrethe et certains de ses assistants, bien qu’il fasse toujours attention à parler de la guerre de la manière la plus vague possible. Mais la situation générale est peu propice, et n’importe quel commentaire est capable de provoquer une douleur cuisante à ses hôtes, ou du moins, c’est l’excuse qu’emploiera plus tard l’allemand. En discutant avec Meller, le physicien danois, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagne la guerre.
Je trouve regrettable que ma patrie ait dû envahir des nations telles que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique –s’explique-t-il–, mais en revanche, pour les pays d’Europe de l’Est, elle va les aider à bien se développer, car, de mon point de vue, ils étaient incapables de se gouverner eux-mêmes.
Et bien, d’après ce que j’ai pu observer jusqu’à présent – répond Meller avec indignation–, l’Allemagne est celle qui est incapable de se gouverner elle-même.
L’échange cinglant d’opinions parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe, qui se montrent encore plus indignée que son mari et décide ne plus recevoir à nouveau Heisenberg chez elle. Bohr paraît affligé et ne sait que faire : malgré tout, il aimerait se retrouver seul à seul avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide d’employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pours et les contres sur une feuille et se promet de la relire au bout de quelques jours, quand son esprit sera plus frais. C’est ainsi qu’il procède et, ému, il se dit que son amitié avec Heisenberg vaut plus que tout autre argument, et contre l’opinion de sa femme, il l’invite à dîner chez lui. Pour tranquilliser Margrethe, il lui promet que leur discussion tournera uniquement autour de la science et non autour de la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, bien que sans incidents.
Margrethe est aimable et froide, et Heisenberg a le cœur serré chaque fois qu’il lui surprend un air sévère ou une moue de réprobation qu’elle n’arrive pas à dominer. A la fin du repas, contenant avec peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il lui plairait de faire un tour, comme ils avaient l’habitude de faire avant. Bohr, encore plus nerveux, accepte.
Le vent froid de la mer Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la plongeant dans un mutisme douloureux accentué par les uniformes nazies qui se déplacent librement dans les rues, tels des vautours propageant leur mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Tous les deux se montrent alertes et prudents, comme si ils allaient décider, d’une manière ou d’une autre, non seulement du futur cours de leur amitié, mais aussi du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, faisant attention à ce qu’il soit suffisamment ambigu pour éviter tout soupçon. On dirait presque qu’ils parlent de manière codée. Bien qu’il le veuille, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas très disposé à participer au jeu ; malgré l’affection qui le lie à Werner, il nourrit beaucoup trop de soupçons contre lui , et plus encore chaque fois qu’il se rappelle qu’il est chargé du projet atomique d’Hitler. Alors, la promenade se déroule avec la même froideur sèche que l’automne.
***
Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
C’est une promenade qui ressemble fort à celle que je viens d’évoquer, la seule différence c’est qu’elle a lieu six ans plus tard. Six ans qui, aujourd’hui, paraissent des siècles, comme si tout cela remontait à l’âge des ténèbres, à une époque sans foi ni loi, marquée par la terreur et le feu. Est-il seulement possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti qui appartient, qu’il le veuille ou non, au camp des vaincus, parlent pendant des heures : ils s’énervent, ils se provoquent, ils s’affrontent et, à la fin, ils se taisent. Un silence destiné à demeurer là, comme un vieil éclat d’obus ou comme la douloureuse cicatrice d’une blessure, pour toujours...
Heisenberg attend depuis des mois de pouvoir voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités, encore sous l’influence des attaques insidieuses lancées contre lui par le physicien Johannes Stark et par les autres partisans de la Deutsche Physik, lui refusent à chaque fois l’autorisation. En fin de compte, avec l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs au projet atomique et fils du sous-secrétaire des Affaires Étrangères du Reich, l’opportunité qu’il a tant caressée s’offre enfin à lui. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres organismes gouvernementaux, l’Institut Scientifique Allemand, chargé de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés à Hitler. À la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une soirée consacrée à la physique dans ses locaux de Copenhague. Le sujet choisi par Heisenberg pour sa conférence ne semble pas être des plus appropriés au moment : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, à Berlin, Heisenberg monte dans le train de nuit en direction de Copenhague, où il arrive à 6h15 le lendemain. Sa conférence à l’Institut est programmée pour la matinée du vendredi, de sorte qu’il dispose de quatre jours pour tenter de s’entretenir seul à seul avec Bohr. Au cours de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises. Il accepte même d’y déjeuner en compagnie de Margrethe et de plusieurs de ses assistants, tenant le plus possible la guerre dans le vague. En effet, la situation générale n’est guère favorable et tout commentaire peut piquer au vif les amphitryons, ou du moins servir plus tard de prétexte à l’allemand. Mais, emporté dans sa conversation avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet une maladresse : il affirme que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagnât la guerre.
- Je trouve lamentable que ma patrie ait dû envahir des pays tels que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique – explique-t-il -, mais contrairement aux pays d’Europe de l’Est, ils seront amenés à se développer fortement, car, à mon avis, ils n’étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes.
- Eh bien, jusqu’à présent, voyez-vous, il m’apparaît plutôt que c’est l’Allemagne qui n’est pas capable de se gouverner elle-même – lui répond Meller, indigné.
Cette altercation soudaine parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe qui, encore plus indignée que son mari, décide sur-le-champ de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr, chagriné, ne sait que faire : il aimerait, malgré tout, pouvoir rencontrer en tête à tête son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles au cours des dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide de recourir à un curieux stratagème pour prendre sa décision : il note le pour et le contre de la situation sur une feuille qu’il se promet de relire au bout de quelques jours, quand il aura l’esprit plus clair. Et c’est ce qu’il fait : avec émotion, il décide que son amitié avec Heisenberg a plus de poids que n’importe quel autre argument et, allant à l’encontre de l’avis de sa femme, il l’invite à dîner chez lui. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que la conversation portera uniquement sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une atmosphère tendue, quoique sans incidents particuliers.
Margrethe se montre d’une amabilité froide, et Heisenberg a le cœur serré chaque fois qu’il la voit prendre un air sévère ou esquisser une moue de réprobation qu’elle ne parvient pas à réprimer. À la fin du dîner, dissimulant à grand peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il est partant pour une promenade, en souvenir de leur habitude passée. Bohr, encore plus nerveux, accepte.
Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, plongée dans un douloureux mutisme, accentué par les uniformes nazis qui se déplacent librement à travers les rues, pareils à des vautours de mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Prudents, ils se tiennent tous les deux sur leurs gardes, comme s’ils étaient sur le point d’engager, d’une façon ou d’une autre, non seulement la tournure de leur amitié, mais aussi le destin du monde. Ils veillent à prononcer chaque mot avec une précaution extrême, tout en y insufflant suffisamment d’ambiguïté afin d’écarter tout soupçon. Pour peu, on dirait qu’ils s’expriment en langage codé. Bien que ce soit son désir le plus cher, Heisenberg ne peut pas se permettre d’être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas être trop enclin à prendre part au jeu ; malgré l’affection qui le lie à Werner, il nourrit trop de soupçons à son égard, soupçons d’autant plus grands lorsqu’il se remémore sa responsabilité dans le projet atomique d’Hitler.
Voilà pourquoi leur contact pendant cette promenade est aussi sec et aussi froid que l’automne lui-même.
C’est une promenade qui ressemble fort à celle que je viens d’évoquer, la seule différence c’est qu’elle a lieu six ans plus tard. Six ans qui, aujourd’hui, paraissent des siècles, comme si tout cela remontait à l’âge des ténèbres, à une époque sans foi ni loi, marquée par la terreur et le feu. Est-il seulement possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti qui appartient, qu’il le veuille ou non, au camp des vaincus, parlent pendant des heures : ils s’énervent, ils se provoquent, ils s’affrontent et, à la fin, ils se taisent. Un silence destiné à demeurer là, comme un vieil éclat d’obus ou comme la douloureuse cicatrice d’une blessure, pour toujours...
Heisenberg attend depuis des mois de pouvoir voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités, encore sous l’influence des attaques insidieuses lancées contre lui par le physicien Johannes Stark et par les autres partisans de la Deutsche Physik, lui refusent à chaque fois l’autorisation. En fin de compte, avec l’aide de son meilleur ami de l’époque, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs au projet atomique et fils du sous-secrétaire des Affaires Étrangères du Reich, l’opportunité qu’il a tant caressée s’offre enfin à lui. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres organismes gouvernementaux, l’Institut Scientifique Allemand, chargé de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés à Hitler. À la demande de son fils, l’Institut invite Heisenberg à participer à une soirée consacrée à la physique dans ses locaux de Copenhague. Le sujet choisi par Heisenberg pour sa conférence ne semble pas être des plus appropriés au moment : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, à Berlin, Heisenberg monte dans le train de nuit en direction de Copenhague, où il arrive à 6h15 le lendemain. Sa conférence à l’Institut est programmée pour la matinée du vendredi, de sorte qu’il dispose de quatre jours pour tenter de s’entretenir seul à seul avec Bohr. Au cours de la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises. Il accepte même d’y déjeuner en compagnie de Margrethe et de plusieurs de ses assistants, tenant le plus possible la guerre dans le vague. En effet, la situation générale n’est guère favorable et tout commentaire peut piquer au vif les amphitryons, ou du moins servir plus tard de prétexte à l’allemand. Mais, emporté dans sa conversation avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet une maladresse : il affirme que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagnât la guerre.
- Je trouve lamentable que ma patrie ait dû envahir des pays tels que le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique – explique-t-il -, mais contrairement aux pays d’Europe de l’Est, ils seront amenés à se développer fortement, car, à mon avis, ils n’étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes.
- Eh bien, jusqu’à présent, voyez-vous, il m’apparaît plutôt que c’est l’Allemagne qui n’est pas capable de se gouverner elle-même – lui répond Meller, indigné.
Cette altercation soudaine parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe qui, encore plus indignée que son mari, décide sur-le-champ de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr, chagriné, ne sait que faire : il aimerait, malgré tout, pouvoir rencontrer en tête à tête son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles au cours des dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide de recourir à un curieux stratagème pour prendre sa décision : il note le pour et le contre de la situation sur une feuille qu’il se promet de relire au bout de quelques jours, quand il aura l’esprit plus clair. Et c’est ce qu’il fait : avec émotion, il décide que son amitié avec Heisenberg a plus de poids que n’importe quel autre argument et, allant à l’encontre de l’avis de sa femme, il l’invite à dîner chez lui. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que la conversation portera uniquement sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une atmosphère tendue, quoique sans incidents particuliers.
Margrethe se montre d’une amabilité froide, et Heisenberg a le cœur serré chaque fois qu’il la voit prendre un air sévère ou esquisser une moue de réprobation qu’elle ne parvient pas à réprimer. À la fin du dîner, dissimulant à grand peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il est partant pour une promenade, en souvenir de leur habitude passée. Bohr, encore plus nerveux, accepte.
Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, plongée dans un douloureux mutisme, accentué par les uniformes nazis qui se déplacent librement à travers les rues, pareils à des vautours de mauvais augure. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, non loin de l’Institut. Prudents, ils se tiennent tous les deux sur leurs gardes, comme s’ils étaient sur le point d’engager, d’une façon ou d’une autre, non seulement la tournure de leur amitié, mais aussi le destin du monde. Ils veillent à prononcer chaque mot avec une précaution extrême, tout en y insufflant suffisamment d’ambiguïté afin d’écarter tout soupçon. Pour peu, on dirait qu’ils s’expriment en langage codé. Bien que ce soit son désir le plus cher, Heisenberg ne peut pas se permettre d’être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, de son côté, ne semble pas être trop enclin à prendre part au jeu ; malgré l’affection qui le lie à Werner, il nourrit trop de soupçons à son égard, soupçons d’autant plus grands lorsqu’il se remémore sa responsabilité dans le projet atomique d’Hitler.
Voilà pourquoi leur contact pendant cette promenade est aussi sec et aussi froid que l’automne lui-même.
***
Sonita nous propose sa traduction :
Une promenade très similaire à celle que je viens de décrire, mais d’il y a six ans. Six ans qui semblent des siècles maintenant, comme si tout cela avait eu lieu à l’âge des ténèbres, pendant une ère sans lois ni coutumes, semée par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti, qui appartient, qu’il le veuille ou pas, au camp des vainqueurs, dialoguent pendant quelques heures : ils se disputent, prennent des risques, discutent et, à la fin, se taisent. Un silence destiné à appartenir à cet instant-là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d’une plaie, pour toujours…
Ça fait des mois qu’Heisenberg attend l’occasion d’aller à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui refusent le permis à chaque fois, encore échaudées par les pièges tendus contre Heisenberg par le physicien Johannes Stark et les autres partisans de la Deutsche Physik. Finalement, grâce à l’aide de son alors meilleur ami, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs sur le projet atomique et fils du sous-secrétaire aux Affaires Étrangères du Reich, l’occasion qu’il avait tant désirée devient réalité. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres agences gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser des échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d’Hitler. À la demande de son fils, l’Institut invita Heisenberg à participer à une soirée sur la physique dans ses installations de Copenhague. Le thème qu’Heisenberg choisit pour sa conférence ne semble pas être le plus approprié à ce moment-là : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte à bord du train nocturne de Berlin à destination de Copenhague, où il arrive à 6h15 le lendemain. Sa conférence à l’Institut est programmée pour le vendredi matin, de telle façon qu’il a quatre jours pour essayer de s’entretenir en tête à tête avec Bohr. Durant la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, et il accepte même d’y déjeuner, avec Margrethe et plusieurs de ses assistants, bien qu’en faisant attention à toujours parler de la guerre le plus vaguement possible. Mais la situation générale est peu favorable et un quelconque commentaire est capable de provoquer un profond malaise chez ses hôtes, ou du moins ça c’est l’excuse dont l’allemand se servira plus tard. En discutant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagne la guerre.
- Je trouve regrettable que ma patrie ait dû envahir des nations comme le Danemark, la Norvège, l’Hollande ou la Belgique – se justifie-t-il – mais, au contraire, en ce qui concerne les pays de l’Europe de l’Est, l’Allemagne les mènera vers un important développement, puisque, à mon avis, ils n’étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes
- Et bien, comme moi je le vois – lui répond Meller avec indignation –, c’est l’Allemagne qui est incapable de se gouverner seule.
Le brusque échange d’opinions arrive aux oreilles de Bohr et Margrethe, qui se montre encore plus indignée que son époux et décide ne plus recevoir Heisenberg chez eux. Bohr se montre affligé et ne sait pas quoi faire ; malgré tout, il aimerait avoir un rendez-vous en tête à tête avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec sa minutie caractéristique, Bohr décide d’utiliser un curieux système pour prendre sa décision : il note les pour et les contre sur une feuille et il se promet de la relire dans quelques jours, quand il aura les idées plus claires. Ainsi le fait-il et, ébranlé, il pense que son amitié avec Heisenberg est plus précieuse qu’un quelconque autre argument et, contre l’avis de sa femme, il l’invite à dîner chez eux. Pour tranquilliser Margrethe, il lui promet que leur conversation portera uniquement sur la science et point sur la politique. La soirée s’écoule dans une ambiance tendue bien que sans incidents. Margrethe est aimable et froide, et Heisenberg a un petit pincement au cœur à chaque fois qu’il la surprend ayant un geste sévère ou une grimace de réprobation, qu’elle n’arrive pas à dissimuler. À la fin du dîner, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il a envie d’aller faire une promenade, comme ils en avaient l’habitude autrefois. Bohr, encore plus nerveux, y consent.
Le vent froid de la Baltique s’abat sur les arbres de la ville, la plongeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui vont et viennent librement dans les rues, tels des vautours qui propagent leur mauvais présage. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, pas loin de l’Institut. Tous les deux se montrent alertes et sur leurs gardes, comme s’ils allaient décider, d’une façon ou d’une autre, non seulement le cours de leur future amitié, mais plutôt, le destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, en prenant garde à ce qu’il soit suffisamment ambigu pour ne pas lever des soupçons. On aurait presque dit qu’ils utilisent un langage codé. Même s’il le souhaite, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, quant à lui ne semble pas vraiment avoir envie de jouer le jeu, malgré la tendresse qui l’unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, et plus encore à chaque fois qu’il se souvient qu’Heisenberg est le responsable du projet atomique d’Hitler.
Alors, la promenade suit son cours avec la même froideur sèche de l’automne.
Une promenade très similaire à celle que je viens de décrire, mais d’il y a six ans. Six ans qui semblent des siècles maintenant, comme si tout cela avait eu lieu à l’âge des ténèbres, pendant une ère sans lois ni coutumes, semée par la terreur et le feu. Est-il possible d’imaginer la rencontre entre ces deux hommes ? Le vieux maître, citoyen d’un pays occupé, et le jeune apprenti, qui appartient, qu’il le veuille ou pas, au camp des vainqueurs, dialoguent pendant quelques heures : ils se disputent, prennent des risques, discutent et, à la fin, se taisent. Un silence destiné à appartenir à cet instant-là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d’une plaie, pour toujours…
Ça fait des mois qu’Heisenberg attend l’occasion d’aller à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui refusent le permis à chaque fois, encore échaudées par les pièges tendus contre Heisenberg par le physicien Johannes Stark et les autres partisans de la Deutsche Physik. Finalement, grâce à l’aide de son alors meilleur ami, Cari Friedrich von Weiszácker, lui aussi physicien, un de ses collaborateurs sur le projet atomique et fils du sous-secrétaire aux Affaires Étrangères du Reich, l’occasion qu’il avait tant désirée devient réalité. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres agences gouvernementales, l’Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser des échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d’Hitler. À la demande de son fils, l’Institut invita Heisenberg à participer à une soirée sur la physique dans ses installations de Copenhague. Le thème qu’Heisenberg choisit pour sa conférence ne semble pas être le plus approprié à ce moment-là : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg monte à bord du train nocturne de Berlin à destination de Copenhague, où il arrive à 6h15 le lendemain. Sa conférence à l’Institut est programmée pour le vendredi matin, de telle façon qu’il a quatre jours pour essayer de s’entretenir en tête à tête avec Bohr. Durant la semaine, Heisenberg visite l’Institut à plusieurs reprises, et il accepte même d’y déjeuner, avec Margrethe et plusieurs de ses assistants, bien qu’en faisant attention à toujours parler de la guerre le plus vaguement possible. Mais la situation générale est peu favorable et un quelconque commentaire est capable de provoquer un profond malaise chez ses hôtes, ou du moins ça c’est l’excuse dont l’allemand se servira plus tard. En discutant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l’humanité, le mieux serait que l’Allemagne gagne la guerre.
- Je trouve regrettable que ma patrie ait dû envahir des nations comme le Danemark, la Norvège, l’Hollande ou la Belgique – se justifie-t-il – mais, au contraire, en ce qui concerne les pays de l’Europe de l’Est, l’Allemagne les mènera vers un important développement, puisque, à mon avis, ils n’étaient pas capables de se gouverner eux-mêmes
- Et bien, comme moi je le vois – lui répond Meller avec indignation –, c’est l’Allemagne qui est incapable de se gouverner seule.
Le brusque échange d’opinions arrive aux oreilles de Bohr et Margrethe, qui se montre encore plus indignée que son époux et décide ne plus recevoir Heisenberg chez eux. Bohr se montre affligé et ne sait pas quoi faire ; malgré tout, il aimerait avoir un rendez-vous en tête à tête avec son vieil ami, avec lequel il a partagé tant de batailles ces dernières années. Avec sa minutie caractéristique, Bohr décide d’utiliser un curieux système pour prendre sa décision : il note les pour et les contre sur une feuille et il se promet de la relire dans quelques jours, quand il aura les idées plus claires. Ainsi le fait-il et, ébranlé, il pense que son amitié avec Heisenberg est plus précieuse qu’un quelconque autre argument et, contre l’avis de sa femme, il l’invite à dîner chez eux. Pour tranquilliser Margrethe, il lui promet que leur conversation portera uniquement sur la science et point sur la politique. La soirée s’écoule dans une ambiance tendue bien que sans incidents. Margrethe est aimable et froide, et Heisenberg a un petit pincement au cœur à chaque fois qu’il la surprend ayant un geste sévère ou une grimace de réprobation, qu’elle n’arrive pas à dissimuler. À la fin du dîner, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s’il a envie d’aller faire une promenade, comme ils en avaient l’habitude autrefois. Bohr, encore plus nerveux, y consent.
Le vent froid de la Baltique s’abat sur les arbres de la ville, la plongeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui vont et viennent librement dans les rues, tels des vautours qui propagent leur mauvais présage. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, pas loin de l’Institut. Tous les deux se montrent alertes et sur leurs gardes, comme s’ils allaient décider, d’une façon ou d’une autre, non seulement le cours de leur future amitié, mais plutôt, le destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, en prenant garde à ce qu’il soit suffisamment ambigu pour ne pas lever des soupçons. On aurait presque dit qu’ils utilisent un langage codé. Même s’il le souhaite, Heisenberg ne peut pas être direct : la nature même de ses propositions l’en empêche. Bohr, quant à lui ne semble pas vraiment avoir envie de jouer le jeu, malgré la tendresse qui l’unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, et plus encore à chaque fois qu’il se souvient qu’Heisenberg est le responsable du projet atomique d’Hitler.
Alors, la promenade suit son cours avec la même froideur sèche de l’automne.
***
Odile nous propose sa traduction :
Une promenade très similaire à celle que je viens de décrire, mais six années auparavant. Six années qui paraissent des siècles, comme si tout cela s'était déroulé à l'âge des tenèbres, pendant une ère sans foi ni loi, sillonnée de terreur et de feu. Est-il possible de concevoir la rencontre entre ces deux hommes? Le vieux maître, citoyen d'un pays occupé, et le jeune apprenti qui appartient, qu'il le veuille ou non, au camp des vainqueurs, dialoguent pendant quelques heures : ils s'affrontent, se risquent, bataillent et finalement se taisent. Un silence destiné à demeurer là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d'une blessure, à jamais.....
Heisenberg attend depuis des mois la possibilité de voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui en refusent plusieurs fois la permission, car elles sont toujours méfiantes en raison des soupçons lançés contre lui par le physicien Johannes Stark et les autres membres de la Deutsche Physik. Finalement, grâce à l'aide de son meilleur ami d'alors, lui aussi physicien, Carl Friederich von Weiszácker, un des ses collaborateurs dans le projet atomique et fils du sous-secrétaire des Affaires Étrangères du Reich, le moment qu'il a tant désiré devient réalité. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres instances gouvernementales, l'Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d'Hilter. Sur la demande de son fils, l'Institut invite Heisenberg dans ses installations de Copenhague, afin participer à une soirée dont le thème est la physique. Le thème choisi par Heisenberg pour sa conférence ne paraît pas le mieux approprié pour l'heure : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg prend le train de nuit à Berlin en direction de Copenhague, où il arrive le lendemain matin à 6 heures 15. Sa conférence à l'Institut est programmée pour la matinée du vendredi, ce qui lui laisse quatre jours pour essayer de parler seul à seul avec Bohr. Tout au long de la semaine, Heisenberg visite l'Institut à plusieurs reprises et accepte même d'y déjeuner avec Margrethe et plusieurs de ses assistants, faisant en sorte d'aborder le thème de la guerre de la manière la plus vague possible. Mais la situation générale est peu propice et le moindre commentaire est capable de provoquer une profonde irritation chez ses hôtes, ou du moins telle est l'excuse que l'Allemand donnera par la suite. En parlant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l'humanité, le mieux serait que l' Allemagne gagne la guerre.
- Je déplore que ma patrie ait été contrainte d' envahir des nations comme le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique -se justifie-t-il-, mais en revanche, elle conduira les pays d'Europe de l'Est à connaître un grand essor car, à mon avis, ils étaient incapables de se gouverner seuls.
- Eh bien, pour moi, autant que je comprenne, -lui répond indigné Meller- c'est l'Allemagne qui est incapable de se gouverner elle-même.
Le sec échange de points de vue parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe qui se montre plus indignée encore que son époux et décide de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr se montre chagriné et ne sait que faire : malgré tout, il aimerait se retouver en tête à tête avec son vieil ami, qui a partagé avec lui tant de batailles durant les dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide d'employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pour et les contre sur une feuille et se promet de la relire au bout de quelques jours, lorsque son esprit sera plus reposé. Il procède ainsi, il est ému, se dit que son amitié avec Heisemberg est plus précieuse que tout autre argument et, s'opposant à l'avis de sa femme, l'invite à dîner chez eux. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que leur discussion portera uniquement sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, mais sans incidents.
Margrethe est aimable, froide, et Heisenberg a le coeur serré chaque fois qu'il surprend chez elle un air sevère ou une moue de réprobation qu'elle ne peut réprimer.
A la fin du repas, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s'il veut faire une promenade, comme ils en avaient l'habitude autrefois. Bohr, plus nerveux encore que lui, acquiesce. Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la submergeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui circulent librement par les rues, tels des vautours propageant leurs mauvais augures. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, près de l'Institut. Tous les deux sont vigilants et attentifs, comme s'ils allaient décider, d'une façon ou d'une autre, non seulement du cours futur de leur amité, mais du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, en prenant soin de le rendre suffisamment ambigü afin éviter les soupçons. On dirait qu'ils emploient un langage codé. Bien qu'il le désire, Heisenberg ne peut être direct : la propre nature des ses propositions l'en empêche. Bohr, de son côté, ne paraît pas enclin à participer au jeu ; malgré l'affection qui l'unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, des soupçons qui se ravivent chaque fois qu'il se souvient qu'il est le chargé du projet atomique d'Hitler.
La promenade, alors, se déroule dans une atmosphère de sèche froideur comparable à celle de l'automne.
Une promenade très similaire à celle que je viens de décrire, mais six années auparavant. Six années qui paraissent des siècles, comme si tout cela s'était déroulé à l'âge des tenèbres, pendant une ère sans foi ni loi, sillonnée de terreur et de feu. Est-il possible de concevoir la rencontre entre ces deux hommes? Le vieux maître, citoyen d'un pays occupé, et le jeune apprenti qui appartient, qu'il le veuille ou non, au camp des vainqueurs, dialoguent pendant quelques heures : ils s'affrontent, se risquent, bataillent et finalement se taisent. Un silence destiné à demeurer là, comme une vieille balle ou la douloureuse cicatrice d'une blessure, à jamais.....
Heisenberg attend depuis des mois la possibilité de voyager à Copenhague pour rencontrer Bohr, mais les autorités lui en refusent plusieurs fois la permission, car elles sont toujours méfiantes en raison des soupçons lançés contre lui par le physicien Johannes Stark et les autres membres de la Deutsche Physik. Finalement, grâce à l'aide de son meilleur ami d'alors, lui aussi physicien, Carl Friederich von Weiszácker, un des ses collaborateurs dans le projet atomique et fils du sous-secrétaire des Affaires Étrangères du Reich, le moment qu'il a tant désiré devient réalité. Le vieux Weiszácker contrôle, entre autres instances gouvernementales, l'Institut Scientifique Allemand, une organisation chargée de favoriser les échanges culturels avec les pays occupés ou alliés d'Hilter. Sur la demande de son fils, l'Institut invite Heisenberg dans ses installations de Copenhague, afin participer à une soirée dont le thème est la physique. Le thème choisi par Heisenberg pour sa conférence ne paraît pas le mieux approprié pour l'heure : la fission nucléaire.
Le 14 septembre 1941, Heisenberg prend le train de nuit à Berlin en direction de Copenhague, où il arrive le lendemain matin à 6 heures 15. Sa conférence à l'Institut est programmée pour la matinée du vendredi, ce qui lui laisse quatre jours pour essayer de parler seul à seul avec Bohr. Tout au long de la semaine, Heisenberg visite l'Institut à plusieurs reprises et accepte même d'y déjeuner avec Margrethe et plusieurs de ses assistants, faisant en sorte d'aborder le thème de la guerre de la manière la plus vague possible. Mais la situation générale est peu propice et le moindre commentaire est capable de provoquer une profonde irritation chez ses hôtes, ou du moins telle est l'excuse que l'Allemand donnera par la suite. En parlant avec le physicien danois Meller, Heisenberg commet la maladresse de dire que, pour le bien de l'humanité, le mieux serait que l' Allemagne gagne la guerre.
- Je déplore que ma patrie ait été contrainte d' envahir des nations comme le Danemark, la Norvège, la Hollande ou la Belgique -se justifie-t-il-, mais en revanche, elle conduira les pays d'Europe de l'Est à connaître un grand essor car, à mon avis, ils étaient incapables de se gouverner seuls.
- Eh bien, pour moi, autant que je comprenne, -lui répond indigné Meller- c'est l'Allemagne qui est incapable de se gouverner elle-même.
Le sec échange de points de vue parvient aux oreilles de Bohr et de Margrethe qui se montre plus indignée encore que son époux et décide de ne plus recevoir Heisenberg chez elle. Bohr se montre chagriné et ne sait que faire : malgré tout, il aimerait se retouver en tête à tête avec son vieil ami, qui a partagé avec lui tant de batailles durant les dernières années. Avec la minutie qui le caractérise, Bohr décide d'employer un curieux système pour prendre sa décision : il note les pour et les contre sur une feuille et se promet de la relire au bout de quelques jours, lorsque son esprit sera plus reposé. Il procède ainsi, il est ému, se dit que son amitié avec Heisemberg est plus précieuse que tout autre argument et, s'opposant à l'avis de sa femme, l'invite à dîner chez eux. Pour rassurer Margrethe, il lui promet que leur discussion portera uniquement sur la science et non sur la politique. La soirée se déroule dans une ambiance tendue, mais sans incidents.
Margrethe est aimable, froide, et Heisenberg a le coeur serré chaque fois qu'il surprend chez elle un air sevère ou une moue de réprobation qu'elle ne peut réprimer.
A la fin du repas, contenant à peine sa nervosité, Heisenberg demande à son ancien maître s'il veut faire une promenade, comme ils en avaient l'habitude autrefois. Bohr, plus nerveux encore que lui, acquiesce. Le vent froid de la Baltique commence à fouetter les arbres de la ville, la submergeant dans un douloureux mutisme accentué par les uniformes nazis qui circulent librement par les rues, tels des vautours propageant leurs mauvais augures. Bohr et Heisenberg se dirigent vers les jardins désolés de Faslledpark, près de l'Institut. Tous les deux sont vigilants et attentifs, comme s'ils allaient décider, d'une façon ou d'une autre, non seulement du cours futur de leur amité, mais du destin du monde. Chaque mot doit être prononcé avec une extrême précaution, en prenant soin de le rendre suffisamment ambigü afin éviter les soupçons. On dirait qu'ils emploient un langage codé. Bien qu'il le désire, Heisenberg ne peut être direct : la propre nature des ses propositions l'en empêche. Bohr, de son côté, ne paraît pas enclin à participer au jeu ; malgré l'affection qui l'unit à Werner, il nourrit trop de soupçons contre lui, des soupçons qui se ravivent chaque fois qu'il se souvient qu'il est le chargé du projet atomique d'Hitler.
La promenade, alors, se déroule dans une atmosphère de sèche froideur comparable à celle de l'automne.
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