« Gâchette »
Max reprenait à peine ses esprits. L’ombre avait surgi de nulle part et s’était approché de la troupe sans que personne n’ait eu le temps de réagir. Un individu au visage caché derrière une écharpe noire avait sorti une grenade de son sac en bandoulière, l’avait portée à sa bouche et dégoupillée avec ses dents en moins de temps qu’il faut pour le dire. Les hommes, stupéfaits, avaient assisté au tir, essayant vainement de plonger au sol pour éviter le massacre. Elle avait éclaté à quelques mètres et on ne discernait plus qu’un nuage de fumée provenant du lieu de l’explosion. De ce brouillard opaque s’échappaient quelques gémissements et râles de douleur. Après quelques minutes d’incompréhension, Max sortit de sa cachette, remua l’un après l’autre chacun de ses membres pour s’assurer que tout allait bien pour lui, ce qui semblait être le cas. Peu à peu, la brume se dispersa et il put constater le carnage. Pas un seul de ses compagnons n’avait été épargné, ils gisaient sur le sol, à moitié morts, couverts de sang, au milieu des éclats de verre éparpillés. Max, prenant conscience de la situation, comprit qu’il devait quitter le camp car il serait incapable de venir en aide à tous les blessés. Il partirait chercher de l’aide dans le village voisin, espérant ne pas croiser de patrouille ennemie sur le chemin. La peur s’emparait de lui et il commençait presque à regretter de ne pas avoir été touché lui aussi, pour ne pas avoir à assumer cette lourde responsabilité.
En chemin, il se remémora comment il en était arrivé là : ce n’était pas par vocation mais plutôt par hasard qu’il s’était engagé. Le jour où l’épicier pour qui il travaillait lui avait annoncé qu’il devait fermer boutique et qu’il allait perdre son emploi, Max était passé devant une affiche de campagne de l’armée de terre. Ses parents ne seraient bientôt plus en âge de travailler et il devrait assurer les revenus de sa famille, cette publicité lui était donc apparue comme la solution idéale à ses problèmes. Il n’avait pas réfléchi aux conséquences. Il se souvint de la tête de sa mère lorsqu’il lui avait annoncé son départ en mission. Elle avait pleuré toute une nuit et il était resté avec elle, essayant de la consoler, même si lui aussi était effrayé à l’idée de partir, et qu’il regrettait d’être tombé sur cette affiche un an auparavant.
Il était alors à quelques mètres du campement quand quelque chose l’extirpa soudainement de ses pensées. Plusieurs tâches de sang au sol, elles semblaient conduire à l’orée du bois. Il ne fallait pas avoir fait la guerre pour comprendre de quoi il retournait. Le sang n’était pas sec, la personne venait d’être blessée. Pour qu’elle cherche à s’enfuir, il s’agissait forcément de l’ennemi qui avait lancé la grenade sur eux. Il devait avoir mal calculé la distance de sécurité et était probablement touché par un éclat, un projectile l’avait certainement blessé dans l’explosion. Max gardait son sang-froid. Le guerrier était blessé, mais il l’avait peut-être entendu arriver et pouvait à tout moment lui tirer dessus pour sauver sa peau. Il s’avançait à pas de loup, prenant garde de ne pas faire craquer les branches et les brindilles sous ses pieds. De la main droite, il saisit délicatement la mitraillette qu’il portait en bandoulière, ne sachant pas où l’orienter car il ignorait la position exacte de son ennemi. Les tâches au sol le menèrent derrière une butte, l’autre devait se cacher là. Il devait le prendre par surprise, être le premier à tirer. Plus que quelques mètres, il n’avait pas droit à l’erreur, ça y est, il le voyait…
Les yeux rivés sur l’individu, Max était incapable de faire le moindre geste. Le doigt sur la gâchette, il ne pouvait pas tirer pour le liquider. Lui, pourtant, n’avait pas hésité une seconde au moment de lancer la grenade sur le campement. Il était désormais blessé et son fusil était posé à quelques mètres, Max n’aurait donc aucun mal à l’abattre. Il l’avait déjà fait auparavant. Mais non, c’était impossible. Ce combattant ne ressemblait en rien aux soldats sur qui il avait dû tirer, c’était un enfant.
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