Lo que te voy a contar en este capítulo de mi vida no se lo cuentes a nadie, porque en este capítulo lloro, y los capítulos en que lloro me dan un poco de vergüenza. Dice mi abuelo que cuando uno tiene tantos libros sobre su vida es normal que de vez en cuando el protagonista (yo, por ejemplo) llore por una terrible desgracia; dice mi abuelo que al lector eso le gusta muchísimo, que el lector se pone a llorar también como si la desgracia fuera suya. Qué lector más raro. Los lectores que yo conozco, que viven todos, por cierto, en Carabanchel Alto, cada vez que el protagonista las pasa canutas se parten el pecho de risa, sobre todo si ese protagonista soy yo. El chulo de mi barrio, Yihad, dice que cuando más le gustan los libros de mi vida es cuando me tropiezo, o cuando mi madre me da una colleja, o cuando él me rompe las gafas. Yihad, además de chulo, es un mentiroso, porque su propia madre me dijo un día:
—No le hagas caso, Manolito; si éste no abre un libro ni aunque salga él.
Al principio, en mi barrio, todos compraron el primer tomo de mi biografía por la novedad y para ver si salían, pero luego dejaron de comprarlos porque se enfadaron bastante, no sólo por cómo los sacaba yo, sino también por cómo los dibujaba Emilio Urberuaga. La sita Asunción vino a clase diciendo que a ella la había sacado como una foca, y a todos nos dio tanta risa que la sita dijo que no quería volver a ver a ningún niño con un libro de los míos entre las manos. Mi vecina la Luisa dijo que tal y como la había sacado ese individuo en los dibujos, parecía que ella tenía lo menos 50 años.
—Pero, Luisa —le dijo mi madre—, es que tú tienes 52.
—¡Sí, pero eso él no lo sabe, y estarás de acuerdo conmigo, Cata, en que yo aparento diez menos de los que tengo! Un artista no hace eso, un artista te saca favorecida, o no te saca, o que saque a su madre.
—Pero qué me vas a contar a mí, Luisa —le dijo mi madre—, si a mí me pinta siempre con una barbilla que parezco un pelícano.
El señor Ezequiel también protestó porque dice que en los dibujos nunca se aprecian las reformas que ha hecho en el bar:
—Y, verdaderamente, tengo El Tropezón en la actualidad que parece un bar de París, pero este señor parece que no se entera.
—¡O que no se quiere enterar! —dijo un cliente que también salió retratado en uno de los libros. Mi padre también se queja, se queja de que siempre lo saca muy gordo:
La verdad es que no conozco a nadie de mi barrio que esté contento con cómo ha salido en los libros. Miento, hay uno: el Imbécil, que le encanta vacilar con que el dibujante siempre lo saca en las portadas; pero a mi madre no le hace gracia que siempre lo dibujen con el chupete puesto, porque dice que eso es reírle la gracia.
—Estoy yo intentando quitarle al niño la manía del chupete, y el tío me lo tiene que pintar siempre con el chupete.
Digo que al principio la gente compraba los libros en mi barrio, pero dejaron de hacerlo porque decían que no se iban a gastar un dinero en verse gordos y feos y haciendo el ridículo. Asimismo se lo soltaban a mi madre por la calle, y luego ella me decía:
—Hay que ver, Manolito, que me vas a acabar enemistando con todo el mundo.
—Yo no, mamá; es la que escribe los libros, que siempre se queda con lo peor de lo que le cuento.
Bueno, pues lo que quería yo contar aquí, y que empezaré por el principio de los tiempos, era que un viernes por la tarde fui con mi abuelo al ambulatorio, y que el doctor Morales le dijo a mi abuelo que lo de la próstata no podía seguir así, que había que cortar por lo sano, porque tenía una próstata que era un asco la próstata esa, cada minuto que pasaba más grande. Mi abuelo se puso muy pálido y cruzó las manos por delante de la misma próstata, a lo mejor porque tenía miedo de que el médico cogiera un bisturí del cajón y le pegara un tajo allí mismo. Pero no. «Tranquilo», le dijo el doctor Morales adivinándole el pensamiento, «se la quitaremos en el hospital y con anestesia, como a todos los viejos».
Mi abuelo salió del ambulatorio bastante triste y andando muy despacio.
—Abuelo —le dije yo—, si te pesa mucho la próstata, apóyate en mi hombro para que llevemos el peso entre los dos.
Pero mi abuelo dijo que no andaba despacio por el peso de esa próstata creciente, sino porque a los abuelos, de vez en cuando, también les entra un miedo que te cagas. Teníamos que ir a la Gran Vía porque nos había mandado mi madre a comprar camisetas de termolactil para mí y para el Imbécil, porque a ella le gusta mucho vernos sudar en invierno, y hasta que no nos asoma un sarpullido por el cuello no se queda tranquila. Nos fuimos en taxi porque mi abuelo dijo que con lo triste que estaba no quería meterse en el metro; ya tendría tiempo en un futuro de estar bajo tierra. Así es mi abu: un optimista nato.
***
Amélie nous propose sa traduction :
Les gens de mon quartier rouspètent
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, tu ne dois le répéter à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et j’ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon papy, il dit que quand quelqu’un a autant de livres sur sa vie, il est inévitable que, de temps en temps, le héros (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon papy, il dit que ça plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur se met alors à pleurer lui aussi, comme si ce malheur lui arrivait à lui. Il est trop bizarre ce lecteur ! Les lecteurs que je connais, moi, et qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois que le héros en voit des vertes et de pas mûres, ils sont morts de rire, surtout si le héros en question, c’est moi. Le crâneur de mon quartier, Yihad, dit que ce qu’il préfère dans les livres sur ma vie, c’est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me flanque une gifle ou quand il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un crâneur, c’est aussi un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
—Ne fais pas attention à lui, Manolito. Il n’ouvre jamais un livre, même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie, parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, mais après, ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils étaient assez en colère, non seulement à cause de comment je les décrivais, mais aussi à cause de comment Emilio Urberuaga les dessinait.
Asunción, la maîtresse, est arrivée en classe en disant qu’on lui avait fait la tête d’un phoque, et ça nous a tellement fait rigoler que la maîtresse a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun des élèves avec un de mes livres entre les mains. Luisa, ma voisine, elle a dit que, vu la manière dont ce type l’avait dessinée, on lui aurait donné au moins 50 ans.
— Mais Luisa,- lui a dit ma mère - tu en as 52 !
—Oui, mais ça, il en sait rien, lui, et tu seras d’accord avec moi pour dire que j’en fais dix de moins, hein Cata ? Un artiste ne fait pas ça ; un artiste, ou il te met en valeur, ou il ne te dessine pas, sinon il n’a qu’à faire le portrait de sa mère !
— Ne m’en parle pas, Luisa –lui dit ma mère– moi, il me dessine toujours avec un sacré menton, du coup, j’ai l’air d’un pélican.
Monsieur Ezequiel a râlé, lui aussi, parce qu’il dit que sur les dessins, on ne remarque jamais les travaux qu’il a faits dans son bar :
— El Tropezón ressemble vraiment maintenant à un café parisien, mais ce monsieur ne semble pas s’en rendre compte.
— C’est plutôt qu’il ne veut pas le remarquer ! –a précisé un client qui était également représenté dans un des livres.
Mon père se plaint aussi, il se plaint qu’on le fait toujours très gros :
— Et moi, alors, je n’ai jamais eu cette bedaine, Cata, jamais!
En fait, je ne connais personne de mon quartier qui soit content de la façon dont il apparaît dans les livres. Faux, il y en a un : l’Imbécile, qui adore frimer en disant que le dessinateur le met toujours sur les couvertures ; mais ma mère, ça ne l’amuse pas qu’on le dessine tout le temps avec sa tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que c’est vraiment se moquer de lui.
— J’essaie à tout prix de lui faire perdre cette manie de la tétine, et il faut toujours que ce mec le dessine avec sa tétine.
Donc, au début, les gens de mon quartier achetaient les livres, mais après, ils ont arrêté, parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient quand même pas dépenser de l’argent pour se voir gros, moches et ridiculisés. C’est d’ailleurs ce qu’ils balançaient à ma mère au beau milieu de la rue, et après, elle me disait :
Tu te rends compte, Manolito, à cause de toi, je vais finir par me mettre tout le monde à dos!
— C’est pas ma faute, Maman ; c’est la faute de celle qui écrit les livres : elle garde que le pire de ce que je lui raconte.
Bon, alors, ce que je voulais raconter ici, et je vais commencer par le commencement, c’est qu’un vendredi après-midi, je suis allé au dispensaire avec mon papy, et que le Docteur Morales a dit à mon papy que son histoire de prostate, ça ne pouvait plus durer comme ça, et qu’il fallait trancher dans le vif, parce qu’il avait une prostate dans un sale état, qui grossissait à vue d’oeil. Mon grand-père est devenu tout pâle et il a croisé les mains devant la prostate en question, peut-être parce qu’il avait peur que le docteur prenne un bistouri de son tiroir et lui ouvre le ventre sur-le-champ. Mais non. « Rassurez-vous », lui a dit le docteur Morales, en devinant ce à quoi il pensait, « On vous la retirera à l’hôpital et sous anesthésie, comme à toutes les personnes âgées ».
Mon papy est sorti du dispensaire plutôt triste et en marchant hyper lentement.
—Papy —je lui ai dit—, si ta prostate est trop lourde, appuie-toi sur mon épaule, pour qu’on porte le poids tous les deux.
Mais mon papy m’a répondu qu’il ne marchait pas lentement à cause du poids de sa prostate qui grossissait, mais parce que les grands-pères aussi, parfois, ça leur arrive d’avoir la trouille. On devait aller à Gran Vía parce que ma mère nous avait demandé d’acheter des tricots de corps en Thermolactyl pour moi et pour l’Imbécile, parce que ma mère, elle adore nous voir vachement transpirer en hiver, et tant qu’on n’a pas des boutons rouges partout, elle est pas tranquille. On y est allés en taxi parce que mon papy a dit qu’il était trop triste pour prendre le métro ; il aurait bien le temps, dans le futur, d’être assis pieds sous terre. Il est comme ça, mon p’tit papy : optimiste de nature.
***
Jacqueline nous propose sa traduction :
Les voisins du quartier rouspètent
Ne dis à personne ce que je vais te raconter à présent dans ce chapitre de ma vie parce que dans ce chapitre-là, je pleure, et ces chapitres là où je pleure me font un peu honte . Mon grand-père dit que lorsque quelqu’un a autant de livres sur sa vie, il est fatal que de temps en temps, le protagoniste (moi, en l’occurrence), sous le coup d’ un terrible malheur, pleure ; mon grand-père dit que cela plaît infiniment au lecteur qui se met alors à pleurer lui aussi comme si ce malheur était le sien. Comme c’est curieux un lecteur ! Ceux que je connais, et qui naturellement vivent tous à Carabanchel Alto, se fendent la pêche chaque fois que le protagniste en voit de toutes les couleurs, surtout si le protagoniste, c’est moi. Le crâneur du quartier, Yihad, dit que le moment qu’il préfère dans les livres de ma vie, c’est quand je fais un faux pas, ou quand ma mère m’en flanque une ou quand il me casse mes lunettes ; Yihad, en plus d’être un crâneur, est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
— N’y fais pas attention, Manolito, il n’ouvre jamais un livre,
pas même s’il y est.
— Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le
premier tome de ma biographie, c’était nouveau, et puis ils voulaient voir s’ils y étaient, mais par la suite , ils ont cessé de les acheter parce que cela leur a passablement déplu, la façon dont moi je les dépeignais et aussi celle dont Emilio Urberuaga les peignait.
La petite Asunción est venue en clase en disant qu’elle, elle ressemblait à un phoque, et elle nous a fait tous rire au point que la petite a dit qu’elle ne voulait voir aucun gamin avec un de mes livres entre les mains. La Louise, ma voisine, a dit vu la façon dont ce type l’avait représentée sur les dessins, elle semblait avoir au moins 50 ans.
— Mais, Luisa,-lui dit ma mère-, c’est que tu en as 52.
— Oui, mais ça, il n’en sait rien, et tu es bien d’accord avec
moi, Cata, j’en parais dix de moins ! Un véritable artiste ne fait pas ça, un artiste fait de toi un portrait qui t’avantage, ou bien il n’en fait pas, et puis qu’il aille faire le portrait de sa mère.
— Et c’est à moi que tu viens raconter ça, Luisa –dit ma
mère-,moi qu’il peint toujours avec un double menton, comme ça je ressemble à un pélican.
Monsieur Ezequiel a protesté lui aussi sous prétexte que sur les dessins, on ne voit pas les transformations qu’il a réalisées dans son bar :
— Et vraiment, mon Tropezón aujourd’hui, on dirait un bar
parisien , mais ça ce monsieur ne semble pas en faire cas.
— - Ou bien c’est qu’il ne veut pas en faire cas, dit un
client qui avait été également croqué dans un de mes livres. Mon père se plaint lui aussi, il se plaint qu’on le représente très gros :
— Mais moi, je n’ai jamais eu cette bedaine, Cata, jamais de
la vie !
A vrai dire, je n’en connais pas un dans le quartier qui soit content de son portrait dans mes livres. Erreur, il y en a un : l’Imbécile heureux, qui est aux anges parce que le dessinateur le fait toujours figurer en couverture ; mais ça ne fait pas plaisir à ma mère qu’on le dessine toujours la sucette à la bouche , et elle dit que ça, c’est se moquer de lui.
— Moi, j’essaie de faire passer au gosse cette manie de la
sucette et il faut que ce type me le dessine toujours avec sa sucette à la bouche.
J’ai dit qu’au début, les gens du quartier achetaient mes livres mais qu’ils ont cessé de le faire en disant qu’ils n’allaient pas gaspiller un liard pour se voir gros et laids et ridiculisés. Alors, ils ne l’envoyaient pas dire à ma mère dans la rue, et elle après, elle me disait :
— Tu te rends compte, Manolito, que tu vas finir par me
fâcher avec tout le monde.
— Ce n’est pas ma faute, maman ; c’est celle qui écrit les
livres : dans ce que je lui raconte, elle ne prend que ce qu’il y a de pire.
Mais bon, moi, ce que je voulais raconter là, et je vais commencer par le tout début, c’est qu’un vendredi après-midi, je suis allée avec mon grand-père au dispensaire et que le docteur Morales a dit à mon grand-père que son truc de la prostate, ça ne pouvait pas continuer comme ça, qu’il fallait trancher dans le vif, parce que cette prostate-là, la sienne, c’était une chose dégoûtante qui grossissait à vue d’œil. Mon grand-père est devenu très pâle et il a croisé ses mains sur cette même prostate, peut-être par peur de voir le médecin sortir un bistouri du tiroir et lui ouvrir ça sur le champ. Mais non. « Du calme », lui a dit le docteur Morales qui devinait ses pensées, « on va vous l’enlever à l’hôpital, et sous anesthésie, comme pour tous les vieux ».
Mon grand-père est sorti du dispensaire passablement triste et il marchait très lentement.
— Grand-père-lui dis-je-, si ta prostate te pèse trop, appuie-
toi sur mon épaule, comme ça on partagera le poids.
— Mais mon grand-père a dit que s’il marchait lentement, ce
n’était pas à cause du poids de la prostate en évolution, mais bien parce qu’il arrive aux grands-pères, parfois, d’avoir des peurs à faire dans son froc .
On devait aller à la Gran Vîa parce que ma mère nous avait envoyé acheter des maillots en thermolactyl pour l’Imbécile heureux et pour moi, parce qu’elle aime bien nous voir transpirer en hiver et elle n’est pas tranquille tant que des boutons ne nous sortent pas sur le cou. On y est allé en taxi parce que mon grand-père a dit qu’il était trop triste pour prendre le métro ; il serait bien temps plus tard d’être sous terre. Il est comme ça, mon pépé : c’est un optimiste né.
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Brigitte nous propose sa traduction :
Les gens de mon quartier se plaignent.
Surtout, ne dis à personne ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, parce que, dans ce chapitre-là, je pleure, et les chapitres où je pleure me font un peu honte.
Mon grand-père dit que quand on a tant de livres sur sa vie c’est normal que de temps en temps le héros (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que le lecteur adore ça, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si le malheur lui arrivait à lui. C’est vraiment bizarre un lecteur. Les lecteurs que je connais, qui habitent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois que le héros en voit des vertes et des pas mûres, eux, ils sont pliés de rire, surtout si le héros en question c’est moi. Le loubard de mon quartier Yihad, dit que ce qu’il préfère dans les livres sur ma vie, c’est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me fiche une beigne ou quand il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un loubard, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
- Ne t’occupe pas de lui, Manolito. Il n’ouvre jamais un livre même quand il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie, parce que c’était tout nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, mais après, ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils étaient plutôt en colère, non seulement à cause de la façon dont je les décrivais, mais aussi à cause de la façon dont les dessinait Emilio Urberuaga.
Mam’zelle Asunción* est arrivée en classe en disant qu’on lui avait fait la tête d’un phoque, et ça nous a tous tellement fait rigoler que mam’zelle a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun des élèves avec un de mes livres entre les mains.
Ma voisine, la Luisa, dit que, à voir comment ce type l’avait dessinée, on lui aurait donné au moins 50 ans.
- Mais Luisa,- lui a dit ma mère - tu en as 52 !
- Oui, mais ça, il n’en sait rien, lui, et tu es bien d’accord avec moi, Cata, que j’en fais dix de moins ! Un artiste, il ne fait pas ça ; un artiste, il te met en valeur, ou alors il ne te dessine pas, sinon il n’a qu’à faire le portrait de sa mère !
- Ne m’en parle pas, Luisa – lui dit ma mère – moi, il me dessine toujours avec un de ces double menton, j’ai l’air d’un pélican.
Monsieur Ezequiel a rouspété aussi parce qu’il dit que sur les dessins, on ne peut jamais apprécier les travaux qu’il a faits dans son bar :
- Et, vraiment, El Tropezón est maintenant comme un café parisien, mais on dirait que ce monsieur n’y fait pas attention.
- Ou plutôt qu’il ne veut pas faire attention ! – a dit un client qui s’est fait aussi tirer le portrait dans le livre.
Mon père aussi se plaint, il se plaint qu’on le fait toujours très gros :
- Et moi, alors, je n’ai jamais eu cette bedaine, Cata, jamais de la vie !
A vrai dire, je ne connais personne de mon quartier qui soit content de la façon dont il apparaît dans les livres. Erreur, il y en a un : l’Imbécile, qui adore se pavaner en disant que le dessinateur le met toujours sur les couvertures ; mais ma mère, ça ne l’amuse pas non plus qu’on le dessine continuellement avec la tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que c’est se payer sa tête.
- Je m’échine à lui faire perdre cette sale manie de la sucette, et il faut toujours que ce type le dessine avec la tétine dans le bec.
Au début, les gens achetaient les livres dans mon quartier mais ils ont arrêté parce qu’ils se sont dits qu’ils n’allaient quand même pas dépenser de l’argent pour se voir gros et moches, et tournés en ridicule. C’est d’ailleurs ce qu’ils balançaient à ma mère en pleine rue, et après elle me disait :
- Tu te rends compte, Manolito, à cause de toi, je vais finir l’ennemie publique N°1 !
- C’est pas moi, Maman ; c’est celle qui écrit les livres : elle garde toujours le pire de ce que je lui raconte.
- Enfin, ce que je voulais raconter ici, bon, je vais commencer par le commencement, c’est qu’un vendredi après-midi, je suis allé au dispensaire avec mon grand-père, et que le Docteur Morales a dit à mon grand-père que son histoire de prostate, ça ne pouvait plus durer comme ça, et qu’il fallait trancher dans le vif, parce qu’il avait une prostate dans un état lamentable, et qui grossissait à vue d’oeil. Mon grand-père est devenu tout pâle et il a croisé les mains devant la prostate en question, peut-être parce qu’il avait peur que le docteur sorte un bistouri de son tiroir et lui ouvre le ventre illico. Mais non, « Rassurez-vous », lui a dit le docteur Morales, en devinant ses pensées, « On vous l’enlèvera à l’hôpital et sous anesthésie, comme à toutes les personnes âgées ».
- Mon grand-père est sorti du dispensaire plutôt triste et en marchant tout doucement.
- Papi – je lui ai dit, si ta prostate te pèse trop, appuie-toi sur mon épaule, comme ça, on portera le poids à deux.
- Mais mon grand-père m’a dit qu’il ne marchait pas doucement à cause du poids de sa prostate qui grossissait, mais parce ce qu’aux grands pères aussi, parfois, ça leur arrive d’avoir la peur aux tripes.
On devait aller à la Gran Vía parce que ma mère nous avait demandé d’acheter des Thermolactyl pour moi et pour l’Imbécile : ma mère, elle adore nous voir suer à grosse goutte l’hiver, et tant qu’on n’a pas des rougeurs partout, elle n’est pas tranquille. On y est allés en taxi parce que mon grand-père a dit qu’il était tellement triste qu’il ne voulait pas prendre le métro ; il se retrouverait bien assez tôt à six pieds sous terre.
- Il est comme ça, mon papi : optimiste de nature.
* Pour ceux et celles qui ne connaîtraient pas les aventures de Manolito, je précise que La Señorita Asunción est l’institutrice de Manolito et des autres enfants cités, c’est pourquoi j’ai remplacé ensuite le mot « niños » par le mot « élèves ».
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Carole – étudiante-du-groupe-2-de-CAPES et future apprentie traductrice – nous propose sa traduction :
Les gens de mon quartier se plaignent
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et les chapitres où je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie, c’est normal que de temps en temps le protagoniste (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que ça plaît beaucoup au lecteur, parce que le lecteur se met aussi à pleurer comme si le malheur lui arrivait à lui. C’est bizarre un lecteur. Les lecteurs que je connais moi, qui, bien sûr, vivent tous à Carabanchel Alto, ils se fendent la poire à chaque fois que le protagoniste est dans la panade, surtout si le protagoniste en question, c’est moi. Le quéqué du quartier, Yihad, dit que les livres sur ma vie qui lui plaisent le plus sont ceux où je tombe, ou quand ma mère me file une taloche ou quand il casse mes lunettes. Yihad, en plus de faire le quéqué, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
-N’y fais pas attention, Manolito ; il n’ouvre jamais un livre même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tomme de ma biographie parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, mais après, ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils étaient assez en colère, pas seulement à cause de ma façon de les décrire, mais aussi à cause de la façon dont les dessinait Emilio Urberuaga. La sœur Asunción est venue dans ma classe et elle a dit que je l’avais fait ressembler à un phoque, et ça nous avait fait tellement rire que la sœur a dit qu’elle ne voulait plus nous voir avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine, Luisa, a dit à ma mère que vu comment ce type l’avait dessinée, on aurait dit qu’elle avait au moins cinquante ans.
-Mais Luisa-lui répondit ma mère- c’est que tu as cinquante deus ans.
-Oui, mais ça, il ne le sait pas lui, et tu seras d’accord avec moi, Cata, je fais dix ans de moins que mon âge ! Ça fait pas ça un artiste, un artiste, soit il t’arrange, soit il fait pas ton portrait, ou alors qu’il fasse celui de sa mère.
-Et c’est à moi que tu dis ça, Luisa –lui répliqua ma mère- moi, il me dessine toujours avec un double menton, on dirait un pélican.
Monsieur Ezequiel s’est plaint lui aussi parce qu’il dit que dans les dessins, on ne voit jamais les travaux faits dans son bar.
-Mais, sincèrement, le Tropezón, à l’heure actuelle, ressemble à un bar de Paris, mais ça, il semble que ce monsieur n’y fasse pas attention.
-Ou qu’il ne veut pas y faire attention ! Lança un client qui s’était aussi fait tirer le portrait dans un des livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu’on le dessine très gros :
-Mais, j’ai jamais eu ce ventre, Cata, jamais j’ai eu ce ventre !
Á vrai dire, je ne connais personne du quartier qui soit content de son portrait dans mes livres. Je mens, il y en a un : le Neuneu, qui n’en peut plus de crâner parce que le dessinateur le fait toujours apparaître en couverture ; mais ça fait pas plaisir à ma mère qu’on le dessine toujours avec la sucette à la bouche, parce qu’elle dit que c’est se moquer de lui.
-Je suis en train d’essayer de lui faire perdre cette maladie de la sucette, et ce mec me le dessine toujours avec sa sucette.
Je viens de dire qu’au début les gens achetaient mes livres dans le quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas dépenser des sous pour se voir gros, moches et tournés en ridicule. Alors, ils envoyaient ça à ma mère dans la rue, et ensuite elle me disait :
-Tu vois bien, Manolito, tu vas finir par me fâcher avec tout le monde.
-C’est pas moi Maman ; c’est celle qui écrit les livres, elle garde toujours le pire de ce que je lui raconte.
Enfin bon, ce que je voulais raconter ici, et je vais commencer par le début, c’est qu’un vendredi après-midi, je suis allé avec mon grand-père à la consultation médicale, et le docteur Morales a dit à mon grand-père qu’il ne pouvait pas continuer comme ça avec sa prostate, que c’était une horreur, cette prostate, que chaque minute, elle grossissait un peu plus. Mon grand-père est devenu tout pâle et il a croisé ses mains devant cette même prostate, peut-être parce qu’il avait peur que le médecin n’attrape un bistouri du tiroir et ne l’entaille sur le champs. Mais non. « Calmez-vous » lui dit le docteur Morales devinant ses pensées, « on va vous l’enlever à l’hôpital et sous anesthésie, comme on fait avec toutes les personnes âgées. » Mon grand-père est sorti de la consultation assez triste et en marchant tout doucement.
-Papi, -lui proposai-je- si ta prostate te pèse trop, appuie-toi sur mon épaule pour qu’on porte le poids à deux.
Mais mon grand-père m’a expliqué qu’il ne marchait pas doucement à cause du poids de sa prostate grandissante, mais parce que les grands-pères, de temps en temps, ont peur eux aussi, mais une trouille bleue. On devait aller à Gran Vía parce que ma mère nous avait envoyé acheter des t-shirts Thermolactyl pour moi et pour le Neuneu, parce qu’elle aime beaucoup nous voir suer en hiver, tant qu’elle ne distingue pas une éruption cutanée dans notre cou, elle n’est pas tranquille. On y a été en taxi parce que mon grand-père a dit que vu comme il était triste, il ne voulait pas prendre le métro ; il aurait largement le temps plus tard de se retrouver six pieds sous terre. Il est comme ça mon papi : un optimiste-né.
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Odile nous propose sa traduction :
Les gens de mon quartier se plaignent.
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne parce que, dans ce chapitre-là, je pleure et j'ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon grand-père dit que quand une personne a autant de livres sur sa vie, c' est normal que de temps en temps le protagoniste (moi, par exemple) pleure à cause d' un terrible malheur. Mon grand-père dit que ça plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si le malheur lui arrivait à lui. Il est bizarre ce lecteur. Les lecteurs que je connais vivent tous à Carabanchel Alto, bien sûr, et ils tous sont morts de rire quand le protagoniste en bave surtout si le protagoniste c'est moi. Le crâneur du quartier, Yihad, dit qu'il préfère les livres de ma vie où je me casse la figure, où ma mère me colle une baffe et où il casse mes lunettes. Yihad, en plus d'être crâneur, il est menteur parce que sa propre mère m'a dit un jour:
- Ne l'écoute pas, Manolito, il n'ouvre jamais un livre, même s'il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté, bien sûr, et pour voir s'ils étaient dedans et après ils n'ont pas acheté les autres parce qu'ils étaient très fâchés, à cause de ma façon de les décrire mais aussi à cause de la façon de les dessiner d' Emilio Urberuaga. Mam'zelle Asunción est arrivée en classe en disant que je l'avais décrite comme un phoque et ça nous à fait tellement rire à tous, qu'elle a dit qu'elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine, la Luisa a dit que cet individu l'avait dessinée comme si elle avait cinquante ans.
- Mais, Luisa -lui a dit ma mère-, c'est que tu en as cinquante-deux.
- Oui, mais ça, lui, il le sait pas, et tu es d'accord avec moi, Cata, que je fais dix ans de moins! Un artiste ne fait pas ça, un artiste il t'arrange plutôt, ou alors il te dessine pas, ou alors qu' il aille dessiner sa mère.
- Ne m'en parle par, Luisa -lui dit ma mère-, moi, il me dessine toujours avec un double menton et j' ai l'air d'un pélican.
Monsieur Ezequiel a rouspété aussi parce qu'il dit que dans les dessins on ne voit jamais les améliorations qu'il a fait dans son bar.
- Et vraiment, El Tropezón maintenant, c'est comme un bar de Paris mais on dirait que ce monsieur ne s'en aperçoit pas.
- Ou qu'il ne veut pas s'en apercevoir- a dit un client qui, lui aussi avait été dessiné dans un des livres.
Mon père aussi se plaint, il se plaint qu'il le fait toujours très gros.
- Et moi alors, je n'ai jamais eu du ventre comme ça, Cata, jamais de la vie.
La vérité, c'est que je ne connais personne de ce quartier qui soit content de voir comment il est montré dans les livres. Je mens, y'en a un: l'Imbécile, qui est content de crâner parce que le dessinateur le met toujours sur les couvertures; mais ma mère, ça ne lui fait pas plaisir qu'on le dessine toujours avec la sucette à la bouche parce qu'elle dit que c'est le ridiculiser.
- Moi qui essaie de lui enlever cette manie de la sucette, et il faut toujours que ce type me le dessine avec la sucette à la bouche.
Je dis qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier mais il ont arrêté parce qu'ils disaient qu'il n'allaient pas dépenser de l'argent pour se voir gros, laids et se couvrant de ridicule.
Ils le lachaient comme ça à ma mère dans la rue et après elle me disait:
- C'est quelque chose, Manolito, tu vas me faire fâcher avec tout le monde.
- C'est pas moi maman; c'est celle qui écrit les livres, elle retient toujours le pire de ce que je lui raconte.
Bon, mais ce que je voulais raconter ici et que je vais commencer par le commencement, c'est qu'un vendredi après-midi, je suis allé au dispensaire avec mon grand-père et que le docteur Morales a dit à mon grand-père que cette histoire de prostate, ça pouvait pas continuer comme ça et qu'il fallait trancher dans le vif, que c'était une horreur cette prostate et qu'elle grossissait à vue d'oeil. Mon grand-père est devenu tout pâle et a croisé les mains devant la prostate en question. Peut-être parce qu'il avait peur que le docteur prenne un bistouri du tiroir et l'entaille sur l'instant. Mais non, n'ayez pas peur, lui a dit le docteur Morales en devinant ses pensées, « on vous l'enlèvera à l'hôpital, et sous anésthésie, comme à toutes les personnes âgées. »
Mon grand-père est sorti du dispensaire assez triste et il marchait très lentement.
- Grand-père- je lui ai dit, si ta prostate est trop lourde, appuie-toi sur mon épaule pour qu'on la porte à tous les deux.
- Mais mon grand-père a dit qu'il ne marchait pas lentement à cause du poids de cette prostate qui grossissait, mais parce qu'il arrive de temps en temps que les grands-pères aient la trouille. On devait aller à la Gran Vía parce que ma mère nous avait envoyé acheter des tricots de corps en Thermolactyl pour moi et pour l'Imbécile, parce que ma mère elle aime beaucoup qu'on sue en hiver, et tant qu'on a pas des rougeurs sur le coup, elle n'est pas satisfaite. On y est allé en taxi parce que mon grand-père ne voulait pas prendre le métro; il aurait bien le temps dans le futur d'être sous terre. Il est comme ça mon papi: optimiste de nature.
***
Blandine nous propose sa traduction :
Ceux de mon quartier se plaignent
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, tu ne le répètes à personne, parce que dans ce chapitre je pleure, et les chapitres où je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que lorsque quelqu’un a autant de livres sur sa vie, il est normal que de temps à autre le protagoniste (moi, par exemple) pleure pour un terrible malheur ; mon grand-père dit que cela plaît énormément au lecteur, que le lecteur se met aussi à pleurer comme s’il s’agissait de son propre malheur. Quel lecteur étrange. Les lecteurs que je connais, vivent tous, d’ailleurs, à Carabanchel Alto, et chaque fois lorsque le protagoniste en voit de toutes les couleurs ils se tordent de rire, surtout si ce protagoniste c’est moi. Le frimeur de mon quartier, Yihad, dit que les livres de ma vie qui lui plaisent le plus sont ceux où je trébuche, ou quand ma mère me donne une raclée, ou quand je casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être frimeur, est un menteur, car sa propre mère m’a dit un jour :
— Ne t’occupe pas de lui, Manolito ; il n’ouvre jamais un livre ; même s’il y est.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie pour la nouveauté et pour voir s’ils étaient dedans, mais par la suite ils ont arrêté de les acheter car ils se sont plutôt mis en colère, pas seulement à cause de la description que j’en faisais, mais surtout à cause des dessins d’Emilio Urberuaga. La petite Asunción est venue en classe pour dire qu’il l’avait dessinée comme un phoque, et cela nous a fait tellement rire que la petite nous a dit qu’elle ne voulait voir aucun des enfants avec l’un de mes livres entre les mains. Ma voisine Luisa dit que la façon dont l’avait dessiné cet individu, elle semblait avoir au moins 50 ans.
— Mais Luisa – lui répondit ma mère, tu as 52 ans.
— D’accord, mais lui ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi, Cata, que j’en parais dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste te montre sous ton meilleur jour, ou ne te montre pas, ou alors il montre sa mère.
— Mais qu’est-ce que tu viens me dire ça à moi, Luisa – lui rétorqua ma mère, moi il me peint toujours avec un double menton et je ressemble à un pélican.
Monsieur Ezequiel a aussi protesté car il dit que dans les dessins on n’apprécie pas les transformations qu’il a faites au bar :
— Et, sincèrement, El Tropezón est dans le coup, et il paraît à s’y méprendre à un bar de Paris, mais ce monsieur semble ne pas s’en rendre compte.
— Ou ne veut pas s’en rendre compte ! dit un client qui a aussi été retracé dans l’un de mes livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu’il le montre toujours trop gros :
— Et moi je n’ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l’ai jamais eu !
Franchement, je ne connais personne dans mon quartier qui soit content de voir comment il est sorti dans les livres. Faux, il y en a une : L’Imbécile, qui adore le moment où le dessinateur le montre sur les couvertures ; mais ma mère n’aime pas qu’on le dessine sans arrêt avec la sucette à la bouche, car elle dit que c’est se moquer de lui.
— J’essaie de lui enlever cette manie de la sucette, et ce type me le peint toujours avec la sucette.
Au début les gens de mon quartier achetaient les livres, mais ils ont fini de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas gaspiller de l’argent pour se voir gros et laids et à faire les idiots. De la même manière, ils le racontaient à ma mère dans la rue, qui ensuite me disait :
— Il faut voir, Manolito, tu vas finir par me faire brouiller avec tout le monde.
— Pas moi maman, c’est celle qui écrit les livres, elle ne garde que le plus mauvais de ce que je lui raconte.
Bon, ce que je voulais raconter ici, et que je commencerai au début du temps, c’était un vendredi après-midi, je suis allé au dispensaire avec mon grand-père, et le docteur Morales a dit à mon grand-père que sa prostate ne pouvait pas continuer ainsi, qu’on devait prendre le mal par la racine, car il avait une prostate qui était une horreur de prostate, chaque minute qui passait elle grandissait. Mon grand-père a pâli et a croisé les mains sur le devant même de la prostate, car il craignait peut-être que le médecin ne prenne un bistouri dans le tiroir et lui fasse une entaille ici même. Mais non. « Ne vous inquiétez pas », lui dit le docteur Morales en devinant sa pensée, « nous vous l’enlèverons à l’hôpital et sous anesthésie, comme pour tous les vieux ».
Mon grand-père est sorti du dispensaire assez triste et en marchant très lentement.
– Grand-père – lui dis-je, si la prostate est trop lourde, appuie-toi sur mon épaule afin qu’on la porte à deux.
Mais mon grand-père me répondit qu’il ne marchait pas lentement à cause du poids de sa prostate croissante, mais parce qu’aux grands-pères, de temps en temps, ils ont une peur à en chier. Nous devions aller à la Gran Vía parce que ma mère nous avez envoyé acheter des t termolactil pour moi et pour l’Imbécile, car elle aime beaucoup nous voir suer en hiver et tant que nous n’avons pas d’éruption cutanée elle ne nous laisse pas tranquilles. Nous avons pris un taxi parce que mon grand-père me dit qu’il était trop triste pour prendre le métro ; il aurait le temps dans un futur de se retrouver sous terre. Mon gran’pa est comme ça : un optimiste né.