mercredi 15 avril 2009

Résultats du sondage de Sophie : « Pensez-vous que le traducteur doive réécrire un texte très mal écrit au départ ? »

En photo : VERDAD par El Código

Sur 15 votants :

Oui = 10 voix (66%)
Non = 5 voix (33%)

Je laisse Sophie faire le commentaire de son sondage… Néanmoins, je me permets une petite remarque : Mmmhh, donc, nous autres traducteurs, moi comprise, je l'avoue, nous n'hésitons pas à considérer que nous avons un rôle prépondérant à jouer dans le texte, y compris, quand cela est nécessaire, "par-dessus" le travail de l'auteur. Précisément, cela soulève de très nombreuses questions, à mon avis : y a-t-il des limites à ces interventions ? À partir de quand le traducteur peut, voire doit, procéder à ce travail un peu spécial ? La question de la subjectivité ne devrait-elle pas nous freiner ? Nous touchons là un sujet très intéressant et qui mérite, lui aussi, des approfondissements. En attendant de savoir ce que veut faire Sophie, je vous propose de mon côté un nouveau sondage, qui reprend celui-ci, mais de manière beaucoup plus directe : une majorité d'entre nous pense qu'il faut réécrire quand le texte de départ est mal écrit… soit, mais, vous, personnellement, l'avez-vous déjà fait. Allez avouez !!!!!!

Le commentaire de Sophie :

Sondage

Aujourd’hui, avec 66% d'entre vous, je réponds sans hésiter OUI à cette question.
Et depuis que j’enseigne la traduction, je fais face aux objections d’étudiants qui confondent... chat et lièvre.
Aujourd’hui, ça veut dire après près de 20 ans à rendre des ouvrages pragmatiques, mais pas uniquement, à des éditeurs. Dans ce contexte, ce qui compte, c’est de donner aux lecteurs désireux d’apprendre à faire quelque chose grâce au livre les moyens d’y parvenir… qu’il s’agisse de bricolage, de cuisine ou de vannerie. Qu’importe la formulation parfois maladroite des auteurs - as du bricolage, cuisiniers de renom ou vanniers d’art - ce ne sont pas des écrivains ni même des rédacteurs. Les traducteurs ne sont pas toujours écrivains mais sont toujours rédacteurs, des professionnels de l’écrit, donc le moins qu’ils puissent faire est d’écrire correctement. Il n'est de l'intérêt de personne de traduire fidèlement des maladresses que les relecteurs de l'éditeur auraient laissées passer. N'oubliez pas que bien souvent les textes que nous traduisons ont déjà été considérablement "rewrités", ça vous aidera à intervenir sans complexe quand c'est nécessaire. Attention, il ne s'agit pas de s'abandonner à une subjectivité débridée et de réécrire le texte à sa sauce pour se faire plaisir ou parce ce que c'est plus facile que de traduire. Toutes les décisions prises quand on traduit doivent être le fruit d'une réflexion qui amène à peser et soupeser ce qu'un scripteur essaye de dire, mais aussi comment il s'y prend pour le dire et dans quel but. Et nous, on essaye de faire pareil, avec d'autres moyens linguistiques à notre disposition.
Ça c’était la réponse empirique basée sur l’expérience d’un type particulier de traduction. Élaborons un peu, ne serait-ce que pour voir s’il convient de l’étendre à d’autres domaines comme bien évidemment ce qui vous intéresse au premier chef, la traduction littéraire.
D’abord une anecdote, souvenir d’une conférence donnée par M. Pépin, directeur de collection et traducteur, entre autre, de polars, pour les étudiants du DESS Trad dont j’étais. Je cite de mémoire : “Quand le texte est un peu faible, surtout sur la première page, rien n’interdit de lui donner un petit coup de pouce.” Même les auteurs professionnels peuvent avoir un petit coup de fatigue et il n’y a vraiment pas de mal à le gommer si vous le pouvez – d’autant plus que les traducteur aussi ont leur moment de faiblesse où ils risquent de commettre des phrases moins que parfaites, alors ce n’est vraiment pas la peine d’en rajouter volontairement !
Un peu de théorie maintenant. Je suis en train de lire Teoria general de la mediación interlingüe de Sergio Viaggio (Publicaciones Universidad de Alicante 2004) que vous pourrez emprunter à la bibliothèque d’Espagnol quand je l’aurais rendu. Sergio Viaggio est le directeur du bureau des traducteurs et interprètes de l’ONU à Vienne. Il s’intéresse à tous les types de traduction. Dans le chapitre consacré à la traduction pragmatique, il critique avec humour la prose onusienne, souvent cauchemardesque, réécrivant des paragraphes fort mal écrits et les améliorant, produisant des textes plus courts que les textes originaux. Et à son avis, une bonne traduction ressemblerait davantage – dans une autre langue - à ces textes réécrits qu’à ceux produits au départ. Critiquant une traduction fidèle au texte de départ truffé de répétitions, il dit : “En resumidas, este texto es tan torpe como el original. Desde este punto de vista, es indudablement fiel. Pero ¿a quién conviene esa fidelidad, salvo à mí que la uso para mostrar por qué no conviene a nadie más?” (245).
Il illustre par de multiples exemples, y compris littéraires (mais je n'ai pas encore lu ce chapitre), l’idée que ce qu’il faut traduire ce n’est pas une chaîne de signes linguistiques abstraits – orale, des vibrations d’air ou écrite, des taches noires sur fond blanc – mais ce que le locuteur tente de faire passer avec les outils qu’offre la langue. Pour lui, il convient de retrouver l’intention antérieure à la mise en forme de la parole. La communication commence avant la formulation liguistique, dès qu’il y a une intention de dire, et s’arrête après la compréhension de l’énoncé, quand l’interlocuteur a compris cette intention, qui ne correspond pas forcément à la chaîne de signes linguistiques mises en place. Pour Viaggio, nous sommes victimes d’un fétichisme de la représentation sémantique, confondant l’intention et le sens de l’enoncé: “...muchos traductores... confunden [la representacion semántica] con el sentido del enunciado y acaban haciendo pasar el gato de la forma semantica por la liebre del sentido intendido. (65)”.

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