Elle hocha la tête, dit comme autrefois :
« Eh bien, adieu, Yourotchka… Prends bien soin de ta santé, mon chéri. »
Comme le temps passait… Enfant, quand il partait pour le Lycée de Moscou, en automne, il venait lui dire adieu ainsi, dans cette même chambre. Il y avait dix, douze ans de cela…
Elle regarda son uniforme d’officier avec une sorte d’étonnement, de triste orgueil.
« Ah, Yourotchka, mon petit, il me semble que c’était hier… »
Elle se tut, fit un geste las de la main. Il y avait cinquante et un ans qu’elle était dans la famille des Karine. Elle avait été la nourrice de Nicolas Alexandrovitch, le père de Youri, elle avait élevé ses frères et ses sœurs après lui, ses enfants… Elle se souvenait encore d’Alexandre Kirilovitch, tué à la guerre de Turquie en 1877, il y avait trente-neuf ans… Et maintenant, c’était le tour des petits, Cyrille, Youri, de partir, eux aussi, pour la guerre…
Elle soupira, traça sur le front de Youri le signe de la croix.
« Va, Dieu te protégera, mon chéri.
– Mais oui, ma vieille… »
Il sourit, avec une expression moqueuse et résignée. Il avait une figure de paysan, épaisse et fraîche. Il ne ressemblait pas aux autres Karine. Il prit entre les siennes les petites mains de la vieille femme, dures comme de l’écorce, presque noires, voulut les porter à ses lèvres.
Elle rougit, les retira précipitamment.
« Es-tu fou ? Ne dirait-on pas que je suis une belle jeune dame ? Va, maintenant, Yourotchka, descends… Ils dansent encore en bas.
– Adieu, Nianiouchka, Tatiana Ivanovna, dit-il de sa voix traînante, aux inflexions ironiques et un peu endormies, adieu, je te rapporterai de Berlin un châle de soie, si j’y entre, ce qui m’étonnerait, et, en attendant, je t’enverrai de Moscou une pièce d’étoffe pour la nouvelle année. »
Elle s’efforça de sourire, pinçant davantage sa bouche, demeurée fine, mais serrée et rentrée en dedans, comme aspirée par les vieilles mâchoires. C’était une femme de soixante-dix ans, d’aspect fragile, de petite taille, au visage vif et souriant ; son regard était perçant encore parfois, et à d’autres instants, las et tranquille. Elle secoua la tête.
« Tu promets beaucoup de choses, et ton frère est comme toi. Mais vous nous oublierez là-bas. Enfin, Dieu veuille seulement que ce soit bientôt fini, et que vous reveniez tous les deux.
« Eh bien, adieu, Yourotchka… Prends bien soin de ta santé, mon chéri. »
Comme le temps passait… Enfant, quand il partait pour le Lycée de Moscou, en automne, il venait lui dire adieu ainsi, dans cette même chambre. Il y avait dix, douze ans de cela…
Elle regarda son uniforme d’officier avec une sorte d’étonnement, de triste orgueil.
« Ah, Yourotchka, mon petit, il me semble que c’était hier… »
Elle se tut, fit un geste las de la main. Il y avait cinquante et un ans qu’elle était dans la famille des Karine. Elle avait été la nourrice de Nicolas Alexandrovitch, le père de Youri, elle avait élevé ses frères et ses sœurs après lui, ses enfants… Elle se souvenait encore d’Alexandre Kirilovitch, tué à la guerre de Turquie en 1877, il y avait trente-neuf ans… Et maintenant, c’était le tour des petits, Cyrille, Youri, de partir, eux aussi, pour la guerre…
Elle soupira, traça sur le front de Youri le signe de la croix.
« Va, Dieu te protégera, mon chéri.
– Mais oui, ma vieille… »
Il sourit, avec une expression moqueuse et résignée. Il avait une figure de paysan, épaisse et fraîche. Il ne ressemblait pas aux autres Karine. Il prit entre les siennes les petites mains de la vieille femme, dures comme de l’écorce, presque noires, voulut les porter à ses lèvres.
Elle rougit, les retira précipitamment.
« Es-tu fou ? Ne dirait-on pas que je suis une belle jeune dame ? Va, maintenant, Yourotchka, descends… Ils dansent encore en bas.
– Adieu, Nianiouchka, Tatiana Ivanovna, dit-il de sa voix traînante, aux inflexions ironiques et un peu endormies, adieu, je te rapporterai de Berlin un châle de soie, si j’y entre, ce qui m’étonnerait, et, en attendant, je t’enverrai de Moscou une pièce d’étoffe pour la nouvelle année. »
Elle s’efforça de sourire, pinçant davantage sa bouche, demeurée fine, mais serrée et rentrée en dedans, comme aspirée par les vieilles mâchoires. C’était une femme de soixante-dix ans, d’aspect fragile, de petite taille, au visage vif et souriant ; son regard était perçant encore parfois, et à d’autres instants, las et tranquille. Elle secoua la tête.
« Tu promets beaucoup de choses, et ton frère est comme toi. Mais vous nous oublierez là-bas. Enfin, Dieu veuille seulement que ce soit bientôt fini, et que vous reveniez tous les deux.
Irène Némirovsky, Les Mouches d'automne, 1931.
***
Laëtitia Sw nous propose sa traduction :
Ella movió la cabeza y dijo como antaño :
« Pues, adios, Yourotchka… Cuídate mucho, cariño. »
Cómo pasaba el tiempo… De niño, cuando se marchaba para el Instituto de Moscú, en otoño, él venía despedirse así, en aquella misma habitación. Había diez o doce años…
Ella miró su uniforme de oficial con una especie de asombro, de triste orgullo.
« Ah, Yourotchka, hijito, me parece que era ayer… »
Ella se calló y movió la mano con cierto cansancio. Había cincuenta y un años que ella estaba en la familia de los Karine. Había sido la nodriza de Nicolas Alexandrovitch, el padre de Youri, había criado a sus hermanos después de él y a sus hijos… Todavía se acordaba de Alexandre Kirilovitch, matado en la guerra de Turquia en 1877, había treinta y nueve años… Y ahora, les tocaba a los pequeños, a Cyrille, a Youri, marcharse, ellos también, para la guerra…
Ella sospiró y trazó en la frente de Youri el señal de la cruz.
« Vate, Dios te amparará, cariño.
– Claro que sí, viejita… »
Él sonrió con una expresión burlona y resignada. Tenía un rostro de campesino, espeso y fresco. No se parecía a los otros Karine. Tomó entre las suyas las manitas de la anciana, duras como la corteza, casi negras, y quiso llevarlas a sus labios.
Ella se ruborizó y las quitó precipitadamente.
« ¿ Estás loco ? ¿ No parece que soy una hermosa muchacha ? Vate, ahora, Yourotchka, baja… Siguen bailando abajo.
– Adios, Nianiouchka, Tatiana Ivanovna, dijo él con su voz cansina, de inflexiones irónicas y un poco adormecidas, adios, te traeré de Berlín un mantón de seda, si puedo entrar, lo que me extrañaría, y, entretanto, te enviaré de Moscú una pieza de tela para el año nuevo. »
Ella se esforzó por sonreir, apretando un poco más los labios, siempre finas, pero hundidas, como aspiradas por las viejas mandíbulas. Era una mujer de setenta años, de aspecto frágil, de pequeño tamaño, con un rostro vivo y sonriente ; su mirada seguía siendo aguda a veces, y en otros momentos, cansada y tranquila. Ella agitó la cabeza.
« Prometes muchas cosas, y tu hermano es como tú. Pero allá nos olvidaréis. En fin, que Dios no quiera más que eso acabe pronto y que ambos regreséis. »
Ella movió la cabeza y dijo como antaño :
« Pues, adios, Yourotchka… Cuídate mucho, cariño. »
Cómo pasaba el tiempo… De niño, cuando se marchaba para el Instituto de Moscú, en otoño, él venía despedirse así, en aquella misma habitación. Había diez o doce años…
Ella miró su uniforme de oficial con una especie de asombro, de triste orgullo.
« Ah, Yourotchka, hijito, me parece que era ayer… »
Ella se calló y movió la mano con cierto cansancio. Había cincuenta y un años que ella estaba en la familia de los Karine. Había sido la nodriza de Nicolas Alexandrovitch, el padre de Youri, había criado a sus hermanos después de él y a sus hijos… Todavía se acordaba de Alexandre Kirilovitch, matado en la guerra de Turquia en 1877, había treinta y nueve años… Y ahora, les tocaba a los pequeños, a Cyrille, a Youri, marcharse, ellos también, para la guerra…
Ella sospiró y trazó en la frente de Youri el señal de la cruz.
« Vate, Dios te amparará, cariño.
– Claro que sí, viejita… »
Él sonrió con una expresión burlona y resignada. Tenía un rostro de campesino, espeso y fresco. No se parecía a los otros Karine. Tomó entre las suyas las manitas de la anciana, duras como la corteza, casi negras, y quiso llevarlas a sus labios.
Ella se ruborizó y las quitó precipitadamente.
« ¿ Estás loco ? ¿ No parece que soy una hermosa muchacha ? Vate, ahora, Yourotchka, baja… Siguen bailando abajo.
– Adios, Nianiouchka, Tatiana Ivanovna, dijo él con su voz cansina, de inflexiones irónicas y un poco adormecidas, adios, te traeré de Berlín un mantón de seda, si puedo entrar, lo que me extrañaría, y, entretanto, te enviaré de Moscú una pieza de tela para el año nuevo. »
Ella se esforzó por sonreir, apretando un poco más los labios, siempre finas, pero hundidas, como aspiradas por las viejas mandíbulas. Era una mujer de setenta años, de aspecto frágil, de pequeño tamaño, con un rostro vivo y sonriente ; su mirada seguía siendo aguda a veces, y en otros momentos, cansada y tranquila. Ella agitó la cabeza.
« Prometes muchas cosas, y tu hermano es como tú. Pero allá nos olvidaréis. En fin, que Dios no quiera más que eso acabe pronto y que ambos regreséis. »
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