Message d'accompagnement du texte de Vanessa :
Il est un peu particulier, j'espère avoir respecté les limites du sujet initial. Je devais "décrire" mon personnage principal, ce qui s'est transformé en "faire parler son personnage principal", pour arriver à prendre sa voix. J'ai donc imaginé une suite possible au roman, où, en l'occurrence, on "entend" le protagoniste parlait de lui...
Ledit roman est d'Alonso Cueto, auteur péruvien : El susurro de la mujer ballena, Ed. Planeta, 2007.
« [...] Je laisse donc la parole à Verónica, puisque c'est elle qui est à l'honneur aujourd'hui. Je sais combien l'exercice est difficile pour elle... Remercions-la d'autant plus d'avoir accepté de nous faire ces quelques confidences sur son œuvre.
— Hum, merci Milagros. Je tenais d'abord à remercier à mon tour chaleureusement toutes les personnes qui m'ont accompagnée dans ce projet, qu'elles fassent partie du journal ou pas. Tu vois, Drago, même à toi, j'ai envie de dire merci. Sans rancune ?
Tu as raison, Mila, c'est assez embarrassant pour moi de devoir parler devant vous. J'ai toujours eu beaucoup de mal à m'exprimer... Déjà, Monsieur Lucho le sait bien, pendant les réunions, quand il fallait exposer les résultats de ma section, c'était la croix et la bannière. Par chance – surtout pour mes lecteurs ! – j'ai croisé la route d'un écrivain fantastique. Vous ne le connaissez pas, il n'a pas voulu co-signer le livre. Il n'est pas là aujourd'hui, mais je lui rendrai hommage chaque fois que j'en aurai l'occasion. Parce que, je l'avoue, j'ai l'impression de ne pas être à ma place ici. Je suis tout de bon une usurpatrice. Je n'ai fait que raconter une histoire commune, dont on nous rebat les oreilles depuis des lustres. Raconter, pas écrire !
En fait, j'ignore ce que vous attendez de moi maintenant. Je sais que les ventes ont fait monter en flèche la cote du journal. Je m'en félicite. Mais vous, les quelques personnes qui êtes mes amis et collègues, et tous les autres, qui ne m'aimez pas, qui ne faites pas attention à moi – et c'est normal ! –, j'espère que vous mesurez à quel point ma vie était insignifiante avant ça. Croyez bien qu'elle le redeviendra suffisamment tôt. Je suis persuadée que chacun se fichait pas mal de savoir que la petite Vero respo de la Page Internationale était tombée par hasard sur une vieille connaissance dans un avion. Qu'est-ce que ça pouvait bien vous faire ? Peu importe que ça ait bouleversé mon existence. De toute façon, en un quart de seconde, une action sans importance, ça vous ébranle le plus robuste d'entre nous. Alors, là...
Moi, je vais vous dire, heureusement que je l'ai rencontrée, cette fille. Sans elle, jamais je n'aurais pu faire ce bouquin. Même si elle n'en est que l'instrument, et que c'est tragique. Même si, en plus, je n'y dévoile absolument rien, alors que je ne fais qu'y parler de moi.
Je n'ai aucune envie de vous parler de moi. Ce personnage, la Verónica qui a côtoyé Rebeca pendant cette sombre période, je suis désolée de vous décevoir, mais ça n'est pas moi.
J'ai vraiment détesté ce que j'ai entendu : « Oh, Vero. Félicitations pour ton livre. Je l'ai lu, tu sais, d'un bout à l'autre, et je t'y ai totalement découverte ! C'est fou, je ne savais pas qu'on pouvait souffrir autant, juste à cause des sentiments d'une autre personne. En tout cas, c'était très courageux, de parler de toi comme ça. » Bien sûr que ça aurait été courageux ! Pauvre idiote. Ce serait juste pour le plaisir, là, que je me serais mise à nu devant toi ? Et toi, ça ne te dérangerait absolument pas de me triturer en plein cœur, pour voir ce qu'il y a à l'intérieur !
En fin de compte, Rebeca savait, elle. Elle connaissait tout ça, parce que son personnage à elle la poursuivait depuis l'enfance. Jamais personne ne s'est posé la question de savoir ce qu'il y avait réellement sous l'enveloppe cerclée de graisse. Sauf moi, à mes dépens...
Voilà ce que je voudrais faire comprendre : mon livre n'est pas un catalogue de nos petites histoires, à Rebeca et à moi. Ce n'est pas non plus une fenêtre grande ouverte sur un pan de ma vie, ce qui satisferait trop tous les voyeurs qui se cachent ici, sans parler de la famille. C'est un hommage révolté au personnage de la femme baleine, qui a fidèlement hanté le corps de Rebeca toute sa vie. C'est le murmure qu'elle émettait parfois.
J'espère que le message est passé. Je ne parlerai pas de moi, parce qu'il n'y a rien à dire. J'ai un fils adorable, un mari égoïste mais fidèle, vous savez grâce au livre que j'avais aussi un amant, avec qui, soit dit en passant, c'était l'extase. Vous savez que j'ai eu des difficultés à me remettre physiquement et moralement du passage du cyclone Rebeca sur ma vie. Vous savez que je ne quitterai pas mon poste au journal, n'en déplaise à certains, même avec ce succès naissant. Pour le reste, pour mon personnage, pour la Verónica fictive, vous savez désormais que c'est un être banal, qui ne sait pas s'exprimer, qui ne laisse jamais filtrer la révolte extrême qu'il renferme, qui est ballotté par ses sentiments. C'est ce protagoniste avec lequel il me faut composer en permanence. Pas de tout repos... [...] »
Il est un peu particulier, j'espère avoir respecté les limites du sujet initial. Je devais "décrire" mon personnage principal, ce qui s'est transformé en "faire parler son personnage principal", pour arriver à prendre sa voix. J'ai donc imaginé une suite possible au roman, où, en l'occurrence, on "entend" le protagoniste parlait de lui...
Ledit roman est d'Alonso Cueto, auteur péruvien : El susurro de la mujer ballena, Ed. Planeta, 2007.
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« [...] Je laisse donc la parole à Verónica, puisque c'est elle qui est à l'honneur aujourd'hui. Je sais combien l'exercice est difficile pour elle... Remercions-la d'autant plus d'avoir accepté de nous faire ces quelques confidences sur son œuvre.
— Hum, merci Milagros. Je tenais d'abord à remercier à mon tour chaleureusement toutes les personnes qui m'ont accompagnée dans ce projet, qu'elles fassent partie du journal ou pas. Tu vois, Drago, même à toi, j'ai envie de dire merci. Sans rancune ?
Tu as raison, Mila, c'est assez embarrassant pour moi de devoir parler devant vous. J'ai toujours eu beaucoup de mal à m'exprimer... Déjà, Monsieur Lucho le sait bien, pendant les réunions, quand il fallait exposer les résultats de ma section, c'était la croix et la bannière. Par chance – surtout pour mes lecteurs ! – j'ai croisé la route d'un écrivain fantastique. Vous ne le connaissez pas, il n'a pas voulu co-signer le livre. Il n'est pas là aujourd'hui, mais je lui rendrai hommage chaque fois que j'en aurai l'occasion. Parce que, je l'avoue, j'ai l'impression de ne pas être à ma place ici. Je suis tout de bon une usurpatrice. Je n'ai fait que raconter une histoire commune, dont on nous rebat les oreilles depuis des lustres. Raconter, pas écrire !
En fait, j'ignore ce que vous attendez de moi maintenant. Je sais que les ventes ont fait monter en flèche la cote du journal. Je m'en félicite. Mais vous, les quelques personnes qui êtes mes amis et collègues, et tous les autres, qui ne m'aimez pas, qui ne faites pas attention à moi – et c'est normal ! –, j'espère que vous mesurez à quel point ma vie était insignifiante avant ça. Croyez bien qu'elle le redeviendra suffisamment tôt. Je suis persuadée que chacun se fichait pas mal de savoir que la petite Vero respo de la Page Internationale était tombée par hasard sur une vieille connaissance dans un avion. Qu'est-ce que ça pouvait bien vous faire ? Peu importe que ça ait bouleversé mon existence. De toute façon, en un quart de seconde, une action sans importance, ça vous ébranle le plus robuste d'entre nous. Alors, là...
Moi, je vais vous dire, heureusement que je l'ai rencontrée, cette fille. Sans elle, jamais je n'aurais pu faire ce bouquin. Même si elle n'en est que l'instrument, et que c'est tragique. Même si, en plus, je n'y dévoile absolument rien, alors que je ne fais qu'y parler de moi.
Je n'ai aucune envie de vous parler de moi. Ce personnage, la Verónica qui a côtoyé Rebeca pendant cette sombre période, je suis désolée de vous décevoir, mais ça n'est pas moi.
J'ai vraiment détesté ce que j'ai entendu : « Oh, Vero. Félicitations pour ton livre. Je l'ai lu, tu sais, d'un bout à l'autre, et je t'y ai totalement découverte ! C'est fou, je ne savais pas qu'on pouvait souffrir autant, juste à cause des sentiments d'une autre personne. En tout cas, c'était très courageux, de parler de toi comme ça. » Bien sûr que ça aurait été courageux ! Pauvre idiote. Ce serait juste pour le plaisir, là, que je me serais mise à nu devant toi ? Et toi, ça ne te dérangerait absolument pas de me triturer en plein cœur, pour voir ce qu'il y a à l'intérieur !
En fin de compte, Rebeca savait, elle. Elle connaissait tout ça, parce que son personnage à elle la poursuivait depuis l'enfance. Jamais personne ne s'est posé la question de savoir ce qu'il y avait réellement sous l'enveloppe cerclée de graisse. Sauf moi, à mes dépens...
Voilà ce que je voudrais faire comprendre : mon livre n'est pas un catalogue de nos petites histoires, à Rebeca et à moi. Ce n'est pas non plus une fenêtre grande ouverte sur un pan de ma vie, ce qui satisferait trop tous les voyeurs qui se cachent ici, sans parler de la famille. C'est un hommage révolté au personnage de la femme baleine, qui a fidèlement hanté le corps de Rebeca toute sa vie. C'est le murmure qu'elle émettait parfois.
J'espère que le message est passé. Je ne parlerai pas de moi, parce qu'il n'y a rien à dire. J'ai un fils adorable, un mari égoïste mais fidèle, vous savez grâce au livre que j'avais aussi un amant, avec qui, soit dit en passant, c'était l'extase. Vous savez que j'ai eu des difficultés à me remettre physiquement et moralement du passage du cyclone Rebeca sur ma vie. Vous savez que je ne quitterai pas mon poste au journal, n'en déplaise à certains, même avec ce succès naissant. Pour le reste, pour mon personnage, pour la Verónica fictive, vous savez désormais que c'est un être banal, qui ne sait pas s'exprimer, qui ne laisse jamais filtrer la révolte extrême qu'il renferme, qui est ballotté par ses sentiments. C'est ce protagoniste avec lequel il me faut composer en permanence. Pas de tout repos... [...] »
2 commentaires:
Travailler à "prendre la voix" du personnage est effectivement une excellente méthode…
Oups... Une faute s'est glissée dans mon message d'accompagnement : à la 5e ligne, on entend le protagoniste "parler", au lieu de "parlait".
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